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jeudi 31 octobre 2013

La peste et les pauvres.

La peste et les pauvres.

Au mois de novembre 1876, un homme aussi modeste que laborieux, l'intrépide fouilleur des archives normandes, M. E. Gosselin, mourut entouré de l'estime et du respect de ses concitoyens, laissant aux futurs historiens une série de travaux utile accomplis avec patience et conscience. Peu de mois avant sa mort, M. E. Gosselin publiait un volume intitulé: Nouvelles glanes historiques normandes. Le principal objet de ces glanes, c'est:

                                           La peste puisqu'il faut l'appeler par son nom.

La peste et la misère au moyen âge. Tout naturellement, l'auteur des Glanes essaye de découvrir ce qui se fit alors pour remédier à ces maux; il montre, en effet, comme personne peut être ne l'a fait avant lui, ce que fut à cette époque, la police des pauvres et la police de la peste.
Jamais histoire ne mit à nu mieux que ces Glanes de l'archiviste Gosselin, avec ses pièces authentiques, les misères de ce temps. Il est vrai qu'il n'y est question que de ce qui se passait à Rouen; mais ce qui se passait à Rouen se passait partout. Partout, dans les villes et dans les campagnes, on était attristé par l'incessante rencontre de mendiants et de pestiférés.
La peste causait de tels ravages que les médecins eux-mêmes n'osaient, même à prix d'or, visiter les malades; quelques uns se sauvaient. Il fallut, à plusieurs reprises, que les édits royaux intervinssent pour forcer à rester dans la ville les membres du Parlement.
Mais "toutes les fois, dit M. Gosselin qu'un soupçonné de peste comparaissait devant la justice, il demeurait dans la cour du Palais, et répondait de là aux questions que nos seigneurs, placés aux fenêtres ouvertes de la chambre du plaidoyer, trouvaient bon de lui adresser: c'est ainsi, entre autre , que Berthelot, l'un des éventeurs, ayant contrevenu aux ordonnances, fut amené dans la cour du Palais, et " messieurs de la grand'chambre s'étant transportés dans la chambre des beuvettes, dans le lieu voisin qui regarde dans la cour, l'interrogèrent par la fenêtre; et par la fenêtre lui fut prononcé sa sentence."
Il existe encore à Rouen une "rue du Clos-des-Marqueurs"; les marqueurs, relégués dans un clos situé en dehors de la ville, avaient pour mission de marquer d'une croix les maisons où quelqu'un était soupçonné de peste; une fois la maison marquée, il n'était plus permis à personne d'y entrer ou d'en sortir. Ceux qui l'habitaient, saisis de terreur, de fureur, de rage et de frénésie, criaient, hurlaient aux fenêtres, souvent en proie aux tortures les plus épouvantables. Nul moyen d'en sortir. On fermait " les portes des maisons au moyen de cadenas et de grosses chaînes"; les fenêtres étaient solidement grillées.
Des  hospices  furent crées, appelés dérisoirement "lieux de santé", alors qu'ils n'étaient que    " lieux de pestilence et de mort". On entassait les malades quatre, cinq, six ensemble, pèle-mêle dans de misérables paniers en osier appelés lits. Une religieuse, nommée Romaine Martin, dans une requête au Parlement, constate que, pour cent soixante malades, elle n'a que vingt-cinq lits.
En 1637, on trouve, pour dix mois seulement, onze mille morts: il y a là, une période de cent cinquante ans, pour laquelle M. Gosselin ne porte pas à moins de dix mille la moyenne annuelle des Rouennais emportés par la peste.
Ajoutez que tous ces cadavres étaient enterrés dans l'intérieur de la ville.
En 1649, rien que pendant le mois de septembre, trois cent cinquante maisons furent marquées, et en octobre, il y en eut quatre cent soixante douze.
Vous représentez-vous le spectacle? Entendez-vous les cris des malades aux fenêtres? D'une seule maison située près de la Crosse, habitée par un tailleur nommé Canel, en une seule fois sept cadavres sont emportés dans un banneau.
Vous représentez-vous aussi la terreur des autres habitants? Comment tous n'en mouraient-ils pas?  Ah! que les historiens ont été jusqu'ici faibles et incomplets, au pris de ces réalités terribles conservées dans nos archives! Mais qui expliquera que l'humanité ait pu survivre à de telles épreuves?

