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jeudi 12 août 2021

 Ce que portent les fantassins.


En temps de campagne:

1° Le soldat russe porte 32 kil. 950.
2° Le soldat italien 30 kil.
3° Le soldat français 28 kil. 700.
4° Le soldat anglais 28 kil 683.
5° Le soldat austro-hongrois 25 kil 907.
6° Le soldat suisse 22 kil.
7° Le soldat allemand 21 kil 720.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 juin 1905.


 Les princes ouvriers.


L'histoire nous fournit de nombreux exemples de princes ayant honoré le travail. On en cite même beaucoup qui n'ont pas dédaigné de mettre la main à la pâte, comme on dit.
Il est inutile de remonter très loin et de citer Dioclétien qui arrachait dans son potager la barbe de capucin qu'il avait lui-même plantée. Laissons également de côté Charles-Quint et ses connaissances en horlogerie dont il aimait à faire... montre.

Le roi... repasseuse.

La passion que le tzar Pierre avait pour le métier de charpentier, l'affection particulière de Louis XVI pour la serrurerie et le tracé des cartes géographiques, sont trop connus pour que nous insistions longtemps.
Mais, par exemple, voici Henri III, qui, appuyé au balcon d'un des fenêtres du Louvre, découpait fort habilement, ma foi, des images qu'on fabriquait uniquement pour lui.
N'avons-nous pas appris que Louis XIII repassait lui-même ses collerettes à l'aide d'un fer en vermeil.

Les talents multiples.

Quittons, si vous le voulez bien, les monarques; mais restons en compagnie des rois des lettres et des arts.
Voltaire voulait devenir physicien, et il prenait des leçons auprès d'une femme aussi forte en science que d'aucuns académiciens en renom. Son antagoniste, Jean-Jacques, avait une affection particulière pour la musique, et longtemps il se demanda s'il devait être musicien ou écrivain.
On sait, du reste, que Jean-Jacques développa, dans son Emile, cette idée que tout enfant, même de très haute condition, devait recevoir un métier manuel. Nombre de grands seigneurs furent très heureux que leurs parents leur eussent donné des états quand, à la Révolution, ils émigrèrent et durent gagner eux-mêmes leur vie à l'étranger.
Chateaubriand, lui, ne laissait à personne le soin de fendre son bois. Alexandre Dumas ne déjeunait jamais aussi bien que lorsqu'il avait cuisiné lui-même. Quand on allait rendre à Alphonse Karr, il aimait mieux vous faire admirer le jardin qu'il entretenait que vous lire la dernière page qu'il venait d'écrire.
M. Gladstone tenait beaucoup à passer pour un bûcheron émérite. C'est sous les hautes futaies de son immense forêt qu'il prépara son bill agraire et qu'il composa ses plus beaux discours.

Une réplique inattendue.

Enfin, c'est l'éternelle question du violon d'Ingres, de la diversité des talents. Un soir, Victor Hugo se trouvait dans une maison en même temps qu'un grand peintre dont le nom m'échappe. La maîtresse demanda un souvenir à chacun des deux grands hommes. Le poète fit un dessin et le peintre composa des vers!
Mais revenons aux métiers manuels. Alfred de Vigny avait installé à côté de son cabinet de travail un superbe établi de tourneur. Depuis quelque temps, il recevait la visite d'une fort jolie femme à laquelle il faisait une cour assidue. Mais la belle n'accueillait que très froidement les avances du poète. Un jour, il montra son établi.
- Que voulez-vous que je vous tourne: un bracelet, une bague? lui demanda-t-il après lui avoir "tourné" un chaleureux compliment.
- Mais tournez moi donc les talons, répondit la coquette en lui éclatant de rire au nez.

                                                                                                                                Pierre Dorian.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 juin 1905.

Ce que dit le docteur.


 Conseils à suivre pour n'être jamais malade.


Aujourd'hui, je n'indiquerai pas le traitement particulier d'une maladie bien déterminée. Je m'attaquerai aux petits malaises et aux indispositions fréquentes, sans gravité, mais fort importunes, qui nous assaillent et qu'avec un peu de prudence et d'ingéniosité, il est si facile d'éviter.

Pour n'avoir pas mal à la tête.

Quand on vient d'accomplir une besogne très absorbante, le meilleur moyen pour diminuer sa fatigue est de se laver la tête, et surtout la nuque, avec de l'eau aussi chaude que possible. Pour cela, prenez une éponge, et après l'avoir plongée dans l'eau chaude appliquez-la derrière le cou, en baissant la tête, et laissez couler l'eau. Répétez cette opération pendant quatre ou cinq minutes et, pour finir, remplacez l'eau chaude par de l'eau froide. Essuyez-vous, couche-vous un quart d'heure, et en vous relevant vous ne sentirez plus la moindre fatigue.

Pour n'avoir pas d'insomnie.

Pour bien dormir il faut que le lit soit élastique, un peu dur, sans draperies ni rideaux, que les oreillers soient de crin, les couvertures légères, la chambre fraîche et obscure. Il faut être couché sur le côté droit ou le dos, les membres étendus sans raideur ou légèrement fléchis, et la bouche fermée pour respirer par le nez. Pour les gens nerveux et excitables, il y a parfois avantage à avoir un oreiller bourré de houblon. Certaines personnes prétendent même mieux dormir en orientant leur lit de façon à ce que la tête soit tournée au nord, à cause des courants magnétiques qui ont la direction N.-S. Les anémiques coucheront la tête un peu basse. Les sanguins devront conserver la tête plus élevée.

Pour soigner l'épiderme des bébés.

Quand les petits enfants ont la peau facilement irritée par l'humidité et qu'on ne peut changer leurs langes assez fréquemment, on se trouve très bien de les coucher sur 30 à 40 litres de son à moitié fin, stérilisé au four du boulanger. L'enfant n'a que le haut du corps habillé, sa tête repose sur un oreiller de crin et il est couvert d'une peau de mouton doublée d'un petit drap de toile. Toutes ses déjections forment avec le son des boules qu'on enlève facilement. De temps en temps on ajoute un peu de son nouveau, et toutes les trois semaines on change le tout. Ce mode d'élevage n'est praticable que la première année.

