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samedi 30 novembre 2019

Comtesse et baronne.

Comtesse et baronne.


La comtesse Sabine de Porte-Neuve est une maîtresse de maison accomplie, une femme parfaite, une mère adorable. Son salon, ouvert chaque soir à ses amis, depuis les premiers jours de janvier jusqu'aux dernières heures d'avril, est un des plus agréables de Paris. On y cause. Ce mot dit tout et fait voir combien ce coin privilégié ressemble peu à ces halls modernes où le temps s'écoule à manger des sandwichs au jambon, des bouchées de foie gras, des tranches minces de pain bis recouvertes de beurre et de caviar, de boire du thé très fort, des vins exotiques, à croquer des fruits glacés et à flirter éperdument; tandis que, heurtée, brisée par ces occupations différentes, la conversation n'existe que par tronçon, si bien qu'un homme d'esprit voulant conter l'anecdote de la veille, le scandale du jour, l'événement probable du lendemain, serait déclaré un gêneur premier numéro, un empêcheur de danser en rond, et que son histoire se perdrait dans le brouhaha général.
Quiconque va chez la comtesse Sabine, vers cinq heures, la trouve toujours enfouie dans son grand fauteuil, au coin de son feu, entourée d'un paravent où, sur une étoffe de couleur tendre, les mains patientes des Indiens ont brodé des chimères à visage de femmes. Toujours vêtue de blanc, les cheveux tordus sur le sommet de la tête et ramenés en bandeaux lisses jusqu'aux sourcils, le teint pâle éclairé par la lueur merveilleuse de ses grands yeux couleur d'aigue marine, d'allure recueillie, la comtesse a un charme particulier fait de sa réserve un peu froide, de sa beauté mélancolique et de l'extrême candeur de sa bouche rosée.
Elle a deux fils déjà grands, Sabine s'est mariée très jeune, deux fils admirablement élevés l'un et l'autre, sévèrement tenus, soigneusement surveillés. Ils adorent leur mère, ont pour elle le plus profond respect et n'osent poser leurs lèvres sur sa joue qu'après avoir préalablement baisé la main qu'elle leur tend; ses paroles avec eux sont rares; elle n'a aucun de ces mouvements de tendresse passionnée si familières aux mères de race latine. La comtesse tient ses fils à distance; mais sa justice, la droiture de son esprit éclairé, la pondération de ses jugements, l'observation rigoureuse de ses devoirs envers eux, l'admiration de leur père pour elle, la cordiale et sérieuse affection qui les lie les pénètrent d'un amour qui va jusqu'au fanatisme, et la placent très au-dessus du comte dans leurs cœurs, quoique celui-ci soit d'une bonté qui se changerait aisément en faiblesse, si la comtesse n'y veillait sérieusement pendant la durée de son séjour à Paris.
Car, hélas! de mystérieux devoirs de famille ne permettaient pas à Mme de Porte-Neuve de rester plus de quatre ou cinq mois de l'année avec son mari et ses enfants. Elle vit, dit-on, en province, près d'une parente immensément riche, particulièrement bizarre, qui de toute la famille ne veut recevoir que Sabine. A la condition de ce séjour fastidieux au fond d'un vieux château, la comtesse héritera. C'est donc pour ses enfants que cette belle et délicate personne renonce à Paris, s'enferme huit mois sur douze, quitte son mari et se rend esclave au point de ne pouvoir recevoir ses lettres chez elle. On les adresse dans une ville voisine et à la poste restante, sa parente, par un caprice autoritaire d'une cruelle exagération, ne lui permettant pas, quand elle est sous son toit, d'avoir d'autres soucis que les siens propres.
Cependant, quoique absente et avec des communications rendues difficiles, la comtesse gouverne encore sa maison de Paris. Elle a établi des règles tellement précises que tout marche comme si elle était présente. Son mari lui-même ne se permettrait pas de fumer ailleurs que dans le coin qui lui est réservé, et ce n'est qu'en tremblant de rencontrer le sévère regard de sa femme qu'il accorde à ses fils les gâteries paternelles. Dans leur monde, chacun admire et plaint la courageuse femme se sacrifiant ainsi à la fortune de la maison.
Quand arrive le jour du départ et de la séparation, que toutes les factures étiquetées avec ordre sont réunies en liasse dans le secrétaire de son mari, que les vêtements sont examinés et rangés, les nouvelles commandes exécutées, les domestiques soigneusement remontés, la comtesse accompagnée de son mari, suivie de ses fils, quitte la maison, où doit en son absence régner un ordre parfait. Arrivés à la gare, installée dans son coupé réservé, Sabine pose ses lèvres sur le front de ses fils, serre cordialement la main du comte, échange avec lui quelques mots à voix basse. Il y a sur son visage une émotion étrange; elle est pâle, nerveuse, semblant attendre un mot la priant de rester.
Ses yeux, ses beaux yeux le disent clairement; mais son mari ne veut pas lire dans ces miroirs profonds; il garde son sourire tranquillement ironique, son attitude de camarade bienveillant; c'est avec soin qu'il s'occupe de sa femme, qu'il range autour de ses genoux les plis de son plaid, qu'il pose sur la tablette relevée le bouquet qu'il lui destine. C'est encore gaiement qu'il lui souhaite un heureux voyage... La vapeur siffle. Adieu! La portière est refermée. Debout sur le quai, le comte ôte son chapeau pour saluer une dernière fois; ses enfants l'imitent... Le train part. Sabine se penche pour les revoir, et dans l'attitude de son mari serrant contre lui ses fils, dans l'expression de son visage, elle comprend de quel amour puissant il les aime et quel sacrifice il sait faire pour eux.
Vingt minutes avant d'arriver à la station où elle était attendue, Sabine, depuis longtemps remise de son émotion, ouvre son sac de cuir de Russie et procède à sa toilette. Son lourd manteau de voyage est plié avec les couvertures; elle est très élégante et toute jeune dans sa correcte veste anglaise dont elle fleurit la boutonnière d'une rose et d'un brin de réséda. Elle donne à sa coiffure un tour plus abandonné et devant sa glace à main, avec tout le sérieux d'une femme légère, la sévère comtesse couvre ses joues d'une odorante poudre de riz, avive au bâton à la fraise ses lèvres délicates, d'un coup de crayon tenu d'une main sûre allonge ses yeux, accentue ses sourcils, donne du relief au grain de beauté placé au coin de sa bouche. Des idées nouvelles ont changé son visage... Ce n'est plus la mère de famille charmante en son austérité; c'est simplement une jolie et coquette femme, d'allure rieuse, qui d'un pied leste divinement chaussé descend à la gare de B... et avec un entrain plein de fougue juvénile tombe dans les bras d'un superbe garçon qui l'attend sur le quai...
Après les premières accolades, le chef de gare s'avance avec empressement. On lui tend la main avec un sans-façon charmant...
- Un bon voyage, Madame la baronne?
- Oh! excellent! Et si heureuse d'être de retour! ... De revoir mon mari... (Ici, un coup d’œil au mari, qui tressaille d'aise) et mes bébés!... Quelle joie!... pauvres petits!... Nini a trois dents... déjà... et Pierre connaît ses lettres!!
Le chef de gare sourit de ces tendres exubérances de jeune mère heureuse et gâtée.
- M. le baron me le disait tout à l'heure, madame, il faut que vous ayez un fier courage pour quitter ainsi tous les ans et pendant quatre mois, vos enfants et votre mari... Décidément, vous ne pouvez donc pas réconcilier votre père et M. le baron?
- Je ne crois pas, dit Sabine, en souriant malgré elle... quoique enfin...
- Les vieux sont si entêtés, reprend très irrespectueusement le chef de gare... Quand ils ont une idée...
- Ils y tiennent, c'est vrai, répond la comtesse.
.......................................................................................................................................................Ils montent en voiture. Le baron, du haut de son phaéton, conduit allègrement ses magnifiques bai-bruns... Sabine, épanouie, les yeux brillants, le visage rose, les lèvres entr'ouvertes, se serre contre lui. Au pas cadencé des chevaux battant la route sèche, des enfants, des femmes, des vieillards s'avancent sur le seuil de leurs portes et crient joyeusement...
- Bon retour, madame la baronne!
Ils vont vers le château, où les attendent leur bonheur jeune et souriant. Avant d'arriver, le baron se tourne vers Sabine et à voix basse, comme s'il craignait d'être entendu des oiseaux traversant l'espace:
- Et lui? dit-il.
- Lui, répond Sabine. Jamais un reproche! Jamais une allusion. Il me tue avec son respect exagéré et sa tranquillité terrible. Il ne veut pas que la mère de ses fils soit soupçonnée. Tant que nous garderons notre secret, il gardera le sien. Je t'en réponds... La comtesse de Porte-Neuve, un amant! Un faux ménage en province!... Un procès, un scandale, des révélations... Les journaux racontent ma double existence... Allons donc! Le comte accepterait pire encore pour sauver son honneur.
- C'est un homme d'esprit, dit le baron.
- C'est un sage, reprit Sabine. Ah! voici les enfants, cria-t-elle tout à coup, et, sautant à terre, elle courut serrer ses bébés dans ses bras.

                                                                                                                      Manoel de Grandfort.

La Vie populaire, jeudi 14 mai 1885.



vendredi 29 novembre 2019

Le rêve de madame la douairière.

Le rêve de madame la douairière.


