Les mille manières de savoir l'heure.
Quelle longue série de progrès successifs suppose l'opération la plus vulgaire! Si rien n'est plus facile aujourd'hui que de regarder l'heure au cadran d'une horloge, il a fallu, avant d'arriver à un procédé aussi commode et aussi précis, recourir à toute sorte de moyens qui ont changé avec les pays et avec les siècles. Passer en revue les différents systèmes dont on s'est servi jadis pour déterminer la durée, c'est faire une amusante promenade à travers les civilisations. Mais ce qui est instructif ici, c'est de voir comment un progrès est lié à tout les autres, et de constater combien de manifestations de notre activité dépendent de cette exacte mesure du temps qui est devenue une condition essentielle de la vie moderne.
Nous sommes vraiment ingrats envers notre époque. Nous nous plaignions constamment des ennuis que nous apporte la vie civilisée où nous sommes et nous négligeons de lui rendre grâces pour tous ceux qui nous sont épargnés et que l'humanité a connu avant nous. Aussi combien d'entre nous ont-ils jamais songé, lorsqu'ils tirent leur montre de leur poche pour regarder l'heure, quelle énorme somme de travail, de recherches et de progrès représente ce petit objet si banal et si utile? On en a pris l'habitude; on se figure si peu le monde sans aucun moyen de savoir l'heure, qu'on ne pense pas un seul instant au bienfait de ce progrès. On n'a pas plus l'idée de se féliciter d'avoir des jambes. Il semble que l'homme soit né avec une montre dans sa poche comme avec des doigts à ses mains. "Cependant le pâtre de Chaldée, dit très bien M. Dastre, était réduit à suivre sur la voute céleste le cours des étoiles; l'homme moderne transporte avec lui, partout et toujours, l'instrument mesureur des durées, et son œil consulte sans cesse la course sur le cadran divisé des aiguilles agiles et infatigables. Il est permis de dire que les inventions du cadran solaire, de la clepsydre, de l'horloge et de la montre marquent les étapes principales dans le développement de la vie sociale chez les anciens. Les astronomes eux-mêmes distinguaient pas les petites divisions de la durée; dans aucune observation de Ptolémée le temps n'est indiqué avec plus de précision que le quart d'heure. On compte aujourd'hui universellement par minutes et, pour quelques professions, par secondes."
Il a donc fallu des milliers et des milliers d'années pour en arriver là. Pour diviser le temps en parties égales, on a essayé de toutes les manières.
L'heure par le soleil. Le cadran solaire.
D'abord on a calculé l'heure par le soleil. Un bâton planté en terre en plein soleil projette une ombre sur le sol. Mais à mesure que la journée s'avance, cette ombre change de place. Elle tourne autour du bâton. Tel est le principe du cadran solaire, qui peut être plan, conique ou sphérique, pourvu qu'il se compose d'un bâton bien orienté et d'une surface exactement orientée aussi, sur laquelle est projetée l'ombre de ce bâton. Si sur cette surface sont marquées les lignes portant les chiffres des divisions du jour, à mesure que l'ombre vient à passer sur ces lignes elle marque par là-même l'heure. Le bâton est frappé par le soleil, la surface du cadran est frappée par l'ombre. De là la devise écrite sur les anciens cadrans solaires: Me lumen, vos ombra regit. (La lumière est ma règle, l'ombre est la vôtre.)
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Cadran solaire portatif en bois ou en ivoire.
A mesure que l'ombre projetée par le disque change de place, elle passe par une des divisions du jour et ainsi indique l'heure. (Collection La Barre-Duparcq) |
Au fond, c'est la plus ancienne invention humaine, c'est le cadran solaire qui marque le mieux l'heure, parce que c'est le soleil qui la marque lui même, et personne mieux que le soleil ne sait l'heure qu'il est*. On n'a pas à craindre comme pour tout autre espèce d'horloge que celle-ci avance ou retarde.
De plus, elle est la moins coûteuse et la plus simple comme le dit la devise humoristique d'un petit village des Hautes Alpes:
Je marche sans pieds et je te parle sans langue.
