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mardi 31 octobre 2017

Ceux de qui on parle.

M. Henri Chéron.
Père des soldats, terreurs des fournisseurs.

Vous vous rappelez, mes chers lecteurs, cet individu au col crasseux, que vous trouviez toujours devant vous, au collège, quand vous veniez de donner un coup de canif au règlement? Cet impitoyable représentant de la morale qui vous dégoûta de l'étude, ce Père Pensum solennel et affairé, éternel candidat à une vague agrégation, le pion, pour tout dire, dois-je l'avouer? chaque fois que j'entends parler de M. Henri Chéron, je me le représente sous la figure d'un de ces maussades gardiens de l'ordre.
Dès qu'il a été nommé sous-secrétaire d'Etat à la Guerre, M. Chéron a commencé à distribuer des pensums. Il se rendait à l'improviste et parfois la nuit, dans une caserne, et s'ingéniait à trouver quelqu'un en faute. Il a obtenu ainsi une certaine popularité, mais pas celle qu'il cherchait. Nos soldats ont trouvé que sa sollicitude devenait pesante. 
Ces visites inopinées ont eu un autre inconvénient: des mystificateurs ont imité M. Chéron, dont la physionomie n'est pas encore aussi connue que celle du Petit Caporal l'était dans son armée.
Des casernes se sont ainsi ouvertes à des noctambules non officiels. Par contre, M. Chéron s'est vu ensuite tenu en respect par un planton, qui lui dit qu'on allait bien voir s'il était vraiment le sous-secrétaire d'Etat!




M. Chéron s'est alors replié dans son ministère. Ayant constaté que plusieurs employés ne venaient pas à leur bureau, il a décidé que tout le monde devrait signer à l'avenir, matin et soir, une feuille de présence. Il a même proposé de supprimer les emplois de ceux qui ne viennent pas, ce qui procurerait une grosse économie, car ce sont précisément les mieux payés.
Il a proposé encore la simplification des écritures et la suppression des pièces inutiles. Toutes ces naïvetés ont fait sourire le Ministre qui a renvoyé M. Chéron à ses chères garnisons.
Le sous-secrétaire d'Etat s'est avisé alors que la nourriture des troupes pourrait bien laisser à désirer. Et le voilà de nouveau parti à travers la France pour surveiller les fournitures. Son zèle est infatigable, et ses décisions sont promptes. Il vient à peine d'arriver à Reims qu'on le rencontre à Bordeaux. Lille applaudit encore à son dernier discours: on le signale à Toulon. Il est la providence des pioupious, la terreur des adjudicataires, le premier adjudant de France.
Il a fait étudier la composition d'un pain nouveau où il entrera de la vraie farine, et qui remplacera la boule de son. Ce n'est rien, mais il fallait y penser. M. Chéron pense à tout. Dernièrement, il était à Versailles pour assister à des livraisons de fourrages. Il fit dresser procès-verbal pour mauvaise fourniture. Les officiers de distribution étaient absents. Gare au zéro de conduite!
Il serait injuste pourtant de nier que l'activité de M. Chéron ne s'est pas dépensée en pure perte et qu'il a fait apporter d'heureuses améliorations au bien être du soldat.
Chemin faisant, M. Chéron remplit tout comme un autre ses devoirs de député. Il préside des comices agricoles et des concours de pompes et prononce des allocutions où il demande que tous les républicains fassent oeuvre de fraternité et pratiquent "une tolérance toujours plus large". Le mot a été dit à Saint-Denis. Il est piquant. Si l'Histoire retient le nom du terrible enquêteur, elle l’appellera: Chéron le tolérant.

                                                                                                                          Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 novembre 1908.

lundi 30 octobre 2017

Le linge en tôle.

Le linge en tôle.

Les snobs qui n'ont pas les moyens de faire blanchir leur linge à Londres et sont désireux cependant de faire bonne figure dans le monde avaient jusqu'à présent la ressource de recourir au linge américain.
Un industriel allemand vient d'ajouter une autre corde à leur arc en lançant un plastron en tôle émaillée. Cette invention a été enregistrée le 13 juillet dernier, sous le numéro 342,161, au bureau des brevets à Berlin.
Mais que les blanchisseuses se rassurent, leur industrie n'est pas aussi menacée qu'on pourrait le croire. Il paraît, en effet que le plastron en tôle émaillée ne serait point à proprement parler une nouveauté. Depuis 1895, on a déjà lancé en Allemagne des faux-cols et des manchettes en tôle. Comme l'usage de ces parures singulières ne s'est pas généralisé, on est fondé à dire qu'il y a encore de beaux jours pour les blanchisseuses de Londres, de Paris et d'ailleurs.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 novembre 1908.

Prenez garde aux rats d'hôtel.

Prenez garde aux rats d'hôtel.

Les "rats d'hôtel" sont ces voleurs-spécialistes qui dévalisent, grâce à des prodiges d'habileté et de patience, les bagages des riches voyageurs dans les hôtels de luxe. Parfois, ces voleurs se présentent sous les traits de jeunes femmes charmantes: on les nomme alors "souris d'hôtel". Les souris ne sont pas moins dangereuses que les rats. Leurs aventures amuseront nos lecteurs et lectrices et leur apprendront à éviter "souris et rats d'hôtel".

C'est très certainement un "rat d'hôtel" qui vient d'enlever pour soixante quinze mille francs de bijoux et valeurs à la Princesse de Monaco descendue à l'hôtel M...
La justice informe, nous apprennent les faits divers; la Sûreté, avisée,  a lancé ses plus fins limiers à la poursuite du jeune "rat". C'est tout ce qu'il a été possible de faire jusqu'à présent.
Mais qu'est-ce qu'un "rat d'hôtel"?
Le dictionnaire argotique des malfaiteurs définit ainsi les "rats d'hôtel":
"Cambrioleurs de la haute pègre, qui s'introduisent dans les hôtels riches, soit sous un prétexte quelconque, soit comme voyageurs, et s'emparent des bijoux, des titres et des valeurs de toutes sortes que les voyageurs ont la naïveté de laisser dans leurs appartements."




