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mercredi 11 septembre 2024

 Il n'y a pas de sot métier.

Professions étranges et bizarres industries parisiennes.



On dit qu'à Paris, tout se trouve... On ne croit pas si bien dire! En dehors des professions régulières, étiquetées et cataloguées, quels ne sont pas les métiers étranges auxquels certains de nos concitoyens ont recours pour subvenir aux modiques ressources de leur précaire existence! Ce sera pour le lecteur une surprise et une révélation que cette promenade à travers tant d'industries insoupçonnées, médiocrement lucratives pour la plupart, mais dont quelques-unes, au contraire, sont fort productives et nourrissent grassement leur homme.


Ceux qui écument la Seine et les fabricants d'yeux de bouillon.

Il y a à Paris, chaque matin, d'après les statistiques les plus modérées, et sans tenir compte des mendiants professionnels, quarante mille personnes qui ne savent pas comment elles mangeront dans la journée.
N'ayant pas de métier fixe, elles en exercerons un, des plus inattendus souvent, et des plus bizarres.
Levons-nous dès l'aube, à l'heure où les locataires gratuits des arches des ponts se réveillent dans le brouillard gris pour échapper aux rafles de la police. Observons celui-ci qui est resté sur la berge après que tous les autres sont partis: il sort de son bissac une vieille marmite, une cuiller à pot et une sorte d'écumoire rouillée. Ce sont ses instruments de travail. Notre homme suit, le long du quai, la rangée de péniches endormies, et arrive ainsi au barrage d'une des écluses qui sont en aval de la rivière, c'est à dire après que le fleuve a traversé la capitale. Arrivé là, il se penche sur l'eau avec son écumoire, sa marmite et sa cuiller à pot. Il se met à écumer la Seine! Entendez par ces mots qu'il recueille la couche grasse et huileuse qui flotte à la surface, aux abords du barrage; il la passe et finit par en remplir sa marmite. Que va-t-il faire maintenant de ce produit nauséabond, résidu des eaux d'égout, des cadavres de chiens flottants et de chats crevés? Il va le porter à des fabricants de savon qui transformeront, à l'aide de produits chimiques et de recettes savantes, cette graisse en savon noir ou en savon de Marseille.
Il y eut longtemps des industriels spéciaux qui se chargeaient de confectionner des "yeux" pour le bouillon. On les appelait des "souffleurs". Ils prenaient dans leur bouche une certaine quantité d'huile, huile d'olive ou huile à quinquets, et, avec une habileté remarquable, la "soufflaient" en bulles légères à la surface de l'eau chaude destinée à passer pour du bouillon.
Mais les traditions se perdent, les bons "souffleurs de bouillon" se font rares, et les gargotes nauséabondes ont peut-être recours, elles aussi, à notre "écumeur" de la Seine. La graisse des écluses et des barrages donnant des "yeux" à la Cour des Miracles: on frémit d'horreur à cette seule pensée.

Pêche bizarre. Une nursery qui ne fleure pas bon.

Ne quittons pas les bords de Seine. Voici le pêcheur de vieux bouchons. On n'imagine pas combien il flotte de bouchons sur la Seine. Ils s'amassent soit aux barrages des écluses, soit entre les parois des péniches amarrées au rivage. C'est là que ce pêcheur d'un genre particulier va les récolter: un bâton emmanché d'un vieux chapeau lui tient lieu d'épuisette. Pour peu que la pêche soit abondante, il en a bientôt rempli un grand sac. Donc, il se dirige, sac au dos, vers la Butte-Montmartre, derrière le Moulin de la Galette, ou vers Plaisance, ou bien encore à Pantin, partout où se trouvent ces terrains vagues, aux habitants plus vagues encore.
Là, dans une baraque en planches recouverte de papier goudronné, est le siège social de l'entreprise. A l'aide d'acides et de bains plus ou moins prolongés, les bouchons les plus noirs reprendront leur couleur primitive et seront revendu aux marchands de vin à raison de 3 à 5 francs le mille. Beaucoup sont percés toutefois; de ceux-là on en fera de plus petits; quant à ceux qui sont trop détériorés, on les mettra en poudre. La poudre de liège a divers usages dans l'industrie: c'est avec elle que l'on bourre les planchers et les plafonds des somptueuses maisons modernes afin d'assourdir les bruits d'un étage à l'autre.
Mais pendant que nous sommes ici, dans ce terrain vague, un écriteau bancal, appendu à la porte de la "maison" voisine, attire notre attention: Fabrication d'asticots et de vers de farine";
Nous cognons: le propriétaire vient nous ouvrir en personne; une odeur à faire reculer les plus courageux nous suffoque: nous ne tardons pas à nous en expliquer la cause, un peu remis, nous pénétrons à l'intérieur de la cabane.
Il y a là, rangée par terre, des caisses en bois, caisses à bougies, caisses à vermicelle et caisses à biscuits, où une certaine quantité de bêtes en putréfaction achèvent de se décomposer. Là-dessus pullulent une foule de petits vers blancs qui sont les asticots. L'honorable commerçant a des pratiques attitrées qui, pour rien au monde, n'amorceraient leur ligne avec un asticot qui ne sortirait pas de chez lui. La "calottée" se vend deux ou trois francs; et, dame! quand la saison est bonne, il y a des jours où il se fait ainsi sept à huit francs. En face des caisses à asticots, d'autres caisses qui contiennent de la farine, de vieux bouts de laine et de vieux bouchons percés; les "vers de farine" couvent là en paix, et se vendent dix sous le cent pour nourrir l'oiseau cher à Roméo et à Juliette. L'étrange fabricant a son lit entre les deux rangées de caisses... C'est là qu'il dort, c'est là qu'il mange. Il faut être doué tout de même d'un robuste odorat!

L'arche de Noé à Paris. Rats pour savants et tortues pour dame.

Puisqu'on engraisse des asticots, on peut bien élever des rats.
Voici, en effet, une carte de visite pour le moins singulière: "Valin, cité blanche, Paris-Plaisance. Spécialité de rongeurs et autres."
M. Valin élève des rats pour les amateurs, pour les dresseurs de foire et de cirques, enfin pour les facultés de médecine. Ce sont des jolis rats, des rats tout propres et élégants, des rats blancs au nez rose, aux oreilles roses, aux yeux roses et à la queue rose; mais ce sont surtout des rats bien portants, garantis comme n'ayant en eux aucun germe de maladie. La plupart des rats à l'état de nature sont en effet contaminés d'une tare morbide quelconque.
La maison est étrange d'aspect et nous n'avons pas été par remarquer que toutes les fenêtres en sont grillagées. Le maître de l'endroit saisit un grand fouet de chasse, et nous prie d'entrer rapidement, en refermant la porte derrière nous, et "sans avoir peur". Nous entrons donc hardiment: nous nous trouvons dans une cage, dans une cage du haut en bas, de la cave au grenier, et qui est en même temps subdivisée en une foule de petites cages où l'on semble avoir vidé l'arche de Noé... A peine sommes-nous entrés que nous entendions un concert de miaulements, piaulements, roucoulements, aboiements... Des pigeons sont superposés sur des chats, des chats sur des rats, des rats sur des hérissons, des hérissons sur des cochons d'Inde. Un barbet nous aboie après les mollets, tenu en respect par le fouet claquant du maître de l'arche, tandis que toutes les petites souris blanches affolées tournent éperdument dans les roues de leurs cages, et qu'un jeune bouc, sautillant au milieu de tout cela, grimpe sur les cages, met ses pattes sur nos épaules, et nous mordille notre chapeau. Tous ces animaux se vendent à Paris, et servent à approvisionner les marchands des quais.


Une ménagerie originale.
Le marchand de rats et de hérissons.

S'il y a des gens pour détruire les rongeurs, il en est d'autres,
au contraire qui gagnent leur vie à les élever. Tel est le cas de M. Valin
qui, parmi les nombreux pensionnaires dont il fournit les marchands
des quais, compte aussi des hérissons pour les agriculteurs, comme le
montre notre gravure.



Un rat ne se donne pas à moins de 20 sous, une souris à moins de 10 sous, un hérisson à moins de 3 francs.
Mais il se fait à Paris un commerce actif et prospère portant sur des bêtes encore plus invraisemblables. La boutique principale de ce genre de ventes se trouve sur les quais, non loin du Pont-Neuf et des vieux bains flottants de la Samaritaine*.


Le petit marchand de mouron.
Tableau de Pelez.

" Du mouron pour les p'tits oiseaux!" A quel Parisien n'est-il pas
familier, ce cri des petits miséreux qui vivent de quelques sous
gagnés à vendre du mouron?





Vous apprendrez avec stupéfaction qu'il se vend à Paris, annuellement, dans les 5000 lézards, dans les 2000 couleuvres, dans les 8000 salamandres, dans les 30000 grenouilles! Les lézards se vendent de 50 centimes à 3 et 4 francs pièce, les couleuvres de 1 à 6 francs, les salamandres de 5 à 6 sous, les grenouilles de 4 à 10 sous.
Les petits crocodiles trouvent amateur à 40 ou 50 francs, il s'en consomme une cinquantaine par an. Plus ils sont petits, plus ils sont chers. Ajoutez, bon an mal an, une dizaine de caméléons.
Les insectes d'eau, fort recherchés par les gens qui possèdent des aquariums, montent au chiffre de 5000, et les poissons rouges, les vulgaires poissons rouges, qui chatoient dans les boules rondes chez les marchands de vin, atteignent le chiffre formidable de 3 à 4000 par semaine!
Enfin, les tortures d'eau douce firent fureur il y a quelques années. Un bijoutier de Paris les avait mises à la mode. On sertissais des bijoux, perles, émeraudes et diamants dans leur carapace et les dames les portaient en soirée, retenues à leur corsage par une petite chaînette d'or. Les tortues, s'agrippant aux dentelles, avec les griffes pointues de leurs pattes, s'y promenaient et faisaient ainsi jeter aux pierres précieuses des feux variés et inattendus. Les plus petites, ne dépassaient pas le diamètre d'une pièce de vingt sous, faisaient prime et se vendaient jusqu'à 15 et 20 francs pièce.