Seulement cela n'indique pas l'heure à une minute ou à une seconde près. Les bergers du Béarn qui aujourd'hui encore se servent de montres solaires cylindriques en bois, peuvent s'en contenter, parce qu'il leur suffit de savoir quand il faut sortir et quand il faut rentrer leurs bêtes.
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Les ancêtres de la montre: montre solaire, comme celles dont se servent encore les bergers du Béarn.
L'ombre projetée par l'index sur les divisions qui sillonnent le pilier indiquent approximativement l'heure. ( Collection La Barre- Duparcq) |
Mais pour le départ et l'arrivée de nos chemins de fer, il serait peut-être insuffisant que les chefs de gare fussent réduits à regarder le trait d'ombre que forme le style du cadran solaire sur une place publique. De plus, pour que cette horloge marche, il faut nécessairement qu'il fasse du soleil. Pas de soleil, pas d'heure. C'est le sens de cette belle et poétique devise inscrite bien souvent sur les cadrans solaires: Horas non numero nisi serenas, je ne marque que les heures sereines. Cela est fort beau, mais pas très pratique, car malheureusement dans la vie nous sommes obligés de compter aussi avec celles qui ne le sont pas. Pour les heures où le soleil manquait, il fallait trouver autre chose.
L'heure par l'eau et la terre: la clepsydre et le sablier.
Alors on a demandé à la terre un moyen de savoir l'heure. On s'est servi de la force d'attraction qu'elle possède pour mesurer le temps par la chute longue et toujours égale d'un corps de même nature, par exemple l'eau: c'est le principe de la clepsydre.
Le plus fameux exemple de clepsydre qu'on connaisse depuis Jésus-Christ est celui de ce véritable monument que l'ambassadeur d'Haroun-al-Rashid, assisté de deux moines de Jérusalem, vint offrir à Charlemagnes de la part de son maître*.
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Les moines Egibald et Félix présentent à l'empereur Charlemagne la clepsydre qui lui est offerte par le calife Haroun-al-Raschid. |
Cette clepsydre était en airain damasquiné d'or. Elle marquait les heures sur un cadran. Au moment où chacune d'elles venait à s'accomplir, un nombre égal de petites boules de fer tombaient sur un timbre et les faisaient tinter autant de fois qu'il y avait de nombre marqués par l'aiguille. A midi, douze cavaliers sortaient de douze fenêtres qui se refermaient derrière eux. Le mécanisme de tout l'appareil était mû par l'eau. L'apparition de cet engin étonna profondément les contemporains de Charlemagne, et le récit en est resté classique dans notre histoire. Mais il ne faudrait pas croire pour cela qu'on n'eût jamais vu encore de clepsydre en Europe. La plupart des peuples de l'antiquité s'en servaient. En Chine, elle remonte au moins à 2679 ans avant Jésus-Christ. Dans l'Inde, voici comment on s'y prenait pour mesurer le temps: c'était au moyen d'un naufrage. Dans un vase rempli d'eau on posait un petit bateau où l'on avait pratiqué un trou par où l'eau entrait graduellement. Le bateau surnageait d'abord assez bien, puis l'eau entrant, il enfonçait peu à peu et au bout d'un temps, toujours le même, il coulait jusqu'au fond.
La clepsydre primitive* était quelque chose comme un simple sablier: deux vases placés l'un sur l'autre, une petite ouverture pratiquée dans le vase supérieure rempli d'eau et la chute de cette eau, goutte à goutte, venant peu à peu remplir le vase inférieur. Celui-ci, marqué de diverses divisions afin d'indiquer les divisions du temps qu'il mettait à se remplir.
Dans les tribunaux d'Athènes, on mettait toujours une clepsydre à côté de l'avocat au commencement de son plaidoyer, et il mesurait les flots de son éloquence à l'écoulement de l'eau. D'ailleurs on versait trois parts d'eau égales dans la clepsydre: une pour l'accusateur, l'autre pour l'accusé et la troisième pour le juge. A Rome, il en était de même, et lorsqu'il paraissait indispensable que l'avocat pût parler plus longtemps que le temps normalement prescrit, on disait qu'il avait mis clepsydre sur clepsydre.