Les "rats d'hôtel" sont légion; ils font généralement partie de bandes de malfaiteurs internationaux savamment organisées et dont la découverte est souvent fort difficile. Ils "travaillent" à coup sûr avec une audace et une finesse extraordinaire, se procurant, avant d'agir, tous les renseignements nécessaires qui leur sont fournis par des complices, des associés, lesquels depuis longtemps, ont suivi la victime visée et ont étudié la place dans ses moindres détails.

Les solitaires.

La Princesse de Monaco aura-t-elle la chance de la duchesse d'Albe, qui, elle, fut victime dans un autre hôtel parisien d'un vol analogue, et qui eut le bonheur de rentrer en possession de ses bijoux? La duchesse d'Albe avait eu affaire à une "voleuse solitaire", c'est à dire non affiliée à une bande, et, partant beaucoup plus facile à découvrir parce qu'elle manquait de débouchés pour écouler le produit de son vol.
On se rappelle comment les choses se passèrent à cette époque, peu éloignée de nous, d'ailleurs, puisque le procès de la voleuse de bijoux de la duchesse d'Albe est toujours à l'instruction. Cette femme avait su intéresser la duchesse d'Albe à son sort; elle avait ses grandes et petites entrées dans les appartements de sa bienfaitrice, de telle sorte que le personnel de l'hôtel, qui connaissait ce détail, ne s'inquiétait pas de ses allées et venues. Un jour, elle pénétra dans les appartements et ne rencontra personne: du salon, elle passa dans la salle à manger, de la salle à manger dans le boudoir, toujours personne. Là, elle stationna. Tout à coup ses yeux furent attirés par un écrin, elle s'approcha, l'écrin était rempli de bijoux. Alors, froidement, elle fit disparaître bagues, colliers, chaînes, montres, broches, et se retira comme elle était venue.
L'arrestation de la coupable ne se fit pas long temps à attendre. Elle devait fatalement commettre une imprudence; elle la commit. Et aujourd'hui, elle attend à Saint-Lazare sa comparution devant le tribunal correctionnel.
Un "rat d'hôtel" n'aurait pas commis cette imprudence parce que, quand il est en possession du butin convoité, il sait d'avance où il peut s'en débarrasser sans danger.
L'organisation de ces malfaiteurs est telle que des bijoux volés à Nice, par exemple, sont vendus à des receleurs de Londres, qui en démontent les pierres et en font d'autre bijoux dont le placement se fait avec la plus grande facilité à Berlin ou à Vienne, à moins que des courtiers ne vendent tout simplement les pierres précieuses brutes à Anvers ou à Amsterdam, auquel cas les montures d'or sont fondues et vendues en lingot.
Dans ces conditions, si le voleur n'est pas pris en flagrant délit et si, après, il ne fait aucune gaffe, il est fort difficile à la Sûreté de le pincer, surtout quand plusieurs heures se sont passées entre le moment où le vol a été commis et celui où il est découvert.

Les pays qu'ils ravagent.

Les "rats d'hôtel" opèrent relativement peu à Paris; on y constate, évidemment, beaucoup de vols dans les hôtels, mais ce sont des solitaires qui, le plus généralement en sont les auteurs. La haute pègre internationale travaille surtout dans les villes d'eaux et les stations balnéaires élégantes; ses membres affectionnent tout particulièrement la Côte d'Azur, pendant la saison d'hiver, et, là, ils font des "recettes" considérables.
Les grandes villes de Suisse sont souvent visitées également par ces malfaiteurs internationaux mais souvent aussi, les "solitaires" y opèrent.
Je me rappelle qu'il y a une dizaine d'années, dans un hôtel de Genève les voyageurs furent témoins des hauts faits vraiment merveilleux d'un de ces individus.
Un jour, arriva à cet hôtel, un homme d'une quarantaine d'années, élégant, aimable, d'un abord charmant. Il se disait Américain et possesseur d'une immense fortune, consistant notamment en mines de diamants dans l'Amérique du Sud. De fait, il faisait des dépenses considérables, payées, d'ailleurs, très régulièrement! Il était propriétaire d'un yacht à vapeur et d'un mail impeccable.
Dans le même hôtel étaient descendus M. X..., général anglais, et ses deux filles, tout à fait ravissantes. Bientôt, toutes les amabilités de l'Américain furent réservées à cette famille et les voyageurs ne furent pas longtemps à constater qu'il avait remarqué l'une des jeunes filles.
- Cela finira par un mariage, disait-on.
En effet, après un mois, l'Américain fit sa demande officielle au général X... qui l'agréa favorablement. Dès lors les fiançailles furent annoncées et tous les voyageurs de l'hôtel, qui avaient suivi l'idylle et s'y étaient intéressés, furent invités par le futur au dîner des fiançailles, qui eut lieu peu après avec une élégance et une somptuosité incomparables.

L'escroc de sa fiancée!

Le lendemain, l'Américain dit au général X... et à sa fiancée, qu'il devait partir pour son pays prévenir sa famille de son prochain mariage et surveiller ses mines. Comme l'Américain était parvenu à circonvenir le général X... et à capter toute sa confiance, celui-ci sollicita son futur gendre d'accepter une partie de sa modeste fortune, quelques centaines de mille francs, qu'il placerait dans son exploitation minière, d'un rapport annuel de 25 % avait-il affirmé. L'Américain consentit, à condition qu'il remettrait un paquet de titres en nantissement.
Le départ fut touchant. Tous les voyageurs de l'hôtel voulurent conduire à la gare cet homme charmant. 