De grandes administrations. Le père Cafard et l'Attila des rats.

Ouvrons maintenant le Bottin, et nous allons trouver, ayant pignon sur rue, plus d'un industriel pour le moins surprenant.
Ecoutez plutôt: "Maison Ledain, dit Père Cafard. Destruction des blattes, cafards et cancrelats, par le cafaricide breveté S.G.D.G. Téléphone. Nota bene: le Père Cafard compte plus de 6000 abonnés!" Et cette maison n'est pas la seule. Nous lisons plus loin: "L'Attila des cafards" et encore "Le Foudroyant destructeur des cancrelats".
Nous nous présentons à l'adresse indiquée, et nous trouvons des bureaux confortablement installés, des femmes occupées à copier d'innombrables lettres devant leurs machines à écrire, et le téléphone dont le timbre sonne sans trêve... Quoi, tout cela pour des cafards! Il y a donc des cancrelats à Paris? Il y en a tant et si bien que la moitié de nos maisons en serait envahie, s'il n'y avait pas cette armée de gens destinée à les détruire.
Le cafard ou cancrelat est, comme chacun sait, une espèce d'insecte noirâtre, mou et visqueux, répandant, quand on l'écrase, une odeur infecte; il pullule dans le Midi de la France, et jadis, sur les vieux navires en bois où l'on enchaînait les galériens, ses bandes grouillantes étaient si nombreuses qu'elles rongeaient souvent jusqu'à l'os les pieds des galériens. A défaut de nos pieds, ils se contentent fort bien de nos chaussures; le cuir verni les attire principalement. Du reste, on peut dire qu'ils dévorent tout, indistinctement.
Ils se trouvent dans les maisons neuves aussi bien que dans celles de l'ancien Paris: la chaleur humide les attire surtout, et les tuyaux des calorifères à vapeur d'eau leur sont particulièrement agréables. De même dans les hôpitaux, les hôtels, les restaurants: les cuisines de ces établissements en sont parfois tout d'un coup infestées.
Dès qu'ils apparaissent, on prévient le "Père Cafard", et l'on "s'abonne" moyennant une somme minime, une douzaine ou une quinzaine de francs par an, à la destruction régulière et incessante de ces affreuses bêtes. Le Père Cafard envoie ses employés, qui arrivent munis d'une petite boîte et de longues cannes à pêche ayant à leur bout une spatule. Sur la spatule ils étendront l'appât et, avec leur canne à pêche, ils en déposeront comme autant de boulettes de mastic, dans tous les coins des plafonds des maisons envahies, dans les angles les plus obscurs, sous les tables et les fourneaux. Les cafards n'ont pas plutôt flairé qu'ils s'installent en rond tout autour, à le croquer, comme une famille de bons bourgeois autour de la galette des Rois... Horreur! à peine ont-ils goûté au funeste poison que leurs corps, leurs pattes et leurs mandibules se dessèchent, et ils tombent en poussière! Il faut toutefois renouveler le massacre jusqu'au dernier, et cela dure souvent pendant des années. D'où "l'abonnement". c'est par millions que les hécatombes de cafards ont lieu annuellement à Paris.
C'était jadis un assez pauvre hère que le tueur de rats. Supposons aujourd'hui que votre maison soit infestée de rats. Arrive un monsieur très chic. Il fait sortir de la maison tous les êtres vivants. Puis quelle opération mystérieuse accomplit-il avec ses deux acolytes? En tous cas, après quelques heures, vous pouvez rentrer. Les rats ont été exterminés.


Le tueur de rats.
D'après W. Collins.

Les grandes villes n'ont pas le monopole des métiers étranges.
N'y avait-il pas naguère, dans les campagnes, des tueurs de rats
professionnels, comme il existe aujourd'hui des chasseurs de vipères!



Quand on veut écrire à un ministre.

Abordons maintenant les professions libérales. 
En dépit du progrès, il ne faut pas croire qu'aujourd'hui tout le monde sache lire et écrire. Aussi comprendra-t-on qu'il existe encore un écrivain public à Paris même, dans la Ville-Lumière, et qu'il se déclare satisfait de son métier.
Ce dernier écrivain public est une femme; c'est le dernier du moins qui ait permission d'avoir sa baraque sur la voie publique. Sa baraque est située sur la rive gauche, en face du square du Bon-Marché, à l'angle du boulevard Raspail et de la rue de Sèvres.


Une profession qui disparaît
La dernière baraque d'écrivain public de Paris.

Aujourd'hui où les illettrés se font de plus en plus rares, comment
l'écrivain public,  ce curieux survivant du Paris d'autrefois, ne
serait-il pas à la veille de disparaître? Cette baraque, tenue par
une femme, est situé en face du square du Bon Marché: c'est la
dernière qui subsiste à Paris.



" J'ai des clients de bien des sortes, nous dit cet écrivain, notamment des jeunes gens qui désirent se marier et qui ne savent pas rédiger leur demande. Ce sont des petits employés; ils sont très savants pour faire des additions ou copier des rapports de leurs chefs; mais le langage de la galanterie française leur est inconnu, et ils craignent, s'ils s'expriment mal que leur demande ne soit rejetée.
" Ma petite baraque existe, telle que vous voyez depuis 1832; cela fait soixante-dix ans! Reclouée, repeinte, un peu branlante, elle a survécu à toutes les révolutions qui ont agité et bouleversé Paris, à la guerre, à la Commune. Après elle et après moi, il n'y en aura plus.
- Et que pouvez-vous gagner dans votre journée?
- Je prends pour une lettre ordinaire, sans difficulté de rédaction, 50 centimes; pour une demande de mariage, une lettre de famille, une lettre à un avocat ou à un ministre (sic), c'est 2 francs. En moyenne, je recueille dans ma journée 3 ou 4 francs, et c'est, en somme, gentil pour une femme.
- Mais, demandons-nous en nous retirant, qui remplacera l'écrivain public dans l'avenir?
- Qui? La marchande de journaux. Et c'est déjà fait. Les petites marchandes des kiosques cumulent, presque toutes, avec la vente de leurs gazettes, des fonctions identiques aux miennes. Allez! le métier n'est pas perdu."

Les déclassés de la science et de l'art.

Tout le monde a vu dans les foires et sur les boulevards extérieurs le pédicure et le dentiste qui opèrent en public, le pharmacien vendeur d'onguent et de remèdes mirifiques.


Praticien en plein vent.
Le pédicure ambulant.

Alléchée par la promesse d'une "opération sans douleur",
une cliente de bonne volonté s'est confiée aux mains d'un de
ces professionnels du boniment qui exercent sur les champs
de foire. S'il y a beaucoup de charlatans parmi ces praticiens
ambulants, on rencontre aussi dans le nombre quelques déclassés,
munis de leurs diplômes.



Mais ce qui est plus curieux, c'est que des médecins se sont résignés à aller chercher sur les places publiques la clientèle qui fuyait obstinément leur cabinet de consultation. "Je rencontrai un jour, raconte le Dr Daremberg, un charlatan installé sur une vaste voiture dorée, garnie d'un orchestre de musiciens habillés à la houzarde*. Il débitait de belles et savantes banalités qui eussent fait envie à feu Mangin*. Je ne pouvais m'arracher au charme de sa parole, et j'étais étonné de voir un homme aussi distingué vendre sur un char de saltimbanque des pots de pommade contre les rhumatismes. J'attendis l'heure du déjeuner. Il descendit de sa voiture et se dirigea dans un restaurant voisin de fort bonne apparence. Je le suivis et me plaçai à côté de lui. Grâce à quelques flatteries, je conquis vite sa confiance. Il me raconta que, reçu docteur, il avait végété pendant une dizaine d'années, faute de relations; puis, réduit à la misère, il s'était associé à une somnambule, et enfin avait acheté, au moyen d'emprunts, cette voiture, des chevaux, un orchestre et un stock de pots de pommade. Il gagnait maintenant beaucoup d'argent et, l'hiver, s'en allait jusqu'à Nice vendre sa pommade tout le long du littoral méditerranéen: " Mais surtout, cher confrère, ajouta-t-il, en guise de conclusion, ne dites à personne que je suis réellement médecin. Je n'aurai plus un client."
Aussi philosophe que ce médecin est tel sculpteur qui, ne pouvant tailler le marbre en conceptions à la Michel-Ange, s'est fait sculpteur de ... saindoux. Chaque année, au moments de la foire aux jambons, il passe chez les charcutiers et leur pétrit avec ce produit, qui se travaille encore mieux que la terre glaise, de belles figures qui orneront leur étalage: tantôt un aigle aux ailes déployées, tantôt un petit cochon, tantôt une chasse au sanglier, tantôt même un palais entouré de cascades de saindoux.


Chefs-d'œuvre éphémères.
La sculpture en saindoux.

Artiste à sa manière, cet étrange sculpteur pétrit dans le saindoux
des groupes d'animaux, des aigles aux ailes éployées, éphémères
chefs-d'œuvre destinés à orner la devanture des charcutiers
principalement pendant la durée de la foire aux jambons.



