Il n'y a pas de sot métier.
Professions étranges et bizarres industries parisiennes.
On dit qu'à Paris, tout se trouve... On ne croit pas si bien dire! En dehors des professions régulières, étiquetées et cataloguées, quels ne sont pas les métiers étranges auxquels certains de nos concitoyens ont recours pour subvenir aux modiques ressources de leur précaire existence! Ce sera pour le lecteur une surprise et une révélation que cette promenade à travers tant d'industries insoupçonnées, médiocrement lucratives pour la plupart, mais dont quelques-unes, au contraire, sont fort productives et nourrissent grassement leur homme.
Ceux qui écument la Seine et les fabricants d'yeux de bouillon.
Il y a à Paris, chaque matin, d'après les statistiques les plus modérées, et sans tenir compte des mendiants professionnels, quarante mille personnes qui ne savent pas comment elles mangeront dans la journée.
N'ayant pas de métier fixe, elles en exercerons un, des plus inattendus souvent, et des plus bizarres.
Levons-nous dès l'aube, à l'heure où les locataires gratuits des arches des ponts se réveillent dans le brouillard gris pour échapper aux rafles de la police. Observons celui-ci qui est resté sur la berge après que tous les autres sont partis: il sort de son bissac une vieille marmite, une cuiller à pot et une sorte d'écumoire rouillée. Ce sont ses instruments de travail. Notre homme suit, le long du quai, la rangée de péniches endormies, et arrive ainsi au barrage d'une des écluses qui sont en aval de la rivière, c'est à dire après que le fleuve a traversé la capitale. Arrivé là, il se penche sur l'eau avec son écumoire, sa marmite et sa cuiller à pot. Il se met à écumer la Seine! Entendez par ces mots qu'il recueille la couche grasse et huileuse qui flotte à la surface, aux abords du barrage; il la passe et finit par en remplir sa marmite. Que va-t-il faire maintenant de ce produit nauséabond, résidu des eaux d'égout, des cadavres de chiens flottants et de chats crevés? Il va le porter à des fabricants de savon qui transformeront, à l'aide de produits chimiques et de recettes savantes, cette graisse en savon noir ou en savon de Marseille.
Il y eut longtemps des industriels spéciaux qui se chargeaient de confectionner des "yeux" pour le bouillon. On les appelait des "souffleurs". Ils prenaient dans leur bouche une certaine quantité d'huile, huile d'olive ou huile à quinquets, et, avec une habileté remarquable, la "soufflaient" en bulles légères à la surface de l'eau chaude destinée à passer pour du bouillon.
Mais les traditions se perdent, les bons "souffleurs de bouillon" se font rares, et les gargotes nauséabondes ont peut-être recours, elles aussi, à notre "écumeur" de la Seine. La graisse des écluses et des barrages donnant des "yeux" à la Cour des Miracles: on frémit d'horreur à cette seule pensée.
Pêche bizarre. Une nursery qui ne fleure pas bon.
Ne quittons pas les bords de Seine. Voici le pêcheur de vieux bouchons. On n'imagine pas combien il flotte de bouchons sur la Seine. Ils s'amassent soit aux barrages des écluses, soit entre les parois des péniches amarrées au rivage. C'est là que ce pêcheur d'un genre particulier va les récolter: un bâton emmanché d'un vieux chapeau lui tient lieu d'épuisette. Pour peu que la pêche soit abondante, il en a bientôt rempli un grand sac. Donc, il se dirige, sac au dos, vers la Butte-Montmartre, derrière le Moulin de la Galette, ou vers Plaisance, ou bien encore à Pantin, partout où se trouvent ces terrains vagues, aux habitants plus vagues encore.
Là, dans une baraque en planches recouverte de papier goudronné, est le siège social de l'entreprise. A l'aide d'acides et de bains plus ou moins prolongés, les bouchons les plus noirs reprendront leur couleur primitive et seront revendu aux marchands de vin à raison de 3 à 5 francs le mille. Beaucoup sont percés toutefois; de ceux-là on en fera de plus petits; quant à ceux qui sont trop détériorés, on les mettra en poudre. La poudre de liège a divers usages dans l'industrie: c'est avec elle que l'on bourre les planchers et les plafonds des somptueuses maisons modernes afin d'assourdir les bruits d'un étage à l'autre.