On se serra les mains avec effusion et, au coup de sifflet du chef de gare, on agita les chapeaux et les mouchoirs.
Vingt quatre heurs après, quelle désillusion affreuse! La fiancée, puis son père, apprenaient coup sur coup d'abord que la magnifique émeraude de la bague de fiançailles était fausse et que les titres remis en nantissement n'avaient que la valeur du papier! Ce fut un effondrement général, une émotion indescriptible dans tout l'hôtel; la pauvre fiancée, désolée, n'osait plus quitter sa chambre. Le parquet fut saisi d'une plainte, la police fut mise en mouvement, le télégraphe joua et l'Américain fut arrêté à Brême au moment où il allait embarquer pour son pays.
L’extradition demandée et obtenue, l'Américain fut ramené à Genève sous bonne escorte, des menottes aux poignets. Il débarqua à la même gare d'où il était parti triomphalement quelques jours auparavant. 



Et, curieusement, tous les voyageurs de l'hôtel étaient sur la quai d'arrivée.
L'enquête judiciaire fut rondement conduite. Elle apprit que cet Américain s'appelait Clinchwood, que c'était un des plus célèbres escrocs d'Amérique, qu'il avait déjà subi six condamnations, dont une à dix ans de travaux forcés, et que parmi ses exploits le plus extraordinaire était le vol de cent cinquante pianos!
Condamné une fois de plus par les tribunaux de Genève, Clinchwood se suicida dans sa cellule.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 novembre 1908.

Triste fin de la plante de M. Bécot.

Triste fin de la plante de M. Bécot.



- Vous avez une nouvelle plante, Madame Rifflard?
- Mais oui, Monsieur Bécot.
- Faites-y bien attention, j'en ai eu une comme celle-ci..., elle n'a vécu que deux mois.
- La manque d'air, sans doute?
- Non, elle est morte d'une maladie de pot!

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er novembre 1908.

Ceux de qui on parle.

M. Chauchard, "Articles de Paris".


M. Chauchard est l'un des rares millionnaires que la France s'honore de compter parmi ses enfants. Aussi est-elle fière de lui et l'entoure-t-elle de toutes sortes d'attentions et de prévenances. M. Chauchard a reçu successivement tous les ordres de la Légion d'honneur, sans qu'on puisse donner de ces distinctions d'autres raisons que son grand âge et sa grosse fortune.
L'année dernière, il fut fait grand-croix, et, à cette occasion reçut à sa table dans sa villa de Longchamps, le Président de la République, son prédécesseur M. Loubet, l'ancien ministre Leygues, qui fréquente assez souvent chez M. Chauchard et des personnalités comme le général Brugère, le docteur Pozzi, M. Bonnat, etc. Toutes ces personnes qu'il n'est pas facile de déranger, s'étaient réunies non pas parce que M. Chauchard a plus d'honneur que le commun des mortels dans la proportion d'une cravate de grand-croix à une médaille de sauvetage, ce qui serait absurde, mais qu'il a beaucoup, beaucoup d'argent.




Il est évident qu'en s'abaissant ainsi à flatter la vanité d'un parvenu dont la mesquinerie est notoire, ces personnes de qualité escomptent la mort prochaine de M. Chauchard et espèrent voir attribuer par testament, qui au musée du Louvre, qui à l'Oeuvre de Bienfaisance qu'il patronne, une somme rondelette.
Mais M. Chauchard, narquois, s'entête à ne pas mourir et épuise tous les degrés de notre ordre national sans dévoiler ses intentions, si bien que le gouvernement commence à se demander avec inquiétude quelle distinction on pourra maintenant lui accorder.
Jean-Louis est un trop petit petit personnage pour être reçu a la table du Calicot National. Il peut donc, sans manquer aux lois de la délicatesse, dévoiler les modestes origines et les petites faiblesses de M. Chauchard.
Il y avait autrefois, rue Montesquieu trois magasins de nouveautés: le Coin de Rue, la Ville de Paris et le Pauvre Diable. M. Chauchard fut employé au Coin de Rue et au Pauvre Diable, M. Hériot à la Ville de Paris.
Un jour, tous deux quittèrent leurs patrons et s'associèrent pour fonder les Magasins du Louvre*, grâce à l'aide d'amis fortunés qui leur prêtèrent 250.000 francs.
Le propriétaire de l'immeuble où le nouveau magasin s'était installé était M. Péreire. Voyant l'affaire de MM. Hériot et Chauchard prospérer, il offrit spontanément de les commanditer.
Son concours favorisa le développement du Louvre et l'accroissement de la fortune de ses fondateurs.
Mais ce qui décupla cette fortune, ce fut une de ces extraordinaires chances qui permettent ce que les financiers appellent candidement d'heureux "coups de Bourse".
Afin d'augmenter le capital des magasins, on avait mis le Louvre en actions. Le trio Chauchard-Hériot-Péreire avait naturellement une bonne partie des actions.
Au moment précis où les bénéfices progressaient avec une rapidité inespérée, le bruit se répandit, venu on ne sait d'où, que l'entreprise périclitait. Le cours des actions baissa, des actionnaires inquiets vendirent leurs titres.
Il y eut ainsi des gens ruinés, au grand profit du trio Chauchard-Péreire-Hériot qui rachetait toutes les actions mises en vente et s'assurait la propriété du Louvre, les faveurs du Gouvernement et l'estime des honnêtes gens.
M. Chauchard habite avenue Velasquez, un hôtel magnifique.
Il est très coquet de sa personne, porte un corset et se fait émailler la figure.
Il a grand peur de mourir et ne voyage jamais, par crainte des accidents.
Il ne sort pas sans se faire accompagner par son médecin.
Il achète dans les ventes les tableaux de maîtres, quand ils atteignent des prix très élevés.
Il a fondé un prix annuel de trois mille francs décerné à la Société des gens de Lettres.
Il dépense sans compter quand il peut étaler publiquement sa magnificence, mais on dit qu'il est fort ladre et qu'il mesurait chichement à sa vieille mère les mensualités de trois cents francs qu'il lui octroyait alors qu'il vivait somptueusement en joyeuse compagnie.

