Bruxelles.
Bruxelles, appelée dans les anciennes chroniques, Brosella ou Brussella, doit son origine à saint Geri, évêque de Cambrai et d'Arras, qui, au commencement du VIIe siècle, bâtit dans une petite île formée pas la Senne une chapelle autour de laquelle vinrent bientôt se grouper des habitations. En 1044, cette ville, déjà grande, fut entourée de murailles, par Lambert Balderic, et, en 1357, elle fut agrandie et munie d'un rempart fort élevé. Elle devint la résidence des ducs de Brabant, et par suite des gouverneurs autrichiens. Elle éprouva deux incendies considérables, l'un en 1326, qui consuma 2.400 maisons, l'autre, en 1405, qui en dévora plus de 1.400.
En 1695, les Français la bombardèrent et incendièrent en vingt-quatre heures plus de 4.000 maisons. Après la bataille de Ramillies, en 1706, Malborough s'en rendit maître. L'électeur de Bavières l'attaqua vainement en 1708. Les Français la prirent, en 1746, sous le maréchal de Saxe, et la rendirent à la paix d'Aix-la-Chapelle. Ils y entrèrent en 1792, après la bataille de Jemmapes. Forcés d'évacuer après le combat de Louvain, ils la reprirent le 10 juillet 1794.
Bruxelles était la capitale des Pays-Bas autrichiens, et la résidence d'un gouverneur général. Les Français, qui en avaient fait le chef-lieu du département de la Dyle, la rendirent en 1814, et elle fit partie du royaume des Pays-Bas. Lorsque la dernière révolution sépara la Belgique de la Hollande, Bruxelles devint la capitale du nouveau royaume et la résidence du souverain.
Bruxelles est bâtie sur la Senne et sur un canal qui communique à l'Escaut par le Rupel. Elle est à neuf lieues et demie d'Anvers et à soixante lieues de Paris. Elle a deux lieues et demie de circonférence. Elle avait autrefois des fortifications que Joseph II fit raser, et sur l'emplacement desquelles, il fit planter des allées d'arbres qui forment une belle promenade. Elle n'a plus qu'un simple mur. Elle est bâtie sur un terrain inégal. Plusieurs rues sont très escarpées; dix portent le nom de montagne. Bruxelles forme deux villes en une seule. Par sa situation, elle se divise naturellement en ville haute et ville basse; et, par sa physionomie, on la partagerait volontiers encore en ville neuve et ville ancienne, en ville des nobles et ville du peuple.
La ville neuve est la plus belle partie de Bruxelles sans être pourtant celle qui séduit davantage. Les rues sont larges et bien alignées, les maisons élevées et élégamment bâties. Le Parc, charmante promenade, toute plantée d'arbres, toute peuplée de statues, en est le centre principal; au milieu de la grande allée, le coup d’œil est magnifique.
Sans les fleurs et la verdure qui vous entourent, on se croirait à Paris sur la place de la Concorde, car le palais royal et celui des Etats, qu'on aperçoit, l'un à droite et l'autre à gauche, semblent, avec leurs façades, les miniatures de la Madeleine et de la Chambre des députés.
Un petit bassin que renferme le parc a acquis une grand célébrité: une inscription latine en fait foi. On raconte que Pierre le Grand, en 1747, s'y laissa tomber dans un moment d'ivresse, libato vino. C'est là un singulier souvenir pour rappeler le grand homme. Une superbe rangée de palais et de belles maisons entourent le parc.
La place Royale, le beau boulevard, celui de Namur, où habitent presque tous les étrangers, complètent cette partie de la ville. La place Royale est la plus belle des places publiques; elle est entourée de huit magnifiques corps de bâtiments, au milieu desquels se trouve la belle église de Saint-Jacques de Kauden-berg. Son portique, surmonté d'un fronton, contenu par six colonnes corinthiennes, a été élevé sur les dessins de Guimard, architecte français. A chaque côté de la porte est une statue colossale, représentant Moïse et David.
L'intérieur de l'église correspond à la beauté de la façade; il est d'une noble simplicité et formé d'une seule nef bien éclairée. Une colonnade d'ordre corinthien, en demi-cercle, termine le chœur, dont le plafond est orné d'une riche sculpture. On admire la belle coupole de cette église. Saint-Jacques est peut-être la seule église catholique où l'on ne trouve aucun tableau, sa distribution intérieure ne comportant point de décoration qui nuirait à la simplicité de l'ordonnance.
On descend à la ville ancienne par une grande rue, parisienne de boutiques, d'étalage et d'irrégularité, appelée la rue Royale, et le coup d’œil, le style de l'architecture changent entièrement. On se trouve sur la grande place. D'un côté se présente la Maison du Roi, en flamand brood-huys (maison du pain). C'est un antique édifice dont l'origine remonte aux premiers agrandissements de la ville. Il servit de Maison de ville jusqu'à la construction de l'Hôtel-de-Ville qui lui fait face.
Cet Hôtel-de-Ville date de 1404, et les maisons qui l'entourent ne réclament pas une moindre antiquité; sa construction plait surtout par sa bizarrerie. Il a une galerie ouverte qui règne sur toute sa façade, flanquée de six tourelles, et percées de quarante fenêtres; puis une tour octogone entièrement à jour, qui, par je ne sais quel caprice, ne s'élève pas au milieu de l'édifice. Elle est haute de 364 pieds, et surmontée de la statue dorée de saint Michel terrassant le diable sous la forme d'un dragon. L'architecte se nomme Van Ruys Brock; il mit à son oeuvre quarante et une années de travail. On doit encore voir la place de Saint Michel, et celle du Grand-Sablon, la plus vaste de Bruxelles; elle est destinées aux exécutions judiciaires, à cause de son voisinage de la nouvelle prison.
