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samedi 15 février 2020

La Parisienne.

La Parisienne.


J'ai essayé de dire un jour ce qu'était le Parisien et quelle allure particulière il avait, soit dans la vie du monde, soit dans la vie publique. Je voudrais dire aujourd'hui à quoi on reconnait la Parisienne. Ce n'est pas chose aisée. Quand il s'agit de ces nuances délicates du caractère féminin, modifié à l'infini par les circonstances, il arrive que, contrairement à l'apophthegme de Boileau, on n'énonce pas facilement ce qu'on conçoit cependant très bien. Comme le Parisien, la Parisienne a presque toujours un don de tact et de mesure qui dissimule justement les angles de son caractère, comme son goût cache, en les harmonisant, les couleurs de ses toilettes.
Combien de fois n'avez-vous pas dit d'une Parisienne qu'elle était délicieusement attifée, sans pouvoir ajouter de quelle étoffe et de quel ton était son ajustement? Il est plus facile de dire à quoi se reconnaît la provinciale transplantée à Paris et y faisant florès. Voyez celle-ci qui fut belle en son temps et qui joue son rôlet à Paris. Elle est à la Comédie. Au bout d'un quart d'heure, tout le monde le sait. On ne voit pas ses diamants, elle les montre. On ne devine pas ses impressions, elle les crie tout haut. Elle formule d'un ton éclatant, l'éloge des acteurs, que Musset voyait passer dans le sourire d'une Parisienne discrète. Comme disait Mme de Staël, elle montre sa figure où elle l'a, c'est à dire qu'elle découvre sa gorge; mais elle la découvre trop. Sur l'escalier, elle hèle ses cavaliers, invite "son cher ministre" à souper, envoie "son cher général" chercher sa voiture. Voilà la provinciale, éternelle parvenue! La Parisienne a son avis, sa voiture, son général, son ministre, des diamants toujours, de la gorge quelquefois, mais elle, qu'on accuse d'être toujours en représentation, sait être parfois inaperçue, comme pour donner à qui la cherche la joie de la retrouver.
La pierre de touche de la Parisienne, et vous entendez bien que je parle aussi de la femme de province véritablement acclimatée, c'est l'aisance. Où qu'elle soit, la Parisienne n'est jamais gênée. C'est par là qu'on a pu dire qu'elle était comédienne consommée, mais comédienne de nature et d'instinct. Elle est, à ses heures, héroïque sans emphase; maîtresse de maison sans embarras, dévouée avec grâce, amoureuse sans mélodrame, vicieuse sans cynisme, ambitieuse sans tapage. Il lui arrive même d'être dévote sans ennui.
L'art des sous-entendus est le grand art de la Parisienne. Elle sait promettre sans rien dire et vous promettre sans rien jurer. Vous rencontrez Parisana vers quatre heures, en toilette simple, beaucoup trop près de la maison de l'homme qu'elle aime: elle vous sourit, et vous êtes discret. Une heure après, vous la revoyez sortant du salut à la Madeleine; elle vous sourit encore, et vous n'êtes pas étonné...
L. Gozlan a dit que la Parisienne était une maîtresse adorable, une amie sûre et une femme impossible. Maîtresse adorable, cela va de soi. Les femmes de province, plus gardées que les Parisiennes, prenant volontiers au tragique les choses de l'amour, se font toujours trop attendre. C'est à Paris qu'on plaît en huit jours à ces enchanteresses qu'on aime dix ans! Les passions, presque toujours, y commencent par des caprices. Amie sûre, cela est vrai encore. Que Voltaire avait raison quand il louait, comme le plus doux qui fût au monde, ce mot d'amie, si vague et si fort, qui peut survivre à la passion satisfaite! L'amitié de la Parisienne, quelle que soit son origine, et qu'on ait planté ou non ce fameux "clou d'or" dont parle Sainte-Beuve, est précieuse parce qu'elle est faite par le choix et non par l'habitude. Amitié sans jalousie, courageuse et délicate. Mais où L. Gozlan se trompe, à mon gré, c'est quand il dit que la Parisienne est une femme "impossible". Vieux paradoxe qui sent la province!
Quoi qu'on puisse en dire, la famille est très forte chez les Parisiens. Les parents, entre eux, gardent une certaine liberté, dont le besoin est dans le sang de Paris. Mais ils sont affectueux les uns pour les autres. Quant aux époux, ils font, en général, très bon ménage, et si jamais nous avons la loi sur le divorce, une loi que je déteste pour ma part, je gagerai que la province en usera autant et plus peut-être que Paris. La Parisienne est une associée admirable. Vous savez l'histoire de cette Parisienne des Parisiennes dont le bas bleu ne déteignait pas pas sur la jambe, qui fut Mme de G...? Elle recevait ses amis et ses amoureux dans son petit salon coquet et plein de fleurs. On riait, on plaisantait, on flirtait, on entendait siffler par les airs les flèches de Cupidon, grand déchireur de robes conjugales. Mais parfois, redevenant sérieuse, la Muse de l'endroit, montrant du doigt le plafond, disait à ses Sigisbées*: "Allez! c'est encore celui qui travaille là-haut qui est le plus fort de tous!" Et c'était le mari.
Si légère qu'on la dise et qu'on la dépeigne, la Parisienne est la compagne la plus sûre de la fortune de son mari. Elle l'aide dans les revers et n'est jamais étonnée et embarrassante dans la victoire. C'est encore une mère excellente. Elle est capable de tout pour son fils, même d'inviter au bal une femme qu'elle exècre et, pour sa fille, de ne plus aller aux petits théâtres! Elle leur enseigne à tous deux l'art de la vie, les arme pour la lutte; et, à son tour, elle apprend d'eux à vieillir.