Magasin Pittoresque, 1879.

La vie en communion et la mainmorte.

La vie en communion et la mainmorte.

On sait qu'on appelait gens de mainmorte, sous l'ancien régime,  les serfs, qui, en matière de propriété, avaient des droits assez restreints. Ils étaient considérés comme usufruitiers, la propriété restant au seigneur. Lorsqu'un mainmortable mourait sans enfants, ses biens faisaient retour au seigneur, lui échéaient, de là le mot Echute. En outre, tout comme aujourd'hui les mutations, soit pas décès, soit par donation ou vente, donnaient lieu à un droit assez élevé au profit du seigneur.
Pour éviter l'échute et les droits de mutation, les familles de Bos et d'Huchisy avaient mis leurs biens en communion (nous disons aujourd'hui en communauté). De cette sorte, la famille ou la société ne mourant pas, ou au moins fort rarement, n'avait pas à subir le droit d'échute, et les biens étant immobilisés et ne changeant pas de maîtres, il n'y avait rien à payer au fisc en cas de décès de l'un des membres.
Mais le fisc pas plus que de nos jours n'entendait jamais perdre ses droits. Aussi avait-on inventé une fiction légale, qui consistait à exiger de toute collectivité, communauté, couvent, etc... ce qu'on appelait un homme vivant et mourant, sur la tête duquel la propriété était censée reposer; à sa mort le droit était perçu.
C'était une grave affaire que de choisir l'homme vivant et mourant, le seigneur le trouvant toujours trop jeune et la communauté trop vieux. Il est très probable que les habitants de Bos, en société, fournissaient l'homme vivant et mourant le moins possible.
Aujourd'hui on a trouvé une autre fiction fiscale. Au moyen de statistiques plus ou moins exactes, on admet que les biens doivent changer de maître régulièrement dans une période d'années constante, mais assez courte. Au lieu de percevoir le droit de mutation sur les biens de la collectivité à l'expiration de la période, on le perçoit par annuité. Les biens de mainmorte, outre l'impôt ordinaire, paient un second droit assez élevé.
Dans le public, on se figure volontiers que les biens de mainmorte sont uniquement  ceux des congrégations religieuses, tandis qu'en réalité ils n'en forment qu'un minime partie. La majeure partie est possédée par les départements, les communes, les hôpitaux, les sociétés anonymes de toutes sortes, chemins de fer, compagnie d'assurance, sociétés financières et autres.

                                                                                                     Un ancien magistrat.

L'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 20 août 1903.

Le casque André.

Le casque André.