Pour préserver ses yeux.

L'éclairage artificiel doit autant que possible se rapprocher de l'éclairage naturel solaire, c'est à dire présenter un dégagement petit ou nul de rayons jaunes et de calorique; fixité, intensité, diffusion. Celui qui s'en approche le plus est la lumière électrique des lampes à incandescence pourvu qu'elle ne frappe pas directement la vue et soit rendue diffuse par des verres dépolis ou des écrans. Puis vient le pétrole, s'il est absolument raffiné, c'est à dire inodore et ininflammable, puis l'huile, puis la bougie, enfin le gaz, le plus antihygiénique des éclairages s'il est l'un des plus commodes.

Pour boire de l'eau pure.

Les filtres les meilleurs, au bout d'un certain temps, laissent passer des microbes et leur débit diminue. On peut y remédier:
1° En faisant tous les jours un nettoyage superficiel par frottement des bougies;
2° Toutes les semaines une stérilisation à froid au moyen d'une solution de permanganate de potasse à 1 pour 1000;
3° trois ou quatre fois par an un nettoyage à fond en faisant usage successivement d'une solution de permanganate de potasse à 5 pour 1000 et d'une solution de bisulfite de soude à 1 pour 20.

                                                                                                                              Dr Pierre.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 juin 1905.

mardi 10 août 2021

La rue de la pompe.


Piégelé, grimpé sur une borne et s'efforçant de déchiffrer le nom d'une rue à la lueur d'un bec de gaz. Rue... rue... rue des Troubadours. Pas encore ça, nom d'un tonneau! Ah! c'est égal, c'est un peu épatant que je ne puisse pas arriver à trouver la rue de la Pompe!... (Il redescend de la borne et allume une cigarette.) Ce qui m'arrive est fantastique! Venu à Paris pour huit jours... Je suis de Cancale... et descendu...(il n'y a pas de sotte patrie...) chez mon beau-frère Cougougniou, 344, rue de la Pompe, je commis l'imprudence de venir seul, tantôt, visiter la nouvelle église du Sacré-Coeur. Le tramway du Trocadéro m'avait amené place Pigalle; je pensais m'en retourner par le même chemin, mais le malheur voulut que je me trompasse de voiture et qu'au lieu du tramway La Villette- Trocadéro, je prisse l'omnibus Place Pigalle- Halle aux Vins. Vous savez ce que c'est, n'est-ce pas... J'arrivai au Jardin des Plantes. Là... -il doit être au moins dix heures!- j'abordai un gardien de la paix, auquel je contai ma méprise. "Vous n'avez qu'une chose à faire, me dit cet homme plein de bon sens. Voici la seine: prenez le bateau du Point-du-Jour; vous débarquerez au Louvre, où vous trouverez le tramway de Passy." Malheureusement je le pris à rebrousse-poil, c'est à dire qu'au lieu du bateau qui se rendait au Point-du-Jour, je pris celui qui en venait. Fatalité... j'arrivai... (Il tire sa montre.) Oh! nom d'un tonneau! Onze heures vingt!... -au pont de Charenton.- Et encore ma montre retarde... Arrivé au pont de Charenton, je fis... -Les Courgougniou doivent être dans une inquiétude!...- je fis, dis-je, ce que vous eussiez fait certainement à ma place: je sautai d'un bateau dans l'autre et refis, en sens inverse, le chemin déjà parcouru. Au Louvre, je pris place dans le tramway de Passy. Nous partîmes. Au bout de trois quarts d'heure, je demandai au conducteur: "Ne sommes-nous pas rue de la Pompe?" Il me répondit: "Non, monsieur, nous somme au boulevard Picpus." Je m'étai trompé une troisième fois; j'étais dans le tramway de Vincennes.
Fatalité!... Je mis pied à terre avec toute la précipitation que vous pouvez imaginer et m'ouvris de mes infortunes à un deuxième gardien de la paix qui me consola en ces termes: "C'est bien fait pour vous! Quand on ne sait pas on demande! Tâchez que ça ne vous arrive plus. En attendant voyez voir à écouter ce que je vais vous dire. Vous voyez bien cette maison là-bas? C'est la station du Bel-Air. Allez-y. Le chemin de fer de ceinture y passe. Vous le prendrez et vous serez à Passy dans une heure." Cinq minutes après, le conducteur hurlait la station de Passy, où je descendis comme de naturellement. Depuis ce temps, chose inexplicable, j'erre par la solitude de ce quartier endormi, sans arriver à trouver la rue de la Pompe. C'est épatant, hein? Si encore je rencontrai quelqu'un... (Tendant l'oreille.). J'entends du bruit. Oh! un passant! (Il se précipite, Mouvement d'effroi du passant.) Rassurez-vous, monsieur; je ne suis pas un malfaiteur, mais un pauvre provincial qui ne retrouve plus son chemin. Voudriez-vous m'indiquer la rue de la Pompe?
Le monsieur.- La rue de la Pompe? C'est à Passy!
Piégelé.- Sans doute.
Le monsieur, stupéfait de son sang-froid.- Ah çà! Mais où vous croyez-vous donc?
Piégelé.- A Passy, ne vous en déplaise.
Le monsieur.- Oui. Eh bien! vous êtes à Boissy.
Piégelé (sursautant).- A Boissy!!!
Le monsieur.- A Boissy-Saint-Léger, monsieur.
Piégelé.- Fatalité! (Il se laisse choir sur la borne).
Le monsieur.- Voyons, monsieur, il faut être un homme et ne pas vous frapper comme ça.
Piégelé.- Ne pas me frapper, dites-vous? Il ne faut pas que je me frappe? Dieu pardonne à votre ignorance, qui m'engage à ne pas me frapper...
Le monsieur.- En vérité, vous m'effrayez!... Oserais-je vous demander quelle catastrophe vous...
Piégelé.- Je vais vous le dire. (Seconde édition du récit ci-dessus).
Le monsieur.- Tout s'explique! A Bel-Air, c'est le croisement de la ligne de la ceinture et de la ligne de Vincennes; vous aurez pris l'une pour l'autre.
Piégelé.- Je commence à le craindre.
Le monsieur.- Vous pouvez même en être sûr. Enfin, ne vous désolez pas. La gare de Boissy est au bout de la rue et un train passe à minuit dix, qui vous ramènera à Paris. Seulement, hâtez-vous.
Piégelé.- Que d'obligations. (Il s'éloigne vivement, gagne la gare, et saute dans un train qui partait.) Il était temps! (A un voisin qui somnole dans l'angle du compartiment.) Je vous demande pardon, monsieur, à quelle heure serons-nous à Paris?
Le voisin.- A Paris: nous en venons, monsieur... Nous allons à Brie-Comte-Robert.
Piégelé, les yeux au ciel.- Fatalité!, fatalité!