                                                                                                                     Jean- Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er novembre 1908.

* Nota de célestin mira: 







Chronique du 31 janvier 1858.

Chronique du 31 janvier 1858.


Voici la plus singulière idée qu'ait encore fait naître la cherté des loyers. Deux amis, trouvant qu'on leur faisait payer trop cher le moindre logement, ont imaginé d'avoir une maison entière sans rien payer du tout.
Les sieurs C... et B... étaient d'habiles ouvriers, sachant un peu de tout. Ils ont commencé par choisir un terrain à leur convenance, au milieu des champs, avec des arbres alentours et une jolie vue; puis ils sont allés partout où étaient des pierres, du sable, des solives, et, s'emparant de ces matériaux avec autant d'aisance qu'ils l'avaient fait du terrain, ils ont encore dérobé les pelles, pioches et truelles nécessaires, puis ils se sont mis à construire une fort jolie habitation.
Il n'y avait bientôt plus qu'à s'y loger, lorsque le propriétaire du champ, en y venant par hasard, vit qu'une maison y avait poussé. Quelque plante sauvage venue là ne l'aurait pas étonné, mais une maison l'intriguait au plus haut point. Il alla conter cette merveille au commissaire de police. On arrêta les sieurs B... et C..., on leur apprit que les terrains, les pierres, les solives, les truelles, tout absolument, s'achète et ne se prend pas, et on les envoya pour deux ans en prison.
C'est un moyen d'être logé pour rien.
Un autre tour de voleur est celui de Claude Guillot, condamné aux travaux forcés pour vols de vases sacrés dans les églises, et qui s'en allait de Paris à Dijon dans un wagon-cellule.
Les gardiens qui accompagnaient Guillot ayant à prendre, dans la prison de Dijon, quatre autres condamnés, s'y rendirent aussitôt, sans avertir personne à la gare de la présence d'un condamné dans le wagon-cellule. Ils furent absents environ une heure. A leur retour, le wagon était vide, et un premier coup d’œil fit connaître aux gardiens comment l'évasion avait pu s'effectuer.
Guillot a commencé par briser l'un des barreaux du grillage de la cellule, puis passant le bras à travers l'ouverture qui en est résultée, il a pris, dans un petit sac pendu près de la porte la clé de ses fers et s'en est débarrassé. Passant de nouveau le bras à travers la même ouverture, il a pris dans un autre sac la clé de la porte de sa cellule et l'a ouverte.
Se dirigeant vers l'endroit où les gardiens déposent leurs effets, il s'est revêtu du pantalon et de la veste du gardien-chef, veste décorée de la médaille de Saint-Hélène, a couvert sa tête du képi du gardien, s'est emparé d'une somme de 4 francs qu'il a trouvé sous sa main, et est sorti du wagon, puis de la gare, sans que personne eût le moindre soupçon.
Le désespoir éprouvé par le gardien-chef à la vue de la cellule vide ne saurait se dire. Sans songer même à raconter à aucune des autorités de la gare ce qu'il venait d'arriver, il s'est mis à la poursuite de Guillot, et, bien entendu, n'a pas pu l'atteindre.
Un bien triste événement est arrivé à la pointe de Saint-Quentin. Trois jeunes filles s'étaient avancées seules sur l'îlot Barrière; elles en sortirent en traversant une basse où il restait peu d'eau. Mais l'une d'elles, Léonie Labillet, âgée de dix-neuf ans, ayant oublié quelque chose dans l'île, voulut absolument y retourner. Lorsqu'elle revint, la marée montante envahissait la basse. Ses compagnes lui crièrent de courir plus loin, et qu'elle pourrait gagner assez sur le courant pour passer avant l'arrivée du flot. Mais la pauvre enfant, perdant la tête, s'avança toujours dans la basse convertie en torrent; une de ses compagnes, Virginie Batel, se mit à l'eau jusqu'à la ceinture pour essayer de lui tendre la main. Mais la pauvre Léonie fut renversée et roulée dans les flots, d'où elle ne reparut plus.
Deux jeunes ouvriers qui se rendaient à pied de Martigues à Port-de-Bouc, furent surpris par un grain violent, mêlé de rafales furieuses et d'une ondée diluvienne. Arrivés près du château de Croisainte, où ils avaient l'intention de chercher un abri, le chemin leur fut barré par un ruisseau débordé qui étendait au loin ses méandres torrentueux. Ils essayèrent de franchir cet obstacle, et entrèrent résolument dans l'eau en luttant contre le courant. Mais sa violence était plus forte que leur résistance et ils ne tardèrent pas à être emportés après des efforts inouïs. L'un d'eux fut assez heureux pour s'accrocher à des buissons et parvint ainsi à échapper à la mort. L'autre, nommé Finantiel, âgé de vingt-et-un ans, entraîné du côté de l'étang de Caronte, ne tarda pas à disparaître sous les eaux. Aux cris de désespoir de son camarade, plusieurs personnes accoururent du château de Croisainte. Mais leurs recherches furent infructueuses, et ne purent découvrir cet infortuné, dont le corps inanimé fut retrouvé, après l'averse, dans une touffe de tamarins qui borde l'étang de Caronte à l'embouchure du ruisseau de Croisainte.

