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mardi 9 juin 2015

Tir de l'oie, jeux de l'homme armé, et gâteau des rois.

Tir de l'oie, jeux de l'homme armé, et gâteau des rois.


Parmi les divertissements populaires que ramenaient surtout certaines époques de l'année, il convient de signaler d'abord le tir de l'oie, ou le tir à l'oie. L'oie était en grand honneur chez nos pères, et passait pour le régal par excellence, comme le prouve le nom d'oyers donné aux rôtisseurs, et celui de rue des Oies ou aux Ouës, à la rue où ils s'étaient établis: c'est ce qui explique l'invention de ce jeu, où une oie devenait le prix du vainqueur. Il en est souvent question dans nos vieux historiens. La Gazette du 4 septembre 16.., raconte que, le 29 août, Leurs Majestés eurent à Chaillot, le divertissement de voir tirer l'oison par les mariniers de l'endroit, au bruit des tambours, des hautbois, du fifre et des trompettes. Loret nous montre le roi et la cour se rendant à l'Arsenal, pour y jouir de ce spectacle, où se pressaient, dit-il, plus de 40.000 hommes, sans compter les femmes et les enfants, et l'avocat Barbier nous apprend que cette fête subsistait encore au XVIIIe siècle.
Le tir de l'oie avait quelquefois lieu sur terre, à l'aide de l'arc ou de l'arbalète; mais ordinairement, c'était sur l'eau, et voici comment il se pratiquait: On voyait paraître sur la Seine d'abord plusieurs petites barques, montées par des hommes vêtus d'une simple toile mince sur leur corps nu. Après avoir débuté par un jeu où l'on tâchait de se faire tomber dans la rivière avec de longues perches, ceux qui devaient prendre part au tir de l'arc montaient dans un bateau fixé en pleine Seine. Près de la poupe passait un câble, tendu d'une rive à l'autre, à l'aide d'une machine qui permettait de le serrer ou de le détendre instantanément; et, au milieu, un peu au-dessus du bateau, une oie vive était suspendue par le pied. Chacun des combattants se précipitait sur la bête et s'efforçait de lui arracher la tête à belles dents; mais on lâchait le câble, ce qui, aux risées des spectateurs, les faisait tomber en foule dans l'eau, où ils étaient recueillis par les barques. Le vainqueur emportait l'oie en triomphe. Ce divertissement un peu brutal, très-couru par les Parisiens, était en quelque sorte le privilège de la jeunesse de Suresnes, qui le pratiquait le troisième jour de la Pentecôte.
Les bateliers et pêcheurs qui y prenaient part y déployaient toute leur pompe, pavoisant leurs bateaux, et se décorant de belles écharpes quand le roi leur faisait l'honneur d'aller les voir. Le cardinal de Retz, dans ses Mémoires, nous représente  les Parisiens de la Fronde en cheveux frisés, poil ras, souliers noirs et bas de soie, comme des gens qui vont tirer l'oie. Mais il est probable qu'il veut parler ici d'une autre variété du jeu que celle dont nous venons de donner la description.
On tirait aussi l'oie au bâton, et cette variété du grand divertissement populaire s'exerçait principalement sur le territoire de la paroisse de la Villette et du faubourg Saint-Laurent, comme on le voit par une ordonnance de police du 23 novembre 1726, qui en décrète l'interdiction.
Le jeu de l'homme armé, où l'on combattait un mannequin habillé en More et placé sur un pivot, de telle sorte que les coups portés ailleurs que dans le tronc ou dans le visage, faisaient tourner la machine, qui sanglait un rude coup d'estramaçon au maladroit; le tir de pagegai (oiseau des bois), où les chevaliers de l'arc et de l'arbalète, qui faisaient merveille toute l'année sur les remparts de la porte Sainte-Antoine, venaient se disputer le prix de l'adresse, en présence des magistrats de la cité; les courses de bague sur la place Royale; les courses du pot cassé, du sac mouillé, du baril plein d'eau; le jeu du pourcel, où des hommes les yeux bandés, quelquefois de véritables aveugles, armés de pied en cap, poursuivaient un cochon gras qu'ils tâchaient de tuer à coups de bâton, et n'y parvenaient jamais qu'après s'être longtemps et rudement frappés les uns les autres se rattachaient à la même catégorie de divertissements et d'exercices populaires.