                                                                                                                     Georges Courteline.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 juin 1905.

lundi 9 août 2021

Le doigt. 





Le rôle du doigt, dans la vie,
Est plus important qu'on le croit;
Il s'élève, malgré l'envie, 
A mesure que l'homme croît.
A quelques mois, le bébé rose
Fourre son doigt en plein dedans
Sa bouche fraîche à peine éclose, 
A la recherche de ses dents.

A quelques ans, -une douzaine,
Mettons, si vous le voulez bien,-
On dirait que le nez nous gêne,
Cet âge ne respecte rien.
Aussi, sans cesse, sans relâche,
Tout enfant, fût-il des mieux nés, 
Au nez du papa qui se fâche , 
Enfonce son doigt dans son nez.

Quand on est grand: une autre gamme,
On ne sait trop ce que l'on fait;
Las d'être garçon, l'on prend femme; 
On n'en est pas plus satisfait.
"Toujours plus haut, dit le poète..."
En fin de compte, sans orgueil,
On s'aperçoit, malin ou bête
Que l'on s'est mis le doigt dans l'œil!

                                                  Henri Second.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 juin 1905.

Celles dont on parle.

 Mme Marthe Brandès.


Deux grands poètes ont donné leur appréciation sur Mme Brandès: ce sont MM. Edmond Rostand et Catulle Mendès. Convaincu que leur jugement serait d'un grand secours pour comprendre la nature et le talent de cette actrice, et pour en parler ici en connaissance de cause, j'ai fait appel à ces hommes éminents. La collection complète des articles de M. Catulle Mendès m'a appris que Mme Brandès était "une grande comédienne". Malgré toutes mes recherches, je n'ai rien pu trouver sous la plume du grand écrivain qui eût une signification moins vague que ces deux mots.
Piochons Rostand, me suis-je dit, mais, hélas! le résultat ne fut guère moins maigre. M. Rostand a consacré deux vers, dont l'un boiteux, à Mme Brandès. Les voici:

La taille même de Brandès
Elle est en souplesse d'S.

Mirlitons de mon enfance, qu'êtes-vous devenus! Et vous, chères papillotes renfermant, avec des pastilles au chocolat, ces devises versifiées dont l'auteur obscur excita toujours ma bien vive curiosité. Est-ce que M. Rostand...? Non, chassons loin cette mauvaise pensée et supposons seulement que l'auteur de l'Aiglon n'était pas en verve quand il composa ce poème à la gloire de Mme Brandès.
Or, n'est-ce pas une supposition qui a lieu de m'inquiéter? Si des littérateurs fameux sont restés à ce point cois, que vais-je donc, moi, trouver à dire de la "grande comédienne" dont la taille est "en souplesse d'S" ? Qu'elle est belle, élégante et plein de talent? Assurément, elle est belle, si la finesse et la pureté des traits sont de faibles appoints à la beauté d'une femme. Elle est élégante, si les compliments que motive un costume doivent aller au mannequin plutôt qu'au couturier. Elle a du talent, si vingt-deux ans de planches peuvent en donner.



Mme Brandès a débuté au Vaudeville, puis elle est entrée à la Comédie-Française, puis elle est retournée au Vaudeville, puis elle est retournée à la Comédie-Française, pour passer ensuite à la Renaissance dont elle est aujourd'hui l'étoile. Le terme de planète serait peut-être plus juste, car les planètes sont aussi errantes, et elles n'ont point d'éclat qui leur soit propre.
La vocation artistique de Mme Brandès s'est manifestée d'abord par un certain goût pour la peinture qui la conduisit dans l'atelier Julian. Bientôt le désir de faire du théâtre la prit. Grande perplexité. Que résoudrait Mme Brandès? De peindre sur des toiles ou de monter sur les planches? Ses maîtres furent consultés. Le professeur de peinture conseilla le théâtre. Le maître de diction penchait pour la peinture. Il n'eut pas le dernier mot et Mme Brandès a choisi le théâtre où ses premières études l'ont sans doute aidée dans l'art de se composer de belles attitudes, qui est la meilleure partie de son talent.

                                                                                                                                   Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 juin 1905.



Marthe Joséphine Brunschwig dite Marthe Brandès.



L'esprit de Marthe.

Quand Mme Brandès rentra au Français après sa fugue au Vaudeville, l'accueil des spectateurs fut moins chaud, moins enthousiaste que jadis.
L'artiste s'en aperçut et, très tranquillement:
-Oh! s'écria-t-elle, comme ce public parisien a vieilli!

dimanche 8 août 2021

 Le langage muet des criminels.