Il n'y a aucune assimilation à établir entre le chapeau boër, porté par les Boers, et le même chapeau porté à titre d'essai (malheureux) par nos fantassins, à la revue de Longchamps.
On peut, en effet, trouver seyant ce chapeau porté par des soldats de Botha et de Wett, car ces héros ne portaient, en général, aucun uniforme, et le chapeau de feutre à bords relevés, accompagnait fort bien le costume de chasse dont étaient revêtus les hommes des commandos. Ce chapeau n'était, d'ailleurs, qu'un simple chapeau civil agrémenté d'une cocarde.
Mais on peut trouver, en même temps, parfaitement ridicule, ce même chapeau lorsqu'il est porté par des hommes d'une armée régulière, en uniforme et accompagné d'attributs militaires comme les épaulettes. Or les journaux illustrés nous montrent des officiers en épaulettes, ce qui est habillé, affublés de ce chapeau mou et l'effet est choquant.
Voit-on le général André, en grande tenue, avec ses grands cordons, ses plaques et ses croix, sa ceinture d'or, ses bottes vernies et ses broderies, portant sur tout cela le petit chapeau de feutre mou?
Ce qui allait fort bien au fermier de Wett, en blouse et en guêtres, irait beaucoup moins bien au général André.
Les gravures du temps nous montrent certains "héros" des trois glorieuses, montant la garde en chapeau haut de forme, orné d'une cocarde. C'étaient de bons bourgeois improvisés soldats, et leur coiffure s'explique, mais elle deviendrait inexplicable si elle était portée par des soldats de métier et je ne pense pas que jamais les ministres de Louis-Philippe aient songé à donner aux troupes d'Afrique des castors à long poils. Le Président Kruger était parfaitement beau et vénérable sous son vieux "tuyau de poil" jauni et brossé à rebrousse poils. Le président Loubet le serait-il autant sous ce même couvre-chef, respectable, à coup sur, mais démodé?

                                                                                                                  St du Pat.

J'estime, comme le Dr L., qu'il serait bon de donner un peu plus de fixité à la tenue de l'armée française; de faire la part du progrès mais aussi de la tradition, et surtout de ne pas se jeter trop facilement dans l'imitation des autres peuples. Le chapeau boër était sans doute très seyant sur la tête des combattants du Transvaal, soldats improvisés, véritables francs-tireurs qui ont fait la guerre de guérillas plutôt que la grande guerre stratégique.
 La question posée par M. P., se ramène donc à ceci: ce qui convenait à de telles milices, convient-il également à de grandes armées opérant par masse? Eh bien, j'en doute. La mode est aujourd'hui en France à la simplicité, et cela se peut soutenir pour de bonnes raisons; n'oublions pas toutefois, que les autres armées européennes continuent de faire une part, et une grande, à l'élément brillant, à l'uniforme orné et ajusté, et l'argument a bien sa valeur. On n'a jamais trouvé inutile, en effet, de faire que le soldat et l'officier fussent fiers de porter un bel uniforme différent du costume des autres hommes, eussent l'orgueil les jours de parade ou de bataille, d'offrir des alignements étincelants, non seulement d'acier, mais de couleurs éclatantes et d'or.
Peut-être les partisans de la nouvelle tenue pourraient-ils invoquer avec plus d'autorité l'exemple des Etats-Unis. Dans la guerre de la Sécession, les armées fédérales et confédérées répudièrent les brillants costumes; mais les uns et les autres, ne l'oublions pas, constituaient des milices dont le rôle commença et finit avec la guerre. D'ailleurs, il n'existait pas aux Etats-Unis cette longue tradition militaire que nous avons en France; ce peuple nouveau et pratique, demeuré puritain de surcroît, n'a pas comme nous la conception chevaleresque de la guerre. Français, nous sommes, en effet, les fils de ces gaulois qui aux jours de combat, se paraient à l'envi d'armes éclatantes d'or, d'argent et de vives couleurs; des chevaliers empanachés du moyen-âge; des soldats de Rocroi, de Denain et de Fontenoy, aux riches uniformes; des grenadiers et des cavaliers décoratifs qui combattirent et vainquirent à Austerlitz, à Iéna et à la Moskova. Les armées de la Convention, elles-mêmes, n'avaient pas toujours des souliers, mais leur tenue n'en était pas moins martiale et gaie.
Je suis donc peu porté, en principe, à approuver l'introduction de l'uniforme boër dans l'armée française. Mais, à tout prendre, il faudrait avoir vu, et je n'ai pas vu; il faut aussi, si la réforme doit avoir longue vie, compter sur l'accoutumance.
Et si je suis plutôt du parti de ceux qui critiquent, le nom du ministre qui tente l'aventure est sans influence sur ma manière de voir.