                                                                                                                            Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 31 janvier 1858.

dimanche 29 octobre 2017

Adultère.

Adultère.

Cas XII - Jean a commis un adultère; sa femme, qui le sait, n'a pas laissé de lui demander ou de lui rendre une ou deux fois le devoir conjugal: mais s'étant brouillée avec lui pour une affaire domestique, elle le lui refuse dans la suite. Le peut-elle?

R. Non, parce quand on a pardonné une injure, on n'est plus en droit d'en exiger la punition. Cette décision est aussi constante par les lois que par l'autorité de saint Antonin et des autres théologiens. Ce qu'on dit ici de la femme doit, selon saint Thomas, s'entendre du mari: Semel remissa punitio recidivo dolore non debet iterari, divinæ scilicet imitatione clementiœ, quœ dimissa peccata in ultitionem redire non patibur. Gelas. can. 29, XXIII, q.4.


Cas XIX- Berte a un mari qui vit depuis plus d'un an dans un adultère très-public; est-elle obligée à faire divorce avec lui en se retirant de la maison?

R. Non; car de ce côté-là il y a bien de la différence entre les deux conjoints, et
1° on ne présume pas qu'une femme soit complice de la débauche de son mari; et elle ne scandalise personne, pourvu qu'elle fasse connaître qu'elle la condamne, et qu'elle n'y donne pas lieu par sa faute;
2° l'on ne peut lui imputer l'incertitude des enfants légitimes;
3° les canons n'ordonnent au mari de faire divorce  avec sa femme adultère, que pour la punir et la corriger par ce moyen. Or, ce n'est pas le propre devoir de la femme de corriger son mari, puisqu'il lui est supérieur. Elle doit donc se borner à pleurer, à gémir, à demander à Dieu la conversion de son époux. Ce sentiment est si reçu, qu'il ne peut souffrir de difficultés.


Dictionnaire de cas de conscience ou décisions des plus considérables difficultés, par Pontas. Ateliers catholiques du Petit-Montrouge, barrière d'Enfer de Paris, 1847.

Ceux de qui on parle.

M. le Chef Parès.


Le Chef de la musique de la Garde républicaine est bien connu de nos lecteurs.
Souvent, on peut le voir dans les jardins publics à la tête de ses hommes, j'allais dire de ses troupes, diriger l'exécution d'une marche héroïque avec une si mâle vigueur que, par instants, on s'attend à le voir monter à l'assaut des bosquets.
La fougue de M. Parès a toujours été fort remarquable et elle est la principale cause de ses succès, qui ne sont pas minces comme on peut en juger.
M. Parès a commencé sa carrière en 1880 comme musicien dans un régiment d'artillerie, à Vincennes. Il avait à peine vingt ans et sortait du Conservatoire, où il avait été l'élève particulièrement heureux de Théodore Dubois.
Dès l'année suivante, il prit part à un concours comme sous-Chef de musique et fut reçu le premier. On le nomma au 74e régiment d'infanterie à Paris.
En 1883, il se présente au concours pour l'emploi de Chef. Il est encore reçu le premier et part à Nancy, au 69e de ligne.
Bientôt, ce poste de lui suffit plus. Un concours est ouvert à Paris entre tous les Chefs de musique de l'armée, pour la désignation du chef de musique des équipages de la flotte, à Toulon. Il obtient la première place: c'est une habitude qu'il a contractée!
Enfin, l'emploi qu'il occupe aujourd'hui lui est confié en 1893, à la suite d'un nouveau concours où il se classe premier, de l'avis unanime des membres du jury, sur quarante concurrents.






De tels succès remportés, on peut le dire, à la force du poignet, suffiraient à rendre fier un chef d'orchestre. Vous jugez si la modestie d'un chef de musique, qui est à un chef d'orchestre ce que le militaire est au pékin, pouvait y résister.
Le Chef de la musique de la Garde républicaine a conscience de sa valeur et s'attache à conserver à ses fonctions tout leur prestige. Il a dans l'armée le grade de capitaine: ses hommes savent ce qu'il en coûte de l'oublier.
L'amour-propre professionnel s'étend à tout le corps. Dans aucune autre partie de l'armée, on ne trouve poussé à un tel degré le dédain du reste du monde. Quiconque a suivi la musique de la Garde républicaine au cours d'un de ses déplacements, a pu apprécier, par les façons de ces messieurs, l'immense supériorité qui les distingue du commun des mortels.
Il faut, du reste, leur faire des ponts d'or pour obtenir qu'ils se déplacent. M. Parès ne craint pas la concurrence et n'avilit pas ses prix. Dernièrement, il a été prié de venir à Rennes, à l'occasion du voyage du Président du Conseil pour y faire entendre ses musiciens. Mais comme on n'offrait à M. Parès que trois mille francs pour son dérangement, il a fermé dédaigneusement l'oreille, et M. Clémenceau n'a pas eu de musique.
Est-il bien convenable, que des gens qui portent l'uniforme de soldats, n'aient pour ambition que de se faire payer de beaux cachets, des voyages en première et de bons dîners, tout comme un acteur en vedette? Est-ce que l'Etat ne paie pas ces messieurs pour qu'ils soient à sa disposition quand il lui convient? L'utilité des musiques militaires est déjà contestable. Au moins devrait-on interdire le trafic des trombones de l'Etat!

                                                                                                                              Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 18 octobre 1908.



Nota de célestin Mira:

Le Fringant: Pas redoublé dirigé par M. Gabriel Parès.





Le Bombardier: Pas redoublé dirigé par M. Gabriel Parès.

Monsieur, voulez-vous m'épouser?

Monsieur, voulez-vous m'épouser?