"Le cambrioleur a, de naissance, la bouche cousue et, en matière de secret professionnel, rendrait des points à une carpe", nous disait plaisamment, l'autre jour, un ancien chevalier du rossignol et de la pince-monseigneur, à qui nous demandions la faveur d'une interview.
Ce ne fut qu'après d'éloquentes supplications, appuyées de solennelles promesses, que ce vieil ouvreur de portes, devenu ouvreur de portières, consentit à nous révéler quelques pratiques de son premier métier, pratiques curieuses qui nous ont paru dignes d'être publiées. Disons d'abord que le gentleman en question compte à son actif un nombre imposant d'exploits qui ont fait de lui, en son jeune temps, le chef d'une bande célèbre devant laquelle aucune maison, ni aucun coffre-fort ne demeuraient fermés, au grand dommage des propriétaires.

Les cambrioleurs ont un langage très ingénieux.

C'est surtout pour ces praticiens de l'effraction qui doivent opérer sans bruit et rivaliser de prudence avec Conrart* que le silence est d'or; aussi, ont-ils imaginé, à l'instar de l'abbé de l'Epée* un langage muet des plus expressifs. Ils se communiquent ordres et conseils au moyen d'une combinaison de signes d'autant plus ingénieux qu'ils sont simples et peuvent ainsi passer aisément inaperçus de tous ceux auxquels ils doivent échapper.
Pour avertir, par exemple, un copain que le moment n'est pas propice ou qu'il y a du danger à risquer certain coup, un des membres de la bande passera devant lui, en faisant claquer le pouce et l'index.

L'autre, pour indiquer qu'il a compris, se contentera de retourner l'annulaire et personne n'aura l'idée de suspecter des gestes aussi familiers.

Un cambrioleur des plus dangereux est un aimable et souriant vieillard.

Un des cambrioleurs les plus émérites qu'ait connus celui que nous interviewons était, paraît-il, un vieillard à l'air respectable, au visage sympathique, d'une correction et d'une affabilité parfaite. Avec une dextérité que lui eussent enviée nos plus habiles prestidigitateurs, il savait enlever une bague en donnant une cordiale poignée de main ou subtiliser une épingle de cravate, en époussetant d'une main légère le gilet d'un ami sur lequel il avait fait voltiger, comme par mégarde, de la cendre de cigare.


Il semblait mener une existence fastueuse, fréquentant assidument les endroits où se réunissait la meilleure société: théâtres, bals, restaurants, salons officiels, etc. Chaque soir, il se mettait en habit et souvent, à l'Opéra, on eût pu le voir confortablement installé dans un fauteuil et paraissant se livrer aux douceurs d'un sommeil dont tous les cuivres déchaînés de l'orchestre ne parvenaient pas à le tirer.


Mais un observateur attentif et prévenu eût deviné que cet obstiné dormeur n'avait jamais été si bien éveillé, et que sous ses paupières à moitié baissées les yeux se tenaient à l'affût, en quête de quelque victime. Dès qu'il en avait choisi une, le placide vieillard se croisait les mains sur la poitrine. C'était le signal attendu par un jeune dandy, assis non loin de lui. A eux deux, pendant l'entr'acte, ils avaient vite fait de s'emparer des bijoux.

Les discours silencieux.

Nul ne savait plus adroitement que lui prévenir ses complices, en cas de danger. Qui eût pu supposer qu'il leur donnait l'alarme, en caressant discrètement sa longue barbe blanche, en croisant nonchalamment les jambes ou en se mouchant avec un peu trop d'éclat?



Comment se douter, en le voyant dessiner sur une feuille de calepin une tête de bouledogue, que c'était une façon d'avertir ses associés que l'individu qu'ils filaient avait dans sa poche un revolver? Aucun de ses compagnons ne pouvait aussi bien que lui évaluer à distance la valeur des bijoux, étudier le plan d'un appartement à cambrioler, flairer la présence d'agent de la Sûreté et les reconnaître, quels que fussent leurs déguisements.

Des regrets unanimes dans le monde des cambrioleurs s'élevèrent à la mort de ce charmant vieillard qui s'était également acquis de très vives sympathies dans la haute société parisienne et auquel la presse consacra des bulletins nécrologiques sous ce titre: "Un vieil habitué des premières qui s'en va."
Les héritiers eurent à payer des droits de succession fort élevés, ce qui laisse à penser que l'héritage du digne escarpe dut être des plus appréciables et que les bénéfices d'une longue et laborieuse carrière ne furent pas dilapidés du vivant de leur propriétaire. Fait vraiment digne de remarque: jamais au cours de sa vie de cambrioleur et de pickpocket, le vieillard en question, dont Paris conserva toujours les faveurs, ne fut inquiété une seule minute, n'eut le plus petit démêlé avec la justice de son pays!

Le langage muet des policiers.

Si les malfaiteurs savent parfaitement se comprendre sur un simple geste, sur une attitude familière, les policiers leur donnent la réplique avec une égale habileté. En effet, au cours de leurs filatures, pendant les opérations parfois longues et délicates qui aboutissent à l'arrestation des malfaiteurs, les agents de la Sûreté, dissimulés sous les plus invraisemblables déguisements, se trouvent dans la nécessité absolue de communiquer entre eux, d'échanger des observations, de se tenir au courant des changements qui peuvent se produire dans la situation de leur gibier. En s'abordant, en conversant ouvertement entre eux, les agents donneraient ainsi l'éveil à ceux-là mêmes dont à tout prix ils doivent éviter d'être reconnus. Ils ont donc convenu entre eux d'une sorte de code par signes qui leur permet d'échanger des phrases entières, de soutenir une véritable conversation à distance et cela sans même se regarder!