La clepsydre moderne, plus perfectionnée est la clepsydre à tambour.
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L' heure par l'eau: clepsydre à tambour.
Le tambour contient plusieurs compartiments réunit par un trou. Un seul de ces compartiments est plein d'eau. A mesure que l'eau s'écoule dans les autres compartiments, le tambour descend lentement et, en passant devant les divisions marquées à droite et à gauche, indique l'heure. (Communiqué par M. Planchon) |
Elle se compose d'un haut cadre de bois. A sa partie supérieure, sont fixées deux cordes dont les bouts inférieurs sont enroulés autour de l'axe du tambour. Celui-ci est lui-même divisé en compartiments étanches. La corde étant tout entière en roulée autour de l'axe, le tambour se trouve tout en haut du cadre, comme un store, lorsque la corde qui l'actionne est tout entière enroulée elle-même. Le tambour a une tendance à descendre en déroulant son attache. Il descendra en tournant rapidement sur lui-même. Mais si l'on met de l'eau dans un des compartiments intérieurs, il sera retenu dans certaines parties de sa circonférence par ces compartiments, et un de ses côtés étant alors plus lourd que l'autre la tendance à l'appareil à tourner sera contrebalancée et ce tambour restera stationnaire. Si maintenant nous perçons un petit trou dans la cloison de chaque compartiment, l'eau passera doucement de l'un dans l'autre, réduisant ainsi la force contraire qui s'opposait à la chute et permettant au tambour de descendre lentement. La durée de cette descente étant connue d'avance et toujours égale à elle même, il n'y aura qu'à marquer les différentes étapes le long du cadre pour savoir, au moment où passera le tambour, à quelle heure on est.
Voila l'heure indiquée par l'eau. Mais le principe peut s'appliquer de mille manières. Toute action régulière et lente peut servir à mesurer le temps: un bâton qui brûle, une eau qui s'écoule, du sable qui tombe, un ressort qui se détend y seront également propres.
Ainsi, au Moyen âge, on remplaçait souvent l'eau par de la poussière de marbre noir pilé qu'on faisait brûler dans du vin, qu'on séchait et qu'on pilait de nouveau neuf fois. On mettait ensuite ce sable dans deux ampoules de verre placées l'une sur l'autre et communiquant par un petit trou. Le temps que mettait le sable pour tomber de l'une dans l'autre mesurait une heure ou davantage. Quand l'ampoule inférieure était remplie, on retournait l'appareil. On appelait le sablier une horloge de sablon.
L'heure par le feu- Les bâtons de combustion.
Après l'eau et la terre, le feu servit à mesurer l'heure. Ce sont les Chinois qui se sont servis les premiers de ce moyen.
"Ils réduisaient en poudre, en le râpant et en le pilant, un bois spécial, dit M. Planchon; ils obtenaient ainsi une espèce de pâte dont ils composaient ensuite des cordes et des bâtons de diverses formes. Pour l'usage des personnes riches et des lettrés, ils employaient des essences plus rares. Ces bâtons qui, dans ce dernier cas, n'avaient guère que la longueur d'un doigt, atteignaient, lorsqu'ils étaient composés avec des bois plus ordinaires, deux ou trois mètres et égalaient en grosseur une plume d'oie.
"On les faisait brûler devant des pagodes et l'on s'en servait pour porter le feu d'un lieu à un autre.
"Souvent on piquaient ces bâtons dans des vases de métal remplis de cendre; cette position verticale permettait de suivre facilement de l'œil leur combustion.
"Comme en brûlant, ces bâtons ne donnaient pas la moindre lumière, ils ne servaient donc qu'à indiquer l'heure dans la maison en même temps qu'ils embaumaient.
"Ces mèches et ces bâtons, en usage en Chine et dont nous parlons plus haut, servaient encore de réveille-matin. Quand un chinois voulait se lever la nuit à une heure précise, il suspendait un petit poids de métal bien exactement à l'endroit de la mèche ou du bâton où le feu devait arriver à l'heure dite. Le moment venu, le poids se détachait, le fil étant brûlé, et tombait dans un bassin de cuivre; le bruit de sa chute était assez retentissant pour réveiller le dormeur."