                                                                                                                        H. C. M.

L'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 20 août 1903.

mercredi 30 octobre 2013

Potins, synonyme de cancans.

Potins, synonyme de cancans.

On lit dans le Dictionnaire de locutions proverbiales, par L.-M.-E. Grandjean t II, 298.

Faire des potins: des commérages.

Le potin est la matière employée pour faire la vaisselle, dans les pays où l'argile manque. C'est un alliage de cuivre et d'étain, et quelque fois de plomb.
Faire des potins, dans le sens de bavarder, ce serait imiter les commères, qui, lorsqu'elles se réunissent à la fontaine pour nettoyer leur vaisselle, font aller leur langue plus vite que le frottoir.

                                                                                             P.c.c.                    A. S. E.

Littré dit qu'un potin est un cucurbite de fer dont on se sert pour certaines distillations, et il ajoute que ce mot se prend au figuré dans le Boulonnais et ailleurs pour désigner familièrement des commérages. Il y aurait donc une assimilation entre le liquide bouillonnant dans la chaudière et le murmure, le papotage des commères.
Toubin, tire potin du sanscrit pat, parler péjoré comme la plupart des termes très anciens. Le langage purin, parler du peuple des bas quartiers de Rouen a potinn, babil fatiguant.
AU XVIIe siècle, potin se disait déjà pour bavardage, témoin cet exemple tiré de la Muse normande.

                                                                 I n'y pedra que sen latin
                                                                 Avec que toute sen vieus potin.

Faut-il rappeler qu'Henri Monnier a nommé une des concierges qu'il met en scène (La victime du corridor) madame Potain? 

                                                                                                    Gustave Fustier.

L' Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 20 août 1903.

Haricots et fayots.


Haricots et fayots.

Je trouve dans le volume VIII, p.43 des Souvenirs entomologique de J. H. Fabre , une charmante attestation sur l'étymologie du mot Haricot.
Elle est trop longue pour trouver place dans nos colonnes, mais en voici un résumé:
"...Le français l'appelle aussi faséole, flageolet. Le provençal le nomme faioù et favioù: le catalan fayol, l'espagnol, faseolo, le portugais feydo; l'italien flagiuolo...Les langues de la famille latine ont conservé avec l'inévitable altération de la désinence le terme antique de faseolus.
Or, si je consulte mon lexique, je trouve: faselus, faseolus, phaseolus, haricot.
Savant lexique, permettez-moi de vous le dire: vous traduisez mal: faselus, faseolus ne peut signifier haticot. Et la preuve sans réplique, la voici: Dans les Georgiques (livre I, vers 227 et suivant), Virgile nous apprend en quelle saison, il convient de semer le faselus. Il nous dit:

"Si vero victamque seres vilemque jaselum...Haud obscura cadens mittet tibi signa Bootes;
Incipe et ad medias sementum extende pruinas."

Rien de plus clair: il faut commencer les semailles du faselus à l'époque où la constellation du Bouvier disparaît au couchant, c'est à dire vers la fin octobre, et les poursuivre jusqu'au milieu des frimas.
Le haricot est hors de cause. C'est une plante frileuse qui ne supporte pas la moindre gelée. Il s'agit sans doute d'un pois ou d'une gesse.
J. H. Fabre raconte ensuite une conversation entre le poète José-maria de Heredia et une dame qui demande au ciseleur de sonnets quelle est celle de ses œuvres qu'il préfère;
- Que voulez-vous que je vous réponde? fait le poète. Je suis très embarrassé... Je ne sais quel est le sonnet que je préfère: je les ai tous faits avec une peine horrible... Et vous, lequel préférez-vous?
La dame fait des compliments au poète et s'excuse de ne pouvoir choisir entre tant de pierres précieuses.
- Ah! bien, moi, il y a quelque chose dont je suis plus fier que tous mes sonnets et qui a bien plus fait pour ma gloire que mes vers.
- C'est?
- C'est d'avoir trouvé l'étymologie du mot haricot.
- ...?...
- J'ai trouvé des renseignements sur les haricots en faisant des recherches dans un beau livre d'histoire naturelle du XVIe siècle d'Hernandez: de Historia plantarum novi orbis. Le mot haricot est inconnu en France jusqu'au XVIIe siècle: on disait fèves ou phaséols; en mexicain, ayacot. Trente espèces de haricots étaient cultivés au Mexique avant la conquète. On les nomme encore aujourd'hui ayacot, surtout le haricot rouge ponctué de noir et de violet. Tout en gardant ou peu s'en faut, sa dénomination première, la fève de Montezuma, l'ayacot aztèque a passé du Mexique dans nos jardins potagers.