MM. Claude et Goron, anciens chefs de service de la Sûreté, dans les si intéressantes Mémoires (1), où ils ont relaté toutes les dramatiques aventures de leur carrière, nous révèlent quelques secrets de ce code des gestes.
Deux agents en bourgeois sont perdus dans la foule, attachés au pas de quelque malfaiteur. L'un des agents veut-il appeler son collègue sans se retourner ni le chercher des yeux? Tout naturellement, il soulève son chapeau, légèrement, puis un peu plus haut, comme s'il saluait. Il se recoiffe: quelques secondes plus tard, le second agent, qui a compris le signal, le frôle du coude.
La conversation par gestes est-elle terminée? Convient-il que les deux compères se séparent? L'un d'eux porte à nouveau la main à son chapeau, salue d'un geste large, tenant son couvre-chef très éloigné de son corps... Déjà son camarade a disparu.

Dans un de nos grands magasins de Paris où les vols sont si fréquents, si un agent de la Sûreté veut indiquer à son compère que telle cliente, à l'aspect respectable d'une bonne mère de famille, dissimule sous son ample manteau des coupons de dentelle adroitement subtilisés au comptoir. Il boutonne du haut en bas sa redingote.



Ce geste, insignifiant pour les non-initiés, indique à l'agent le gibier à filer et à arrêter. Un individu porteur d'une arme blanche (couteau, stylet, poignard) est signalé par un agent à un confrère en faisant rentrer sous les manches le liseré des manchettes. Un revolver est signalé en faisant changer de doigt une bague apparente.
Ainsi malfaiteurs et policiers luttent d'habileté pour se dépister et se tromper naturellement!

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 30 avril 1905

(1) Mémoires de M. Claude, en volumes à 3 fr 50;
Mémoires de M. Goron, en livraison illustrées à 0 fr 50 la série.
Publications Jules Rouff et Cie, 4 rue de la Vrillière, Paris.


* Nota de Célestin Mira:

* Conrart:

Conseiller et secrétaire de Louis XIII, Valentin Conrart fut l'initiateur de l'Académie française. Il fut le premier secrétaire perpétuel de cette Académie de 1634 à 1675. Il fut raillé par Boileau qui, dans une de ses épîtres, dit: "J'imite de Conrart le silence prudent"


Tableau de Valentin Conrart, musée des Beaux-Arts de Tours.


* L'abbé de l'Epée:

Il fut le créateur d'un langage par geste destiné aux élèves sourds. Sa méthode est désignée par le sigle LSF( Langue des Signes Française). Il donna des cours, grâce à cette méthode, dans un classe créée par ses soins pouvant recevoir 60 enfants.




vendredi 6 août 2021

 Une anecdote historique.


Aucune nation ne porte plus loin les susceptibilités de l'orgueil national que l'Angleterre. Nous en avons dernièrement trouvé une preuve curieuse en lisant une correspondance inédite du prince de Polignac, alors ambassadeur de France à Londres, avec M. de Chateaubriand, ministre des affaires étrangères. La dépêche à laquelle nous empruntons ces détails est datée du 23 février 1824; elle remonte par conséquent au règne de Louis XVIII.
Le prince de Polignac ayant dîné au château de Windsor, chez le roi d'Angleterre, celui-ci, les dames étant sorties au dessert, suivant la coutume anglaise, fit tomber la conversation sur l'heureuse issue de la guerre d'Espagne, pour laquelle, dit-il, il avait toujours fait des vœux. Il se répandit ensuite en éloges sur la conduite du duc d'Angoulême, si noble et si sage pendant cette guerre, où ce prince déploya un brillant courage et où il défendit ceux qu'il avait combattus contre le parti pour lequel il avait remporté la victoire; rappela son affection pour la maison de Bourbon, affection dont il lui avait donné des preuves dans des temps difficiles. Puis il ajouta " J'ai donc eu lieu de m'étonner en apprenant que dernièrement on a cherché à tourner ma nation en ridicule et qu'on a choisi pour le faire une occasion solennelle, ce qui ne peut qu'irriter les esprits, quand il serait si utile de chercher à les calmer. Prince de Polignac, vous comprenez ce que je veux dire."
Le prince de Polignac, après avoir rapporté cette allocution de George IV, continue ainsi sa dépêche à M. de Chateaubriand:
"Je vous avoue, monsieur le vicomte, que je croyais deviner la pensée du roi, sans en être assez certain pour lui répondre, mais il fit bientôt cesser mon incertitude en ajoutant:
"On m'a assuré que Madame la duchesse de Berry n'aimait pas les Anglais; la prudence devrait au moins l'engager à renfermer ses sentiments. Je sais que, dans la circonstance à laquelle je fais allusion, le roi a été fort aimable. Je n'ignore pas non plus que M. de Chateaubriand s'est très-bien conduit. Cependant j'ai été vivement blessé."
Savez-vous maintenant de quoi il s'agissait? D'une représentations des Anglaises pour rire*, par Potier et Brunet, que Mme la duchesse de Berry avait fait donner dans ses salons. Sans doute Mme la duchesse de Berry, qui se souvenait que sa grand mère, la reine Caroline de Naples, avait eu à souffrir de la politique anglaise, n'aimait pas beaucoup les Anglais. Mais il est vraisemblable qu'elle avait plus songé à s'amuser et à amuser ses invités qu'à chagriner le gouvernement britannique. Certainement quelque lady un peu roide s'était trouvée choquée de cette parade, qui n'avait rien de blessant pour la dignité nationale de nos voisins, puisque Potier et Brunet ne représentaient que des Anglaises pour rire, et elle s'était plainte à sir Charles Stuart, alors ambassadeur de la cour de Saint-James à Paris. Celui-ci, comme le prince de Polignac l'apprit d'un secrétaire d'Etat en sortant du château de Windsor, avait écrit à ce sujet une lettre confidentielle à M. Canning, qui l'avait communiquée au roi. C'est ainsi que les Anglaises pour rire avaient donné lieu à un incident sérieux.
Le prince de Polignac, qui ne connaissait la pièce que de nom, ce qui prouve que les ministres doivent aller partout, même au Vaudeville, s'en tira en homme d'esprit. Il protesta hautement de l'estime et de l'affection de son souverain pour le roi d'Angleterre, de la reconnaissance des Français exilés de France pour la généreuse hospitalité qu'ils avaient trouvée en Angleterre et il y mêla l'expression chaleureuse de ses propres sentiments. Après quoi, le roi d'Angleterre mit aussitôt la conversation sur un sujet d'intérêt général, pour faire cesser l'espèce de malaise qu'avait fait naître cette interpellation.
L'incident était vidé. Les Anglaises pour rire n'avaient pas allumé la guerre entre l'Angleterre et la France.