On voit combien de métiers divers et inattendus surgissent de cet immense Paris, où ils naissent de l'impérieuse nécessité.
Il y aurait encore à aller visiter dans les caves des Halles "le mireur d'œufs" qui, assis face à une bougie, dans l'obscurité, au milieu des millions d'œufs que consomme la capitale, les passe tous un à un, derrière la petite flamme, et juge, par sa transparence, de leur état de fraîcheur. 


Dans les caves des Halles. Un mireur d'œufs.

Il est rassurant pour nous de songer que, sur les millions d'œufs
consommés chaque jour dans la capitale, il n'y en a pas un dont le
mireur d'œufs n'ait vérifié l'état de fraîcheur, en l'examinant par
transparence devant la flamme d'une bougie. 
(Cliché pris  chez MM. Dubost et Bertrand.)



Son voisin, le "découpeur de viande" exerce une fonction officielle, celle de fendre en deux tous les veaux et tous les bœufs qui arrivent de l'abattoir, de découper les moutons en autant de pièces qu'il y en a de régulièrement cataloguées. Le découpeur est payé dans les 5 à 6000 francs.
Citons encore le laveur de chiens qui, muni d'une brosse de chiendent et d'un pain de savon, s'installe à laver les chiens dans la Seine;


Sur les berges de la Seine. la toilette d'un toutou.

Si beaucoup de pauvres hères, en quête d'une besogne de hasard,
s'improvisent laveurs de chiens, le métier de tondeur n'est pas à
la portée de tout le monde. Il y faut un apprentissage et surtout
une poigne solide, tous les clients à quatre pattes n'ayant pas la
docile résignation de celui qu'on voit ici.



et ceux qui, avec quelques cages de serins et de moineaux, courent les foires, exhibant des oiseaux plus ou moins engourdis sur de petites escarpolettes ou de petites bascules fabriquées dans du bois blanc avec des couteaux de poche.


Un dresseur d'oiseaux.

Une perruche qui monte à l'échelle, un serin qui se balance sur
une escarpolette, voilà un spectacle bien fait pour attirer les badauds.
Il n'est pas rare que les petits acrobates ailés ainsi exhibés dans les
rues aient été auparavant légèrement engourdis à l'aide d'un soporifique.



Il faut signaler également le métier peu compliqué de "témoin de mairie". Pour l'exercer, des papiers en règle sont nécessaires. Il ne reste qu'à se promener à l'entour des mairies et à offrir ses services aux gens qui ont besoin de témoins pour obtenir un certificat quelconque, inconnus dont on affirme, pour quelques sous, qu'ils sont veufs ou mariés, célibataires ou pères de famille.
Il y a enfin des métiers disparus, comme celui de "montreur de lanterne magique", celui de "culotteur de pipes", celui de "cireur de patte de dindons" qui, à l'époque où les victuailles arrivaient à Paris moins rapidement qu'aujourd'hui, passait tous les matins chez les marchands de comestibles et donnait un coup de brillant aux pattes ternies des vieux dindons en magasin depuis huit jours. Le cireur de souliers et le décrotteur du coin de la rue sont en train de disparaître eux aussi, détrônés par d'ingénieuses machines installées déjà dans quelques gares, et qui, moyennant deux sous jetés dans une petite ouverture, vous empoignent le pied et vous rendent, en quelques minutes, vos chaussures miroitantes et impeccables.
L'un de ces décrotteurs, dont le règne est fini, acquit jadis dans Paris une célébrité considérable, grâce à un extraordinaire artifice par lequel il se chargeait de rendre son métier plus régulièrement productif: il s'était adjoint un "chien crotteur", dressé à couvrir de boue les gens qui passaient dans ses parages. D'où nécessité urgente d'avoir recours à notre homme. La légende raconte qu'un Anglais fut tellement ravi d'admiration devant l'habileté déployée par ce chien qu'il l'acheta quinze louis; mais le fidèle toutou, désertant les rives de la Tamise, revint de lui-même, au bout de trois mois, retrouver son premier patron, au coin du Pont-Neuf!
Et qui sait quels métiers baroques et productifs, mais d'ailleurs impossibles à prévoir, imaginerons dans l'avenir nos ingénieux citoyens pour faire face aux difficultés de la vie... tout en rendant un juste hommage au progrès?

Lectures pour tous, mai 1904.



* Nota de Célestin Mira:

* Bains flottants de la Samaritaine.


Bains flottants de la Samaritaine en 1920.


* Houzarde: d'une variante désuète de hussard; "à la houzarde", sans ménagement ni recherche

* Mangin:


Pierre Théodore Mengin, dit Mangin, charlatan, bonimenteur, marchand de crayon parisien, camelot de boulevard, personnage pittoresque, fantaisiste et insultant, avec Duchêne, l’arracheur de dents, sous le second empire. Déguisé comme un soldat du Moyen Âge, il officiait le plus souvent place de la Bourse, de la Madeleine ou du Château d’eau. Il était parmi les célébrités de la rue, se produisant dans une voiture à deux chevaux, toujours flanqué de son compère Vert-de-Gris qui l’accompagnait à l’orgue de Barbarie, Mangin était devenu l’idole des titis parisiens.


samedi 7 septembre 2024

 Comment on vit à Paris pour huit sous par jour.


On vit mal, cela va sans dire, et le confort laisse à désirer, mais on vit! Quelle ingéniosité doivent donc déployer ceux qui réalisent l'extraordinaire problème de se loger, de se nourrir, s'habiller et se donner même quelques douceurs avec ce budget dérisoire, et cela dans une des villes où l'existence coûte le plus cher! En promenant nos lecteurs dans les endroits fréquentés par les habitués de la vie "au meilleur marche", nous leur ferons connaître certains dessous de la capitale généralement ignorés et bien faits pour piquer au plus haut point leur curiosité.



Paris est la patrie de tous les contrastes.
C'est la ville du monde où l'existence coûte le plus cher, c'est aussi la ville où il est possible de subsister avec 40 centimes par jour.
Comme certaines cités méridionales ont leurs "lazzaroni", amis du "farniente", Paris a de doux vagabonds à qui il plait de se mêler à son animation sans accepter les fatigues du travail et les responsabilités d'un emploi. Aussi, à côté de la misère accidentelle qui jette des familles à la rue, y voit-on une misère volontaire de gens qui aiment vivre lentement, en bornant leurs besoins matériels au strict nécessaire, et en dégageant leur liberté de toute contrainte au labeur.
Les métiers auxquels ils s'adressent sont ceux des camelots, hommes ou femmes de corvées, ouvreurs de portières, rentreurs de bois et de charbon, etc. Chaque jour, ils interrompent leur besogne lorsqu'elle leur a rapporté juste de quoi pourvoir à leurs besoins réduits. Ils donnent alors libre cours à leur goût de la paresse et de la flânerie: ce sont eux qu'on voit former au coin des rues les groupes de badauds qu'assemble la chute d'un cheval ou le bruit d'une dispute. Incorrigibles "gavroches" qui ont vieilli en dehors de l'atelier, ils aiment la rue et le soleil. L'hiver, l'asphalte les retient; l'été, ils encombrent les bancs des squares. Les plus bucoliques poussent leur promenade jusqu'au bord de la Seine et s'étendent sur les berges, là où des tas de sable, chauffés par le soleil, offrent des couches profondes et souples.
Dormir en plein air, même en été, offre d'autres dangers encore que celui d'un refroidissement: celui d'une rafle. Périodiquement, l'été, le service de la Sûreté procède au bois de Vincennes et au bois de Boulogne, à des coups de filet qui, chaque fois, amènent au Dépôt trente ou quarante individus qui sont déférés aux tribunaux pour vagabondage. Tous ne sont pas coupables de délits plus graves. Dernièrement les inspecteurs de la Sûreté ont trouvé aux Champs-Elysées, dormant sous un kiosque, une honnête couturière qui, étant sans ouvrage, ne jugeait pas à propos de dépenser de l'argent en frais de logement. Elle portait sur elle 300 francs d'économies. Depuis que l'ouvrage lui manquait, elle avait adopté la vie errante. Elle avait donné congé de la chambre qu'elle occupait dans un hôtel garni, avait placé en consigne dans une gare, une malle contenant ses vêtements. Le matin, elle se débarbouillait en trempant un mouchoir dans l'eau de la Seine et, l'après-midi, elle employait son temps à chercher un travail qui se refusait toujours à elle.
Comment donc faire l'irrégulier qui gagne juste de quoi satisfaire à ses intimes désirs et redoute la prison où conduit son goût trop prononcé pour le plein air? Deux périodes d'un régime différent partagent la vie de l'individu qui s'affranchit ainsi du travail moderne.
Dans la première, il se loge gratuitement et paie sa nourriture.
Dans la seconde, il paie son coucher et se fait nourrir pour rien.

Vingt jours de logement gratuit. Première soupe matinale.