                                                                                                                          Demolf.

L' Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 20 août 1903.

Le café de la Régence.

Le café de la Régence en 1832.

Au moment où l'on transforme ce célèbre établissement, il peut être intéressant d'en lire la description originale suivante, d'après un journal de l'époque.
" Le café de la Régence s'est entièrement mis à la mode: La salle triangulaire qui le compose est tapissée de glaces; on n'aperçoit pas un seul point de muraille. Le comptoir est élégamment décoré, et la limonadière y est brillante et affable; tout y respire la civilisation et les bonnes manières. Cependant, l'observateur qui, ne s'arrêtant pas dans la première et étroite enceinte, formée par ce que j'appellerai le sommet du triangle, pénètre plus loin et s'avance au delà du poêle, retrouve les trait de physionomie première.
Voici les joueurs d'échecs: leur attention, leur air de supériorité, leur chant à demi voix, leurs tremblements nerveux, l'agitation musculaire de leurs traits et la rapidité du mouvement de leurs mains, révèlent et leur occupation et leur talent. Point d'élégance dans les échiquiers; ils sont primitifs; mais pour les joueurs du café de la Régence, il faut que le cavalier ait sa tête de cheval; et comme les tourneurs de Paris ne façonnent pas ainsi cette pièce, le maître de l'établissement  en a une provision toujours prête. Il y a quelques années, tous les cavaliers disparaissaient chaque soir. On observa, et l'on reconnut qu'un des habitués du jeu d'échecs avait la singulière manie de mettre les cavaliers dans sa poche; on les lui fit payer.
On loue l'échiquier par heure au café de la Régence; le soir, le prix augmente à cause des deux chandelles placées sur les côtés du damier."
Depuis les deux chandelles, que de chemin parcouru par le luxe!

L' Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 10 août 1903.

Souvenirs de Constantinople.

Souvenirs de Constantinople.


C'est en l'année 1906, à Constantinople. Depuis notre arrivée dans l'antique Byzance, impossible de dormir. Après avoir contemplé au delà de la Corne d'Or le flamboyant coucher de soleil qui auréole de pourpre les dômes des moquées de la Sultane Validé et de Sainte-Sophie, après les douces rêveries au crépuscule et dans la contemplation du clair de lune qui rend plus féerique encore le panorama de Stamboul assoupie sous la pâle illumination de la blonde Phœbé, nous songeons au sommeil réparateur, digne récompense de nos exploits pédestres à travers les rues au sol onduleux de Péra et de Galata. Se promener dans Constantinople constitue, en effet,  une véritable gymnastique. Mais non, nous ne dormirons pas!  A peine le silence de la nuit règne-t-il sur la ville que de furieux aboiements se font entendre, accompagnés de refrains mille fois ressassés par un nombre incalculable de phonographes. Abominable cacophonie! Et ce concert inesthétique recommençait chaque soir.
Les aboiements assourdissants nous apportaient l'écho des conversations de messieurs les chiens et de mesdames les chiennes, guerroyant pour un os que vingt de leur congénères se disputaient. Ils dormaient tout le jour, accroupis au milieu de la chaussée, sans soucis des passants, mais le soir ils entraient dans l'exercice de leurs fonctions publiques: c'étaient en effet, de populaires balayeurs des rues, des agents-voyers à bon marché qui veillaient sur la santé publique en ramassant de leur mieux les ordures.