                                                                                                                            Alfred Nettement.

La Semaine des familles, samedi 31 août 1867.

* Nota de Célestin Mira:

* Les Anglaises pour rire:






jeudi 5 août 2021

 Chronique du samedi 24 août 1867.


Le procès dit de Fontainebleau a fait tort, ces derniers jours, à tous les autres événements. Notre pauvre espèce humaine est bien étrange; quel long chapitre n'y aurait-il pas à écrire sur les bizarreries de l'esprit humain! On se plaint que la vie est courte, et il semble qu'on ne sache que faire de ses journées. Voilà une femme accusée d'avoir attenté à la vie d'une autre femme avec laquelle elle avait visité la forêt de Fontainebleau; on a retrouvé le cadavre de la victime étendu dans la forêt et le visage à moitié dévoré par les vers; triste procès compliqué de vol, de faux et de meurtre! Aussitôt que la salle des assises de la Seine-et-Marne s'ouvre, elle est remplie d'une foule élégante et parée qui veut voir comment la femme Frigard, prévenue d'avoir assassinée la femme Mertens, se défendra contre l'accusation*. On suit avec avidité les moindres détails; les femmes les plus délicates bravent une chaleur de 35 degrés centigrades et les détails les plus repoussants: que voulez-vous? Il le faut bien. Il s'agit de savoir si une femme en a étouffé une autre et si elle portera elle-même sa tête sur l'échafaud. Le procès de la femme Frigard est encore plus intéressant que les exercices du dompteur Batty* entrant dans la cage de ses lions.

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A propos de dompteurs, l'autorité avait pris un arrêté pour interdire ces sortes d'exercices après un nouvel accident arrivé à Batty, qu'une de ses lionnes avait labouré de ses puissantes griffes. Mais Batty a réclamé. Il a fait valoir des circonstances atténuantes en faveur de sa lionne: c'était une jeune mère dont les nouveaux-nés avaient été dévorés par les lions ses voisins, et quand elle a vu son maître s'emparer de son dernier baby, elle a eu une attaque de nerfs dans laquelle elle a eu le malheur d'effleurer la peau du dompteur; seulement elle avait oublié depuis longtemps de se couper les ongles, ce qui a rendu l'égratignure un peu plus profonde. Comme cette excuse ne semblait pas avoir complétement convaincu l'autorité, Batty a mis en avant ses grands moyens: "Chacun, a-t-il dit, gagne sa vie comme il l'entend ou comme il peut. Sa manière de gagner sa vie, à lui, c'était de s'exposer à la perdre. Morituri te salutant: il est un gladiateur moderne. En lui défendant de risquer de se faire manger par ses lions, on lui ôte son gagne-pain. Mourir pour mourir, mieux vaut mourir sous la dent d'un carnassier de la race féline que sous celle de la misère et de la faim, deux terribles carnassières dans leur genre." L'autorité a cédé, Batty conserve la liberté de gagner son dîner en s'exposant à servir de dîner à ses lions.

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Laissons ces bizarreries et tournons nos regards vers Rome, d'où viennent les grands spectacles et les grands exemples. L'auguste pontife qui, naguère encore, entouré de plus de quatre cents évêques, célébrait, devant une foule immense venue de tous les points du globe, le centenaire de saint Pierre et de saint Paul, s'enferme aujourd'hui dans sa Rome bien-aimée, troublée par un terrible visiteur, le choléra. Ses soixante-quinze ans ne l'empêchent pas de remplir virilement ses devoirs  de pasteur et de père. En vain les chaleurs étouffantes de Rome à cette époque de l'année, les fatigues extraordinaires qu'il a éprouvées pendant les fêtes du centenaire, le poussent à s'éloigner; en vain ses chères et verdoyantes solitudes de Castel-Gandolfo l'appellent. Le pilote de la barque de saint Pierre reste à son poste, au poste du péril, de l'honneur et du devoir. Les libres penseurs eux-mêmes, rendons-leur ce témoignage, s'en étonnent, admirent et s'inclinent.
Admirez, inclinez-vous, mais ne vous étonnez pas. Ne vous étonnez pas, car nous croirions que vous n'avez jamais lu la parole évangélique du bon pasteur: "Le bon pasteur ne s'enfuit pas quand le loup arrive, mais il défend ses brebis contre le loup. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis." Dieu tout-puissant, daignez conserver à ses brebis Pie IX le bon pasteur!