La compagnie des arbalétriers ou chevaliers de l'arc, fondée, dit-on, par Louis le Gros, très-fière de son origine, de ses privilèges et de la protection des rois, avait souvent à sa tête les plus hauts personnages. Au dix-huitième siècle, le gouverneur de la ville était le chef né de ces bourgeois belliqueux, les francs-tireurs du temps, qui aimaient à jouer à la petite guerre. Ils faisaient leurs exercices du premier mai à la Toussaint, dans un vaste jardin, qui, situé dans l'origine, à ce qu'on peut croire, sur l'emplacement de la rue de l'Arbalète, se déplaça à plusieurs reprises, pour finir par se fixer près de la porte Saint-Antoine. Quant à la compagnie des chevaliers de l'arquebuse, d'abord distincte de la précédente, et qui se fondit ensuite avec elle, elle livrait aux siens (du premier dimanche de mai jusqu'à la Saint-Denis,) et décernait pour récompense des jetons d'argent frappés au coin de la compagnie. Le corps municipal donnait aussi solennellement des médailles aux plus forts tireurs, chaque année, le dimanche qui suivait la Saint-Laurent. Les plus adroits allaient souvent de ville en ville pour disputer les prix qui se distribuaient en grande pompe.
Ajoutons à tous ces jeux celui du battoir ou de longue paume, qui amassait tous les jours une foule de spectateurs dans la grande esplanade des Champs-Elysées.
Mais en parlant des fêtes les plus chères au peuple de Paris, il est impossible d'oublier celle de la veille des Rois, qui se célébrait jadis avec infiniment plus d'appareil et de cérémonies joyeuses qu'aujourd'hui.
Après les offices on représentait des mystères. Nous lisons dans Mémoires de maître Jean de la Haye, (ch. XX), que Hugues Capet avait une prédilection particulière pour la solennité des Rois, qu'il portait ce jour-là une étoile à son chapeau, et en donnait de pareilles à ceux qui l'avaient le plus favorisé dans son élévation au trône. Ce fut le point de départ de l'ordre de Notre-Dame-de-l'Etoile, fondé par son fils Robert. Le continuateur de Guillaume de Nangis nous apprend que les rois de France offraient à l'autel, le jour de l’Épiphanie: de l'or, de l'encens et de la myrrhe, et il décrivit une de ces cérémonies, qui se fit avec beaucoup de magnificence sous Charles V, en 1378.
Il est question du gâteau des Rois dès 1311, dans une charte de Robert, évêque d'Amiens, mais nous manquons de renseignements pittoresques et anecdotiques sur la façon dont se célébrait cette partie de la fête dans une époque aussi reculée. Pour trouver quelques détails, qui s'appliquent sans doute également à une période antérieure, il faut arriver jusqu'au seizième siècle.
Pasquier nous apprend que, pendant le repas des Rois, on mettait "un petit enfant sous la table, lequel le maître interroge sous le nom de Phébé, comme si ce fut un qui, en l'innocence de son âge, représentait une forme d'oracle d'Apollon. A cet interrogatoire l'enfant répond d'un mot latin: Domine," puis, sur la demande du maître, il désigne la personne à qui doit être donné le morceau de gâteau. On voit par une lettre de la princesse Palatine, que les choses se pratiquaient encore de même à la fin du règne de Louis XIV: le premier morceau était pour le bon Dieu, et le deuxième pour la Sainte-Vierge. Si le bon Dieu avait la fève, c'est le maître de la maison qui était roi, et si c'était la Sainte-Vierge, elle cédait ses droits à la dame du plus haut rang qui se trouvait là. Le roi nommait des ministres et des chambellans; il régnait sur la table comme dans un empire absolu, et mettait à l'amende ceux qui oubliaient de pousser le cri traditionnel chaque fois qu'il portait son verre à ses lèvres.
Jean Deslyons, docteur de Sorbonne, doyen et théologien de l'église cathédrale de Senlis, fulmina en 1664 ses Discours ecclésiastiques contre le paganisme du Roy boit où, au milieu de doctes dissertations, qui, si je ne me trompe, se sentent un peu du jansénisme de l'auteur, il nous a laissé des détails extrêmement curieux sur les usage de cette fête. Pour Deslyons, le banquet des Rois et l'usage des étrennes sont, aussi bien que la fête des Fous, d'abominables restes du paganisme, et une continuation des saturnales cachées sous un voile chrétien.