Mais pendant que nous sommes ici, dans ce terrain vague, un écriteau bancal, appendu à la porte de la "maison" voisine, attire notre attention: Fabrication d'asticots et de vers de farine";
Nous cognons: le propriétaire vient nous ouvrir en personne; une odeur à faire reculer les plus courageux nous suffoque: nous ne tardons pas à nous en expliquer la cause, un peu remis, nous pénétrons à l'intérieur de la cabane.
Il y a là, rangée par terre, des caisses en bois, caisses à bougies, caisses à vermicelle et caisses à biscuits, où une certaine quantité de bêtes en putréfaction achèvent de se décomposer. Là-dessus pullulent une foule de petits vers blancs qui sont les asticots. L'honorable commerçant a des pratiques attitrées qui, pour rien au monde, n'amorceraient leur ligne avec un asticot qui ne sortirait pas de chez lui. La "calottée" se vend deux ou trois francs; et, dame! quand la saison est bonne, il y a des jours où il se fait ainsi sept à huit francs. En face des caisses à asticots, d'autres caisses qui contiennent de la farine, de vieux bouts de laine et de vieux bouchons percés; les "vers de farine" couvent là en paix, et se vendent dix sous le cent pour nourrir l'oiseau cher à Roméo et à Juliette. L'étrange fabricant a son lit entre les deux rangées de caisses... C'est là qu'il dort, c'est là qu'il mange. Il faut être doué tout de même d'un robuste odorat!
L'arche de Noé à Paris. Rats pour savants et tortues pour dame.
Puisqu'on engraisse des asticots, on peut bien élever des rats.
Voici, en effet, une carte de visite pour le moins singulière: "Valin, cité blanche, Paris-Plaisance. Spécialité de rongeurs et autres."
M. Valin élève des rats pour les amateurs, pour les dresseurs de foire et de cirques, enfin pour les facultés de médecine. Ce sont des jolis rats, des rats tout propres et élégants, des rats blancs au nez rose, aux oreilles roses, aux yeux roses et à la queue rose; mais ce sont surtout des rats bien portants, garantis comme n'ayant en eux aucun germe de maladie. La plupart des rats à l'état de nature sont en effet contaminés d'une tare morbide quelconque.
La maison est étrange d'aspect et nous n'avons pas été par remarquer que toutes les fenêtres en sont grillagées. Le maître de l'endroit saisit un grand fouet de chasse, et nous prie d'entrer rapidement, en refermant la porte derrière nous, et "sans avoir peur". Nous entrons donc hardiment: nous nous trouvons dans une cage, dans une cage du haut en bas, de la cave au grenier, et qui est en même temps subdivisée en une foule de petites cages où l'on semble avoir vidé l'arche de Noé... A peine sommes-nous entrés que nous entendions un concert de miaulements, piaulements, roucoulements, aboiements... Des pigeons sont superposés sur des chats, des chats sur des rats, des rats sur des hérissons, des hérissons sur des cochons d'Inde. Un barbet nous aboie après les mollets, tenu en respect par le fouet claquant du maître de l'arche, tandis que toutes les petites souris blanches affolées tournent éperdument dans les roues de leurs cages, et qu'un jeune bouc, sautillant au milieu de tout cela, grimpe sur les cages, met ses pattes sur nos épaules, et nous mordille notre chapeau. Tous ces animaux se vendent à Paris, et servent à approvisionner les marchands des quais.
Un rat ne se donne pas à moins de 20 sous, une souris à moins de 10 sous, un hérisson à moins de 3 francs.
Mais il se fait à Paris un commerce actif et prospère portant sur des bêtes encore plus invraisemblables. La boutique principale de ce genre de ventes se trouve sur les quais, non loin du Pont-Neuf et des vieux bains flottants de la Samaritaine*.
Vous apprendrez avec stupéfaction qu'il se vend à Paris, annuellement, dans les 5000 lézards, dans les 2000 couleuvres, dans les 8000 salamandres, dans les 30000 grenouilles! Les lézards se vendent de 50 centimes à 3 et 4 francs pièce, les couleuvres de 1 à 6 francs, les salamandres de 5 à 6 sous, les grenouilles de 4 à 10 sous.