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On ne saura qu'après avoir les les œuvres du jeune et infortuné empereur du Mexique, que l'on publie en ce moment, jusqu'à quel point ce prince de tant de regrets, qui était, il y a quelques années, un prince de tant d'espérance, mérite la sympathie universelle qu'il excite. Les quatre premiers volumes viennent de paraître; ils renferment surtout les impressions de voyage de Maximilien, impressions qui, toutes chaudes encore de l'étreinte de son cœur, sont venues se graver sur la page ouverte devant lui. C'est l'Italie de 1853, Trieste avec sa rade, Naples avec son Vésuve; c'est l'Espagne, l'Andalousie avec Grenade, la ville des Califes; la Sicile avec Messine et Palerme; les Baléares, puis Valence et Murcie; Lisbonne et l'île de Madère, l'Afrique française, l'Albanie, vues par un esprit observateur et une imagination de vingt ans. L'esquif de Maximilien, avant d'aller échouer si tristement au Mexique*, avait visité bien des parages; son cœur s'était ouvert à bien des émotions, son esprit à bien des pensées. Et dire que quelques balles mexicaines ont brisé ce noble cœur qui battait pour toutes les grandes causes, et que le peuple auquel il avait espéré porter l'ordre, la sécurité, le bonheur, nous renvoie son cadavre.
Ces descriptions de voyage, quelque intéressantes, quelque pleines de poésie qu'elle soient, ne nous ont cependant pas aussi vivement ému que les deux lettres de l'archiduc Maximilien à l'archiduchesse Sophie, sa mère, publiées par les soins de M. l'abbé Menard, du diocèse de Noug, en mission à Baden, dans le journal l'Union, avec l'autorisation de la princesse, à laquelle elles étaient adressées. Dans l'une de ces lettres, l'archiduc Maximilien rend compte à sa mère des impressions qu'il rapporte de Rome; dans l'autre, des impressions qu'il rapporte de Jérusalem. Ces deux lettres, qui sont aujourd'hui une consolation pour tous ceux qui ont aimé le prince, car elles montrent combien son cœur était profondément catholique, se résument dans cette phrase: "Je ne pouvais me détacher du saint sépulcre et de ses consolations; à chaque instant il m'attirait de nouveau. A Rome j'ai trouvé l'esprit,  le sublime esprit de la religion; à Jérusalem, un mois plus tard, j'en ai trouvé le cœur embrasé d'amour. Je béni Dieu de m'avoir montré l'un et l'autre."
Je ne saurais me défendre de citer une circonstance du voyage de l'archiduc Maximilien à Rome qui, depuis que l'on connait sa douloureuse fin, donne beaucoup à penser, car Dieu éclaire, on le sait, quelquefois d'une manière surnaturelle les saintes âmes; or quelle âme fut plus sainte que celle de notre très-saint père Pie IX. L'archiduc Maximilien raconte ainsi une communion qu'il fit à Rome:" Le lundi de la Pentecôte, dit-il, de grand matin, je me confessai à un prêtre allemand. A sept heure, je fus conduit au Vatican et introduit dans la chapelle domestique du pape. A sept heures et demie, il dit la sainte messe avec une parfaite dignité et d'une voix sonore. Au moment où il me donna la sainte communion, il poussa un profond soupir; sa voix et sa figure tremblèrent; il était visiblement ému."
Que se passait-il dans l'esprit de l'auguste pontife? Le voile qui couvre les horizons de l'avenir s'entr'ouvrait-il devant son regard? Entrevoyait-il la scène funeste de Queretaro, et se sentait-il prêt à pleurer sur la tête du jeune archiduc agenouillé à ses pieds?

                                                                                                                                               Nathaniel.

La Semaine des familles, samedi 24 août 1867.


* Nota de Célestin Mira:

* Procès de Fontainebleau:

Onésime, Auguste, Noël, cocher, trouve au milieu d'une clairière une femme étendue par terre, vêtue d'une crinoline rouge et la tête protégée par une ombrelle. La victime, Sidonie Mertens, 31 ans, fut surnommée "la femme à l'ombrelle". Elle s'était rendue de Paris à Fontainebleau en compagnie de son amie, Mathilde Frigard.
Quelques jours plus tard, la police découvre au domicile de Mathilde Frigard, à Paris, le contenu du sac de Sidonie Mertens. Arrêtée, elle est inculpée pour meurtre par le tribunal de Melun. Elle fut défendue par Me Charles Lachaud surnommé le "technicien du sanglot", car il se mettait souvent à pleurer afin d'émouvoir les jurés.



Me Charles Lachaud, par Daumier.


Sidonie Mertens, reconnue coupable, fut condamnée aux travaux forcés à perpétuité.
Un bloc de grès fut placé, en commémoration, à l'endroit où le corps de Sidonie Mertens fut retrouvé. Le lieu devint un but d'excursion pour touristes.






* Le dompteur Batty au cirque Napoléon:



* Maximilien:

Ferdinand Maximilien de Habsbourg-Lorraine, marié à charlotte de Belgique, archiduc d'Autriche, prince royal de Hongrie et de Bohème fut empereur du Mexique sous le nom de Maximilien 1er. Face aux forces républicaines soutenues par les USA et devant le retrait des troupes françaises, Maximilien 1er est capturé et fusillé le 18 juin 1867.


Maximilien 1er, empereur du Mexique.





mardi 3 août 2021

 Noël.