Comme nos chiffonniers fouillent au bout de leurs crochets les détritus et vieux papiers et chiffons, de même ces braves chiens nettoyaient avec la patte et de leurs crocs les déchets laissés sur les routes, en tiraient leur nourriture tout en faisant oeuvre utile.
Nos insomnies s'accompagnaient de malédiction contre ces meutes hurlantes et nous nous promettions de décamper le lendemain, mais nous comptions sans la fascination du cadre admirable de ces sites enchanteurs.
La nuit a passé. L'aurore monte dans l'azur profond comme une fée lumineuse sur un char de roses. Vénus, l'étoile radieuse du matin, triomphe des premières heures du jour et brille d'un éclat splendide comme au temps où elle inspira les poètes de l'antique mythologie orientale lorsqu'ils dédièrent cette planète voisine, sœur de la Terre, à la déesse de la beauté. Les mille feux stellaires des soleils de l'infini se sont éteints graduellement. Le ciel s'emplit des rayons dorés du soleil levant, mais la Terre semble encore endormie et un immense voile laiteux comme une mousseline blanche enveloppe et cache à nos yeux Stamboul, la ville sainte, que nous dominons de la colline de Pèra. Soudain une chose vague, imprécise perce la brume diaphane. Cette apparition semble s'élever, idéale, vers le ciel à mesure que le brouillard descend et s'évanouit; un à un les minarets et les coupoles reluisantes émergent et leurs silhouettes se détachent sur le fond embrasé des cieux.
Alors le mauvais souvenir de la nuit sans sommeil et des cris furieux s'évanouit devant le spectacle grandiose et charmant du jour oriental renaissant sur les rives du Bosphore, et l'on ne songe plus qu'à explorer de nouveau cette région si prestigieuse et à glaner de nouvelles impressions.
A peine arrivés dans la rue,  nous nous heurtons à leurs excellences messieurs les chiens, ennemis de notre repos nocturne, , auxquels nous devons faire force politesses, car ils ne se dérangent pas devant les passants et nous nous détournons de notre chemin pour ne pas troubler leur quiétude.
Pauvres toutous, ils ont payé chers leurs modestes faveurs! Un beau jour un édit barbare a décrété leur disparition.
On sait quelle fut leur triste odyssée: déportés comme de simples apaches en une île déserte de la mer de Marmara et, abandonnés à leur triste sort, ces malheureux exilés finirent leur existence au milieu des affres épouvantables de la faim, en une lente et triste agonie. Nul ne connaîtra jamais les drames déchirants qui se déroulèrent en ces lieux ravissants où toute une république canine s'entre-dévorait à la face impassible du ciel, dans la lutte suprême pour la vie.
Ces fameux chiens de Constantinople étaient laids et sales, pelés, souvent infirmes et décharnés, généralement jaunâtres ou roux, et tous du même type, rappelant à la fois le renard et le loup. Malgré leur laideur et leurs hurlements, ils étaient plutôt sympathiques, car ils paraissaient bons, doux et attachés à l'homme. Il y avait notamment près de notre hôtel, une chienne affreuse, dont la carcasse se recouvrait d'un poil beige clairsemé, jambes rouges de plaies, queue et oreilles arrachées au cours d'une quelconque bataille, qui prodiguait à son rejeton qu'elle allaitait des soins si maternels et si touchants, qu'elle aurait ému les cœurs les plus endurcis et, malgré son inélégance, on la câlinait avec compassion.
Laissons dormir en paix ces malheureuses victimes.
Au seuil de l'hôtel, notre drogman ou si l'on préfère notre interprète, nous attendait chaque matin pour élaborer le programme de la journée. Drôle de bonhomme que notre drogman! Sur le conseil d'amis éclairés, nous avions réclamé les bons offices de l'illustre Achille, ne confondons pas avec le héros de la guerre de Troie, avec la bouillant Achille au talon vulnérable et au pied léger, vainqueur d'Hector, vaincu de Pâris. Non, il s'agit d'un certain guide fort connu des touristes à Constantinople, trop connu même, car pour répondre aux exigences de sa clientèle, il se dédouble en une multitude de sosies qui font le désespoir des voyageurs abusés. N'ayant pu obtenir ses services, nous avons eu recours à ceux d'un certain Bernard, qui, lui aussi, n'était en vérité que le sosie du vrai Bernard presque aussi insaisissable qu'Achille.
Pour calmer nos nerfs tendus par les aboiements de plusieurs nuits, il n'a trouvé rien de mieux que de nous mener voir les derviches hurleurs de Scutari.
C'est un jeudi. Toute la nature semble en fête sous l'éclat d'un soleil splendide. Une infinité de paillettes d'or et d'argent scintillent à la surface du Bosphore. Près du pont de Galata qui voit mille fois quotidiennement défiler l'Europe et l'Asie sous l'aspect du flot humain qui oscille d'une rive à l'autre de la Corne d'Or, et porte vraisemblablement des échantillons  des échantillons de toutes les races terrestres ou presque, depuis les Chinois olivâtres, les Circassiens barbus, les noirs Africains jusqu'aux blonds et flegmatiques Anglais, près de l'embarcadère des grands paquebots, un caïque nous attend, frêle et svelte embarcation, longue et étroite, rapide comme une périssoire et non moins instable, que secoue terriblement la houle du détroit. Nous voguons vers Scutari, figés au fond du léger esquif, n'osant faire un mouvement de crainte de chavirer. Mais la côte d'Asie se rapproche rapidement et nous voyons se balancer les hauts cyprès du fameux cimetière de Scutari, où les bons musulmans viennent dormir leur dernier sommeil. En ce champ de repos dont les pierres tombales ne sont pas séparées du monde des vivants, on ne sent pas flotter la tristesse des nécropoles: c'est une forêt dont le charme et le mystère se marient au parfum des fleurs sauvages mélangé à celui de la mer.