Les petits crocodiles trouvent amateur à 40 ou 50 francs, il s'en consomme une cinquantaine par an. Plus ils sont petits, plus ils sont chers. Ajoutez, bon an mal an, une dizaine de caméléons.
Les insectes d'eau, fort recherchés par les gens qui possèdent des aquariums, montent au chiffre de 5000, et les poissons rouges, les vulgaires poissons rouges, qui chatoient dans les boules rondes chez les marchands de vin, atteignent le chiffre formidable de 3 à 4000 par semaine!
Enfin, les tortures d'eau douce firent fureur il y a quelques années. Un bijoutier de Paris les avait mises à la mode. On sertissais des bijoux, perles, émeraudes et diamants dans leur carapace et les dames les portaient en soirée, retenues à leur corsage par une petite chaînette d'or. Les tortues, s'agrippant aux dentelles, avec les griffes pointues de leurs pattes, s'y promenaient et faisaient ainsi jeter aux pierres précieuses des feux variés et inattendus. Les plus petites, ne dépassaient pas le diamètre d'une pièce de vingt sous, faisaient prime et se vendaient jusqu'à 15 et 20 francs pièce.
De grandes administrations. Le père Cafard et l'Attila des rats.
Ouvrons maintenant le Bottin, et nous allons trouver, ayant pignon sur rue, plus d'un industriel pour le moins surprenant.
Ecoutez plutôt: "Maison Ledain, dit Père Cafard. Destruction des blattes, cafards et cancrelats, par le cafaricide breveté S.G.D.G. Téléphone. Nota bene: le Père Cafard compte plus de 6000 abonnés!" Et cette maison n'est pas la seule. Nous lisons plus loin: "L'Attila des cafards" et encore "Le Foudroyant destructeur des cancrelats".
Nous nous présentons à l'adresse indiquée, et nous trouvons des bureaux confortablement installés, des femmes occupées à copier d'innombrables lettres devant leurs machines à écrire, et le téléphone dont le timbre sonne sans trêve... Quoi, tout cela pour des cafards! Il y a donc des cancrelats à Paris? Il y en a tant et si bien que la moitié de nos maisons en serait envahie, s'il n'y avait pas cette armée de gens destinée à les détruire.
Le cafard ou cancrelat est, comme chacun sait, une espèce d'insecte noirâtre, mou et visqueux, répandant, quand on l'écrase, une odeur infecte; il pullule dans le Midi de la France, et jadis, sur les vieux navires en bois où l'on enchaînait les galériens, ses bandes grouillantes étaient si nombreuses qu'elles rongeaient souvent jusqu'à l'os les pieds des galériens. A défaut de nos pieds, ils se contentent fort bien de nos chaussures; le cuir verni les attire principalement. Du reste, on peut dire qu'ils dévorent tout, indistinctement.
Ils se trouvent dans les maisons neuves aussi bien que dans celles de l'ancien Paris: la chaleur humide les attire surtout, et les tuyaux des calorifères à vapeur d'eau leur sont particulièrement agréables. De même dans les hôpitaux, les hôtels, les restaurants: les cuisines de ces établissements en sont parfois tout d'un coup infestées.
Dès qu'ils apparaissent, on prévient le "Père Cafard", et l'on "s'abonne" moyennant une somme minime, une douzaine ou une quinzaine de francs par an, à la destruction régulière et incessante de ces affreuses bêtes. Le Père Cafard envoie ses employés, qui arrivent munis d'une petite boîte et de longues cannes à pêche ayant à leur bout une spatule. Sur la spatule ils étendront l'appât et, avec leur canne à pêche, ils en déposeront comme autant de boulettes de mastic, dans tous les coins des plafonds des maisons envahies, dans les angles les plus obscurs, sous les tables et les fourneaux. Les cafards n'ont pas plutôt flairé qu'ils s'installent en rond tout autour, à le croquer, comme une famille de bons bourgeois autour de la galette des Rois... Horreur! à peine ont-ils goûté au funeste poison que leurs corps, leurs pattes et leurs mandibules se dessèchent, et ils tombent en poussière! Il faut toutefois renouveler le massacre jusqu'au dernier, et cela dure souvent pendant des années. D'où "l'abonnement". c'est par millions que les hécatombes de cafards ont lieu annuellement à Paris.