Il y avait jadis une petite ville de province; dans la ville, une petite rue; dans la rue, une petite maison; et dans la maison, une petite vieille. Quand on parlait d'elle, on l'appelait Mme la douairière. On savait pourtant qu'elle n'était ni femme ni veuve, mais demoiselle; mais on l'appelait Mme la douairière parce qu'elle avait cinquante ans, des robes violettes, des chapeaux lilas, des façons fort nobles et un prie-Dieu rembourré à la chapelle des Carmélites. Son véritable nom était Mlle des Rosettes. Ce nom allait le mieux du monde à une petite vieille que son sourire mélancolique, ses joues blanches, ses manières précieuses et sa grâce vieillotte faisaient ressembler à une petite rose-thé, morte dans la mousse d'un coffret, un peu décolorée, un peu sèche, un peu fanée, mais ayant conservé, tout au fond de ses pétales, le vague dessin de son dernier sourire de fleur, et la mémoire de son ancien parfum.
M. le chevalier de Mauléon est né le même jour et dans la même ville que Mlle des Rosettes; il s'était lié d'amitié avec elle, sans que le hasard ait eu besoin de s'en mêler beaucoup. Mademoiselle avait la première place dans le cœur du chevalier, qui ne pouvait prétendre qu'à la seconde dans le cœur d'une demoiselle ayant un prie-Dieu rembourré à la chapelle des Carmélites. Ils avaient tous les deux les même goûts, sinon que M. le chevalier avait le goût d'épouser Mme la douairière, et qu'icelle n'avait point le goût d'épouser le chevalier. Ils avaient aussi les mêmes opinions sur toutes choses, si ce n'est que l'une était fort dévote, tandis que l'autre se faisait passer pour esprit fort. Tous les jours M. le chevalier faisait pour sa tendre amie un madrigal, un quatrain, un sonnet acrostiche ou un bouquet à Chloris*; et tous les jours la tendre amie faisait une querelle à M. le chevalier au sujet de ces enfantillages.
La vérité m'oblige à dire que, n'ayant jamais été à Paris ni l'un ni l'autre, ils avaient conservé une bonne santé, un bon cœur et un grand bon sens; et, qu'ayant peu fréquenté le monde, ils avaient gardé le goût de la sincérité, le souci de la politesse et l'amour des belles manières.
Comme ils n'avaient jamais lu de journaux, ils parlaient purement la langue française, qu'ils écrivaient de même, bien qu'avec une grâce un peu prétentieuse; dans la conversation, M. le chevalier ressemblait à un habitué du café Procope*; il écrivait à mademoiselle des billets qu'eût signé M. de Balzac, pour la finesse; et il recevait d'elle des épîtres qui eussent fait honneur à Mme de Sévigné, pour l'enjouement et l'imprévu du tour.
Mme la douairière avait conservé les modes de 1815, et poudrait ses cheveux pour recevoir M. le chevalier; si M. le chevalier s'était présenté sans avoir coiffé son lampion, sans avoir endossé son ample habit gris de souris, sans avoir chaussé ses bas chinés et ses souliers bouclés d'argent, on lui eut fermé la porte au nez.
Au physique comme au moral, c'étaient deux antiquités précieuses, deux figurines pittoresques en vieil or ou vieil ivoire, deux vignettes ayant conservé dans leur langage, dans leurs mœurs et dans leur costume quelque chose de la mignardise adorablement surannée d'une vielle estampe.
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A midi, mademoiselle passa dans son salon jaune; elle s'assit dans son fauteuil à pieds de biche; la gouvernante s'assit en face d'elle. Mademoiselle lut à voix haute un sonnet que le chevalier avait apporté la veille; elle y était comparée à une fleur toujours jeune, "fleuronnant jusqu'en l'hyver", et attendant patiemment pour "laisser cheoir ses beautez", d'avoir été cueillie par la main d'un heureux chevalier: cela lui fit hausser les épaules; la gouvernante ne comprit goutte aux métaphores, admira le papier cuisse de nymphe, et trouva le tout excellent.
Tout à coup, une heure sonna: la pendule à musique se mit à jouer vingt mesures cristallines d'un menuet; un coup de sonnette argentin, dru et net, éclata dans l'antichambre: toute la maison frémit, et les deux fauteuils à pieds de biche sursautèrent.
M. le chevalier parut. Il mit son lampion sous son bras; il inclina son torse grêle; de la main droite, il offrit une prise à mademoiselle, et il lui présenta un rondeau de la main gauche.
- Bonjour ma petite Mélisette!
C'était le petit nom de mademoiselle, et M. le chevalier l'appelait ainsi dans l'intimité. Mélisette accepta la prise, refusa le rondeau, et on l'appela cruelle. C'était la même comédie tous les jours. Mais, ce jour-là, M. le chevalier fut particulièrement désespéré: son poème était une demande en mariage en bonnes formes; il avait mis tout son courage à l'oser faire, toute sa littérature à la tourner, tout son cœur à la rendre irrésistible, et son plus bel habit pour l'apporter. - Et que lui arrivait-il en récompense d'une flamme si belle? - Mélisette lui faisait une querelle, lui refusait sa main, et lui demandait son bras, pour aller jusqu'à la chapelle des Carmélites: ô Voltaire!
Bien qu'enragé esprit fort, M. le chevalier ne manquait jamais d'entrer dans la chapelle avec Mélisette, qu'il aimait beaucoup plus qu'il ne haïssait les canons. Mais cette fois, il refusa d'entrer par représailles, et il alla l'attendre, en face, chez le bouquiniste qui, par extraordinaire, n'était point un âne.
- Vous êtes libre de vous damner! dit mademoiselle, qui entra seule dans la chapelle.
M. le chevalier avait les nerfs dans un état!...
A genoux sur son prie-Dieu rembourré, Mlle des Rosettes commença ses dévotions. Ses prières dites, elle s'assit et se mit à lire dans son gros livre couvert de drap noir.
Alors, une à une, silencieuses comme des ombres qui tiendraient chapitre, les carmélites apparurent tout au fond du chœur, derrière les grilles noires. Bientôt elles commencèrent à chanter l'office du soir. Leurs cantiques disaient la passion toujours égale, la journée toujours calme, la vie toujours unie.
Le bercement de ces chants lointains, le charme recueilli du lieu, le jour discret qui tombait des vitraux sombres, l'odeur suave de l'air, tout cela fit que mademoiselle oublia peu à peu le chevalier, son poème, sa déclaration, sa flamme, sa demande en mariage, ses bas chinés, ses souliers cirés à l’œuf, et même le sourire mignard de sa petite figure aimable de vieux.
Mais le diable n'est jamais loin: Mme la douairière sentit ses paupières s'alourdir; elle fut prise d'un sommeil invincible; et, quand elle fut endormie, le diable en profita pour lui envoyer un songe terriblement profane, surtout pour une fille qui était vieille, dévote et douairière...
La chapelle est tendue de draperies rouges. Au dehors les roulements de plus de vingt carrosses se font entendre, des chevaux piaffent, des portières s'ouvrent et se ferment avec fracas; des suisses s'empressent, la porte s'ouvre, une noce entre. Quelle jolie noce!
C'est la noce de Mélisette et de M. le chevalier. Mélisette n'a plus ses mitaines noires ni son bonnet violet; elle a dix-huit ans, une robe de satin blanc, et elle ressemble à un archange. Le chevalier n'a plus ses bas chinés, ni ses maigres jambes de coq: il a des mollets ronds, des bas de soie, un frac superbe, et il a l'air d'un petit marquis, d'un Léandre, d'un prince charmant. Une foule considérable de belles dames fièrement accoutrées de fanfioles aériennes, et de beaux seigneurs poudrés à frimas et armés de fluettes épées, forment un cortège imposant. Tout ce monde prend place dans le chœur, qui est splendidement éclairé par deux cents cierges haut de six pieds. Un gros prélat commence la cérémonie.
M. le chevalier, à genoux à côté de la mariée, lui fait tout bas des compliments derrière son livre de messe, et il n'écoute pas un mot de l'office. Mme la douairière qui rêve toujours, le reconnaît bien là: ô Voltaire! Tous les portraits accrochés dans le petit salon sont présents à la cérémonie, mais bien vivants: Mélisette est si radieuse, que les ancêtres en pleurent d'attendrissement.
La cérémonie est finie: tout le monde s'assied sur un nuage de poudre. M. le prélat prend la parole
- Quelle jolie main! disent les femmes avant qu'il ait parlé; et dès qu'il a parlé, les femmes disent:
- Dieu! Quelle belle âme!
Tout le monde est ému, des larmes coulent, on se mouche discrètement.
- ... Puissiez-vous être heureux, mes chers enfants, dans cette vallée de larmes, dit le prélat, et que Dieu vous bénisse!... 
Mais quelle singulière coïncidence: précisément dans le moment que le prélat prononce "que Dieu vous bénisse", voilà que toute la noce, qui est très attendrie, se met à éternuer avec fracas! L'incident est remarqué, quelques-uns ont des distractions, le prélat se pince les lèvres, des sceptiques font des bons mots.
M. le prélat continue: "... Sursum corda! Oui, haut les cœurs: c'est à dire songez à vous élever au-dessus de vous mêmes, et au-dessus de vos joies terrestres! Faites comme ces deux âmes séparées, qui, tous les soirs, à la même heure, fixaient la même étoile: ainsi leurs regards se rencontraient en haut des cieux... que votre étoile soit Dieu, et qu'en récompense, il vous bén..." Pan! voilà encore toute l'assistance qui éternue. Ça devenait un peu fort, personne n'y tint plus; ce fut un fou rire indescriptible.
Les enfants de chœur se tordaient sur les marches du maître-autel; le bedeau tenait sa bedaine à pleine mains; le rire éclatait sous les corsages, secouait les vertugadins et les jabots. Les images des vitraux avaient grand peine à tenir leur sérieux. Il n'y avait que sainte Catherine qui n'avait pas l'air content. Saint Joseph aussi riait jaune. Mme la douairière, endormie, riait son rêve, à ce mariage célébré sous de si heureux auspices, au chevalier si pimpant, et à elle-même, si adorablement jolie.
Cependant, M. le prélat abrégeait et l'homélie touchait à sa fin: " Benedictat vos omnipotens Deus!" dit-il... Pour le coup, un éternuement intense, si formidable, si sonore retentit que Mme la douairière se réveilla en sursaut.
En ouvrant les yeux, elle vit près d'elle M. le chevalier, qui se bourrait le nez de tabac d'Espagne. Ayant perdu patience chez le bouquiniste, il était entré dans la chapelle, avait trouvé Mélisette endormie, s'était assis près d'elle, avait prisé pour tuer le temps, et avait éternué en conséquence.
Ils sortirent de la chapelle. M. le chevalier demanda à mademoiselle pourquoi elle rêvait si fort en dormant; Mélisette lui conta son rêve; le chevalier lui confessa qu'il avait éternué trois fois: tous deux s'égayèrent doucement de l'aventure.
Mais le rêve de la chapelle, cette noce si radieuse et si heureuse, avait fait une grande impression sur l'esprit de Mélisette. En rentrant au logis, elle accepta le rondeau, après s'être fait prier, comme il convenait: ces deux vieillards s'embrassèrent.
Ils vécurent si longtemps qu'ils virent leur noce d'or. Et ils furent très heureux, car ils n'eurent point d'enfants.