En France, le roi saint Louis et le roi Charles V se servirent également de ces chandelles graduées pour mesurer l'heure. On peut encore se servir d'une veilleuse ordinaire. Dans une veilleuse, à mesure que l'huile brûle, naturellement, elle diminue, et en diminuant son niveau baisse. Si on place à sa surface un petit corps léger qu'on appelle un flotteur, il descendra en même temps que le liquide sur lequel il flotte. Si ce flotteur qui descend ainsi progressivement est relié par un fil à une aiguille, il fera tourner cette aiguille au fur et à mesure de la combustion de l'huile. C'est d'après ce principe très simple, presque enfantin, que Gabry a construit l'horloge suivante: deux récipients en porcelaine sont juxtaposés et communiquent par un conduit. Dans un de ces récipients flotte la veilleuse, dans l'autre nage le flotteur. Comme les deux vases communiquent, quand l'huile baisse dans celui de la veilleuse, elle baisse aussi dans celui du flotteur. Entre les deux s'élève une plaque de tôle de la forme d'un cadran où sont marquées les divisions du temps.
Le flotteur, lui, est suspendu par un fil qui s'enroule autour d'une poulie montée sur un axe horizontal et aboutissant au centre du cadran. A mesure que le flotteur baisse, l'aiguille marche et ainsi marque les heures. La veilleuse mesure donc l'heure par sa combustion, et permet de la lire par sa lumière.
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L'heure par le feu.
1- La veilleuse de Gabry. A mesure que l'huile diminue dans le récipient où brûle la veilleuse, elle diminuera aussi dans le récipient où repose le flotteur qui en s'abaissant fait tourner l'aiguille sur le cadran où sont marquées les heures. 2- La lampe juive. L'huile, en se consumant, abaisse son niveau et cet abaissement progressif est marqué par l'échelle graduée, qui indique ainsi le temps écoulé. 3- Horloge chinoise à bâtons de combustion piqués dans un vase de métal rempli de cendre. Etant gradués, ils marquent exactement, par le temps qu'ils mettent à brûler, l'heure qu'il est. 4- Horloge à réveille-matin. Quand le bâton est consumé jusqu'au point où il supporte un fil retenant deux boules de métal, ce fil se consume aussi et les deux boules, tombant sur le gong, réveillent le dormeur. (Communiqué par M. Planchon) |
Gabriel Magalhaens écrivait en 1668, dans son ouvrage, Nouvelle relation de la Chine: " Dans toutes les cités et ville de l'empire, il y a deux tours dont l'une s'appelle la "Tour du Tambour" et l'autre la "Tour de la Cloche", du haut duquel, on annonce les veilles de nuit. Au commencement de la nuit ou de la veille, la sentinelle frappe plusieurs coups sur le tambour, et la cloche lui répond ensuite; puis, durant le premier quartier, la sentinelle frappe un coup sur le tambour et l'autre sentinelle en donne aussitôt un autre avec le marteau sur la cloche. Environ l'espace d'un Credo après, ils donnent chacun un coup sur le tambour et sur la cloche et continuent de même jusqu'au commencement de la deuxième partie de la nuit. Alors ils donnent chacun deux coups, et continuent, comme il a été dit, jusqu'à la troisième veille, où ils frappent trois coups; à la quatrième veille quatre coups, et, à la cinquième, cinq; au point du jour, ils redoublent les coups comme ils l'ont fait au commencement de la nuit. De cette manière, en quelque temps de la nuit que l'on s'éveille, à moins que le vent ne soit contraire, on entend le signal de toute la ville et l'on sait quelle heure il est."
On doit comprendre maintenant pourquoi l'on dit "battre les veilles" puisque c'est toujours en frappant, soit les cloches, soit les tambours, qu'elles sont annoncés.
Enfin, après le soleil, l'eau et le feu, voici que le simple jeu des poids et de l'échappement devait annoncer l'heure. C'est la mécanique substituée à la physique simple, nous arrivons à l'horloge proprement dite.
L'heur par le poids moteur et l'échappement. L'horloge.