Les refuges municipaux, comportent pour les hommes deux maisons: le refuge Benoit-Malon, situé 107 quai Valmy, et contenant 207 lits. Le refuge Nicolas-Flamel, 67 et 69 rue du Château-des-Rentiers, 207 lits également.
Plus étendue, l'Œuvre de l'Hospitalité de nuit* ouvre aux gens sans foyer les portes de quatre maisons: 59 rue de Tocqueville, 14 boulevard de Vaugirard, 13 rue de Laghouat, 122 boulevard de Charonne.
Toutes ces maisons accordent à l'errant trois nuits tous les deux mois et quatre si un dimanche se trouve compris dans sa période de séjour. C'est donc pendant un laps de temps de vingt jours, que l'individu sans domicile, qui se rendra successivement dans tous les asiles, obtiendra gratuitement un lit. Comme cette bonne fortune lui reviendra tous les 60 jours, il n'aura en deux mois, qu'à pourvoir quarante fois en moyenne à pourvoir à ses frais de couchage.
Les asiles sont ouverts du 1er octobre au 31 mars à 6 heures du soir, et à 7 heures le reste de l'année; le coucher a lieu, suivant la saison, à 8 heures et demie ou à 9 heures. Le réveil est sonné à 6 heures du matin du 1er octobre au 31 mars, et à 5 heures aux autres époques.
Le matin, au réveil, la maison de nuit distribue des soupes confectionnées avec du pain et du saindoux, aliment peu nutritif qui ne trompe la faim que pendant quelques heures. Après avoir effectué une corvée ou un petit travail lui rapportant quelques sous, il se rend aux Halles.

Des douceurs de l'Arlequin aux délices de l'enterrement.

Là, entre le pavillon des Légumes et le pavillon aux Beurres, s'élève, sous une tente, un buffet rudimentaire qui, sur des tréteaux, présente un agréable mélange de tous les mets laissés dans les cuisines des restaurants. Ce sont les "arlequins". Sur les assiettes, composant chacune un "arlequin", les viandes, entourées de graisse, voisinent avec les portions de poisson et réunissent tout un menu sur un même morceau de faïence. Tout cela pour 10 ou 15 centimes. 


Un repas copieux pour quatre sous.
La marchande "d'arlequins", aux Halles.

Chaque matin, aux Halles, moyennant quatre sous gagnés à
quelque besogne de hasard, les plus miséreux des vagabonds,
peuvent satisfaire leur faim avec un morceau de pain et un
"arlequin", assiette copieusement garnie de reliefs de toute
sorte provenant des grands restaurants. 



Le "coup de feu" des marchands d'arlequins se produit vers 11 heures. Des hommes aux cheveux hirsutes, coiffés de feutres déformés, attendent, dans le va-et-vient des voitures, qu'une place soit libre; ils ont droit à un tabouret. Les miséreux s'installent là, comme les gens riches à un grand bar, les pieds sur les barreaux du siège et les coudes au comptoir. Ajoutez 10 centimes de pain. La fontaine Wallace fournit le liquide dont s'arrose le menu.
L'arlequin est copieux: notre homme ne l'achèvera pas d'un coup. il en placera donc une partie dans la boîte à conserve du type dit "quatre litres", qu'il porte toujours sur lui et qui lui tient lieu de garde-manger.
L'arlequin est un plat froid. Par les jours brumeux, son ingestion est peu agréable. C'est alors qu'on a le plaisir de le remplacer par un "enterrement".
Lorsqu'on passe dans les quartiers populeux, on sent parfois, de place en place, une forte odeur de graisse qui chauffe. En un recoin taillé dans la boutique d'un marchand de vin, une grosse bonne femme dont le vent avive en incarnat les couleurs de la figure, retourne avec précipitation, dans du saindoux en fusion, des saucisses fumées, du lard et du gras-double. C'est la marchande "d'enterrements". Comme l'aliment est enfermé dans un long morceau de pain, un peu à la façon d'un corps dans une bière, les gens du peuple ont eu l'idée de cette macabre appellation.
Pour 3 sous on a un "enterrement" dont le prix se réparti ainsi: pain, 1 sou; saucisse, lard ou gras-double, 2 sous.


Les curiosités de l'argot culinaire.
Une marchande "d'enterrements".

Qu'est-ce que ce mets si étrangement qualifié? Tout simplement
une saucisse frite, vendue toute chaude, pour trois sous, entre
deux morceaux de pain. C'est le régal des jours d'hiver.


Notre homme peut encore aller, vers 4 heures, manger pour rien, dans quelques
quartier de Paris une soupe populaire. Aux portes des faubourgs de Paris, on vend aussi, en hiver, pour 3 sous, une énorme platée de moules toutes chaudes constituant une véritable bombance.
Un arlequin de 4 sous, un extra de 2 sous l'après-midi, restent 2 sous pour le tabac. Place Maubert, les "ramasseurs de mégots" vendent des débris de cigarettes et de cigares. Ces débris ont été récoltés sous les pieds des passants; mais notre homme traite les microbes avec mépris; et d'ailleurs, il consommera le tout dans la cheminée hospitalière d'une bonne pipe en terre.
Il est vrai que pour s'habiller, il devra épargner pendant des semaines et des semaines les 10 centimes de tabac. Il aura alors pour 15 sous un veston, pour 10 sous un pantalon, pour 5 ou 8 sous des souliers dans les marchés de bric-à-brac qui se tiennent en dehors des portes de Paris, à Saint-Ouen, à Pantin, à Aubervilliers, etc., et qu'on appelle les "marchés aux puces".
Mais l'Œuvre de l'Hospitalité de nuit procède assez souvent à des distributions d'effets. L'année dernière, ces dons ont porté sur 11635 pièces, dont 793 paletots ou vestons, 924 pantalons, 1233 chemises, 4853 paires de chaussures et 3832 objets divers.

Ici le pittoresque tient lieu de confort.

Dans la seconde période de son existence, c'est à dire pendant quarante jours tous les deux mois, notre citoyen irrégulier, pour qui, selon le règlement, les portes des asiles sont fermées, doit se loger à ses frais.
Où passe-t-il sa nuit? Où va-t-il trouver un logis en rapport avec l'état de ses finances?
Au commencement de la rue Saint-Denis, près des Halles, s'élève l'Hôtel Fin de siècle. Trois étages et deux caves composent l'abri où, pour 4 sous, on a le droit au sommeil et à une soupe ou un demi-setier de vin. On est bien chez Fradin*, une maison bien connue des noctambules qui ont eu la fantaisie de visiter les bouges de Paris. C'est un hôtel on l'on ne voit ni lit, ni matelas, ni paillasse, rien que de longues tables et des bancs de réfectoire. A neuf heure, l'hôtel ouvre ses portes. L'hôtelier est un robuste gaillard qui fait lui-même la police dans la maison, et aucun désordre ne s'y produit. On défile dans les travées de bancs. On mange ou l'on boit. Puis on s'endort, les coudes sur la table ou la tête appuyée à l'épaule de son voisin. Vers 11 heures, alors que tout le monde sommeille, l'aspect des salles évoque des visions fantastiques et lugubres.


Un "dortoir" à l'hôtel Fradin, rue Saint-Denis.

Moyennant deus sous, les miséreux trouvent dans cette hôtellerie,
sinon un lit, du moins un abri pour la nuit. A la clarté falote des lanternes,
c'est un spectacle d'une poignante tristesse que celui des dortoirs où
les malheureux s'endorment, les coudes sur la table ou la tête appuyée
sur l'épaule de leur voisin.



Pour ses quatre sous, on est infiniment mieux, rue de Chabrol, à l'hôtellerie de l'Armée du Salut. D'abord, on n'y est pas astreint à une discipline, tandis que les maisons de l'Œuvre de l'Hospitalité de nuit sont commandées par des capitaines en retraite qu'on appelle "mon commandant". D'autre part, dans ces maisons, comme dans les asiles municipaux, on est contraint à la douche dès son admission et l'on doit revêtir un uniforme, tandis que vos propres hardes s'aseptisent à l'étuve; et le vagabond a également horreur de la discipline, du bain et de la douche! L'hôtellerie de l'Armée du Salut est une véritable auberge où l'on se trouve dans la situation indépendante d'un client. La douche est facultative, c'est à dire que personne ne songe à la prendre. On y a droit à un lit. A vrai dire, ce lit est dépourvu de draps: on dort sur un matelas de moleskine et l'on s'enveloppe dans une couverture; mais on est au chaud et les membres se reposent.


Un dortoir à l'Hôtellerie de l'Armée du Salut,
 rue Fontaine-aux-Roi.

Parmi ces déshérités de l'existence, se trouvent des femmes pour
lesquelles a été spécialement créée cette hôtellerie. Pour la somme
de 30 centimes, elles peuvent, avant de se retirer dans les dortoirs,
où elles ont droit à un lit, passer la soirée à travailler sous la lampe.



D'ailleurs, en y mettant 2 sous de plus, on peut trouver mieux à l'Armée du Salut. Les locaux, de vastes hangars occupés autrefois par un marchand de fer, comprennent trois parties dénommées, comme il suit, dans le langage pittoresque des habitués: la Chambre, le Sénat et l'Elysée. La première, d'ailleurs la plus petite, renferme les lits à 20 centimes, la seconde ceux à 30 centimes, la troisième, une somptuosité, se compose d'une série de chambrettes formées de cloisons, sans plafond, et rappelant l'aspect d'un alvéole. Le prix est de 75 centimes par nuit. Elles sont occupées par une aristocratie de la misère, des gens qui gagnent des 80 et des 100 francs par mois, qui ont du linge et une malle! Notre philosophe aux 8 sous quotidiens se contente des couchettes de moleskine.



Une association de vagabonds. Les "Malfrats" de Romainville
réunis pour le repas du soir dans un chantier de démolition.

L'union fait la force. Certains camelots et ouvreurs de portières ont
formé une association originale: mettant en commun les quelques
sous qu'ils gagnent dans la journée, ils se réunissent chaque soir
dans les chantiers de Romainville autour de la soupe que l'un d'eux,
s'improvisant cuisinier, a préparé en plein vent.