C'était jadis un assez pauvre hère que le tueur de rats. Supposons aujourd'hui que votre maison soit infestée de rats. Arrive un monsieur très chic. Il fait sortir de la maison tous les êtres vivants. Puis quelle opération mystérieuse accomplit-il avec ses deux acolytes? En tous cas, après quelques heures, vous pouvez rentrer. Les rats ont été exterminés.
Quand on veut écrire à un ministre.
Abordons maintenant les professions libérales.
En dépit du progrès, il ne faut pas croire qu'aujourd'hui tout le monde sache lire et écrire. Aussi comprendra-t-on qu'il existe encore un écrivain public à Paris même, dans la Ville-Lumière, et qu'il se déclare satisfait de son métier.
Ce dernier écrivain public est une femme; c'est le dernier du moins qui ait permission d'avoir sa baraque sur la voie publique. Sa baraque est située sur la rive gauche, en face du square du Bon-Marché, à l'angle du boulevard Raspail et de la rue de Sèvres.
" J'ai des clients de bien des sortes, nous dit cet écrivain, notamment des jeunes gens qui désirent se marier et qui ne savent pas rédiger leur demande. Ce sont des petits employés; ils sont très savants pour faire des additions ou copier des rapports de leurs chefs; mais le langage de la galanterie française leur est inconnu, et ils craignent, s'ils s'expriment mal que leur demande ne soit rejetée.
" Ma petite baraque existe, telle que vous voyez depuis 1832; cela fait soixante-dix ans! Reclouée, repeinte, un peu branlante, elle a survécu à toutes les révolutions qui ont agité et bouleversé Paris, à la guerre, à la Commune. Après elle et après moi, il n'y en aura plus.
- Et que pouvez-vous gagner dans votre journée?
- Je prends pour une lettre ordinaire, sans difficulté de rédaction, 50 centimes; pour une demande de mariage, une lettre de famille, une lettre à un avocat ou à un ministre (sic), c'est 2 francs. En moyenne, je recueille dans ma journée 3 ou 4 francs, et c'est, en somme, gentil pour une femme.
- Mais, demandons-nous en nous retirant, qui remplacera l'écrivain public dans l'avenir?
- Qui? La marchande de journaux. Et c'est déjà fait. Les petites marchandes des kiosques cumulent, presque toutes, avec la vente de leurs gazettes, des fonctions identiques aux miennes. Allez! le métier n'est pas perdu."
Les déclassés de la science et de l'art.
Tout le monde a vu dans les foires et sur les boulevards extérieurs le pédicure et le dentiste qui opèrent en public, le pharmacien vendeur d'onguent et de remèdes mirifiques.
Mais ce qui est plus curieux, c'est que des médecins se sont résignés à aller chercher sur les places publiques la clientèle qui fuyait obstinément leur cabinet de consultation. "Je rencontrai un jour, raconte le Dr Daremberg, un charlatan installé sur une vaste voiture dorée, garnie d'un orchestre de musiciens habillés à la houzarde*. Il débitait de belles et savantes banalités qui eussent fait envie à feu Mangin*. Je ne pouvais m'arracher au charme de sa parole, et j'étais étonné de voir un homme aussi distingué vendre sur un char de saltimbanque des pots de pommade contre les rhumatismes. J'attendis l'heure du déjeuner. Il descendit de sa voiture et se dirigea dans un restaurant voisin de fort bonne apparence. Je le suivis et me plaçai à côté de lui. Grâce à quelques flatteries, je conquis vite sa confiance. Il me raconta que, reçu docteur, il avait végété pendant une dizaine d'années, faute de relations; puis, réduit à la misère, il s'était associé à une somnambule, et enfin avait acheté, au moyen d'emprunts, cette voiture, des chevaux, un orchestre et un stock de pots de pommade. Il gagnait maintenant beaucoup d'argent et, l'hiver, s'en allait jusqu'à Nice vendre sa pommade tout le long du littoral méditerranéen: " Mais surtout, cher confrère, ajouta-t-il, en guise de conclusion, ne dites à personne que je suis réellement médecin. Je n'aurai plus un client."
Aussi philosophe que ce médecin est tel sculpteur qui, ne pouvant tailler le marbre en conceptions à la Michel-Ange, s'est fait sculpteur de ... saindoux. Chaque année, au moments de la foire aux jambons, il passe chez les charcutiers et leur pétrit avec ce produit, qui se travaille encore mieux que la terre glaise, de belles figures qui orneront leur étalage: tantôt un aigle aux ailes déployées, tantôt un petit cochon, tantôt une chasse au sanglier, tantôt même un palais entouré de cascades de saindoux.