                                                                                                                       Ch. Jacob.

La Vie populaire, jeudi 7 mai 1885.

* Nota de Célestin Mira:

* Bouquet à Chloris: poème galant, petite pièce de vers galante.

* Café Procope:

Le café Procope est le plus ancien café de France (1686) et peut-être du monde.
Il fut fermé en 1890.

jeudi 28 novembre 2019

Un mariage du grand monde.

Un mariage du grand monde.

- Edgard de Sivry!
- Nelly Beauchêne!
Cela se passait à Saint-Philippe du Roule en 1872*.
Il y avait donc foule dans l'église et jusque sous le portique du monument. Un somptueux équipage était placé devant la porte principale, tandis que des voitures sur plusieurs files stationnaient aux abords. Des cochers, des valets de pied étaient en pompeuse livrée, et portaient, selon l'usage importé d'Angleterre, des bouquets à leurs boutonnières.
Tous les auxiliaires de la cérémonie avaient un air de fête.
La messe finie, la plupart de ceux qui y avaient assisté sortaient de l'église pour regagner leurs voitures.
On cherchait la mariée des yeux.
C'était une jeune fille charmante, d'une taille régulière, d'une physionomie élevée et douce; ses pas étaient fermes et légers. Un mouvement de sympathie circulait dans la foule pendant le chemin qu'elle parcourait pour se rendre à sa voiture, dont les panneaux portaient un écusson connu dans le nobiliaire de France.
Quant à celui qui devenait son mari, c'était un jeune homme de grande distinction, élancé, svelte, mis avec une sévérité et une élégance modèle de bon goût. Sur son visage comme dans son maintien, se révélait une haute naissance. Le caractère de ses traits étaient la franchise et la dignité, qui se manifestaient toutefois sous une teinte très accusée de tristesse et de mélancolie.
- Voilà un bien beau couple! disait-on de tous côtés dans la foule.
En quelques instants, les voitures s'emplirent l'une après l'autre. Les mariés montèrent à leur tour dans leur équipage. Un grand valet plie le marchepied, ferme la portière, donne l'ordre au cocher. Ce dernier fouette ses chevaux. On part. Tout disparaît comme dans un rêve.
- En voilà deux qui ont tout ce qu'il faut pour être heureux, disait une voix.
- Ne vous pressez donc pas tant de parler, reprit un autre. Au contraire, ça me fait l'effet d'un de ces mariages sur l'avenir desquels il ne serait pas sage de compter.
Paris n'est plus bâti que de maisons de verre. Le premier venu sait sur le bout du doigt ce qui se passe chez autrui. Celui qui venait de parler, simple curieux, perdu dans la foule, raconta donc, en véritable initié, que ce mariage avait été contracté sous une espèce de pression.
Sans doute Edgard de Sivry appartient à une haute famille, mais son père passait pour avoir perdu une partie de sa fortune. C'était sur son instante prière que le jeune homme avait dû cesser d'être garçon.
La mariée était fille d'un riche banquier et, pour être comtesse, elle reconnaissait par un article du contrat que son mari lui apportait 500.000 francs dont elle n'avait pas même vu l'ombre. Mais qu'importait une affaire d'argent pour une jeune fille, riche et bien née, qui ne demandait qu'à vivre par le cœur?
Le narrateur faisait donc remarquer que c'était une union sans amour. Il ajoutait qu'il n'avait échappé à l'attention de personne que, pendant la bénédiction nuptiale, le marié avait été d'une certaine pâleur. Sa voix s'était à peine fait entendre quand il avait dû prononcer le oui solennel.
- Autre circonstance, poursuivit-il: le matin, tout le monde était réuni dans la maison de la fiancée, il s'est fait beaucoup attendre et sans qu'aucune bonne raison pût justifier ce retard.
Le surlendemain, les deux causeurs se rencontrèrent par hasard, au café de la Régence, dans la salle où l'on joue aux échecs*.
- Eh bien, que vous avais-je dit? reprit l'indiscret. Le fameux mariage d'avant-hier est déjà rompu. Il y a eu déchirement, tempête, scandale. Chacun commente l'événement à sa guise. Voici la version la plus accréditée. Je la tiens de bonne source et vous en garantis l'exactitude.
- Dites donc, alors.
- Il paraîtrait que, le matin même de son mariage, Edgard de Sivry, au moment de sortir de chez lui, reçut une lettre dont il dut prendre immédiatement connaissance.
- Ah! la lettre anonyme qui arrive à l'heure de tous les mariages?
- Non, celle-là était signée. L'écriture était d'une femme: 

Edgard, puisque le bonheur de votre père l'exige, il faut bien que je consente à cette union, mais, vous le savez, ce sera à condition de me trouver toujours auprès de vous, que vous le veuillez ou non. Ce soir je serai chez vous, auprès de votre femme.

                                                                                                                     Anna Luce.

Post-Scriptum: - Si vous me rejetez, je me tuerai sous vos yeux.

- Diable! voilà un drame qui se corse.
Après la sortie de l'église, les deux jeunes gens étaient rentrés dans leur hôtel. Pendant tout le reste du jour, on observa que la tristesse du mari s'était accrue; il était préoccupé. Sa femme était trop timide, trop peu familière avec lui pour prendre l'initiative d'un entretien où son cœur eût voulu trouver à dissiper ses inquiétudes. Plusieurs fois, de son côté, le jeune homme avait fait une tentative pour parler; mais chaque fois son courage avait faibli, il pensa que tout explication verbale lui était impossible et se résolut d'écrire.
- Nelly, permettez-moi de m'absenter vingt minutes, après quoi je vous rejoindrai.
- Allez, mon ami.
A peine s'était-il retiré dans un cabinet qu'on vint annoncer à la jeune mariée que sa femme de chambre, malade, était hors d'état de remplir ses devoirs, elle se faisait remplacer par une de ses parentes auprès de sa maîtresse. Il faut ajouter que la famille avait demandé qu'aucune fête ne solennisât ce grand jour. Aussi, pour se conformer à son désir, les rares invités avaient quitté l'hôtel de bonne heure.
Deux heures sonnaient quand le mari reparut aux yeux de sa femme; il était dans un état de fièvre d'une personne qui a pris une résolution désespérée.
Tous ses gens avaient été congédiés, la nouvelle femme de chambre errait seule dans le vaste hôtel.
- Vous êtes indisposé, monsieur? dit la jeune femme d'une voix émue et en prenant la main de son mari.
- Non, madame, je ne suis pas indisposé, mais... mais j'ai un pénible secret à vous communiquer; peut-être aurais-je dû le faire plus tôt.
A ces mots, il tire une lettre de sa poche.
- Attendez que je me retire, ajouta-t-il, en voyant le mouvement qu'elle faisait pour la décacheter, lisez et pardonnez-moi.
En ce moment, la nouvelle femme de chambre entra inopinément sous le prétexte d'offrir des services à sa maîtresse. Déconcertée par sa présence, la jeune femme la renvoya aussitôt pour rester seule face à l'énigme étrange qui se posait devant elle en la glaçant d'effroi.
Elle s'assit troublée et incertaine. Enfin elle se décide, brise le cachet et reste anéantie. Son mari lui apprenait que son cœur n'était pas libre; une autre qu'elle avait acquis sur lui un empire absolu et fatal; et tant que cette passion vivrait, il croyait devoir séparer sa vie de la sienne.
Il est des choses qu'on ne voit pas du premier coup et qui vous apparaissent plus tard.
Après avoir lu la lettre si inattendue, Nelly Beauchêne se dit:
- Mais cette fille qui me sert, qu'est-elle donc? est-ce que ce ne serait pas...?
Cette créature, en effet, n'était autre que Mme Anna Luce, une jeune veuve, de la rue de Verneuil. Animée d'une passion violente, désespérée, folle, elle était parvenue à gagner la femme de chambre de la nouvelle mariée, dont la maladie n'était que feinte et c'était elle qui l'avait remplacée, le jour même du mariage.
Tout ce pot-aux-roses ayant été découvert, Nelly se fit reconduire chez ses parents, dès le jour même, ne voulant plus revoir Edgard de sa vie.
C'est une des cinq cent mille femmes qui demandaient à cor et à cri que M. Alfred Naquet* triomphât dans la campagne entreprise par lui pour le rétablissement du divorce.
Et à présent que M. Alfred Naquet a triomphé, il va y avoir divorce.