L'horloge fut inventée par un pape, au Xe siècle, le savant Gerbert, mais on n'en construit guère d'authentiques avant le XIVe siècle. La régularité de l'horloge fit l'émerveillement de tout le Moyen âge. Il semble que ce fut une révolution dans la vie sociale, que de savoir dorénavant l'heure, et que, dès lors, la régularité morale, l'exactitude dans les devoirs, la vertu, dussent s'en suivre fatalement. Aussi donna-t-on l'horloge comme attribut à la vertu et notamment à la Tempérance, qui est toujours représentée, dans les tableaux religieux, portant une horloge*. Les plus grands personnages de la terre s'occupèrent à perfectionner cette machine inventée déjà par un pape. Jusqu'à l'empereur Charles-Quint, qui, après son abdication, faisait avec le grand mathématicien Jannellus Turianus, de l'horlogerie au couvent de Saint-Just, et, cherchait à se consoler des déboires des heures passées en mesurant plus exactement les heures à venir.
Les perfectionnements étaient les uns utiles, les autres purement agréables et pittoresques. On chercha à faire mouvoir, par le mouvement de l'horloge, des cadrans secondaires qui marquaient les jours de la semaine, les quantièmes du mois, les phases de la lune, le lever et le coucher du soleil, les signes du zodiac. On y attachait de petites figurines de bois ou de métal, des automates qui annonçaient l'heure de mille manières. A Sund, en Suède, on voyait à chaque heure deux cavaliers sortir de l'horloge, aller l'un vers l'autre et se donner autant de coups qu'il y avait d'heures à sonner. Plus tard, Henri II fit construire au château d'Anet une horloge où un cerf s'élançait, à chaque heure, poursuivi par les chiens et tapait l'heure avec l'un de ses pieds.
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Les jaquemarts de l'église Notre-Dame de Dijon qui sonnent l'heure depuis 1382. |
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Les jaquemarts du beffroi d'Avignon. Les deux personnages frappent sur la cloche le nombre de coups qui correspond à l'heure.
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Les piquantins de l'hôtel de ville de Compiègne. (Communiqué par M. Planchon) |
La plus fameuses des horloges théâtrales et compliquées que l'on s'amusait à construire au Moyen âge est celle de la cathédrale de Strasbourg. Elle a commencée en 1352 et terminée en 1842, 500 ans pour faire une horloge, cela paraîtra peut-être un peu long, mais la vérité est qu'elle fut entièrement reconstruite trois fois*. La dernière n'est pas la moins compliquée. Quatre figures représentant les quatre âges de la vie apparaissent tour à tour pour frapper sur le timbre les quatre quarts d'heure. Au premier quart un enfant le frappe avec un hochet; à la demie, un jeune homme habillé en chasseur le frappe avec un dard; au troisième quart, les coups sont donnés par un guerrier avec son épée; au quatrième quart, c'est un vieillard qui l'annonce avec sa béquille. Lorsqu'il s'est retiré, la Mort apparaît et frappe l'heure avec un os. Au dessus est une figure du Christ, et lorsque la mort frappe l'heure de midi, les douze apôtres passent devant les pieds de leur maître en le saluant. Alors le Christ fait le signe de la croix. Pendant la procession des apôtres, le coq perché au plus haut de la petite tourelle agite ses ailes, ébouriffe son cou et chante trois fois.
Les bourgeois de ces villes, au Moyen âge étaient tellement fiers de leurs horloges et jaloux d'en conserver le secret, qu'ils faisaient tout au monde pour empêcher le constructeur d'aller ailleurs en organiser de pareilles. On raconte ainsi que, au XVIe siècle, l'horloger Clavelé fut brûlé vif ainsi que Syppins, qui fit, en 1598, l'horloge de Lyon*. Ce sont des légendes, mais elles prouvent la jalouse admiration qu'inspirèrent les premières horloges.
Après le Moyen âge, on s'occupa moins d'amuser l'imagination avec des automates et davantage de renseigner exactement avec des perfectionnements scientifiques. Pour cela, on inventa le régulateur, lorsque les lois du pendule furent appliquées au balancier de l'horloge. On obtint ainsi la seconde. En même temps, on ajoutait à la mesure du jour divers mouvements astronomiques, tels qu'on en voit dans le célèbre régulateur de Caffieri, à Versailles*.