Dans les pays où la coutume permet aux femmes de s'offrir elles-même en mariage, elles s'acquittent de cet acte délicat avec un cérémonial discret et symbolique.
Chez les Bohémiens, jamais un jeune homme ne se risque à faire la cour à une jeune fille, mais la jeune fille à qui il agrée le lui fait savoir en lui envoyant une petite pièce d'argent. Si le jeune homme veut répondre à cette déclaration d'amour, il fait apporter un présent à la jeune fille et les fiançailles sont célébrées.
Au Monténégro, la jeune fille qui veut faire savoir son amour à un jeune homme, place une bougie allumée sur sa fenêtre; puis, à l'aide d'un miroir qui sert de réflecteur, elle dirige la lumière du côté de la maison de celui qu'elle a choisi pour mari. Si celui-ci répond de la même manière, il est admis qu'il est consentant au mariage.
Les paysannes Andalouses ont recours à un procédé moins poétique mais très original; elle offrent au paysan de leur choix un coeur de brebis assaisonné de citron. Si le jeune homme montre de la répugnance à le manger, il n'est pas digne d'épouser la jeune fille.
Les Mexicaines déploient tous les artifices de la coquetterie pour attirer l'attention de leur futur mari. Tantôt, elles s'offrent à danser avec lui, et brusquement lui tournent le dos; tantôt, elle viennent s'asseoir à ses pieds et lui chantent une romance sur un ton languissant.
Après s'être suffisamment fait remarquer, elles tentent le grand coup. Elles ramassent un petit caillou et le jettent vers leur ami. Si celui-ci s'éloigne d'elles, leur demande est repoussée; si, au contraire, il s'avance vers la jeune fille, leurs mains se joignent et ils sont considérés comme officiellement fiancés.
N'est-ce pas charmant?

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 18 octobre 1908.

Ceux de qui on parle.

Sir Sherlock Holmes.


Sherlock Holmes est un produit de l'imagination du romancier anglais Conan Doyle. C'est un type de policier subtil qui rappelle beaucoup Monsieur Lecoq, mais qui ne manque pas aussi d'originalité.
La première particularité de Sherlock Homes, celle qui explique en partie les autres, c'est qu'il est Anglais et à sa race il doit le flegme indispensable à sa profession, qui le jette frénétiquement dans des aventures inattendues; il lui doit une belle confiance en sa valeur, qui suffit quelquefois à intimider ses ennemis; il lui doit enfin une volonté tranquille, mais infiniment tenace.




La perspicacité de Sherlock Holmes est devenue légendaire. Du premier coup d’œil, il observe les détails en apparence les plus insignifiants et il en tire, avec une grande logique, de précieuses déductions. A la seule inspection d'une montre, il reconnait qu'elle a appartenu à un homme désordonné, besogneux et buvant plus que de raison.
Mais Sherlock Holmes ne possède pas seulement que du bon sens. Il est doué d'une vive imagination qui lui inspire les ruses les plus diaboliques pour découvrir ce qu'on veut lui cacher et pour dépister ses adversaires. Il se grime avec talent, il va même jusqu'à se substituer un  mannequin de cire que son mortel ennemi, le professeur Moriartory abat d'un coup de revolver, croyant tenir le vrai Sherlock Holmes.
Tout cela est bien un peu fantaisiste et l'on doute que ces aventures arriveraient dans la vie réelle aussi exactement que Sherlock Holmes les prévoit et qu'elle se produisent dans le roman. Mais la finesse d'esprit du héros, le tour froidement ironique de ses propos, les "niches" qu'il joue à la canaille, sont autant de raisons pour que nous aimions ce personnage de fiction plus que s'il était réel.
L'extraordinaire habileté de cet homme et ses succès ont tourné bien des têtes. Il s'est retrouvé un peu partout des policiers amateurs qui, à la nouvelle d'un nouveau crime, se sont précipités sur les lieux pour examiner le mur de la maison, la longueur du nez du concierge et les vases de nuit et tirer de ces éléments des indications saugrenues sur l'identité des criminels.
Fort heureusement, la police ne s'en est pas remise à ces intrépides bavards du soin de faire son métier et il faut espérer qu'elle suivra encore les vieilles méthodes qui lui permettent d'arrêter un assassin sur dix. Que deviendrions-nous si tous les inspecteurs de la Sûreté se croyaient des Sherlock Holmes et se mettaient à raisonner?
Les policiers amateurs ne sont pas seuls à vouloir imiter Sherlock Holmes. Les exploits de ce personnage ont éveillé des vocations plus malhonnêtes, témoin celle d'un domestique de grande maison que la lecture de Conan Doyle a transformé en voleur. Désireux d'accomplir, lui aussi, un vol scientifique, il a raflé les bijoux de ses maîtres et est allé les enterrer dans le Bois de Boulogne, près du Pavillon d'Armenonville. C'est grand'chance qu'on les ait retrouvés, car autrement Conan Doyle aurait pu être poursuivi en justice comme civilement responsable.

                                                                                                                   Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 11 octobre 1908.

Saintes.

Saintes.
(Charente-Inférieure).