                                                                                                                 Philibert Audebrand.

La Vie populaire, jeudi 30 avtil 1885.

* Nota de Célestin Mira:

* Eglise de Saint-Philippe du Roule:



* Café de la Régence:

Café de la Régence. Salle des échecs, 1873.


* Alfred Naquet: 

Caricature d'Alfred Naquet.
Alfred Naquet est l'auteur de la loi sur le divorce juridique de 1884,
loi, initialement promue en 1792, puis supprimée par la suite.

mercredi 27 novembre 2019

La cure du mal d'amour.

La cure du mal d'amour.


Dans une ville d'Italie, (supposons que ce soit Florence), vivait jadis, au temps des Contes de Boccace, un jeune homme que nous appellerons Ottavio, si toutefois aucune de nos lectrices n'a d'antipathie pour ce nom. Ottavio, donc, était certainement le plus candide adolescent de toute la Péninsule. Son père avait été ce qu'on appelle un vert-galant. Ses bonnes fortunes lui avaient maintes fois causé des regrets fort cuisants. Le digne homme, désireux d'éviter à son fils des mésaventures semblables, l'éleva dans une complète ignorance de la dualité des sexes.
Aussi, lorsqu'à la mort de ce père trop rigoriste, Ottavio se trouva maître de ses destins, il était plus naïf qu'Adam avant la pomme. En bon chrétien, il savait sur le bout du doigt son catéchisme; mais le neuvième commandement était toujours demeuré lettre close. Il croyait, de bonne foi, qu'on ramasse les enfants de notre extraction sous des roses, et ceux du commun sous des choux.
Point de raison pour que cette candeur invraisemblable fût jamais désabusée: Ottavio, pour obéir aux dernières recommandations de son père, aussi pour suivre sa pente naturelle, se confinait dans la plus absolue retraite, relisant les auteurs classiques, dans des éditions soigneusement expurgées, ou étudiant la musique, art éminemment moral. On aurait donc pu supposer qu'il ne dépouillerait jamais sa robe d'innocence. Mais ce n'est pas en vain que nous possédons des sens et un cœur; en dépit de tous les obstacles, il faut qu'un jour nos sens brûlent de désirs passionnés, que notre cœur batte amoureusement. C'est une éternelle, une immuable loi. Si, par pruderie ou ignorance, on la transgresse, on ne tarde pas à ressentir les fâcheux effets de cette désobéissance aux volontés de la nature.
C'est ce qui arriva justement à l'ingénu Ottavio. Il jouissait d'une fortune considérable. Il pouvait donc mener, à sa guise, une existence au moins confortable, satisfaire ses plus légers caprices et prendre part à toutes les joies de ce monde, excepté une. Néanmoins, environ six mois après la mort de son vénérable père, il commença à s'ennuyer profondément. Il devint, sans savoir pourquoi mélancolique. L'étude, la lecture, les promenades cessèrent de l'intéresser. Il croyait avoir épuisé tous les plaisirs, tous le laissaient indifférent. La musique elle-même, qu'autrefois il appréciait en vrai dilettante, ne parlait plus à son esprit morose. C'est à peine s'il était attentif à l'audition de quelques mélopées funèbres, lamentables, bonnes à porter le diable en terre: elles traduisaient l'état de son âme, et il bâillait à l'unisson.
Peu à peu, cette torpeur se changea en une agitation nerveuse. Le pauvre Ottavio n'eut plus un moment de tranquillité. Il éprouvait à toute heure un malaise indéfinissable; il souffrait de violentes douleurs de tête; une fièvre ardente faisait bouillir son sang dans ses veines; enfin, l'insomnie le tourmentait pour ainsi dire sans relâche. Si, par hasard, après s'être retourné de tous les côtés sur sa couche, il parvenait à s'assoupir, des cauchemars, peuplés de créatures aux formes étranges, aux singulières postures, venaient troubler son court sommeil et le réveillaient en sursaut.
Il se crut atteint d'une grave maladie. Ne pouvant en découvrir la cause ni le remède, il jugea prudent de consulter un médecin. le seul médecin capable de le guérir eût été un docteur en jupons; il en aurait trouvé cent pour un, car il n'était point malplaisant. Il avait un visage ovale, encadré de cheveux noirs, légèrement bouclés, des traits réguliers et fins, une taille élancée, des mains blanches et de petits pieds. Sa simplicité lui donnait peut-être l'air d'une fille, mais il est de fort belles femmes qui ne haïssent point cet air-là.
Malheureusement pour lui, Ottavio ne pouvait deviner quel traitement, tout spécial, convenait à sa maladie. Il s'enquit d'un médecin véritable; on lui indiqua le docteur Pancratio Pancratiani, dont on vantait l'habileté dans tous les quartiers de Florence, que parfois, même, on venait consulter des villages voisins.
Ce docteur était un petit vieillard, d'au moins septante années, et qui ne payait point de mine, avec sa face ridée, grimaçante, simiesque, ses maigres bras aux gestes de marionnette, son corps rond comme un muid et ses jambes grêles. En revanche, il possédait une prodigieuse érudition. Son diagnostic était infaillible, la thérapeutique n'avait point de secrets pour lui. Il avait opéré des cures vraiment miraculeuses. Au reste, il était lui-même la vivante preuve de son mérite, puisque, menacé depuis sa plus tendre enfance de voir tôt finir ses jours par une attaque d'apoplexie, comme l'attestaient son cou court et sa figure haute en couleurs, il était parvenu à une vieillesse avancée, à force de soins et de médicaments. C'était miracle qu'il vécût, et ce miracle, il en était l'auteur.
N'allez pas vous imaginer que l'illustre Pancratiani fût exempt de défauts. Loin de là. D'abord, il avait, comme on dit, une langue de vipère. nul n'était à l'abri de sa malignité.
Il aimait tant à exercer sa verve aux dépens d'autrui, que toute sa clientèle l'eût depuis longtemps abandonné, sans sa profonde habilité. Mais, s'il vilipendait ses malades, il les guérissait, compensation.
Autre vice, encore plus condamnable, l'homme étais jaloux. Par une lubie inexpliquée, il avait pris femme, récemment. Pensant qu'une jeune fille sans famille et chrétiennement élevée offrait à un vieil époux plus de garanties que tout autre, il avait fait choix d'une orpheline qu'il était allé chercher dans un couvent. Disons-le à sa louange: il n'eût pu prendre une femme plus charmante que Mlle Panfila. Elle avait dix-huit ans à peine. C'était une adorable créature, une de ces brunes au teint rose-thé, aux grands yeux de velours, aux languissants regards, pour lesquels on commettrait tous les forfaits imaginables avec une inaltérable sérénité. Mais Pancratio, sachant trop bien à quels accidents biscornus l'exposait la beauté de sa femme, la surveillait férocement; il ne l'avait tiré du couvent que pour la cloîtrer derechef; elle ne sortait jamais, la pauvre recluse, si ce n'était le dimanche, afin de se rendre à la messe; encore la servante du docteur l'accompagnait. Cependant Pancratio n'avait guère le droit d'agir ainsi, car en vertu de son grand âge et des précautions hygiéniques que lui imposait son tempérament apoplectique, il condamnait Mme Panfila à subir les ennuis du mariage sans en connaître les agréments, ce qui est souverainement injuste. La malheureuse souffrait cruellement de sa position; en dépit, ou peut-être à cause, de son éducation conventuelle, elle n'avait pas l'extrême candeur d'Ottavio; par conséquent, elle n'ignorait point que bien des joies lui étaient refusées. Cette idée l'attristait.
Depuis son union platonique avec le docteur, ses traits s'étaient pâlis, et une mince virgule violette soulignait, quelquefois, ses yeux profonds et doux.
Revenons à Ottavio. Ce fut donc chez Pancratio Pancratiani qu'un beau jour il se présenta, pour lui exposer sa maladie et lui en demander le remède. Le médecin l'écouta fort attentivement, et, comme bien on pense, il n'eut pas grand'peine à deviner la nature du mal en question. Il interrogea lui-même son nouveau client, et d'après les réponses d'Ottavio, il comprit sur le champ à quel cocquebin* il avait affaire. Cette découverte combla de joie le caustique docteur. il remit au jeune homme une fiole pleine d'eau pure (que par parenthèse il lui vendit fort cher), et le congédia en lui recommandant d'avaler chaque matin une cuillerée de ce breuvage inoffensif. Aussitôt le malade parti, il prit sa canne et son chapeau, et courut narrer à ses amis et connaissances cette consultation étrange, qu'il enjoliva de quelques détails très comiques.
Naturellement, tout ceux qui apprirent l'anecdote s'empressèrent de la colporter, en brodant à leur tour; si bien qu'en peu de jours, Florence entière était au courant du singulier cas d'Ottavio. Je vous laisse à penser si l'on en fit des gorges chaudes. Le malheureux garçon devint la fable de toute la ville.
Pourtant, dans ce concert de railleries, une personne éleva la voix pour défendre Ottavio: ce fut madame Panfila. Était-ce une vague conformité d'infortune qui lui inspirait de la pitié, et même de la sympathie pour le triste jeune homme? Je ne sais pas. Toujours est-il qu'un soir, comme le docteur Pancratio racontait pour la centième fois à de vieux amis qu'il traitait, la grotesque histoire de son malade, au milieu des éclats de rire de l'assemblée, madame Panfila prit timidement la parole, pour remontrer qu'il n'était point charitable de se gabeler ainsi du prochain et qu'en somme, Ottavio était à plaindre, non à blâmer. Ce disant, elle soupira. Pancratio la foudroya du regard, et lui imposa silence en raillant sa tendresse pour un tel niais.
Cependant, Ottavio, sans se douter le moins du monde de la célébrité fâcheuse dont il jouissait, avait consciencieusement mis à exécution l'ordonnance de Pancratiani. Nous ne surprendrons personne en disant que le remède n'opéra point. Au contraire, le malaise du jeune homme augmenta de jour en jour. L'infortuné ne pouvait plus tenir en place. Il passait ses nuits à se promener dans sa chambre, de long en large, sous l'empire d'une surexcitation fébrile.
On était alors au printemps, et, tandis que les vents alourdis par de mystérieux effluves, semblaient saturés d'une sorte d'électricité passionnelle, des entrailles de la grande terre féconde, de chaudes vapeurs s'élevaient, portant dans les cerveaux humains et les inextinguibles désirs et les ivresses voluptueuses.
- Vraiment, je ne saurai vivre davantage dans cet état morbide, se dit un matin Ottavio. La peste du Pancratio et de sa drogue inefficace! Qui sait? Je me suis mal expliqué, peut-être. Il faut que je retourne chez ce médecin et qu'il me délivre à tout prix d'une souffrance intolérable.
Il se rendit donc de nouveau chez Pancratio. Mais depuis qu'il avait vu Ottavio, le docteur sortait fréquemment cherchant des auditeurs à qui faire le récit de la fameuse consultation: Ottavio ne le trouva point. La servante, voyant son désappointement, lui dit, qu'il pouvait, s'il voulait, parler à Mme Panfila. Le naïf jouvenceau, s'imaginant que la femme d'un médecin devait posséder une partie de la science de son mari, accepta avec empressement; une seconde après, il était introduit dans la chambre de Panfila; chambre assurément peu digne de sa propriétaire, car son principal ornement consistait en un portrait en pied du docteur; mais imprégnée de cet exquis "parfum de femme" qui trouble les sens et qui pénètre jusqu'à l'âme.
Pancratio avait défendu mille fois qu'on reçût chez lui en son absence; mais comme le matin même, il avait querellé véhémentement sa servante et sa femme, ni l'une ni l'autre ne s'était fait scrupule d'enfreindre la consigne. Mme Panfila se réjouit presque de cette désobéissance, quand elle vit que le ciel lui avait envoyé un visiteur jeune et bien tourné. Elle le pria fort honnêtement de s'asseoir, lui demanda quel motif l'amenait. Ottavio se mit à lui conter bonnement son affaire. Dès les premiers mots, Panfila reconnut le héros dont on l'entretenait depuis quelques jours. Charmée de sa bonne mine, et profondément indignée de la façon dont Pancratio avait berné l'adolescent, elle résolut de l'éclairer et de lui inculquer des idées plus saines.
- Vous m'intéressez grandement, lui dit-elle. Considérez-moi comme une amie. Mettez-vous là, près de moi, et m'écoutez attentivement. Mon mari, je le vois, n'entend rien à votre maladie; mais je puis, moi, vous indiquer un moyen prompt de vous guérir.
Elle s'assit auprès d'Ottavio, qui était tout oreilles; elle lui prit doucement la main (ce qui déconcerta le jeune homme, sans qu'il pût comprendre pourquoi), et s'efforça, parlant d'une voix câline, de lui ouvrir des horizons nouveaux. Mais qu'il est difficile en ces sortes d'explications, de ne pas joindre l'exemple aux préceptes! Remarquez, je vous prie, que Panfila portait le déshabillé le plus galant du monde; qu'elle et Ottavio étaient tous les deux jeunes, charmants; que l'une et l'autre, celui-ci par ignorance, celle-là par la barbarie d'un époux caduc, étaient privés de joie et d'amour; et dites, si vous les jugez pendables, parce qu'insensiblement ils se rapprochèrent beaucoup, si bien qu'enfin, leurs lèvres se touchèrent...
D'ailleurs, je ne sais pas au juste ce qui se passa dans ce bienheureux tête-à-tête en présence du portrait de Pancratio Pancratiani; mais lorsqu'Ottavio sortit, il avait l'air de respirer plus librement, comme un homme qui a un poids de moins sur la poitrine; ses joues étaient un peu rouges, et ses yeux brillaient extraordinairement.
Il n'avait pas fait dix pas dans la rue qu'il rencontra Pancratio accompagné de plusieurs personnes, qui, toutes à la vue d'Ottavio, esquissèrent de narquois sourires.
- Eh! jeune homme, d'où venez-vous? demanda le malicieux docteur.
- De chez vous! répliqua bravement Ottavio. Savez-vous que vous avez usurpé votre réputation, signor Pancratiani? Vos malades devraient tous consulter votre femme, et non vous. vous n'avez rien compris à mon mal, tandis qu'elle m'en a sur l'heure enseigné le remède!
A ces mots et au bruit de petits rires étouffés, qui, cette fois n'étaient pas à l'adresse d'Ottavio, Pancratiani entrevit la vérité affreuse:
- Malédiction! clama-t-il.
Et, pourpre de rage, au lieu de se maîtriser selon les sages préceptes d'Hippocrate, le médecin penaud, nigaud, quinaud, courut chez lui en quatre sauts pour arracher des aveux à la coupable Panfila. Celle-ci n'ayant répondu que pas des cavillations à son furibond interrogatoire, la colère du petit homme se changea en une épouvantable exaspération qui détermina l'attaque d'apoplexie foudroyante, si longtemps conjuré. Il en creva.
Six mois après, Ottavio épousait sa veuve, très consolable; et point n'est besoin d'ajouter, étant données leurs dispositions heureuses, que les nouveaux époux eurent beaucoup d'enfants.