Les fontaines sont presque toutes embellies de sculpture. Je ne citerai que les plus belles, ou les plus curieuses, et d'abord je parlerai du Menneken-pist (petit homme qui pisse). Cette fontaine, célèbre sous ce nom de temps immémorial, n'avait eu jusqu'en 1648 qu'une petite figure de pierre. Cette année, le magistrat ordonna de la remplacer par une statue en bronze, dont le fameux sculpteur Duquesnoy donna le modèle. Cette figure, qu'on qualifie de plus ancien bourgeois de Bruxelles, a attiré les regards de plus d'un souverain, qui l'ont fait parer d'habillements, de cordons, etc.
La fontaine de la rue Haute est un très-bel obélisque, dont l'architecte Guimard a donné le plan. Les fontaines de Steen-Poort et de la porte de Staal datent du temps de Charles-Quint. Celle du Regorgeur est du sculpteur Janssens. Un chef-d'oeuvre de cet artiste la décorait. C'était une statue de médiocre grandeur, représentant Neptune en courroux, qui y avait été placée en avril 1776; cette statue fut enlevée quelque temps après, sans qu'on ait jamais su ce qu'elle était devenue. Toutes ces fontaines sont alimentées par les eaux d'un lac, situé à environ un tiers de lieue à l'est de la ville. Je devrais encore mentionner le nouveau palais de justice, où sont réunis tous les tribunaux; le palais royal, résidence de Léopold; l'entrepôt, construit par Marie-Thérèse; les églises Notre-dame et du Sablon, le jardin botanique, le théâtre, l'allée verte, charmante promenade qui a près d'une demi-lieue, se prolongeant sur les bords du canal, jusqu'au pont de Laeken, et j'arrive à la belle cathédrale de Sainte-Gudule. L'histoire de cette célèbre église contiendrait à elle seule un volume. Elle fut commencée sous Lambert, comte de Louvain et de Bruxelles; mais elle ne fut dédiée qu'en 1047, sous l'invocation de Saint-Michel. Le même jour, on déplaça avec beaucoup de solennité le corps de sainte Gudule de l'église sainte-Géri dans la nouvelle église, qui prit le nom de Saint-Michel et Gudule, et plus souvent de Sainte-Gudule seule. Elle fut rebâtie en 1226 et 1273, augmentée et restaurée en 1534; en 1543, on plaça un carillon, et l'horloge dans une des tours. Le 6 juin 1579, cette église fut saccagée par le peuple, et les reliques des saints dispersées, entre autre celles de la patronne, qu'on n'a plus retrouvées; les peintures furent détruites, les statues des apôtres renversées; la chaire, qui était de bronze, fut brisée. L'église fut réconciliée en 1585 par l'archevêque de Malines. En 1587, le conseil de Brabant fit restaurer la chapelle du saint Sacrement: chaque conseiller y fit poser un pilier de cuivre avec ses armes; cet exemple fut imité par le conseil des finances, la chambre des comptes et les magistrats. Ces piliers furent enlevés par les Français en l'année 1793.
C'est à l'occasion du jubilé de trois cent cinquante ans du Saint-Sacrement des miracles, célébré en juillet 1720, que les états de brabant et plusieurs évêques et abbés donnèrent une suite de vingt-huit tableaux représentant l'histoire des hosties poignardées.
Le maître-autel est de marbre blanc et d'architecture composite. Contre les deux colonnes du sanctuaire sont deux statues, dues au célèbre sculpteur Delvaux; elles proviennent de l'abbaye d'Afflighem et avaient été destinées au Musée national de France.
A la droite de l'autel, du côté de l'évangile, on voit le tombeau des ducs de Brabant, sur lequel est couché un lion d'airain doré, appuyé sur l'écu de Brabant; ce lion pèse, dit-on, six mille livres. De l'autres côté du chœur, en face de ce mausolée, est celui de l'archiduc Ernest, gouverneur des Pays-Bas, mort en 1595. Au-dessus des stalles, on suspend, les jours de grandes fêtes, quatre magnifiques tapisseries, représentant des sujets tirés de l'histoire du Saint-Sacrement des miracles.
La nef de cette église est séparée des deux bas-côtés par des colonnes qui soutiennent une voûte très-élevée. A chaque colonne est adossée une statue de 10 pieds de proportion, représentant Jésus-christ, la Vierge et les apôtres.
Sainte-Gudule renferme de superbes vitraux, peints par les plus fameux maîtres flamands, tels que J. d'Ack, Roger, Jean de Labaer et Bois-le-Duc. On remarque aussi une Annonciation, bon tableau de B. Boullogne.
Nous avons fini de visiter les principaux monuments de Bruxelles. Si nous voulions connaître ses habitants, ce serait dans la population roturière et commerçante qu'il faudrait chercher du caractère et de la nationalité. Il y a en effet de l'originalité dans cette foule de vendeurs et d'acheteurs, qui vont, viennent, crient et se coudoient dans les rues et les places de la vieille ville; dans ces diligences qui partent, qui arrivent; ces voitures bourgeoises qui ne sont ni calèches, ni landaus, qui peuvent contenir neuf ou dix personnes; cette infinité de petites charrettes traînées chacune par trois chiens, et qui se rendent au marché, portant le lait renfermé dans de petites cruches de cuivre poli; enfin, c'est un bruit qui, tout fatigant qu'il est, au lieu d'animé qu'il est en France, est au moins particulier à Bruxelles. Ce n'e'st pas le bruit de l'Allemagne, de la France ou de l'Italie, c'est celui de la Belgique. Tous les banqueroutiers de France prétendent que c'est une des plus agréables capitales du monde.
Ernest Breton.
Le Magasin universel, août 1837.