Saintes, ville d'environ 12.000 habitants, commerçante et riche, agréablement située, est traversée par la rivière la Charente. L'antiquité de sa fondation et son importance à l'époque gallo-romaine et au moyen-âge sont constatés par de nombreux monuments de différents âges.
Dans l'ère celtique, c'était Mediolanum civitas santonum, la cité des Santones, agglomération gallique formée de trente-deux peuplades d'origine et d'intérêts communs, mais de moeurs et d'habitudes différentes.
On reconnait l'emplacement de la ville gauloise sur le coteau de Saint-Vivien, au nord de la vallée actuelle.
Dans l'ère gallo-romaine, c'était un municipe se gouvernant par ses propres lois, sous la suzeraineté de Rome, où un défenseur était chargé de ses intérêts. Quelques pans de murs indiquent encore la place de son capitole, qui resta debout jusqu'au treizième siècle. Les ruines de son amphithéâtre, qui étonnent encore par le vaste emplacement qu'elles occupent; un arc de triomphe dédié à Tibère, à Germanicus et à Drusus, malheureusement déplacé et trop restauré; des vestiges de thermes, d'importants restes d'aqueduc; de nombreuses voies antiques encore reconnaissables, des hypogées, des pierres sépulcrales, des vases, des débris antiques de toutes sortes conservés au Musée, témoignent de la grandeur et de la richesse de la cité antique.
les monument du moyen âge, bien conservés, ne sont pas moins remarquables. Les plus intéressants sont: la crypte de Saint-Eutrope, ancienne église paroissiale, et la plus vaste de France après celle de Chartres. Précédée d'un vaste narthex, dont les murs seuls appartiennent à la fin du onzième siècle, elle présente, dit M. Viollet-le-Duc, cette particularité remarquable, qu'elle est vivement éclairée et que ses chapiteaux sont richement sculptés. C'est un large vaisseau (large pour une crypte) de 5 m. 40, terminé par un rond-point, avec collatéral pourtournant et trois chapelles rayonnantes. Les murs des collatéraux ont été repris à la fin du onzième siècle et au treizième, ainsi que les voûtes des deux chapelles latérales; la chapelle absidiale a été reconstruite.
L'église de Saint-Eutrope, ancienne abbatiale de l'ordre de Cluny, fut bâtie à la fin du onzième siècle; le pape Urbain II en consacra l'autel principal en 1096. Ce qui reste du chœur primitif est de toute beauté. le clocher, de style flamboyant, est de 1482, il a 70 mètres de hauteur (1).




L'église de Sainte-Marie, abbatiale fondée en 1047 par Geoffroy Martel et Agnès de Bourgogne sa femme, est en croix latine avec une seule nef; la façade et le portail sont d'un style très-pur du douzième siècle; la nef seule est du temps de la fondation; le clocher du onzième siècle.
L'église paroissiale de Saint-Pallais est aussi du douzième siècle. L'église de Saint-Colombe, aujourd'hui chapelle des Dames carmélites, est du quinzième siècle. L'église paroissiale de Saint-Pierre est remarquable par un admirable portail du seizième siècle.
"Cette église, dit M. l'abbé Lacurie, accuse quatre reconstructions successives; les dernières assises de la tour du clocher datent de la première fondation, sous Charlemagne; le transept droit est un reste de la reconstruction par Pierre de Confolens en 1117; la nef principale est due à Nicolas Cornu de la Courbe de Brée, en 1582, et le sanctuaire a été bâti par Louis de Bassompierre, vers la fin du dix-septième siècle. Les bas-côtés et les arcs-boutants en ruine, que l'on remarque à l'extérieur sont les restes de la magnifique construction de Guy de Rochechouart, au quinzième siècle, ruiné par les protestants en 1562."
C'est le clocher de Saint-Eutrope qui, dans notre dessin, domine de si haut les blanches constructions de la cité moderne. Il les domine plus encore par l'élégance des lignes, l'harmonie des proportions, la richesse des détails, si bien mêlées dans sa hardie silhouette, que par ses amples dimensions.
Des massifs de maçonnerie obstruent, sur un large espace, le sol; des voûtes épaisses en surgissent, des corridors s'y enfoncent brusquement, tout festonnés de lierre: ce sont les restes de gigantesques arènes qui abritaient vingt-cinq mille spectateurs avides de jeux sanglants. Ce premier plan, symbolique autant que pittoresque, sollicite vivement l'attention; l’œil ne suit pas sans plaisir ses différents aspects, l'esprit ne s'arrête pas sans profit au grand contraste et au grand souvenir qu'ils évoquent.


(1) Le dessin qui accompagne cet article est la reproduction réduite d'une gravure à l'eau-forte de notre collaborateur M. Lancelot, qui a entrepris de reproduire les monuments et les sites historiques ou remarquables du département de la Charente-Inférieure. L'arrondissement de La Rochelle est achevé (65 eaux-fortes, avec un texte historique et descriptif).

Le Magasin pittoresque, avril 1875.

samedi 28 octobre 2017

Ceux de qui on parle.

M. André Messager.


Ça n'a pas été sans peine que M. Gailhard a quitté le Palais de l'Opéra où, depuis vingt-et-un ans, il régnait en maître. Il a résigné ses pouvoirs le 31 décembre 1907, entre les mains de MM. Messager et Broussan, et il leur a remis le fameux passe-partout qui ouvre les sept mille portes du monument. M. Messager l'a aussitôt confié à son associé qui sera plus particulièrement chargé des fonctions administratives. Quant à lui, il se réserve la direction artistique et n'entend suspendre à son trousseau que la clé de sol ou bien la clé de fa.
Il est vraisemblable que sous la direction du musicien habile et de l'homme de goût qu'est M. Messager, l'Opéra connaîtra de brillants succès, mais ce n'est pas absolument certain. Autre chose est de composer de la musique ou de diriger un théâtre. M. Messager va peut être faire four, ce qui serait d'autant plus pénible pour lui qu'il n'aurait pas à compter sur la commisération publique. L'attitude des gens les plus généreux serait celle d'un monsieur qui a reçu une pièce fausse et qui réussit à la passer. Il affecte une parfaite indifférence, mais il est, à part lui, plein de satisfaction.
Ce que je dis n'est point par pure cruauté.