Aux portes des restaurants- Trois mille femmes sans asile.

Notre homme n'a plus que 4 sous pour subvenir aux désirs de son estomac. Pendant les quarante jours que durera cette vie, il se trouvera comme disent les économistes, dans la période des "vaches maigres". Donc, dès le réveil, à 6 heures, il se précipitera dans la rue, et se dépêchera vers les restaurants. Devant les portes entre-baillées piétine une file de miséreux. Quelques instants après, les garçons, blêmes dans le matin frissonnant, arrivent au seuil, portant des grands plats en émaillé bleu. Ils en distribuent le contenu aux solliciteurs en haillons: reliefs des tables, fonds de plats qu'on leur a réservés sur les débris destinés à la vente.
Vite on emmagasine sa part dans la boîte à conserve portée en sautoir et l'on court dans une autre maison. Sur la chaussée, que les cantonniers arrosent, c'est une envolée maladroite de gens, jeunes et vieux, , dont les pieds gênés en des souliers ou trop grands ou trop petits, n'ont plus aucune agilité pour une marche rapide.
Toutefois, notre homme risquerait de rester sur sa faim, si la philanthropie n'avait organisé à Paris la charité d'une façon très large. En hiver, des Œuvres comme la Bouchée de pain, les Soupes populaires, le Pain pour tous font distribuer des soupes, du pain et du café, soit dans les rues sous un prélart suspendu à des perches soit dans des réfectoires disposés ad hoc. L'Œuvre, du Pain pour tous partage, chaque année, entre ceux qui vivent au hasard, plus de 500 000 kilogrammes de pain et 600 000 litres de café. La soupe populaire* de la rue Pelleport est la seule qui distribue de la viande.


Le vestibule d'un asile de "l'Œuvre de l'Hospitalité de nuit",
rue de Tocqueville.

Pendant 10 jours par mois environ, les asiles de nuit offrent au
vagabond un abri gratuit. Dès 6 heures du soir, en hiver, les
malheureux peuvent venir s'asseoir dans une grande salle
bien chauffée, en attendant l'heure d'ouverture des dortoirs.



On s'efforce aussi d'être à 5 heures et demie aux abords d'une caserne. Là, on reçoit les restants de "rata" découverts au fond des plats militaires, maigre chère d'ailleurs, car les soldats nettoient eux-mêmes assez bien les plats qu'on met sur leurs tables.
Jusqu'ici, nous n'avons parlé que des hommes. Il y a pourtant des femmes parmi les êtres dont l'existence s'écoule dans l'insécurité de lendemains inconnus.
Mais leur nombre est beaucoup plus petit que celui des hommes. La femme, par son éducation plus familiale, reste un être de foyer. Aussi, en comparant dans deux maisons seulement les chiffres d'hospitalisation pour les deux sexes, on constate une différence importante. Les entrées des hommes donnent une moyenne annuelle de 23 000 et les femmes de 3 500 à peine. La municipalité parisienne, qui a construit deux asiles pour les hommes, n'en a édifié qu'un seul pour les femmes, rue George Sand: il comprend 96 lits et 20 berceaux pour les enfants que ces malheureuses traînent avec elles.
Les Œuvres de l'Hospitalité de nuit ont réservé un pavillon pour les femmes dans chacun de leurs établissements. L'Armée du Salut a élevé, rue Fontaine-au-Roi, une hôtellerie pour les femmes: le soir, avant de se retirer dans les dortoirs ou dans les couchettes, on travaille sous la lampe à quelques travaux de couture.
Vous voyez que, si l'on vit mal pour 8 sous par jour, du moins on peut vivre. Et voilà une preuve des étonnantes ressources qu'offre Paris à ceux qui le connaissent "dans les coins" et qui savent ce qu'on y peut trouver avec un peu d'ingéniosité.

Lecture pour tous, février 1904.


* Nota de célestin Mira:

* Œuvre de l'Hospitalité:

Œuvre de l'Hospitalité, rue de Tocqueville; vue du dortoir.


* Chez Fradin:




Chez Fradin, Hôtel Fin de siècle: hommes endormis.


* Soupe populaire:



Soupe populaire à Paris vers 1800.



Le Petit Journal: la Charité des étudiants,
la Butte aux Cailles, Paris 1894.


dimanche 21 avril 2024

Chez les bourgeois du temps jadis.



Qui ne serait curieux de se trouver tout à coup reporté à plus d'un siècle en arrière dans la bourgeoisie d'autrefois, pour y vivre de la vie de chaque jour, s'asseoir à la table de famille, écouter les récits des grands-parents, assister au manège des tout petits? Les mémoires, les correspondances, les livres de raison* que tenaient les ménagères nous permettent de reconstituer dans les moindres détails l'histoire au jour le jour de ces mœurs familiales, tandis que les divers aspects en revivent dans les tableaux et les gravures des plus charmants artistes du XVIIIe siècle. En les évoquant, nos lecteurs ne goûteront pas seulement la douceur de réveiller pour un temps le souvenir d'images disparues, ils auront aussi cette sensation délicieuse de respirer une atmosphère de santé et de bonhomie, de simplicité et de bonne humeur vraiment française.





L'Accordée de village. Tableau de J-B Greuze.

Quelle émotion naïve et sincère dans cette scène de famille! La mère retient encore par la main sa fille aînée qu'elle va marier et le père tend les bras à l'honnête garçon qui va devenir son gendre. Les fiancés semblent embarrassés de leur bonheur, tandis que les enfants s'attristent d'une séparation prochaine ou admirent un spectacle réhaussé encore par la présence du notaire qui va signer le contrat.


Frivolité, sécheresse, élégance railleuse, hardiesse, spirituelle, voilà les traits sous lesquels nous nous représentons volontiers, les mœurs du XVIIIe siècle. La société d'alors, telle qu'on l'imagine, tombe en ruines sous les festons et les guirlandes qui la décorent. De la famille, il ne reste, dit-on, que le mot: le mariage est l'association de deux indifférences, Monsieur et Madame vivent en étrangers; les enfants poussent comme ils peuvent; bientôt ils deviennent gênants, les parents s'en débarrassent. Où sont les filles? au couvent. Les garçons? au collège, ou pis encore, au donjon de Vincennes, s'il plait à un père, comme il plut au marquis de Mirabeau d'y faire enfermer son fils...
Tel est bien, en effet, le spectacle que présentait à la fin de l'Ancien Régime un petit monde spécial de privilégiés; mais il y avait, au-dessous de la brillante corruption de la Cour, dans les profondeurs de la nation, tout un peuple honnête, laborieux, force et grandeur véritables du pays. Chez le bourgeois et l'artisan, à Paris et dans les provinces, d'inépuisables trésors de vertus roturières et de ressources cachées se conservaient intacts à l'abri du foyer domestique.


En nourrice. -Pour vingt-cinq francs.
- La tante aux quatre cents neveux.

Sur un seul point les familles bourgeoises ressemblent à celles de l'aristocratie: elles aussi se conforment à un usage aussi universel qu'impitoyable: jamais la mère ne nourrit son enfant.
La conséquence est une effrayante mortalité des petits: il en périt un sur deux, dans les premiers mois, faute de soins. Les parents de Mme Roland avaient perdu cinq enfants en nourrice: ce qui n'empêcha pas la dernière née d'y être à son tour expédiée car on était convaincu que l'air de la campagne, aspiré dans ce bas âge,  rendait les constitutions de bronze. La vérité est que ceux qui résistaient à ce régime étaient à l'épreuve de tout. On sait au surplus que les familles d'autrefois étaient d'une fécondité grandiose: la mère de Blaise Pascal, qui mourut à l'âge de quatre-vingts ans, après avoir perdu plus de mille enfants, petits-enfants, neveux et arrières neveux, en conservait encore quatre cent neuf vivants.
Naissance et baptême ont lieu le même jour; le même jour aussi, la nourrice emporte son nourrisson: c'est quelque femme alliée ou connue de la famille. Elle élève le marmot en vrai paysan: il est sevré avant l'âge, bourré de légumes et de racines sans nul apprêt, suçant des os et grignotant des croûtes sous prétexte que cela fait les dents.
Mme de Genlis nous conte que sa nourrice n'avait pas de lait et n'eut donc garde de lui en donner. Elle l'éleva avec du vin trempé d'eau, où l'on délayait de la mie de pain de seigle passée au tamis: cette étrange soupe s'appelle, en Bourgogne, de la miaulée. Ce système d'ailleurs réussit à merveille: la petite était délicate, sa santé devint robuste.
Il va sans dire que les nourrices de ce temps-là n'étaient pas toutes consciencieuses. Un jour, un avocat de Troyes reçoit la visite d'un paysan à large carrure, qui, afin de l'intéresser à son affaire, lui apprend qu'il est son frère de lait." C'est donc toi, s'écria l'avocat, qui avalais le pain, le vin, les pot-au-feu et les biscuits que mes parents m'envoyaient chaque semaine! Allons je vois qu'ils t'ont profité: fais-moi donc le plaisir d'aller les digérer dehors!"
Mais le plus souvent on garde un bon souvenir des mois de nourrice et c'est la coutume de rester en rapports avec la paysanne qui vous a élevé. Elle ne manque jamais d'apporter à Pâques le pain rond qu'on appelle coignot. Dans les malheurs de la maison, elle accourt. On va la voir dans la chaumière où elle vous a allaité, on écoute ses contes de bonne femme, elle vous montre vos endroits préférés de jadis, elle vous fait par le menu l'historique de vos petites espiègleries et l'on s'égaye avec elle de ces doux enfantillages.
Aussi bien les honoraires d'une bonne nourrice ne sont pas ruineux. Il en coûte 25 francs par an... et un mouchoir.