La fête de Noël est demeurée une de ces fêtes privilégiées qui remuent, non-seulement les cœurs chrétiens, mais les âmes qui se sont peu à peu détachées de l'Eglise, leur mère. L'Assomption, Pâques, le Jour des Morts, Noël, voilà les grands jours qui ramènent les enfants prodigues auprès des autels. La nuit de Noël surtout est restée populaire dans les campagnes. Elle vient dans une triste et sombre saison où la nature semble enveloppée d'un linceul de glace et de brouillards. Les jours noirs, comme on dit en Bretagne, sont arrivés, et l'on sent d'autant plus vivement les rayons de ce soleil spirituel qui réchauffe les cœurs et illuminent les âmes. Noël! Noël! ce cri, qui était le cri de joie de nos pères, ne laisse aucun cœur insensible, et quand il s'élance, avec le beau cantique d'Adam, d'une bouche inspirée, il emporte loin des vains bruits de la terre les esprits profanes, eux-mêmes étonnés des sentiments et des souvenirs qui vibrent en eux.
C'est que la pensée de ce Dieu qui se fait enfant pour nous, qui repose sur une crèche, qui veut être d'abord salué par les pauvres et les petits, qui nait dans une étable et dont la naissance est annoncée aux bergers par le chant des anges, retentissant entre le ciel et la terre pour rendre à Dieu la gloire qui lui appartient et souhaiter sur la terre la paix aux hommes de bonne volonté, a quelque chose de profondément touchant. Rien n'égale la beauté des offices de l'Eglise le jour de Noël. La Messe de minuit, ce souvenir vivant des premiers siècles de l'Eglise, pendant lesquels on voyait les chrétiens, pleins de ferveur, passer la nuit des grandes fêtes dans la maison de Dieu, tout entiers à la méditation et à la prière, prépare les âmes à la grande journée que l'Avent a précédée comme une splendide préface? Qui pourrait entendre sans émotion la prophétie sublime d'Isaïe: 
"Un petit enfant est né, un fils nous a été donné! Il portera sur son épaule la marque de sa principauté, et il sera appelé l'Admirable, le Conseiller, Dieu, le Fort, le Père du siècle futur, le Prince de la Paix."
Il semble que le prophète croie ne pouvoir pas assez multiplier les noms les plus magnifiques pour épancher la joie et l'admiration dont son âme est remplie. Puis l'Eglise, après avoir crié dans son invitatoire: " Le Christ est né, venez, adorons-le!" continue par la voix du psalmiste: "Venez, réjouissons-nous dans le Seigneur, poussons des cris de joie vers Dieu notre Sauveur." C'est le sentiment de la journée. Il éclate dans le magnifique psaume qui demande aux nations de la terre pourquoi elles s'agitent et pourquoi les rois et les princes se sont levés et ont conspiré contre le Seigneur et son Christ: Quare fremuerunt gentes? Nous le retrouvons encore dans cet autre psaume qui relève l'âme et la console: "Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur: Misericordias Domini in æternum cantabo" et dans le psaume qui invite la terre entière à chanter un cantique nouveau à Dieu qui a surpassé les merveilles anciennes par cette merveille nouvelle de l'Enfant-Dieu né pour sauver le genre humain. Dans plusieurs de ses parties, l'office prend une forme dramatique qui semble mettre en action l'avènement du Christ: "Quel est celui que vous avez vu, bergers, dites-le nous. Apprenez-nous quel est celui qui est apparu sur le terre? Quem vidistis, pastores? Et les voix répondent: "Nous avons vu un enfant nouveau-né et les chœurs des anges louant le Seigneur. Une mère a enfanté le roi dont le nom est éternel."
Ce qui domine dans la fête de Noël, c'est la joie débordant des âmes, l'espoir, la reconnaissance. Ces sentiments chez nos aïeux venaient s'exprimer par des manifestations naïves. Pendant la nuit de Noël des feux s'allumaient sur tous les points, et dans cette saison de l'année où les campagnes ressemblent souvent à de vastes plaines de glaces, les flammes, reflétées par ces immenses miroirs, produisaient des effets prestigieux. Les chemins étaient remplis de fidèles qui se rendaient à l'église. Ils portaient des brandons et des torches résineuses, et éclairaient ainsi les ténèbres, image de la grande lumière qui s'était levée sur le monde le jour de la naissance du Christ. Bientôt les cloches, sonnant à pleine volée leurs joyeux carillons, entre le ciel et la terre, rappelaient l'Alleluia des anges. Si les bœufs, réveillés dans leur étable par les bruits inaccoutumés qui retentissaient dans la nuit, répondaient par un long mugissement aux cantiques de Noël, que chantaient les paysans, en se dirigeant vers l'église, ceux-ci se rappelaient que le Christ était né dans une étable et songeait à l'âne et le bœuf de Bethléem, sur lesquels on racontait de merveilleuses légendes.
Les usages varient suivant les personnes. Dans certains cantons de Bourgogne, à Tonneins par exemple, les jeunes garçons et les jeunes filles ont conservé l'usage de parcourir la campagne, de longues branches allumées dans les mains, en chantant de gais noëls pour annoncer la bonne nouvelle. 


La nuit de Noël dans les campagnes de la Bourgogne.



Ces flambeaux résineux qui glissent dans la nuit sans qu'on voie ceux qui les portent font l'effet de mystérieuses traînées de lumière. Ailleurs on fera cuire les gâteaux du Kalentat (des Kalendes), le christianisme a perpétué et purifié cette vielle coutume païenne, et le cri de Kalen!, Kalen! tout va bien! retentit de tout côté. Presque partout on a conservé la coutume du réveillon.
Walter Scott a chanté dans son poème de Marmion les réjouissances de Noël, telles que les vit la vieille Angleterre: "A Noël, devant la porte des châteaux, le hérault, portant les armes de la famille, criait trois fois: Largesse! La salle du baron s'ouvrait toute grande au vassal, au tenancier, au serf, à tous. Le pouvoir mettait de côté sa baguette de commandement et l'étiquette dépouillait son orgueil. L'héritier, les rosettes aux souliers, pouvait dans cette soirée choisir pour la danse une compagne villageoise."
La joie, l'hospitalité, le grand feu de la salle, la bûche de Noël flambant dans la haute et large cheminée, la table mise pour tout le monde, le pudding traditionnel se trouvaient dans la maison du fermier comme dans celle du gentilhomme. Il régnait ce jour-là une égalité sans saturnales. Le ménestrel prenait sa harpe et chantait la grande journée. "Tels étaient, continue Walter Scott, les plaisirs qui de la cabane à la couronne apportaient la nouvelle du salut... C'était Noël qui perçait la plus large tonne de bière; c'était Noël qui racontait le conte le plus joyeux, et les cabrioles de Noël mettaient la joie dans le cœur du pauvre homme durant la moitié de l'année."
En Angleterre, au seizième siècle, les fêtes de Noël se prolongeaient pendant douze jours, et se terminaient par la fête des Rois. Après la fête des Rois venait "le Lundi de la charrue". Le travail recommençait, mais le premier jour du travail était marqué par une fête. Quoi qu'on en ait dit, la vie du temps de nos pères était moins morne que de nos jours. Ils avaient moins de luxe que nous sans doute, moins de confort, moins de délicatesse, c'est à dire moins de servitude; mais le catholicisme, cette grande âme de la société, éclairait et réchauffait toutes les joies populaires d'un de ses rayons.

                                                                                                                                           René.

La Semaine des familles, samedi 22 décembre 1866.