Au moyen âge, du moins au treizième siècle, la veille de l’Épiphanie , comme celle de la Saint-Jean, était accompagnée de feux, auxquels le peuple attachait la même idée superstitieuse: "Il faut également rapporter à l'idolâtrie, écrit Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, dans son livre des Lois, les feux qu'on a coutume de faire la veille de l’Épiphanie, et par le moyen desquels les insensés croient se garantir de la peste." L'habitude de ce feu, si toutefois Guillaume d'Auvergne veut parler d'un feu public, ne survécut pas au moyen âge; mais l’Épiphanie n'en persista pas moins à être célébrée dans le peuple avec un entrain extraordinaire, même après que la fête des Fous, qui l'avait déshonorée si longtemps par ses bouffonneries sacrilèges, eût disparu. Les marchands de chapels de fleurs remplissaient les rues, colportant et criant ces gracieux couvre-chefs dont les convives du festin se coiffaient et coiffaient les bouteilles ce jour-là. Le bruit retentissant des rires, des acclamations, des verres heurtés les uns contre les autres, perçait les portes et les fenêtres; l'huis des pâtissiers resplendissait et faisait flamboyer au loin les figures bizarres de leurs lanternes vives; les valets couraient par les rues, portant les gâteaux envoyés par le maître à ses amis; les pauvres allaient de maison en maison chercher la part qu'on leur réservait, c'est à dire le premier morceau, le morceau du bon Dieu, choisi par le plus jeune des convives. Toute la nuit, la ville entière était sur pied et jusqu'au lendemain passait le temps en assemblées joyeuses, en jeux bruyants, danses, ballets, comédies et mascarades. Le roi et la reine d'un jour allaient à l'offrande, où l'on portait solennellement la fève trouvée dans la gâteau.
"Le lundi, sixième jour des Roys (1578), lit-on dans le Journal du Règne de Henri III, la demoiselle de Pons de Bretagne, Royne de la fève, par le roy désespérément brave, frisé et gauderonné, fut menée du château du Louvre à la messe en la chapelle de Bourbon, estant le roy suivy de ses jeunes mignons, autant ou plus braves que lui. Bussi d'Amboise s'y trouva, à la suite de monsieur le Duc, son maistre, habillé tout simplement et modestement, mais suivy de six pages vestus de drap d'or frisé."
Ce n'est pas là un fait isolé: il se rattachait à une coutume générale de la cour d'Henri III, comme on le voit par un passage d'un autre historien, qui complète curieusement celui-là:
"Du règne d'Henri III, on faisoit à la cour, la veille de la feste des Roys, au souper, une royne de la Fève. Et le jour des Roys, le roy la menoit à la messe à son costé gauche; et si la royne y estoit, elle marchoit au costé droit. Un peu au-dessous du roy, on préparoit un oratoire et un drap de pied pour la royne de la Fève, au costé gauche de celuy du roy, avec son carreau à la main droite. Le roy bailloit à l'offrande, avec l'écu, trois boulles de cire: l'une couverte de feuille d'or, l'autre de feuilles d'argent, et la troisième couverte d'encens... Le roy, estant de retour à sa place sous le daix, la royne de la Fève se levoit, et ayant fait la révérence au roy et à la royne, alloit à l'offrande. La royne n'y alloit pas, et, après la messe, Leurs Majestez et la royne de la Fève, somptueusement vestues et parées, retournoient en grande pompe au Louvre, les trompettes et tambours sonnans. Cette cérémonie de la royne de la Fève n'a point depuis été observé."
Tout cela était parfaitement dans les usages de l'époque. Le roi et quelquefois les grands seigneurs rendaient le pain bénit au son des tambours, des fifres et des clairons. Les nouvelles accouchées, lors de leurs relevailles, offraient solennellement des gâteaux à l'église. On peut voir, dans la Muse historique de Loret, la manière dont le duc de Mecklembourg, récemment converti au catholicisme, offrit le pain bénit à la chapelle Saint-Michel, en le faisant escorter par une troupe de pages et de valets de pied, marchant deux à deux, et de tambours et trompettes en casaques de velours. Saint Michel était, d'ailleurs, le patron des pâtissiers, et c'est dans cette chapelle, située près du Palais-de-Justice, que leur confrérie avait son centre de réunion. Une ordonnance prohibitive de l'archevêque de Paris, du 10 octobre 1636, montre qu'à cette date les confrères de Saint-Michel avaient l'habitude de promener dans les rues de la ville une procession composée de cavaliers vêtus en anges et de diables qui battaient de la caisse devant les prêtres porteurs de pains bénits.

                                                                                                                  Victor Fournel.

La Semaine des Familles, samedi 18 juin 1870.




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