                                                                                                                    Louis de Gramont.

La Vie populaire, jeudi 2 avril 1885.

* Nota de Célestin Mira:

* Cocquebin ou coquebin: jeune homme niais. Voir "Le Dangier d'estre trop cocquebin" dans les Contres drolatiques, d'Honoré de Balzac. 
Extrait:

... — Ie vouldroys bien, repartit le marié, me bouter dedans vostre lict, sans trop vous gehenner.
— Ie vous feray place voulentiers, pour ce que ie doibs vous estre soumise.
— Hé bien, feit-il, ne me resguardez point. Ie vais me despouiller et venir.
A ceste vertueuse parole, la damoiselle se tourne vers la ruelle, en grant expectative, veu que ce estoyt bien la prime foys que elle alloyt se treuver séparée d’ung homme par les confins d’une chemise seulement. Puis vint le cocquebin, se glissa dedans le lict, et, par ainsy, se treuvèrent unis de faict, mais bien loing de la chouse que vous sçavez. Vites-vous iamais cinge advenu de son pays d’oultre-mer auquel pour la prime foys est baillée noix grollière ? Cettuy cinge, sçaichant, par haulte imagination cingesque, combien est délicieuse la victuaille cachée soubs ce brou, flaire et se tortille en mille cingeries, disant ie ne sçays quoy entre ses badigoinces. Hé ! de quelle affection l’estudie ; de quelle estude l’examine ; en lequel examen la tient, puis la tabutte, la roule, la sacqueboute de cholère, et souvent, quand ce est ung cinge de petite extraction et intelligence, laisse la noix ! Autant en feit le paouvre cocquebin, lequel, devers le iour, feut contrainct d’advouer à sa chiere femme que, ne saichant comment faire son office, ni quel estoyt le dict office, ni où se déduysoyt l’office, besoing luy estoyt de s’enquérir de ce, d’avoir ayde et secours.

— Oui, feit-elle, veu que par malheur ie ne vous l’enseigneray point...

mardi 26 novembre 2019

Ceux de qui on parle

Pierre 1er de Serbie.

Le roi Pierre 1er de Serbie est monté sur le trône d'une façon peu idyllique, puisque un double assassinat fut nécessaire afin de rendre vacante la place qu'il convoitait. Il n'a peut être pas conseillé ce meurtre, mais il l'a approuvé et sans doute béni en acceptant la couronne que lui offraient les conjurés.
Si quelqu'un se présentait à vous, en vous disant: "J'ai tué votre propriétaire pour toucher ses loyers, veuillez être assez aimable pour me payer le vôtre", vous confieriez à deux gendarmes l'auteur de cette proposition. Le droit des gens a des principes tout autres.