A peine avons-nous débarqué sur le pittoresque môle en bois qui amène les navigateurs au sol ferme de l'ancienne Chrysopolis, que nous sommes envahis par une nuée de mendiants et de marchands de rahatloukoum, sorte de pâte de fruits transparente dont on est, là-bas, très friand. Au bout de quelques pas, mon équilibre devient fort instable, je subis terriblement l'influence de l'attraction de la terre et pique une tête en avant. Cette chute, qui a failli se renouveler vingt fois pendant mon séjour à Constantinople, provenait de ce qu'il y a dans le pays des bandes de jeunes garnements qui, pour vous arracher une aumône, cirent de gré ou de force les chaussures des passants, et qui, armés d'une brosse et d'un infect chiffon, se glissent sournoisement entre vos pas et vous font culbuter. Ils sont si petits et si agiles, ces brosseurs, que vous vous apercevez de leur présence qu'au moment où ils saisissent l'un de vos pieds pour le soumettre, malgré vos protestations, à un décrottage en règle.
Ayant retrouvé la verticale de mon axe, nous nous dirigeâmes vers le "Tekké" des derviches hurleurs. Imaginez un théâtre de foire rectangulaire dont l'intérieur est garni de balustrades en bois, sorte de loges où se placent les spectateurs. Aux murs, sont suspendues des pancartes couvertes d'inscriptions sacrées. Au fond, une tenture verte est orientée vers La Mecque: c'est le "Mirahb" derrière lequel on conserve un exemplaire du Coran. Des tapis et des armes sont accrochés sur les côtés de la salle.
En attendant le commencement de la cérémonie, un jeune Turc offre aux spectateurs des cornets de bonbons. On cause, on rit, on ne se croirait jamais dans un sanctuaire. Soudain une musique monotone domine les conversations. Les acteurs entrent en scène. Des Imans accroupis au milieu de la salle sur un tapis chantent en s'accompagnant au tambourin, et en dandinant leur corps d'avant en arrière, comme des automates. Devant le Mirahb, le grand prêtre ou Cheick se tient immobile majestueusement drapé dans un burnous de laine sombre. 