Une variété d'engins a été imaginée à ce moment.
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Horloge horizontale pour placer sur une table. |
Voici le plus curieux, restitué de nos jours par M. Planchon.
" M. le baron Grollier de Servière, dit-il, signale dans son ouvrage sur les curiosités du cabinet de son grand père une horloge qui est un plat d'étain sur le bord duquel les heures sont gravées comme sur un cadran.
"Après avoir rempli d'eau ce plat, on y jette une figure de tortue de liège qui va chercher l'heure courante pour la marquer avec son museau. lorsqu'elle la trouvée, elle s'y arrête; si on veut l'en éloigner, elle y retourne aussitôt, et si on l'y laisse elle suit imperceptiblement les bords du plat en marquant toujours les heures; cette machine est d'autant plus surprenante qu'il ne paraît rien qui fasse agir cette tortue sur l'eau."
Ici s'arrête la description de cette pièce.
M. Mathieu Planchon a pensé qu'il serait intéressant de restituer ce curieux mécanisme d'après la seule description précédente et a construit l'horloge suivante.
Le mouvement, placé horizontalement dans la caisse qui supporte le plat entraîne un disque aimanté; ce disque fait sa révolution en douze heures. Il a à sa section deux aimants: l'un pôle nord, l'autre pôle sud. La petite tortue en liège a, sous sa partie inférieure, une petite broche d'acier aimantée aussi pôle sud et pôle nord, de telle sorte que la tortue, une fois flottante sur l'eau du plat, est attirée entre les deux pôles aimantés et toujours dans le même sens, c'est à dire la tête du côté des heures gravées sur le plat. Elle suit ensuite ces aimants dans leur circuit. Tout le prodige annoncé par le petit-fils du baron nous semble donc aujourd'hui médiocrement prodigieux: il se résume dans une très ingénieuse combinaison d'aimants.
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Pendule magnétique.
Une cuvette d'étain remplie d'eau. Sur les bords sont marquées les heures. Dans l'eau flotte une petite tortue de liège qui dirige toujours son museau vers le chiffre de l'heure où l'on est. Ce résultat est obtenu au moyen d'un disque aimanté tournant sur les bords du plat et attirant la tortue, qui porte, elle aussi, une broche d'acier aimantée. (Pendule exécutée par M. Planchon, d'après la description du baron Grollier de Servière.) |
C'est au milieu du XVIIIe siècle que fut aussi instituée la sonnerie à carillon des pendules. C'était le plus beau cadeau qu'on pût faire. En 1747, le Roi envoya à la Reine une pendule pour mettre dans ses cabinets; à cette pendule était adapté un carillon qui jouait treize airs. Le luxe qu'atteignirent les pendules dépasse tout ce qu'on peut imaginer. Certains régulateurs, comme celui de Caffieri, sont des merveilles de mécanique, pouvant marcher plusieurs années de suite sans être remontés.
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L'engin le plus perfectionné.
Horloge astronomique de Passement. Travail artistique de Caffieri. Musée de Versailles. |
Ils sont en même temps des merveilles d'art. Incrustations d'ébène, de nacre, d'écaille, moulures de cuivre ou d'or ciselé, statuettes dues aux plus grands maîtres, toutes les richesses ont été accumulées autour de l'Heure, comme pour faire oublier la fuite du Temps par les charmes de l'ornementation.
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L'heure qui tourne et l'aiguille immobile.
Ici, c'est le cadran lui-même qui est mis en mouvement et qui vient placer les heures, une à une devant le dard du serpent immobile sui sert d'index. (Pendule exécutée par M. Planchon d'après une gravure de Forty) |
La plus fameuse de ces pendules est celle des Trois Grâces*, en marbre, sculptées par le célèbre Falconet, sous Louis XV. Les heures sont écrites sur un cylindre horizontal, qui tourne et c'est le doigt de l'une des Grâces, immobile qui désigne les chiffres à mesure que chacun vient se placer devant lui. Ce n'est pas très facile à distinguer. C'est pourquoi Diderot disait: "Cette pendule montre tout, excepté l'heure." Mais sa valeur comme œuvre d'art est reconnue comme la plus considérable qu'ait atteinte une pendule. Il y a quelques années, à la vente Double, elle a été payée 101 000 francs, et son propriétaire actuel en a refusé 1 500 000 francs. Visible au Petit Palais pendant l'Exposition de 1900, elle a été contemplée par des millions de visiteurs. C'est la pendule la plus connue du monde entier.