Je ne crois pas qu'il y ait quelque chose de plus doux au monde et de plus profitable à un homme que l'amitié d'une vieille Parisienne. Est-ce bien "vieille" qu'il faut dire? Les femmes ont, sous les cheveux blancs franchement arborés, des renouveaux vraiment extraordinaires! L'amour lui-même pourrait s'y tromper, s'il n'était averti par une haute et souriante raison. Les Parisiennes vieilles ont accumulé des trésors d'observation, de sagesse, d'esprit, d'indulgence. Elles sont les arbitres naturels des cas délicats de la passion, qu'elles jugent en dernier ressort. Reviendrait-il de la cour d'assises, condamné pour certains crimes, l'homme, qu'un tribunal de Parisiennes acquitterait, resterait pour moi un galant homme. Elles ont en mains la jurisprudence du cœur.
Mais où la Parisienne se reconnaît surtout, c'est à la façon dont elle trompe son mari. Là, elle est supérieure et tout à fait inimitable.
On a discuté souvent pour savoir si ce qu'on appelle les infortunes conjugales étaient choses plus rares à Paris qu'en province ou en province qu'à Paris. Je crois que Paris a la palme. "J'imagine, disait au siècle dernier le comte de de C..., dînant avec sa femme, qu'il y a, à Paris qu'un seul mari qui ne soit pas cocu? Le connaissez-vous? - Ma foi, monsieur, répondait la comtesse (en regardant bien autour d'elle), je le cherche, et je ne le trouve pas." 
Cette Parisienne allait trop loin peut-être! Mais il est certain que l'adultère, à Paris, tempère et corrige souvent l'institution du mariage. Mais, si l'adultère est plus fréquent à Paris qu'ailleurs, cela ne tient pas, comme le disait Proudhon, a l'éducation chevaleresque des jeunes filles, ni à la grande liberté d'allures des femmes mariées. Cela tient aux différences profondes de l'adultère, en province et à Paris.
Là-bas, dans les petites villes, où la vie est étroite, où l'intimité devient une prison au lieu d'être un repos, où tout se sait, se répète et se grossit, avant d'arriver à tromper son mari, une femme en est venue depuis longtemps à le haïr. Avant d'aller au rendez-vous qu'on lui demande, Mme Bovary a passé ses soirées entières à cuire, au coin du foyer conjugal, une terrible fureur contre M. Bovary! Il est bien rare qu'une Parisienne qui est infidèle à son mari lui en garde rancune. Elle l'aime encore quelquefois, elle l'estime presque toujours. Ainsi Brantôme l'avait-il remarqué déjà; ses "honnestes dames" font leurs maris cocus, dit-il, sans les faire coquins. Elles n'entendent ni les humilier, ni les rendre ridicules, ni les affliger. Parfois, l'adultère est une des nécessités de l'association. En tout cas, elle lui survit presque toujours. Sganarelle, montré au doigt, conspué dans sa province, reste aisément à Paris un galant homme, qui n'est plus qu'un ami pour sa femme, et ne prétend ouvrir ni ses lettres, ni son cœur de force. Il y a, de la sorte, chez certains hommes, des résignations héroïques, rendues plus aisées par le tact délicat des Parisiennes. Maintenant, me direz-vous, pourquoi est-il tout à fait exceptionnel qu'une Parisienne aille dix ans dans le monde sans y courir quelque aventure de cœur? Comment surtout, ces légèretés qui sont de règles presque constantes, que le monde admet, consacre presque, chez des femmes qui ont peu de tempérament en général? En province, la chose est simple à expliquer: c'est aux longues heures d'ennui que l'on rêve à l'amant, quand rien ne vous distrait de la monotonie du tête-à-tête conjugal, souvent odieux. A Paris, où la femme ne s'ennuie guère, c'est une autre affaire. La Parisienne est "sensible", comme on disait jadis. Elle a dans le cœur une petite fleur bleue, qu'on sème au couvent, que le monde arrose et que l'amant cueille... Même dans un caprice, elle met de l'idéal.
Balzac disait que lorsqu'une femme soignait sa toilette dès le matin, son mari pouvait être sûr de son affaire. C'est une erreur. La Parisienne s'habille toujours bien, d'instinct, et pour le plaisir qu'elle y trouve. La toilette, qui ne doit jamais être un luxe pour la Parisienne, ne consiste pas tant dans le vêtement que dans une certaine manière de le porter (Balzac). C'est là où excellent nos Parisiennes. Rousseau disait qu'elles dominaient les modes, tandis que les modes dominent les provinciales. Rien n'est plus vrai que l'observation de ce provincial, dont les femmes firent un grand homme, sans jamais le décrasser complètement.
Mais la toilette, cette divine toilette qui commence à la jarretière, n'est que le signe extérieur de la royauté de la Parisienne sur les autres femmes du monde entier. Les causes de cette royauté incontestée sont plus hautes et plus profondes. La Parisienne est reine par le bon équilibre d'un tempérament qu'elle domine et qui le la trahit pas, par une philosophie solide qu'elle cache derrière les grâces de l'esprit, et par une constante aspiration à l'idéal, qui lui permet, sans trop oublier ses devoirs, de trouver à son heure un paradis dans le plus rapide des caprices et de mettre des étoiles au plafond d'une chambre garnie!

                                                                                                             Henry Fouquier.

La Vie populaire, jeudi 6 août 1885.

* Sigisbée: chevalier servant ou amant, avec plus ou moins l'assentiment du mari:


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