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vendredi 26 juin 2015

Minuetti. part II.

Minuetti. part II.

Ce vaste groupement, humoristique et facétieux, qui fournit, il y aura tantôt cinquante ans, au bibliographe Dinaux la matière de ses deux gros volumes des Sociétés badines, est largement représenté aujourd'hui par une foule de dîners de même envergure rabelaisienne, aux titre de "haulte gresse" et d'accès plus ou moins facile, mais dont certains jouissent encore d'une flatteuse notoriété. Citons, entre autres, la Marmite, fondée en 1873, qui compta, parmi ses présidents, M. Jules Claretie et M. Raymond Poincaré. Les dessins de ces menus sont d'une agréable variété. Tantôt c'est un paysage parisien de Luigi Loir, tantôt des hommes d'armes, façon Henri Pille, en contemplation devant une marmite fumante; tantôt enfin une Alsacienne éplorée qui tend ses bras vers la France (dessin de Benner)
Le menu de la Poule au pot du 16 janvier 1896, met en scène

Le seul roi dont le peuple  ait gardé la mémoire.

comme on disait au lendemain de la prise de la Bastille. Le Béarnais est là, cuirassé et casqué, tenant dans ses bras une... poule, que cet excellent Willette, le Watteau chatnoiresque féminise à sa manière.
Les séances gastronomiques du Bon Bock dans la salle Vantier et les prestigieux menus d'un dîner fameux entre tous, ne sont plus, hélas! qu'un souvenir. Depuis six mois le Bon Bock est brisé.
Dans ce concert quelque peu bruyant, la note réaliste sait se faire entendre. Jusqu'ici les milieux où nous avions introduit le lecteur étaient peuplés d'artistes, de lettrés, de mondains et même d'hommes d'Etat ayant laissé leur portefeuille au vestiaire. Nous pénétrons maintenant dans les salons réservés aux classes laborieuses: car le peuple souverain n'est pas ennemi des festins joyeux et goûte volontiers les plaisanteries folâtres qui en sont l'assaisonnement obligé. Seulement le poivre et le vitriol qu'il y répand à profusion, emporte singulièrement la g... , pardon la bouche. Demandez plutôt aux Sociétés ou syndicats des cochers de fiacre, de la boucherie hippophagique, des chiffonniers de Saint-Ouen. Chez les égoutiers, nous trouvons cependant un menu assez anodin. Il est illustré du portrait en pied d'un de ces rudes travailleurs, à grosses bottes et dans le costume de l'emploi: notre égoutier tient une longue pique où s'enfile un chapelet d'énormes rongeurs; tel nous apparaît, de loin en loin, sur la voie publique, le classique marchand de mort aux rats.
Par contre, le Syndicat général des transports mortuaires (section des fossoyeurs) se plaît aux menus d'un macabre audacieux. Au-dessous d'un dessin représentant deux squelettes sur une tombe et sablant le champagne dans un crâne, nous lisons: Potage perles de pendu- filet de bœuf piqué aux vers- champignons de macchabées- légumes du champ de navets.
Que nous sommes loin du minuetto élégant et gracieux, auxquels faisaient allusion les premières lignes de cet article!
Ce Menu n'est plus, hélas! qu'un finale et quel final! Pour mieux finir, reposons-nous de ces âpres dissonances sur les tonalités harmonieuses que nous apporte l'ensemble des menus-types du Vieux papier.
Ce qui les rend surtout attrayants, c'est l'habileté consommée avec laquelle ils sont établis, en raison du titre même de la Société et plus encore en vue du programme qu'ils représentent.
expliquons-nous par un exemple:
Le menu d'un repas du Vieux papier, repas d'ailleurs fort bien ordonné, s'encadre dans une sélection de carte à jouer de tous les temps et de tous les pays rappelant les curieux spécimens que donna jadis le Magasin Pittoresque, d'après le bel ouvrage de M. Henri d'Allemagne. Et le dîner terminé, quand le dernier cigare a jeté sa dernière étincelle, un des convives fait une conférence, appuyée de projections, sur l'histoire des cartes à jouer, depuis le jour où la mignonne Odette en amusa la démence de Charles VI jusqu'à l'heure où les surprises d'un bridge fallacieux déroutent les combinaisons des cerveaux les plus solides. Est-il nécessaire de dire le piquant de ces causeries dues aux conférenciers d'élite dont se compose la Société des Vieux papiers?


Frontispice d'une oeuvre de Chauvet;
Berton, éd. Paris, ep. du Directoire (Coll. P. Flobert.)


C'est à son secrétaire général, M. Paul Flobert, qu'appartient l'honneur de composer ces menus imagés qu'animera bientôt l'enjouement d'une parole autorisée. Et jamais zèle plus intelligent ne servit mission plus délicate. Mais il est un antique proverbe que ne justifient que trop les leçons de l'expérience: Verba volant, scripta manent.
Aussi, pour fixer cette éloquence qui s'envole, et en même temps les sujets qui l'ont exercée ou qui l'exerceront, le Bulletin du Vieux Papier leur ouvre-t-il ses colonnes, devenues aujourd'hui un véritable Musée d'Archéologie typographique, où s'accumulent méthodiquement les diverses manifestations de la vie courante, jetées hier encore, en pâture au vent, ludibria ventis, dit le poète. Mais si le Vieux Papier sauve les documents de toute nature que n'a pas entamés la faux du temps, il encourage la renaissance de l'art ancien dans ses applications au Jeune Papier: lettres de faire-part, de naissance ou de mariage, en-têtes de facture, actes officiels ou administratifs qu'illustraient, dans les siècles passés, de fort jolies vignettes.
Le Vieux Papier a même institué à cet effet, entre ses membres, un concours de cartes de nouvelle année.


Causerie de M. Paul Flobert sur
la petite estampe militaire.


Mais revenons à nos minuetti. Le Vieux Papier s'est si bien pénétré de l'analogie qui a piqué notre curiosité qu'un de ses menus, et non des moindres, s'illustre de titre musicaux. Figaro n'a-t-il pas dit:

Tout finit par des chansons!

                                                                                     Paul d'Estrée.

Le Magasin Pittoresque, septembre 1913.


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