On voit combien de métiers divers et inattendus surgissent de cet immense Paris, où ils naissent de l'impérieuse nécessité.
Il y aurait encore à aller visiter dans les caves des Halles "le mireur d'œufs" qui, assis face à une bougie, dans l'obscurité, au milieu des millions d'œufs que consomme la capitale, les passe tous un à un, derrière la petite flamme, et juge, par sa transparence, de leur état de fraîcheur.
Son voisin, le "découpeur de viande" exerce une fonction officielle, celle de fendre en deux tous les veaux et tous les bœufs qui arrivent de l'abattoir, de découper les moutons en autant de pièces qu'il y en a de régulièrement cataloguées. Le découpeur est payé dans les 5 à 6000 francs.
Citons encore le laveur de chiens qui, muni d'une brosse de chiendent et d'un pain de savon, s'installe à laver les chiens dans la Seine;
et ceux qui, avec quelques cages de serins et de moineaux, courent les foires, exhibant des oiseaux plus ou moins engourdis sur de petites escarpolettes ou de petites bascules fabriquées dans du bois blanc avec des couteaux de poche.
Il faut signaler également le métier peu compliqué de "témoin de mairie". Pour l'exercer, des papiers en règle sont nécessaires. Il ne reste qu'à se promener à l'entour des mairies et à offrir ses services aux gens qui ont besoin de témoins pour obtenir un certificat quelconque, inconnus dont on affirme, pour quelques sous, qu'ils sont veufs ou mariés, célibataires ou pères de famille.
Il y a enfin des métiers disparus, comme celui de "montreur de lanterne magique", celui de "culotteur de pipes", celui de "cireur de patte de dindons" qui, à l'époque où les victuailles arrivaient à Paris moins rapidement qu'aujourd'hui, passait tous les matins chez les marchands de comestibles et donnait un coup de brillant aux pattes ternies des vieux dindons en magasin depuis huit jours. Le cireur de souliers et le décrotteur du coin de la rue sont en train de disparaître eux aussi, détrônés par d'ingénieuses machines installées déjà dans quelques gares, et qui, moyennant deux sous jetés dans une petite ouverture, vous empoignent le pied et vous rendent, en quelques minutes, vos chaussures miroitantes et impeccables.
L'un de ces décrotteurs, dont le règne est fini, acquit jadis dans Paris une célébrité considérable, grâce à un extraordinaire artifice par lequel il se chargeait de rendre son métier plus régulièrement productif: il s'était adjoint un "chien crotteur", dressé à couvrir de boue les gens qui passaient dans ses parages. D'où nécessité urgente d'avoir recours à notre homme. La légende raconte qu'un Anglais fut tellement ravi d'admiration devant l'habileté déployée par ce chien qu'il l'acheta quinze louis; mais le fidèle toutou, désertant les rives de la Tamise, revint de lui-même, au bout de trois mois, retrouver son premier patron, au coin du Pont-Neuf!
Et qui sait quels métiers baroques et productifs, mais d'ailleurs impossibles à prévoir, imaginerons dans l'avenir nos ingénieux citoyens pour faire face aux difficultés de la vie... tout en rendant un juste hommage au progrès?
Lectures pour tous, mai 1904.
* Nota de Célestin Mira:
* Bains flottants de la Samaritaine.
* Houzarde: d'une variante désuète de hussard; "à la houzarde", sans ménagement ni recherche
* Mangin:
Pierre Théodore Mengin, dit Mangin, charlatan, bonimenteur, marchand de crayon parisien, camelot de boulevard, personnage pittoresque, fantaisiste et insultant, avec Duchêne, l’arracheur de dents, sous le second empire. Déguisé comme un soldat du Moyen Âge, il officiait le plus souvent place de la Bourse, de la Madeleine ou du Château d’eau. Il était parmi les célébrités de la rue, se produisant dans une voiture à deux chevaux, toujours flanqué de son compère Vert-de-Gris qui l’accompagnait à l’orgue de Barbarie, Mangin était devenu l’idole des titis parisiens. |