A la même époque, on construisait, en Angleterre, l'horloge la plus simple de tous les temps. En 1797, le gouvernement anglais, ayant besoin d'argent, s'avisa de mettre une taxe sur les horloges. Toute horloge payait un droit de 6 francs par an et toute montre en or un droit de 12 francs. L'effet de cette mesure fut qu'on ne vit plus nulle part d'horloges, excepté dans les auberges et tavernes, qui adoptèrent un type extrêmement simple, échappant le plus possible aux lois somptuaires: un large cadran entouré de bois, peint en noir sans même de glace, et un tronc assez long pour contenir un pendule. Ces horloges qu'on trouve encore dans les campagnes d'Angleterre portèrent le nom de "l'Acte du Parlement"*.
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Horloge anglaise dite de l'acte du Parlement.
Le gouvernement anglais ayant eu l'idée de mettre une taxe sur les horloges, les horlogers adoptèrent un type échappant le plus possible aux lois somptuaires. (Extrait des Olds Clocks and Watches, Batsford, éditeur.) |
L'heure par le ressort spiral: la montre.
Cet excès d'économie et de simplicité est à peu près unique dans l'histoire de l'horlogerie. Au contraire, les faiseurs de pendules ou de montres ont toujours tenu à entourer d'un luxe d'art leur mécanique. L'invention de la montre remonte très haut. C'est sous Charles V qu'on imagina d'enrouler sur elle-même une lame d'acier très mince. Cette lame, en se détendant peu à peu, produit l'effet du poids sur le rouage. On l'appelle le ressort spiral. Comme on peut l'enfermer dans un petit espace, il permit de réaliser plus tard la montre. A la fin du XVe siècle, on en faisait déjà qui n'était pas plus grosse qu'une amande. Depuis le jour où on a trouvé le ressort spiral, c'est à dire le moyen de dissimuler l'organisme dans un tout petit espace, on a mis des horloges minuscules dans une foule de bijoux. Ce n'est pas d'hier qu'on a imaginé de loger des montres dans des bracelets, ces cannes d'ombrelles, des faces à main.
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Les bijoux qui disent l'heure.
(Collection de Mme la comtesse de Béarn et de M. Garnier) |
Dès le XVIe siècle, on en a eu l'idée. Les allemands fabriquaient des croix pectorales en cuivre ou en cristal qui, au milieu, contenaient un cadran. A Nuremberg, on faisait le joyau appelé l'œuf de Nuremberg*, qui en contenait un aussi. De même on construisit des montres en forme d'amandes, de croix d'honneur, de papillons, de trompes de chasse, à suspendre au cou, en forme de têtes de mort, à porter en breloques, sur des bagues à porter au doigt. Au XVIIIe siècle, tous les bijoux disaient l'heure. Tel est ce miroir, dans le manche duquel est dissimulée une petite horloge. L'élégante qui le maniait avait ainsi devant les yeux deux miroirs également révélateurs. Dans le petit, elle lisait les heures; dans le grand, elle lisait les années aux traces que les années laissaient à ses cheveux et à son front.
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Pendule mystérieuse.
