Derrière les grilles du cloître.
Les romanciers ont contribué à répandre l'opinion que les monastères ne sont autre chose que des retraites pour des personnes que la vie a durement malmenées et qui, désabusées des joies de ce monde, espèrent trouver l'oubli dans la solitude.
En réalité, ce n'est que très exceptionnellement que les mondains vont demander le calme à la claustration monacale: il faut une vocation réelle en raison même de la sévérité de la règle qu'il faut suivre immuablement, comme un cadavre, disent les livres saints;
Un examen sévère. cruelles épreuves.
Au reste, les ordres ne confèrent le "capuchon" symbolique de novice qu'après un examen des plus rigoureux. Tout d'abord le candidat doit subir devant le Provincial, chef de l'ordre dans lequel il désire entrer, un long interrogatoire, fouillant l'âme, pour prouver l'entière sincérité de sa vocation. Si ses réponses sont satisfaisantes, il est admis comme postulant, et pendant de longs mois il est astreint aux travaux domestiques de la maison, sans cesser d'être sous la surveillance d'un Frère de la communauté, qui signalerait la moindre indécision dans le caractère du candidat.
S'il est, après ces épreuves, reconnu prêt à tous les sacrifices, on lui confère le capuchon, et il devient novice. Mais il n'est point au bout de ses peines. C'est alors au contraire que commencent à être essayées la souplesse de son caractère et la passivité de son obéissance, par une série de petites épreuves que le père gardien varie à sa fantaisie.
Le novice a-t-il balayé des appartements, épousseté des meubles, lavé du linge avec le plus grand soin? Sous le moindre prétexte, il est accusé de malpropreté et condamné à recommencer un ouvrage répugnant. A-t-il un mouvement de révolte? il subira une dure pénitence. Et s'il résiste ouvertement, il sera chassé.
Parfois même le novice peut être soudainement appelé, au milieu de la nuit, à accomplir quelque besogne fantastique; et pas un murmure ne doit sortir de ses lèvres, pas plus qu'il ne doit chercher à connaître le motif d'un ordre qui lui est donné, sans quoi il démontrerait irréfutablement qu'il n'est pas mûr pour la dure vie monastique.
A la fin du noviciat, qui dure généralement un an et un jour, le frère renouvelle ses vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, et il est enfin admis comme membre de l'ordre. A ce moment, au contraire, si ses idées se sont modifiées, il peut renoncer à la vie monastique.
Mais il est rare que ces défaillances se produisent. Pendant l'année du noviciat, le corps et l'esprit se sont habitués à cette existence si bien réglée qu'elle ne laisse pas de place aux surprises et tue toute émotion personnelle.
Toutefois la vie au cloître ne manque pas de variété, malgré sa routine inflexible. Voici, par exemple, la journée d'un Franciscain.
Une journée bien remplie.
A cinq heure et demie, le "frère portier" frappe à la porte de la cellule en disant Benedicamus Dominum (Bénissons le seigneur); le frère doit répondre: Deo gratias, et se lever.
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A cinq heures et demie, le frère portier frappe à la porte de la cellule en disant: "Benedicamus Dominum". Le novice doit immédiatement quitter sa couchette. |
En quelques minutes, il a revêtu sa robe et gagné la chapelle où on chante des psaumes en chœur. S'il arrivait en retard au service, il risquerait d'être condamné à rester agenouillé au milieu du chœur, les bras étendus. Deux par deux, les frères entrent dans la chapelle, se saluant réciproquement, et vont se placer à droite et à gauche, sur leurs bancs coutumiers.
Le chant des psaumes est suivi d'une heure de méditation, puis de la messe.
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Un moine en méditation, les bras levés vers le ciel. |
A sept heures et demi, le déjeuner est servi, composé d'un bol de café et de pain sec. Ce repas est pris debout et dans le silence le plus absolu.
Après déjeuner, les frères vont à leur besogne déterminée: les uns s'occupent du jardinage, les autres de cuisine ou de travaux de ménage, nul n'est jamais oisif.
A onze heures et quart a lieu le second service à la chapelle, suivi à onze heures et demie du dîner qui consiste en une soupe, un plat de viande et un fromage.
Après dîner, une heure et demie de récréation. Les frères jouent comme des écoliers pleins de gaieté, et à des sports tout aussi enfantins.
Cette récréation est suivie d'une demi-heure de sieste dans les cellules, puis d'un troisième service qui dure jusqu'à trois heures, et le travail ordinaire est repris, coupé à quatre heures et demie par la collation, composée de pain et d'une tasse de thé.
A six heures et demie, méditation d'une demi-heure à la chapelle, puis un dîner substantiel, de la viande, du poisson ou des œufs, de la bière brassée au monastère.
Pendant les repas, des lectures sont faites à haute voix dans le réfectoire.
Puis jusqu'à neuf heures un quart, les moines sont de nouveau en récréation. A ce moment ils sont parfois admis à la bibliothèque, où ils peuvent lire des journaux, car ils ne sont pas rigoureusement tenus dans l'ignorance des choses du monde extérieur. Cependant c'est la plupart du temps par l'intermédiaire du frère gardien qu'ils sont informés des événements importants.
A neuf heures un quart, la cloche sonne le "grand silence". Dès lors plus un mot ne doit être prononcé jusqu'après la méditation du matin suivant. Les frères se retirent dans leur cellule, d'où ils seront obligés de sortir à une heure et demie du matin pour aller à la chapelle chanter mâtines pendant une heure.
Somme toute, ce genre de vie demande quelque endurance et physique et morale. Et il est peu probable que les gens du monde, écœurés de leur existence de convention, soient capables de supporter longtemps la monotonie de cette règle inflexible.
Il convient d'ajouter que les frères, ayant fait vœu de pauvreté, n'ont jamais d'argent à leur disposition. Quand les ressources de la communauté baissent, un frère va quêter chez les riches du voisinage, et très rarement l'aide lui est refusée pour reconstituer les provisions des moines.
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Un moine revenant de la quête dans le village. |
Chez les capucins, quand il n'y a plus de pain dans la huche, on sonne une cloche spéciale qui avertit les fidèles que le couvent n'a plus rien à boire ni à manger.
Le capucin ne possède rien, même pas la robe de bure qu'il a sur lui. Elle appartient à la communauté qui la reprend à sa mort et la donne à un autre frère. Souvent un capucin porte pendant vingt ans la même robe qui n'est plus composée que de pièces et de morceaux. On en cite un dont la robe était faite de plus de cinquante pièces différentes.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 11 juin 1905.