Voilà un compositeur qui a écrit des œuvres charmantes comme la Fauvette du Temple, Madame Chrysanthème, Les P'tites Michu. Il a cinquante cinq ans: son âge lui permet de composer encore une foule d'opéras-comiques, d'opérettes, de ballets qui feraient passer de bonnes soirées aux amateurs de spectacles gais, récréatifs et sans prétentions. Mais, talonné par l'ambition, il renonce à son métier pour celui d'impresario.
C'est une défection. Le public y est sensible, et si M. Messager échoue, le public n'aura l'air de rien, mais il fredonnera peut être dans sa barbe un air vengeur.
La vie de M. Messager a été presque tout entièrement consacrée à la musique. Le Directeur de l'Académie nationale de musique n'a fait que des études primaires. A quinze ans, il est venu suivre les cours de l'Ecole de musique religieuse Niedermeyer, à Paris. Il reçut ensuite des leçons de M. Saint-Saëns. Il alla à Bruxelles où il exerça la profession de chef d'orchestre.
Il avait été pendant quelque temps organiste du chœur à l'église Saint-Sulpice. Il revint à Paris comme organiste de l'église Saint-Paul-Saint Louis, puis il fut maître de chapelle à Sainte-Marie des Batignolles (1880).
C'est de cette époque que datent ses débuts au théâtre. Entre deux messes, il écrit de la musique profane. Les bonnes dévotes ne se doutaient pas que tout en jouant les airs sacrés, leur organiste cherchait des motifs principaux pour son prochain ballet des Folies-Bergères.
Bientôt M. Messager aborda des scènes plus importantes: aux Folies-Dramatiques, aux Bouffes, même à l'Opéra-Comique, on joua ses partitions et il devint un compositeur célèbre et décoré.
Déjà tourmenté du désir de diriger quelque chose, il entra à l'Opéra-Comique comme chef d'orchestre et directeur de la musique, puis il joignit à ces fonctions celles de directeur du Royal-Opéra (Covent-Garden) de Londres. C'est un homme d'un commerce agréable, et que les compositeurs, ses confrères aiment beaucoup... depuis qu'il dirige des théâtres de musique.

                                                                                                                   Jean-Louis.



Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 octobre 1908.

Nota de célestin Mira: 






Le tour du monde des salutations.

Le tour du monde des salutations.


"Comment vous portez-vous?". Dans cette phrase de quatre mots se trouve l'essence même du caractère français.
"Vous portez-vous?" tout extérieur, superficiel, indique bien l'être impressionnable, vif; le peuple ardent et démonstratif.




Le Gascon dit simplement: "Commin vas?". Deux mots lui suffisent, alors que le Parisien, plus exigeant, en demande quatre.





L'Allemand vous salue par son: "Wie  geht's?", comment va-t-il (il neutre), c'est à dire comment va l'être? La personne tout entière est comprise dans ce seul mot.
L'Anglais, très fort en monosyllabes vous dit: "How do you do?" ou bien "How do you feel?", comment allez-vous; mot à mot, "comment faites-vous faire" et "comment sentez-vous"
Le Hollandais vous lance un fort: "Hoe waart's ge?": comment voyagez-vous? - Peuple toujours en voyages;
Les Égyptiens vous disent: "Comment va la transpiration?", phrase qui caractérise bien leur climat brûlant.
Le Chinois, finement gastronome en tout et partout, vous salue par ces mots: "Tchen kna fan me?": "Avez-vous mangé votre riz?" ou par cet autre: "Comment est votre estomac?".




Ce bon Céleste descend de sa monture quand il passe à côté d'un grand personnage.
Les gens qui passent la moitié de leur vie à l'ombre vous abordent par le lent: "Come sta?".
Les Arabes demandent: "Par la grâce d'Allah! comment êtes-vous?".
Les Ottomans: "Soyez sous la garde de Dieu."




Les Persans: "Puisse ton ombre ne pas diminuer."
Les Russes baisent le front des dames leurs amies, sans que personne n'y trouve à redire.




Dans l'Arabie Pétrée, on se salue en se mettant joue contre joue. 




En présence d'une caste supérieure à la sienne, l'Hindou se prosterne dans la poussière.



Dans quelques îles de l'Amérique du Sud, les naturels se crachent dans les mains, puis frottent la figure de la personne qu'ils veulent complimenter, ce qui sans doute ne peut manquer d'être très doux.




Les sauvages d'Australie collent leur langue contre celle de leur ami. Horreur! Et les microbes! Les malheureux n'y pensent pas.




En Afrique, les nègres se serrent le nez en signe d'affection vive, l'on doit avancer la tête vers celui qui a la pensée de vous donner ce témoignage d'amitié.




En Laponie, on s'offre la pipe l'un de l'autre sans l'essuyer, et il faut accepter sans sourciller et même avec un doux sourire.
En France, autrefois, les hommes, les princes même, s'offraient à coucher dans les mêmes draps, ce qui montrait que l'on avait aucune répugnance l'un pour l'autre et qu'on était prêts à partager les mêmes maux.
Dans certaine commune du département de la Corrèze, un simple signe de croix vous accueille, tandis que dans l'Auvergne vous entendez un adicias qui vous ferait croire, sur le ton où il est prononcé, à un juron.
Pour terminer dignement ce "tour du monde" et en revenir à notre point de départ, la France, finissons par des formules "fin de siècle" qui ont pris des tournures ironiques et cruelles. On dit:
A un homme qui revient du Maroc ou de Turquie: "Je te croyais perdu!"
A un seigneur russe qui fait ses frasques à Paris: "Tiens, les Japonais vous ont fait grâce!".
A Monsieur Edmond Rostand, rencontré au hasard d'une promenade dans les Pyrénées: "Quand Chantecler chantera-t-il?".
Et à un financier qui flâne sur le boulevard: "Vous avez donc fini vos cinq ans?".

                                                                                                                             Raoul Pierre.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 20 septembre 1908.