Vielles maisons, vieux habits.

Après deux années, au plus, passées chez la nourrice, l'enfant rentre dans sa famille: nous allons pénétrer avec lui dans cette maison où il vivra toute sa vie, comme y ont vécu ses parents et ses grands parents.



Une dame de la bourgeoisie en costume de ville.
(d'après une gravure de Gravelot).


Aujourd'hui encore, même à Paris, dans les vieux quartiers des abords du Pont-Neuf, rue Dauphine, rue Séguier, rue de Buci, sur le quai de Gesvres ou le quai de la Mégisserie, on aperçoit des maisons aux façades jaunies, hautes de deux ou trois étages, et qui n'ont qu'une ou deux fenêtres à chaque étage; il y a une boutique au rez-de-chaussée, pas de porte cochère, mais une entrée par la boutique ou par le couloir, faite seulement pour les gens de connaissance. Ces maisons, d'aspect suranné, paraissent dépaysées en face du spectacle de la vie moderne qui passe devant leurs vieux visages. En effet, elles sont d'un temps où chaque famille, si modeste soit-elle, habite dans une maison qui est sa maison. Demeure incommode et de pauvre mine, n'importe, c'est la maison de famille, c'est le toit paternel. Avoir sa maison à soi, ce sera, depuis le XIXe siècle, le luxe des grosses fortunes; c'est alors un bien commun à beaucoup de Français de la plus mince condition.
Ces demeures, faites à la taille des gens, passent de père en fils, et s'enrichissent à mesure des souvenirs des générations. Elles vivent, vieillissent, rajeunissent avec les habitants; on change une aile, on ajoute un étage ou un pignon. A ces embellissements s'attachent la mémoire de leur auteur. On dit: "Mon fils Pierre naquit, ma fille Fanchon se maria l'année que mon aïeul perça cette fenêtre, établit ce balcon". Il y a quelques années seulement s'éteignit, au n° 16 de la rue Beautreillis, dans le quartier Saint-Paul, M. D. de Hansy, âgé de quatre-vingt-onze ans, et dont la famille, véritable doyenne de l'habitation dans la même demeure, y était fixée depuis 1555.
Aussi bien dans cette époque où la vie est sans fièvre, où la société est stable, tout semble participer de l'immutabilité de la maison. Les charges, les métiers, ne sortent pas d'une famille: dans celle de Diderot, on était coutelier depuis deux cents ans. La famille célèbre des Varin, qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours, a produit des graveurs sans interruption depuis le temps de Louis XIII.
Les meubles eux-mêmes ne se renouvellent pas: la coquetterie n'est pas d'avoir les plus nouveaux, mais les plus anciens. Une description de Limoges, faite en 1809, nous apprend que, dans chaque maison, le mobilier existait depuis deux ou trois siècles. "M. La Fosse père, ajoute l'auteur, quoique mort centenaire, n'avait de toute sa vie acheté aucun meuble nouveau. Aujourd'hui, son fils, âgé de quatre-vingt-trois ans, se contente de ceux de son père et n'en a pas d'autres."
Bien mieux: on ne grandit pas seulement dans la maison et dans les meubles, mais aussi dans les habits paternels! Il y a d'abord les vêtements d'apparat, de pompeux vêtements de noces, qu'on met une fois dans la vie et qui se lèguent de père au fils, de la mère à la fille; ce sont ensuite les menus bijoux, la montre en or de Monsieur, ou celle en or de Madame, une bague, une tabatière, des boucles de culotte et de souliers. Mais elles-mêmes, les nippes de tous les jours servaient à deux générations! Voici comment.
Un bourgeois n'a que deux habits, l'un d'hiver, l'autre d'été, plus l'habit noir, en réserve pour les deuils. L'habit d'hiver sort le matin de la Toussaint, rentre à Pâques, où c'est le tour du vêtement d'été: toute la France change à dates fixes de saison et de costume. Au bout de sept à huit campagnes, voilà l'habit râpé: on le retourne. Quand cet envers est lui-même défraîchi, est-ce une raison pour le perdre? Le tailleur trouvera bien le moyen d'en faire de beaux costumes pour les enfants, qui grandissent ainsi, étranglés ou flottants, dans la défroque paternelle.


Un seul feu pour tous. 
Sous le manteau de la cheminée.

Comme elle habite une seule maison, la famille se réunit dans une seule pièce, qui est la pièce par excellence et, comme on dit d'un mot: la salle. Cette salle, située au rez-de-chaussée ou au premier étage, est en réalité la cuisine. C'est ainsi que les Thouin, qui reçoivent la compagnie la plus illustre de Paris, font "salon" l'hiver dans leur fumeuse cuisine: on y entend Jean-Jacques*, qui lui- même vit chez lui entre un fourneau et une fenêtre garnie de pots de fleurs et d'une cage à serins, et aussi M. de Malesherbes, garde des sceaux du Roy, qui y vient converser des soirées entières, philosophiquement assis sur une huche.
Un seul feu pour tous et une seule lumière, lumière bien économe, lampe à huile de chènevis, chandelle de résine et, plus rarement, de suif; enfants et domestiques iront se coucher à l'aveuglette, de peur du feu, et pour aguerrir les petits.
Aux quatre murs de la salle, des portraits d'ancêtres qui pour le prix ne valent pas grand chose et pour l'art ne valent rien; mais ils complètent la famille assemblée par la continuelle présence des parents morts. On distingue dans l'ombre d'un angle le grand lit à rideaux où couche la servante; dans l'angle opposé, un vaisselier massif étincelle vaguement d'un bel ordre de plats, d'assiettes et d'écuelles d'étain. La faïence est alors presque inconnue, et la servante paye tout ce qu'elle a le malheur de casser.
La cheminée, comme l'autel dans la maison antique, est l'âme de la pièce. Son vaste manteau abrite deux bancs où quatre personnes peuvent se faire face en carré. La crémaillère noircie offre au feu de l'âtre le ventre d'une marmite. Le rôti se dore sur les chenets; le tournebroche est représenté par une cage en forme de roue, qu'un chien* ou quelque autre bête est chargé de faire tourner. Hélas! tristes retours de la destinée! c'est parfois une oie, qui fait rôtir le dindon, en attendant son tour d'être mise elle-même à la broche.


Pères et fils. 
Celle qui est l'âme de la maison.

Dans un tel milieu, on respire une atmosphère d'affection et de cordialité. Que le beau monde raille, s'il lui plait, les vertus bourgeoises; qu'il s'égaie aux dépens de ces honnêtes époux qui ne font pas mystères de se chérir, se promènent le dimanche au bras l'un de l'autre en beaux atours, et n'ont pas honte de s'appeler en public "mon trésor" ou "mon mouton".
Le fait est que cette vertu n'est ni guindée, ni grondeuse. Le père de famille, si austère soit-il, s'égaie volontiers au contact des gaietés juvéniles. Voyez le portrait charmant que le président Grosley nous fait de son père, un homme de loi, occupé à de difficiles travaux de jurisprudence.
"Son cabinet prenait jour sur un courette fort étroite, qui servaient à nos jeux. Nous étions une douzaine de gamins; je laisse à penser quel tintamarre! Pourtant jamais une plainte. Il nous encourageait plutôt; au jeu de volant, il prenait la raquette, quand il avait la cour à traverser. Mais c'est à colin-maillard qu'il fallait voir son cabinet envahi, et des nichées de gamins se cacher dans tous les coins, sous les meubles, et jusque entre ses jambes, se blottir à trois ou quatre dans sa robe de chambre. Rien de tout cela n'apportait de distraction à son travail.
"Ce cabinet n'avait ni cheminée ni poêle. En hiver il y tenait tant qu'il pouvait, avec le secours d'une chaufferette sous les pieds. Les grands froids le chassaient à la cuisine qui devenait son cabinet au milieu du bavardages des enfants et des femmes.
"Devant le feu de cette cuisine, la mère réchauffait le marmot au maillot; avant que de rhabiller l'enfant essuyé, elle ne manquait jamais d'en apporter le derrière à baiser à mon père qui, au baiser, ajoutait une petite claque."



Le père de famille. Gravure de Ch. N. Cochin.

La vertu, au XVIIIe siècle, n'était ni guindée ni grondeuse, et si le père de famille savait quand il fallait s'absorber dans les travaux de sa profession, il ne dédaignait pas non plus de s'intéresser aux jeux ou aux études de ses enfants, auquel la porte de son cabinet était toujours ouverte.