Il semble ici, que l'aiguille marche toute seule sous l'unique inspiration du Temps. En réalité, l'axe sur lequel est monté l'aiguille est soutenue par le manche de la faux et par un tronc d'arbre placé derrière. Cet axe s'emmanche dans le tronc d'arbre et porte une roue dentée. L'aiguille porte deux cadrans: l'un marque le quantième et les autres les jours de la semaine. (CollectionKohn, communiqué par M. Planchon.) |
Aujourd'hui, l'horloge, comme tout le reste, s'est démocratisée. Il n'est plus besoin d'avoir un esclave, comme à Rome, chargé d'aller chercher l'heure au cadran de la place publique, ni d'être en rapport avec le calife Haroun-al-Raschid pour posséder une clepsydre. Pour quelques francs, on a une montre qui marche mieux que tous les engins de ces grands rois. Seulement la perfection de l'industrie n'est rien entre des mains inhabiles. Savoir l'heure n'est rien, si l'on ne sait pas profiter de l'heure. L'horloge est, de nos jours, une arme: arme pour vaincre le temps et pour ne pas être vaincu par lui. On ne l'enrichit plus d'amusettes et d'ornements comme au Moyen âge. C'est qu'on a compris qu'avec les complications de la vie moderne, il fallait la considérer, non comme un joujou, mais comme une arme de précision. Une sage devise qui se lisait jadis sur une pendule anglaise résume toute la "philosophie" du temps:
Que lenta accedit, quam velox ptæterit hora;
Ut capias, patiens esta, sed esto vigil.
Ce qui peut se traduire librement ainsi:
L'occasion propice est lente à venir et prompte à passer;
Sois patient pour l'attendre, mais vigilant pour la saisir.
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Un type disparu: l'horloger ambulant. "Horloges de bois, Horloges de bois!" par Carle Vernet. (Lithographie de Delpech.) |
Lectures pour tous, Paris, hachette et Cie, 1900-1901.
Nota de Célestin Mira:
* Cadran solaire:
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Cadran solaire de type sphérique, tronqué situé dans le temple d'Appolon à Pompéi (79 av JC). |
* Clepsydre primitive:
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Représentation d'une clepsydre dans la tombe de Ramsès VI. |
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Représentation d'une clepsydre dans la tombe de Sethnakht et Taousert. |
* La tempérance:
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L'horloge de tempérance. Epitre d'Othéa, déesse de la Prudence, Christine de Pizan (enluminure). |
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La tempérance tenant une horloge de Michel Colombe, pour Anne de Bretagne (tombeau des ducs de Bretagne) à Nantes. |
L'horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg:
* L'horloge astronomique de la cathédrale Saint-Jean de Lyon:
* Pendule astronomique de Versailles:
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Louis XV fit construire une pendule astronomique dite "pendule de Passemant" par Claude-Siméon Passemant, Philippe et Jacques Caffieri et Louis Danthiau. Elle était prévue pour fonctionner jusqu'en 9999! |
* Nicolas Grollier de Servière (1596- 1689):
l'Horloge dix-feptiéme , eft un plat d'étain fur le bord duquel les heures font gravées comme fur un cadran.
Après avoir rempli d'eau ce plat, l'on y jette une figure de Tortue de liège, qui va chercher l'heure courante pour la marquer avec fon petit mufeau. Lorfqu'elle
Га trouvée, elle Ci arrête . fi on veut l'en éloigner , elle y retourne anffi-tôt et si on l y laisse , imperceptiblement les bords du plat en marquant toujours les heures. Cette machine est d'autant plus fuprenantë, qu'il ne paroît rien qui faffe agir cette Tortue fur l'eau et qui la détermine à aller plutôt d'un coté que d'un autre. Pour faire voir même qu'il n'y a point de lieu affecté pour la faire arrêter, que l'endroit où l'heure courante est décrite , on prie les personnes curieufes qui veulent la voir, de placer à leur fantaisie le plat, de le tourner et de le retourner
plufieurs fois de différens fens -, malgré tout cela la Tortue va toujours avec la même régularité fur l'heure quelle doit marquer.
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Pendule de table magnétique réalisée par Cartier, datant des années 1920, inspirée de celle de Nicolas Grollier de Servères |
* Pendule aux Trois Grâces:
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Pendule aux Trois Grâces avec cadran tournant, en marbre blanc, par Etienne Maurice Falconet. (Musée du Louvre) |
* Horloge de taverne anglaise:
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Horloge de taverne anglaise "Act of Parliament" XVIIIe siècle. |
* Œuf de Nuremberg:
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L'œuf de Nuremberg attribué à Peter Henlein entre 1505-1510, fut la première montre à gousset. |