L'Europe apprit avec stupeur, au mois de juin 1903, l'exécution sanglante d'Alexandre et de sa femme Draga, mais les Gouvernements ne s'entendirent pas pour mettre à l'index un Gouvernement établi par des procédés aussi peu diplomatiques. La France, qui avait autrefois la réputation d'un pays chevaleresque, pure affaire de comparaison,  n'osa pas faire grise mine à l'usurpateur, pour ne pas mécontenter ses amis les Russes, ou plutôt le tsar Nicolas, ce qui est très différent, car des événements qui ont fait assez de bruit ont montré que la Gouvernement russe n'avait pas non plus toutes les sympathies de la nation.
Ce fut l'Angleterre, qui l'eût cru?, qui se montra la plus choquée de ce coup d'Etat, et elle a refusé d'accréditer un représentant en Serbie tant que les officiers qui en furent les auteurs n'auraient pas été disgraciés. On comçoit quel est l'embarras de Pierre 1er, forcé de choisir entre le mépris de l'Angleterre ou la haine des assassins de son prédécesseur, et les conséquences fâcheuses que cette haine pourrait avoir pour lui.
De quelques ménagements qu'il use entre les divers partis, Pierre 1er est à peu près certain de mourir de mort violente. Mais comme nous sommes tous mortels et qu'on ne peut assigner une date à la prochaine révolution serbe, ce roi n'est, en somme, pas beaucoup plus exposé que ne l'est chacun d'entre nous. Il est certain de ne pas mourir de privations ni d'un accident de Métropolitain et regagne ainsi les chances de longue vie que sa situation lui fait perdre.
Avant de s'asseoir sur un trône, Pierre 1er qui s'appelait alors Karageorgevitch, caracolait sous l'uniforme de notre légion étrangère.
Il a été élève de l'Ecole de Saint-Cyr et a fait campagne en Algérie. Pendant la guerre de 1870, il était chef de bataillon et fut nommé commandeur de la Légion d'honneur avec ce grade, qui est extrêmement rare, après la prise de la gare des Aubrays, près d'Orléans. Il a servi sous les ordres des généraux d'Aurelles de Paladines et Bourbaki. Il est naturalisé français: c'est probablement le seul souverain qui soit dans ce cas.
Pierre 1er, qui est veuf, avait épousé la fille aînée du prince de Montenegro, sœur de la reine d'Italie. Il a trois enfants: une fille, Hélène et deux garçons, Georges et Alexandre, élevés tous deux par les soins de l'empereur de Russie, leur parrain. Le premier a appris le métier militaire au régiment des "Cadets", l'autre a suivi les cours de la faculté de droit de Saint-Petersbourg.
J'ignore si celui-ci fera un magistrat digne de la vertueuse Serbie, mais l'héritier présomptif, le petit Gyoka, comme on l'appelle à Belgrade, est déjà un gentilhomme accompli qui met le trouble dans les ménages et a causé la démission du premier aide de camp du roi.

                                                                                                                            Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 juillet 1906.

lundi 25 novembre 2019

A propos du buste de Verlaine.

A propos du buste de Verlaine.


On vient d'inaugurer au Luxembourg, dans un endroit trop en vue et sur un socle bien malencontreux, qui rappelle, ô ironie!, le ventre pansu d'une bouteille d'absinthe, le buste de Verlaine, buste effrayant d'intensité.


Le monument de Verlaine
inauguré au Luxembourg le 28 mai 1911.

J'ai admiré le plâtre original, à Vevey, il y a une dizaine d'années: ce front bourrelé, ces yeux brûlants, cette mâchoire de bête faisaient le vide dans la petite salle: on ne voyait qu'eux et on reculait de peur. L'ombre dormante des marronniers atténuera-t-elle ce prodige ou plutôt une horreur crépusculaire ne hantera-t-elle pas le Maudit? L'ère des légendes est close. C'est heureux pour la bonne renommée de ce jardin, parfumé de tant de douceurs. En des temps plus imaginatifs, l'entrée d'un tel hôte y eût déchaîné on n'ose pressentir quelle fable nocturne de mort, de remords et de péché.
Mort, remords et péché, voilà ce qu'enserre la vie du lamentable Verlaine, et ce que révèle son buste ravagé par les passions. Il proclame encore autre chose, le génie qui l'accabla et qui fut une part de ses douleurs. Le beau vers de Lamartine sur la chute du dieu qui se souvient des cieux trouva une réalisation tragique chez cet homme dont l'art et dont la vie, troublés par tant d'orages, furent le théâtre de luttes ignominieuses livrées par l'ange à une horde de brutes.

Voix de l'orgueil: un cri puissant, comme d'un cor...
Voix de la haine: cloche en mer, fausse, assourdie...
Voix de la chair: un gros tapage fatigué.

Que de défaites pour peu de victoires! Mais à quoi bon insister sur ces misères? Tournons la tête: l'ange demeure, ange boueux, qui sanglote dans le ruisseau. Les plaintes qu'il élève vers le ciel sont les plus éperdues, les plus touchantes. Allons-nous tomber à genoux? Hélas!
Le contraste de cette gloire éclaboussée par cette boue pose un problème aussi vieux que l'humanité, et dont l'humanité ne s'effare que lorsqu'un grand exemple barre la route à son hypocrisie. La clé du mystère n'est pas bien loin: Verlaine fut homme, désespérément homme.
Abandonnons la biographie de ses pauvres chutes. Donneur de scandales, il ne faut pas que Verlaine continue à l'être après sa mort. Son héritage intellectuel, voilà tout ce qui nous intéresse, et il n'est pas superflu d'insister sur ce point. Perdant peu à peu contact avec la pensée originale, notre siècle convertit la littérature en une pathologie des écrivains, une chronique de leurs démêlés avec des libraires ou des créanciers. La critique se mue en commérages; elle délaisse les salons, s'enfonce dans les réduits secrets, hante les alcôves et les cuisines, pour revenir, les mains un peu sales, conter à tout venant ses indiscrétions pimentées sous l'auvent de la porte cochère. Si ce caractère s'accentue, elle sera demain une besogne d'aliénistes ou de valets de chambre.
Qu'il y aurait à penser pourtant de la poésie verlainienne, si rare, si neuve encore, si impressionnante, et qu'est-il besoin, pour y prendre intérêt, d'y flairer des senteurs d'hôpital ou de prison? Avec ses charmes minutieux, ses puérilités véhémentes, ses tendres subtilités, ses fraîcheurs, ses brûlures, elle tient chez nous une place immense qu'elle est presque seule à occuper. Villon et Gérard de Nerval exceptés, où lui trouverons-nous des correspondances? Il faut prêter l'oreille à ces mélodies populaires sans âge et sans auteur pour y goûter l'air qui nous émeut.
Elle sourd, en effet, cette poésie, des profondeurs les plus inattendues de l'âme française. Dédaignant tout le travail de surface patiemment accompli par les meilleurs ouvriers de la langue, faisant fi, semble-t-il de toutes les réquisitions de la grammaire et de la rhétorique, Verlaine parle un idiome personnel d'où la convention est exclue. Plus de syntaxe, chez lui, pour ainsi dire, plus même de ces honnêtes soutiens du style, où les génies les plus authentiques guindèrent leurs audaces, plus d'artifices, mais d'harmonieuses réalités. Disparus ces développements aux longs plis qui firent la fortune de quatre siècles littéraires, ces transitions à coulisses, ces comparaisons à facettes diligemment introduites et virevoltées sous tous les angles, ces formules à terreur qui ne terrorisent plus, ces épithètes à béquille où reposaient si bien les substantifs vermoulus, disparus tous ces échafaudages magnifiques dont chaque pièce avait été vérifiée et garantie par plusieurs générations d'écrivains, et qui semblaient devenus le lieu de parade exclusif de la pensée, mais la poésie pure, les joies essentielles, les simples douleurs, les sources même du regret et du désir, un souffle mouvant, un pré qui luit, le chaos des sensations fondamentales. Voilà ce que Verlaine exprima par des procédés inédits et instinctifs. Il ne conserva du patrimoine commun que les balbutiements initiaux, mais il leur donna une sourde force qui secoue l'être tout entier. Ce n'est plus un homme qui écrit, mais un homme qui souffre, qui pleure, qui se désespère, qui tend les bras. Que dis-je, c'est nous-mêmes qui souffrons et qui implorons avec lui, mieux encore, en lui. Derrière le voile de brumes dont il enveloppe l'âme et la nature, seules transparaissent, dans un halo qui les magnifie et les décuple, les choses originaires qui vibrent d'elles-mêmes en chacun de nous. Un mot lui suffit pour nous toucher, car ce mot est le plus poignant. De là, chez lui ces notations brèves et presque nonchalantes dont il épuise une matière complexe et en apparence infinie.
Ne nous y méprenons pas. Un art très considérable se dissimule sous cette négligence voulue. "Procédés" avons-nous dit, du faire de Verlaine: il y en a bien trois ou quatre: répétition, juxtaposition, suppression des détails intermédiaires, et surtout évocation. Il suggère, et c'est là son trait capital, plutôt que de décrire, laissant aux paisibles associations des idées la tâche filiale de meubler les fonds, de créer sous leurs doigts changeants le tissu délicat de la vie, de faire avec deux ou trois esquisses un ensemble riche, palpitant, généreux. De même que certains peintres aident la nuance à jaillir du heurt de deux tons contradictoires où elle est enclose, de même Verlaine subtilise à l'infini par la simple rencontre de sentiments élémentaires dont l'ajustement développe une atmosphère énigmatique de pressentiments et de souvenirs. L'esprit construit spontanément les arches qui manquent et jouit avec délices de l'activité cachée que l'artiste lui ménage. Et n'est-ce pas là, pour tout dire, l'attirance même du mystère, ce plaisir confus de savoir et d'ignorer, de relier sans certitude des lueurs éparses dans la sombre nuit en une voie lumineuse qu'on devine anxieusement?
Ce don du mystère, si rare chez notre race positive et raisonneuse, enthousiaste et sèche, Verlaine le posséda au suprême degré; à un point même qui fait tant de fois coïncider sa poésie avec la poésie tout court, telle que les modernes la conçoivent. Ses rythmes boiteux, féminins et comme suspendus, ses hardiesses de coupe et d'expressions, ses puérilités concertées, ses assonances intérieures au vers qui sonnent comme un écho affaibli, l'inattendu de ses rapprochements et de ses épithètes, la soudaineté piquante de ses prosaïsmes, tout cela donne à son oeuvre un caractère d'originalité qu'on égalera sans doute jamais, puisqu'à vouloir l'imiter sur ce point, on a sombré dans le charabia. Aussi bien n'est-ce là que le vêtement de son art. Que dire de l'âme invisible qui lui donne tout son prestige, cette fuyante mélancolie, cette douceur obscure, ces frissons même de la vie et de la mort dans un monde innommé de reflets et de chatoiements. Les termes manquent et l'on s'incline devant le génie.
Ce que nous venons d'essayer de caractériser-là, c'est le Verlaine-type. Autant que de son corps et de son âme, il a mésusé de ses dons intellectuels. Devons-nous faire allusion ici à ces pages éhontées, que je ne dirai pas un catholique, mais un homme de goût ne peut parcourir sans que le cœur lui lève? Hoquets d'ivrogne qui se vautre dans un vomissement. Verlaine n'est pas là, ne l'y cherchons pas. Découvrons-le ailleurs, là où il sied de nous réjouir de le rencontrer tout entier, je veux dire dans ce chef-d'oeuvre du lyrisme catholique au siècle passé, Sagesse, comme si le génie vraiment ne trouvait à se satisfaire qu'en Dieu