On croira peut-être qu'un pareil tableau fait exception dans le siècle? Ecoutez donc ce morceau où un homme qui a été élevé aux premières dignités, La Reveillère- Lepeaux, membre de la Convention, l'un des chefs du gouvernement du Directoire, soupire après le temps de ces douces joies de famille. "Combien de fois, dans ma plus grande élévation, j'ai pensé aux heureux moments que je passais à Faye avec mes petites filles! Que d'amers regrets quand, au milieu des somptueux repas qu'il fallait donner ou recevoir, je me souvenais de ces déjeuners inoubliables où, lorsque la maman leur avait mis la tartine à la main, les deux petites accouraient pour me suivre au jardin! Là, pour compléter le régal, je montais sur un cerisier de Montmorency et, me tendant leurs petits paniers, elles riaient aux éclats en recevant ces belles cerises rouges..."
Ce sont de braves gens que ces pères qui jouent au papa avec leur fillettes. Et pourtant ils disposent d'une autorité presque égale à celle du vieil Horace. Tant que vit le père, son fils, fût-il lui même grand-père, est toujours petit garçon. L'âge, l'esprit, la dignité n'y font rien; dans la famille, le chef seul est majeur.
On n'est relevé de cette dépendance que par une investiture spéciale conférée par le père. C'est ainsi que le 12 juin 1792, en pleine Révolution, nous assistons à Limoges, à cette scène étrange entre Pierre Chapoulaud fils, curé de Bazoches en Gatinais, et son père, Pierre Chapoulaud, imprimeur, par-devant un juge au tribunal du district, lequel en considération des infirmités du vieillard, s'est déplacé à son domicile.
Le fils a quarante-cinq ans, l'expérience et la force de l'âge, le caractère sacré du prêtre; mais il n'est, en présence de son père, qu'un enfant qui lui doit respect et soumission. Il s'agenouille devant lui et, les mains jointes dans ses mains, dans l'attitude des suppliants, le prie solennellement de vouloir bien l'émanciper, "afin qu'il puisse traiter ses affaires en personne libre et indépendante". Et le vieillard consent. "En signe de quoi il releva son fils de terre, et lui disjoignit les mains."
Mais il y a à côté de ces maîtres en apparence tout puissants, une personne qui, avec beaucoup moins de droits, n'a en réalité guère moins de pouvoir: c'est la maîtresse de maison.
On la voit sans cesse, allant, venant, distribuant des ordres, mettant la main à la pâte, ayant l'œil à tout, ne sortant guère que pour la messe et le marché, dehors en "capote" de taffetas, d'étamine et de camelot, chez elle, en bonnet à coques et tablier immaculé. Elle tient toutes les provisions sous clef, dont elle porte un trousseau d'une douzaine pendu à sa ceinture.



L'Econome. Tableau de Chardin.

Un pain de sucre, des sacs d'épices, deux paquets de chandelles de six, le panier de vin ordinaire monté de la cave et deux bouteilles de vin cachetées commandées chez le traiteur... la bourgeoise fait le compte de la dépense occasionnée par ces apprêts luxueux. Cette économie lui permettra de bien recevoir ses hôtes tout en restant dans les limites de son budget.


Quoique son domaine se borne au soin du ménage et des enfants, sans s'occuper directement des affaires de son mari, elle en fait la prospérité. C'est le cas, par exemple, chez M. Phlipon, le père de Mme Roland: quand il perdit sa femme, il se dérangea, son petit commerce de boîtes de montres gravées diminua, les apprentis désertèrent l'atelier; tout alla de mal en pis.


A la place d'honneur.
Aïeules vénérées, marraines chéries.

Mais ce qui fait le caractère unique de ces maisons du vieux temps, c'est la présence continuelle des vieilles gens au milieu de la jeunesse; il y avait des figures qui depuis ont presque disparu du tableau de la famille et qui donnaient à celle d'autrefois un aspect patriarcal trop rare dans la notre.
C'était alors une loi que les grands-parents, veufs ou incapables de se suffire, soient recueillis dans les jeunes ménages. Ils y occupent la place d'honneur. Marmontel, dans une page charmante, nous décrit l'intérieur de son père, pauvre tailleur d'habits d'un pauvre bourg du Limousin: il y a là deux bisaïeules, une grand mère, trois grand'tantes, une tante, sœur de la maman et au milieu de ces ancêtres, six enfants, quatre fils et deux filles. A force d'ordre et d'économie, tout cela subsiste avec très peu de bien. Et l'on sent, au ton dont l'écrivain en parle, quelle force de sagesse et de sécurité lui venait d'avoir vu, dans son enfance, "les deux bonnes vieilles qui, à l'âge de quatre-vingts ans, buvaient encore au coin du feu, le petit coup de vin."
Et que de fois le président Grosley dut entendre l'histoire de sa trisaïeule Mme Bourbon! Cette femme d'un autre âge, après avoir eu le bonheur de célébrer ses noces d'or, vint à perdre son mari. Elle continua de réunir chaque dimanche ses soixante-douze enfants et petits enfants à sa table, faisant après le repas une lecture pieuse, avertissant les uns de leurs défauts, écoutant les plaintes des autres, jugeant sans appel, et réconciliant les parties qui étaient tenues de s'embrasser devant elle. Elle terminait par un discours où elle exhortait ses enfants à demeurer unis.
Un jour, après une exhortation plus touchante que de coutume, on lui vit appuyer sa tête dans sa main. On crut qu'elle se recueillait: elle venait d'expirer. Elle avait plus de quatre-vingts ans, et n'avait perdu ni cheveu ni une dent.
Grand'mères, grand'tantes, marraines en cheveux blancs au fond de leur bergères, types exquis d'un temps où l'on avait l'art de vieillir! "Bonne-maman Phlipon, écrit Mme Roland était une petite femme de bonne grâce et de belle humeur, dont les manières agréables, le langage poli, le rire gracieux et le coup d'œil malin annonçaient encore quelques prétentions à plaire, ou à faire souvenir qu'elle avait plu. Elle avait soixante-cinq ou six ans, donnait des soins à sa toilette, appropriée d'ailleurs à son âge, car elle se piquait par dessus tout de bien sentir et d'observer les convenances. Beaucoup d'embonpoint, une marche assez légère, une contenance fort droite, une petite main dont elle faisait jouer les doigts avec grâce. Elle était aimable pour les jeunes personnes dont la société lui plaisait beaucoup, et de qui elle mettait quelque orgueil à être recherchée."
Sa sœur Angélique n'était pas un moins joli personnage. "Cette bonne fille, asthmatique et dévote, pure comme un ange, simple comme un enfant, était la très humble servante de son aînée: les soins de leur petit ménage roulaient uniquement sur elle. Une domestique, ambulante, qui venait deux fois le jour, était chargée des plus grossiers; mais Angélique suffisait au reste, et habillait sa sœur avec révérence. Elle devint tout naturellement ma gouvernante, en même temps que Mme Phlipon se faisait mon institutrice."
Il y a du reste presque dans chaque famille, de ces tantes non mariées, personnes sans âge et qui toujours semblent rajeunir à force de s'empresser au service des enfants des autres. Mère sans être mère, la vieille fille a dans les familles nombreuses la fonction exquise et mainte fois renouvelée de marraine.



L'éducation commencée. Tableau de Lépicie.

Rien de plus charmant que cette composition qui réunit si joliment l'aïeule et la petite fille, l'une pleine d'amour et l'autre de confiance! Qu'il était doux d'apprendre ainsi, non pas seulement à lire dans un livre, mais à connaître par degrés le sens et la règle de la vie.


Leprince-d'Ardenay, négociant du Mans, en avait une dans son enfance, dont il écrit des choses doucement émouvantes. Le caractère de la bonne vieille était si affable, qu'on l'appelait la tante Mignonne. Sa part dans l'éducation de son filleul, c'étaient les gâteries; elle se donnait le plaisir de lui procurer tous les petits jeux de son âge. Elle se laissait doucement tyranniser. C'est elle qui lui faisait des contes de fées, qu'il écoutait avec un sien brigand de cousin, à l'âge bienheureux de quatre ou cinq ans.
Un jour, elle leur fait le conte d'une fée qui avait des perles dans les cheveux. Il n'en fallait pas tant: car une marraine pour un enfant, n'est-ce pas une fée? "Mignonne, est-ce que vous avez, vous aussi, des perles dans les cheveux?" Mignonne permet d'y regarder. Et voilà les deux bourreaux, chacun s'armant d'un peigne, et grimpés sur un petit tabouret, qui décoiffent Mignonne avec précaution et, tirant chacun de son côté, cherchent avec la plus scrupuleuse attention les perles qu'ils espéraient trouver. Ils en étaient là, lorsque entra Jeanneton, la vieille gouvernante. Ciel! quelle algarade! "Eh bien, mademoiselle, y pensez-vous? perdez-vous la tête? a-t-on jamais vu?... - Eh paix! ma bonne Jeanneton. Ne faut-il pas être complaisant à tous, et enfant avec les enfants?" répondit simplement Mignonne.




Le jeu de l'oie. Tableau de Chardin.

L'amour des enfants, c'est la plus sûre marque de l'esprit de famille. Chardin le savait bien, lui qui ne manqua jamais de lui donner un rôle dans ses scènes d'intérieur où il excellait. Nul comme lui ne s'est plu à peindre leurs jeux où perce déjà le caractère des hommes et femmes qu'ils seront un jour.


Ces grand'mères, ces tantes Mignonnes ont pour office de présider aux jeux des enfants, d'enseigner à lire aux garçons, de leur commencer l'écriture et la grammaire, jusqu'à ce qu'ils soient d'âge à passer au collège. Quant aux petites filles, elles ne bougent de la maison, et dès l'âge de six ans, instruites aux soins du ménage, elles portent une paire de ciseaux attachée à la ceinture par un nœud de rubans.


Un plat pour chaque jour.
Ordonnance invariable des repas.

Tout le monde se retrouvera réuni, autour de la table de famille, à des heures fixées de temps immémorial et qui, elles non plus, ne varient pas. Libre aux grands seigneurs, après des nuits blanches au Palais-Royal, de dîner à quatre heures et de souper à dix: ces dérèglements marquent assez, aux yeux du bourgeois, le scandale de leur vie. Pour lui, il reste attaché, comme un moine à la règle de son ordre, à un horaire sacré, formulé dans ce proverbe:

Lever à six, dîner à dix,
Souper à six, coucher à dix,
Fait vivre l'homme dix fois dix.