Sagesse humaine, ah! j'ai les yeux sur d'autres choses.

C'est la conversion totale de l'antique pécheur, la réprobation de ses fautes, ses élans vers le pardon. Personne n'a sérieusement nié le retour sur lui-même de Verlaine à cette époque et nul ne le pourrait faire en présence de cette voix du cœur par où le cœur chante si éperdument sa sincérité:

O mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour!
Et la blessure est encore vibrante:
O mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour.

Que de "bonne volonté" dans la Bonne Chanson:

Ecoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire;
Elle est discrète, elle est légère,
Un frisson d'eau sur de la mousse...
... Elle dit la voix reconnue
Que la bonté c'est notre vie,
Que de la haine et de l'envie
Rien ne reste, la mort venue.

A quoi bon citer ce que tous connaissent? Tout n'a-t-il pas été dit sur Sagesse, notamment sur ces étonnants sonnets qui débutent au numéro IV de la seconde partie, et ne vaut-il pas mieux se recréer à leur lecture que de tenter sur eux un impossible asservissement à je ne sais qu'elle brutale analyse? Des émotions qu'on aurait pu croire oubliées depuis le moyen âge, des douceurs de vitrail au fond d'une crypte romane bien solitaire, une efflorescence d'ingénuité, peut être incompréhensible sans l'appui de la grâce, tout cela fait de Sagesse, au milieu de l'oeuvre païenne de son auteur, un reliquaire très précieux dont il ne faut approcher que jalousement.
Et pourtant, et pourtant, qui le niera? Par moment, le cœur défaille sous trop de caresses. Émanées de ces plaintes trop suaves, de ces molles rêveries sans objet, de ces rares élégies dont aucune ne pousse à l'action, une langueur insensible terrasse l'esprit et l’annihile. Est-ce la contemplation qui opère et nous ravit au septième ciel? N'est-ce pas plutôt un génie mauvais, une guivre malsaine accrochée par les griffes aux dentelures de quelque chapiteau qui mêle son chant de mort au cantique de vie, pour en empoisonner la vertu? On ne sait, mais quand tout s'est tu, un malaise ténu subsiste au fond de l'âme, et Verlaine, portant la peine de son ambiguïté, ne peut prétendre pleinement, en dépit de ses intentions les plus excellentes, à cette pureté édificatrice sans quoi toute poésie catholique reste en partie caduque et sujette à examen.

                                                                                                                                   René Jan.

Le Mois littéraire et pittoresque, juillet-décembre 1911.


samedi 23 novembre 2019

Le "bras de saint Ernier"

Le "bras de saint Ernier"
   au mont Margantin.



Point culminant dans la ligne de hauteurs qui séparent le Maine de la Basse-Normandie, le mont Margantin élève au-dessus de l'horizon découpé son dôme bleu sombre. Des faubourgs de Mayenne, on l'aperçoit au Nord, lorsque le temps est clair; les baigneurs et les touristes, arrêtés dans l'ermitage mondain de Bagnoles, ne manquent pas de monter jusqu'aux clairières de la forêt d'Andaines, d'où l’œil embrasse toute la vallée de la Mayenne, entre le donjon de Lassay et le mont Margantin.
Des remparts de Domfront, le mont apparaît à quelques kilomètres, avec ses pentes couvertes de pâturages, ses bosquets de hêtres, la grisaille des bruyères et des mousses qui recouvrent les rocailles du sommet.
Chaque année, le Margantin devient un rendez-vous de fête et de pèlerinage. Fidèles et curieux y accourent de dix lieues à la ronde pour la célèbre procession du "bras de saint Ernier".
Abbé d'un couvent de moines prêcheurs au Ve siècle, saint Ernier a laissé dans la contrée qui entoure le mont Margantin le souvenir vivace de ses vertus et d'une charité inépuisable.
Chaque jour, dit la légende, il quittait son monastère quelques heures après minuit, et, par les sentiers cachés dans l'épaisseur des bois, il se rendait au faîte du mont Margantin. Là-haut, seul devant Dieu, il adressait ses prières pour les pauvres gens qui dormaient dans les chaumières au pied de la colline. Lorsque le soleil apparaissait au-dessus de la voûte sombre des chênes du bois d'Andaines, Ernier revenait au milieu des paysans, les prêchait et soulageait leurs misères.
Un été, alors que dans la plaine les blés mûrs tombaient sous la faucille des moissonneurs, saint Ernier rencontra une pauvre femme qui se lamentait. Le bon religieux s'enquit de sa détresse.
- Mon époux, répondit la pauvresse, est en proie à une fièvre maligne; il ne peut moissonner. Tous les blés autour de notre champ sont enjavelés et, pour la plupart, rentrés dans les granges. Notre champ seul porte encore ses épis, et tous les oiseaux du voisinage s'y abattent par voliers. Les épouvantails n'y font rien, le bruit même ne les dérange point. Pour peu que la maladie de mon mari continue, toute notre récolte sera perdue.
Alors, disent les vieillards en contant cette légende, le Saint fut bien embarrassé. Tous ses frères étaient partis en mission, il ne pouvait les envoyer dans le champ de la pauvresse. Certes, il eût pu quérir le paysan de sa fièvre par un miracle semblable à ceux qu'il avait opérés déjà; mais son humilité ne lui permettait pas de recourir à ce moyen. La détresse des gens n'était pas à ce point extrême qu'il fallût demander à Dieu des grâces extraordinaires. Le Saint se contenta donc de questionner.
- Les pinsons mangent-ils donc tant de grains de blé par jour?
- Non qu'ils en consomment beaucoup pour leur nourriture, répondit la femme; une poignée d'épis suffirait à l'entretien d'une centaine d'oiseaux; mais de leur bec et de leurs ailes, ils cassent les tiges qui tombent à terre, et pour un grain consommé, il en est cent qui sont perdus.
- Consentirez-vous, demanda Ernier à donner aux petits oiseaux du bon Dieu la nourriture qui leur est nécessaire?
- Oui, répondit la paysanne, pourvu qu'ils ne commettent point de dégâts inutiles.
- Soit, dit le Saint, conduisez-moi à votre grange.
La femme précéda Ernier jusque vers un bâtiment mal clos par des portes disjointes, dans les trous desquels on aurait pu passer un poing.
- Ouvrez les portes! commanda le thaumaturge.
La paysanne obéit.
Alors, dit la légende, Ernier s'avança au bord du champ où les oiseaux s'ébattaient en sautillant d'un épi sur l'autre, au grand dommage du blé qui se couchait à terre. Il étendit les bras et les appela de la voix. La troupe ailée se rassembla et il la dirigea vers la grange.
- Entrez tous et restez-y, commanda-t-il.
Après que les oiseaux eurent docilement observé l'ordre du Saint, Ernier referma les portes.
- Chaque matin, dit-il à la paysanne, vous apporterez à ces bestioles la part de nourriture à laquelle elles ont droit, et elles ne vous feront de tort jusqu'à ce que votre mari puisse tenir la faucille.
La paysanne fut ponctuelle à porter, les jours suivants, la pitance des oisillons. Aucun d'eux ne tenta de fuir par les trous de l'huis ou de s'envoler quand la femme entrait pour leur porter à manger.
Mais ils pépiaient tout le jour, et le mari se demandait quel était ce tapage.
- Ce sont, dit l'épouse, les moineaux et pinsonnets qu'Ernier a enfermés dans notre grange pour qu'il ne ravage pas notre champ.
L'homme admira le prodige; sentant l'espoir renaître, il cessa de se désoler sur la perte de son bien, et, du coup, la fièvre le quitta.
Le quatrième jour, il se leva et se permit quelques pas sur le seuil de sa demeure.
Il vit sa femme qui remplissait son tablier d'épis qu'elle égrenait à mesure.
- Que fais-tu là? demanda le laboureur;
- Je cueille la nourriture des oiseaux enfermés dans notre grange.
L'homme se fâcha, la traita de prodigue.
- Laisse-les donc jeûner un peu; ils n'en mourront pas; demain, nous enjavellerons le blé, ils auront les glanes.
La femme voulu protester, mais l'homme, qui se sentait fort, alla vers elle, détacha le tablier, prit le grain et le versa dans un sac...
A peine avait-il tiré les cordons qu'il entendit un grand bruit d'ailes.
Par les fentes de la porte de la grange, les oiseaux s'échappaient, retournaient à la liberté; ils prélevèrent eux-mêmes sur le champ de l'avare la nourriture qu'il leur refusait.
Ainsi, concluent les conteurs, ceux-là seuls profitent des bienfaits de la Providence ceux qui sont doux, justes et bons envers les petits.
Saint Ernier fit bien d'autres miracles; il dispensait la pluie et le soleil selon les besoins et les prières des cultivateurs.
Aujourd'hui encore, les laboureurs de la contrée invoquent saint Ernier pour obtenir le temps favorable à la germination des sarrasins et à l'engrangement des moissons.
Tel est le but de la procession qui se déploie le long des pentes du Margantin et attire à Céaucé plusieurs milliers de personnes.


Départ du cortège.

La procession du mont Margantin, la vénération des reliques du Saint sur un reposoir "édifié au sommet de la colline, la fête de la "Holine" est invariablement fixée au lundi de la Pentecôte.
Cette solennité unique dans la Normandie et le Maine, tient des "pardons" de Bretagne et des "frairies" du moyen âge.
La distance qui sépare l'église de Céaucé où sont conservées les reliques de saint Ernier du tertre culminant du Margantin est d'environ trois kilomètres, et la route suit une pente douce et continue.
Mais la procession prend un tout autre parcours. L'itinéraire en est fixé par une tradition immémoriale, et retrace, dit-on, le chemin qu'affectionnait le Saint dans ses courses apostoliques. Ce "grand détour" est d'environ quinze kilomètres et oblige à gravir le mont par le versant méridional qui est le plus escarpé.
Vénération de la relique à l'entrée du bourg de Loié.
Au premier plan, enfant de chœur chantant les gloires de saint Ernier.

Il nous a été donné d'assister deux fois à cette procession, à trente ans d'intervalle. Le rite en est resté le même, et en notre temps de scepticisme, les fidèles se retrouvent aussi nombreux qu'ils étaient au lendemain de la guerre et dans les année de disette ou d'épidémie qui suivirent l'invasion.
Dans la clarté des matinées de juin, les piétons se mettent en route. Par toutes les voies accédant à Céaucé, une foule interminable de carrioles, de voitures de fermes où s'entassent des familles entières, se dirigent vers l'église où l'on vénère le tombeau et les reliques du Saint.


Pèlerins se rendant à l'église en récitant leur chapelet.

Dans la coquette église neuve, à la flèche de granit blanc, le reliquaire n'est plus, comme autrefois, enfermé dans l'épaisseur d'un pilier monolithe et défendu contre la piété rapace des paroisses d'alentour par une double grille de fer forgé à triple cadenas. La châsse repose sur l'autel, près de la statue du patron de la paroisse.
Des messes se succèdent sans interruption. Des pèlerins, couverts de poussière, harassés, rentrent dans les bancs: ce sont les fidèles de saint Ernier.
A l'exemple du pieux apôtre, ils ont passé la nuit en prière. Partis peu de temps après minuit, ils ont parcourus à jeun, en égrenant leur chapelet, le long et pénible itinéraire; ils ont prié au sommet du Margantin que n'ont pas encore envahi les curieux et les vendeurs de rafraîchissements. Harassés mais confiants, ils veulent assister à la messe avant de prendre un repos mérité et de toucher aux provisions apportées dans le panier d'osier et confiées à la garde de quelque habitant de la bourgade.
Sept heures du matin, les cloches s'ébranlent en carillon.

L'escorte de la relique.

La relique, enfermée dans un bras d'or, est fixée sur un brancard. Le clergé des différentes paroisses se groupe sur la vaste esplanade en avant de l'église. S'il se produit quelque contestation entre les porte-croix pour avoir la préséance, un suisse paternel vient y mettre bon ordre et rappeler le protocole traditionnel.
Bannières de velours et fanions de damas prennent la tête, suivis des hommes, le chapeau sous le bras et le chapelet à la main.


Le cortège dans les sentiers du bois.

Voici un groupe de chantres, reconnaissables au surplis blanc enfilé par-dessus la blouse. (Les soutanes courraient trop de dangers sur les flancs de la colline lorsqu'il faudra suivre les sentiers étroits, escalader les pentes et traverser les halliers)
Autour de ces maîtrises primitives, des jeunes gens se sont massés. Tout à l'heure, quand la procession aura disparu au tournant des routes et se sera engouffrée sous la voûte des chemins creux, ces robustes poitrines se gonfleront, une puissante clameur, lente et prolongée, avec des inflexions pareilles aux vagues sonores de la foule, s'élèvera au milieu des champs et portera jusqu'à cinq lieues de distance le chant d'acclamation et la prière de ces fiers chrétiens.
Le clergé et les notables, ceux-ci remplaçant le piquet d'honneur de la garde nationale et les sapeurs-pompiers, entourent la châsse. Les femmes en rang compacts, ferment la marche.
La procession passera sur le territoire de cinq communes. Elle fera autant de haltes, en des points déterminés d'avance, où se sont assemblés des pèlerins qui ne peuvent effectuer tout le parcours et qui grossiront le cortège. De cinq à six cents personnes au départ de l'église, vers 7 heures du matin, l'assistance sera de huit à dix mille personnes vers midi et demi, quand la relique et son escorte atteindront le sommet du Margantin.
Et les invocations des chanteurs auront gagné d'ampleur et d'intensité.
Ils sont alors divisés en trois ou quatre qui alternent les versets des litanies. C'est entre eux une lutte chorale dont les échos de la vallée répercutent les péripéties. A certains relais, d'anciens chantres, désireux d'assurer le triomphe de leur paroisse, se sont discrètement cachés derrière une haie de terre, munis de broc pleins de cidre pour rafraîchir les gosiers desséchés et donner du moelleux aux cordes vocales.

Les chrétiens tièdes et les simples curieux ne suivent pas la procession; ils vont l'attendre au sommet du Margantin.
On y accède par une belle avenue bordée de hêtres séculaires à l'ombre desquels les touristes sont venus en pique-nique. Des mendiants, des éclopés, des nomades sont échelonnés tout le long du chemin et vous obsèdent de leurs supplications.


Au sommet du mont Margantin.

Au sommet, des bateleurs ont étalé sur la mousse leurs tapis rapiécés, et, pour charmer les longueurs de l'attente, ils jonglent devant les pèlerins, et proposent de vous dire la bonne aventure.
Des restaurateurs ont édifiés des baraques de toile, sous lesquelles les tables sont constituées par un planche étroite clouée sur des piquets fichés en terre, les bancs par des madriers non dégrossis. dans un repli du terrain, une rôtisserie en plein vent s'est installée.
Dans certains recoins, à l'ombre d'un hêtre, un tonneau reste fixé sur la voiture qui l'amena. Des hommes, à chaque bout, débitent le cidre ou le poiré que l'on paye comptant. Et le consommateur emporte avec la cruche une demi-douzaine d'écuelles minuscules de grès brut, des "mocques" ou des " endormoires".
Le soleil monte au zénith. Les bruits confus de la foule assemblées sur le mont sont dominés par les sancte Ernœ des pèlerins. La procession approche, gravit les lacets.
En quelques minutes, les cercles formés autour des saltimbanques se disloquent; les restaurants improvisés se vident; les buveurs reportent en toute hâte cruches et tasses; toute cette foule se presse vers le reposoir et se range en une double haie.
Voici les bannières, les croix d'or des paroisses riches et l'humble bâton de bois surmonté d'un Christ de cuivre argenté des églises plus pauvres, les surplis des chantres, les étoles des curés, le groupe des femmes...
Les touristes accourent, braquent les kodaks et les face-à-main...
Jadis, un prédicateur aux poumons robustes prononçait devant cette foule le panégyrique du Saint. Depuis quelque temps, le sermon est donné à l'église...
Il arrivait, en effet, que demeuraient seuls à l'écouter les pèlerins venus par le plus court trajet, alors que la plupart de ceux qui avaient effectué "le grand tour" s'esquivaient discrètement vers les tentes...
La relique, descendue de son brancard, est présentée à la vénération des fidèles rangés en double haie. cette cérémonie a demandé quelquefois une heure.
Enfin, le cortège redescend vers l'église. Les curieux, entraînés par l'exemple, prennent place dans ses rangs et chantent eux aussi , le Sancte Ernœ, ora pro nubis.
Le "bras" du Saint est alors replacé sur son reliquaire: on ne l'en sortira point, à moins qu'une pluie persistante au temps des foins, ou qu'une sécheresse calamiteuse ne fasse demander par les laboureurs une procession expiatoire.
Quelque sceptique que l'on soit, et en dépit de certaines vulgarités* sur lesquelles l'autorité ecclésiastique a dû fermer les yeux, on est obligé de reconnaître dans la fête de "la Colline" ou "Holine" la manifestation de foi simple et grande de toute une contrée.

                                                                                                         J. Romain Le Monnier.

Le Mois littéraire et pittoresque, janvier-juin 1911.

* Nota de Célestin Mira:


La procession de saint Ernier a remplacé un culte satanique où se pratiquait, sur le mont Margantin,  autrefois, le sabbat des sorcières. Au sommet du mont Margantin, le diable guérissait les victimes d'infortunes conjugales qui parvenaient à lui toucher les cornes ou à baiser son derrière.