Un coup de vin au saut du lit, la soupe avalée sur le pouce entre sept et huit heures, le goûter entre trois et quatre complètent le programme. Honni qui y eût rien changé!
Le menu même des repas était fixé presque sans variante, jour par jour, pour tout le royaume. Tous les Français, le même jour, à la même heure, mangent le même plat.

Dimanche à dîner, le bouilli; le soir, la longe de veau.
Lundi, bouilli fricassé; blanquette.
Mardi, fraise de veau; volaille.
Mercredi, carré de mouton; omelette au lard.
Jeudi, gigot rôti; hachis.
Vendredi, morue; haricots.
Samedi, purée; soupe aux choux.

Le vin se tire à la pièce et se boit au gobelet: on en achète un à la naissance de chaque enfant: celui du chef de famille se reconnait à sa taille imposante. C'est le père qui, avant chaque repas, descend à la cave.
On ne prend du café que par remède. Quatre livres de sucre suffisent pour un an. Il n'est pas rare qu'un voisin emprunte le pain de sucre* pour figurer sur sa table, quand il a des hôtes; au reste, c'est pour lui un point d'honneur que de le rendre intact, comme s'il se fût agi d'une pièce d'argenterie. Il y a sur toutes les tables une boîte en fer blanc appelée la cuisinière, divisée en quatre parties contenant divers épices dont chacun se sert à son gré. Au milieu, dans une case ronde se loge la noix muscade avec la petite râpe.



Le déjeuner. Tableau de Boucher.

Chez ces bourgeois aisés quelle familiarité dans les rapports avec les enfants! Pendant le déjeuner du matin, la maman considère avec tendresse sa petite fille toute entourée de joujoux, tandis que l'aînée, avec un air de réserve et d'attente comiques, se demande si sa jeune tante consentira à lui faire goûter une cuillerée de son café.


Le souper du soir est le repas important de la journée. C'est pour celui-là que se font les invitations. Le jour des Rois, le jeudi Gras, Pâques, les fêtes patronales sont jours de banquets de famille. Alors on fait grande chère, on débouche le vin vieux, on trinque, et l'explosion du premier bouchon est le signal des chansons: chacun y va de la sienne. Depuis toujours, il est d'usage que chacun apporte son plat; chacun a voulu faire une surprise; d'où il résulte qu'on voit souvent sur la table cinq ou six cochons de lait et une vingtaine de chapons.
Du reste, si simples que soient les repas aux jours ordinaires, un cérémonial précis, aussi méticuleux qu'à Versailles, préside à table. Il est inouï que l'assemblée se soit assise avant la récitation du Bénédicité, ou levée avant celle des Grâces. Si un ecclésiastique est présent, c'est à lui que revient l'honneur de bénir la table. Cet office à l'ordinaire est délégué par le père à l'ainé des fils. Mais il est contraire à toutes les règles qu'une femme ose prononcer ces propos.
Le maitre de maison découpe lui-même les viandes, et sert les convives dans un ordre invariable. On trouverait fort étrange qu'un enfant demandât quelque chose à table. S'il avait le malheur de montrer de l'aversion pour un des comestibles communs, c'est alors qu'on lui apprenait à vivre! Plutôt que d'en passer par ses goûts, on lui fera apprêter un immense plat du mets qu'il ne saurait souffrir et, pendant huit jours, soir et matin, froid ou réchauffé, il n'aura à manger autre chose. On l'instruit d'ailleurs avec soin des règles de la civilité puérile et honnête; il ne tarde pas à savoir qu'on brise la coque d'un œuf après l'avoir gobé, que le fromage se mange à la pointe du couteau, et que c'est une incongruité grave de se gratter la tête à table avec ses ongles, ou de se moucher dans sa serviette.


Dimanche en famille.
Villégiatures de citadins.

"Où irons-nous demain s'il fait beau? demande le père, le soir des samedis d'été.
Et regardant sa fille en souriant:
"A Saint-Cloud? Les eaux joueront, il y aura du monde.
- Ah! papa, si vous vouliez aller à Meudon, je serais bien plus contente."



Le bal de Saint-Cloud, d'après une estampe ancienne.

Si, toute la semaine, l'existence du bourgeois du XVIIIe siècle se passait à la boutique ou à la maison, les beaux dimanches on se rendait en famille à Meudon ou plutôt encore à Saint-Cloud. Le jeu des eaux, le bal champêtre ajoutaient un attrait de plus aux charmes de cette promenade traditionnelle.


A cinq heures du matin, le dimanche, chacun est debout: une robe légère, fraîche, bien simple, une voilette de tulle, c'est tout l'ajustement. Les voila partis, père, mère et fille. On prend le bateau au Pont-Royal, un batelet qui dans le silence d'un navigation douce les conduit aux rivages de Bellevue non loin de la verrerie dont on aperçoit de loin le panache de fumée. Par des sentiers escarpés, on gagne les côteaux de Meudon: on découvre une maisonnette dans les bois; c'est le logis d'une laitière, une veuve qui vit là avec quelques poules et deux vaches. Ah! les délicieux goûters chez la bonne vieille, avec un peu de pain bis et beaucoup d'appétit! Et puis en route pour rêver ou courir sous les hautes futaies, dont l'ombre s'étoile de lumières sur le sable du chemin! On soupe gaîment chez le suisse du parc; le soir tombe, on rentre à Paris, et l'on recommence le dimanche suivant.
Deux jours de fête se suivent-ils, faisant ainsi de véritables loisirs: alors c'est le grand jeu; on ne rentre pas, on couche à la Reine de France, et ce sont parfois des aventures plaisantes qui font scintiller l'éclat de rire charmant de la jeune fille mise en gaité par le grand air. Car ils n'occupent qu'une chambre à eux trois: la fille couche avec sa mère, le père prend l'autre lit; il veut tirer les rideaux, le ciel de lit se détache et tombe si exactement qu'il lui fait une couverture. Après le premier moment de frayeur, fusée de rire du trio, lesquels redoublent quand l'hôtesse accourue, stupéfaite de voir son lit ainsi décoiffé, s'écrie en levant les bras:
"Ah! mon Dieu! comment est-il possible que ce ciel de lit soit tombé! Voilà dix-sept ans qu'il était là, et jamais il n'a bougé!"
Souvent, les soirs d'été, il y a bal dans les guinguettes, les arbres sont des lustres illuminés de lampions, l'orchestre est composé d'un crincrin et d'une clarinette. Rien de plus honnête alors que ces bals de barrière, à Sceaux ou à Saint-Cloud. Mlle de Corancez qui devait être un jour la mère du général Cavaignac y valse sur l'herbe avec ses sœurs. Tels sont les plaisirs des petites bourses. Mais les bourgeois à leur aise sont partis dès la veille, la boutique fermée, pour la modeste maison de campagne qu'ils possèdent près de la barrière. Ils y ont mené leur femme, leur grande fille et leur garçon de boutique, quand on est content de lui, et qu'il a su plaire à ces dames.
"On a porté la veille, dans un fiacre bien plein, toute la provision et un pâté de Le Sage. Le père fera des contes, la mère rira aux larmes; la grande fille s'émancipera un peu et se tiendra moins droite; le garçon de boutique, qui aura acheté des bas de soie blancs et des boucles toutes neuves, honoré du titre de joli garçon, fera des gentillesses et déploiera tous ses moyens de plaire, attendu qu'il aspire de loin à la main de Mademoiselle; car elle aura en dot 10 000 à 12 000 fr."
Et ce sont des plaisirs sans luxe, mais non sans art. Quel joli croquis nous fait Mme Roland de "ces concerts boiteux d'après souper, où, sur la table qu'on venait de desservir, des étuis de manchon servaient de pupitre au bon chanoine Bareux, en lunette, faisant ronfler sa basse tandis que j'égratignais un violon, et tandis que mon oncle détonait sur la flute!"
Cette simplicité de mœurs, cette santé, cette bonhomie, voilà ce que l'on trouvait dans la France et à Paris même, dans la majeure partie de la nation, à la veille de la Révolution. 


La mère laborieuse. Tableau de Chardin.

Le digne, le paisible intérieur! Ne reflète-t-il pas l'esprit d'ordre et la sage raison de cette jeune mère?  Avec quelle gravité elle enseigne à sa fille les menus ouvrages et les vertus familiales qui feront d'elle, à son tour, une bonne maîtresse de maison!


N'en est-ce pas assez pour expliquer quel trésor de forces intactes, quelles réserves d'énergie et de vertu longtemps accumulées allaient apporter au service de la France tous ces humbles de la roture! Ce sont ces mœurs bourgeoises qui ont sauvé la France des convulsions de la Terreur, où croula le faite de sa société légère et artificielle; ce sont leurs traditions qui se perpétuent dans la France d'aujourd'hui et lui font une vigueur profonde et durable.

Lectures pour tous, novembre 1903.

* Nota de Célestin Mira:

* Livre de raison: Le livre de raison, tenu par le père ou la mère, contenait les comptes du ménage, mais aussi les faits marquants de la famille. Il servait d'aide-mémoire et était transmis de générations en générations afin de constituer un lien familial historique.



Livre de raison, 1785.

* Jean-Jacques: il s'agit de Jean-Jacques Rousseau.

* Chien tournebroche ou turnspit dog: il n'est pas impossible que cette pratique hasardeuse soit à l'origine de l'expression "dog's life": une vie de chien.



* Pain de sucre: jusqu'à la fin du XIXe siècle, le sucre blanc raffiné était fabriqué et vendu sous forme de cône à la pointe arrondie.


Fabrication des pains de sucre.