Les hurleurs commencent par jeter quelques cris gutturaux isolés, puis ils forment une chaîne en se tenant par les épaules et s'agitent diaboliquement. D'un même élan, ils se précipitent en avant, têtes baissées, comme pour briser leurs crânes les uns contre les autres, puis se rejettent en arrière, la tête renversée, en poussant des rugissements dont le ton s'élève à mesure que le rythme de leur ronde, excité par la voix et le geste des musiciens, s'anime davantage, et en même temps ils râlent de furieux La-illah-il-Allah-Mohammed-rassoul-Allah, dont les sons inarticulés n'ont de comparable que les aboiements des chiens défunts de Constantinople. Au paroxysme de la scène, on se croirait dans le voisinages d'une tanière de lions ou de hyènes, tant ce vacarme est peu humain. Les derviches exténués, ruisselants sont enveloppés dans de larges burnous blancs: on dirait des baigneurs qui viennent d'accomplir quelque remarquable performance de natation. Pour finir la scène, le Cheick soutenu par deux Imans piétine le dos de marmots couchés face contre terre, ce qui est assez impressionnant, car le Cheick est gros et lourd, et les enfants sont si frêles que l'on craint d'entendre craquer leurs os; mais il paraît qu'au contraire, dans la croyance musulmane, cet exercice a pour effet de les protéger contre les pires maux, et c'est avec une joie reconnaissante que les parents relèvent leurs bambins qu'ils croient désormais immunisés contre les maladies dangereuse.
Ce spectacle des derviches hurleurs est l'un des plus curieux que l'on peut voir en Turquie; il est plus frappant et plus sauvage que celui des derviches tourneurs qui pirouettent silencieusement jusqu'à ce que le vertige les abatte au sol. Les costumes des deux sectes sont les mêmes; jupe blanche plissée tombant jusqu'aux chevilles, veste de soie brodée et long bonnet de feutre gris. 
Mais beaucoup plus étrange encore est le départ des pèlerins pour La Mecque, sortant du palais du Sultan auquel ils viennent de faire leurs adieux. Le long de la rue étroite se déroule un cortège fantastique d'hommes jeunes ou vieux, vêtus de pittoresques costumes de laine ou de soie, les uns à pied, d'autres à cheval ou hissés sur des chameaux bizarrement ornés. Des cavaliers lancent en l'air leurs poignards et les reçoivent entre les dents; certains se tailladent les mains et le visage à coups de sabre et sont couverts de sang; d'autres semblent plongés dans un rêve extatique. C'est une vraie cavalcade. On se croirait au mardi gras. Et pourtant ces hommes se préparent à remplir un sacerdoce. A travers les plaines brûlantes et sablonneuses de l'Arabie, dans le morne désert, ils vont marcher des jours, pour atteindre la cité de Mahomet. Beaucoup n'y arrivent pas et ne reviennent pas à Constantinople: ils meurent en route, dominés par la fatigue et les privations.
Telle était naguère la moderne Byzance, mais elle s'est déjà transformée en ces dernières années, et les événements qui viennent de se dérouler en Orient laissent prévoir une métamorphose plus complète.

                                                                                          Gabriel Renaudot.

Le Journal de la Jeunesse, premier semestre 1913.                      

mardi 29 octobre 2013

La bonne chère de jadis.

La bonne chère de jadis.

Les médecins, les physiologistes et les hygiénistes d'aujourd'hui disent volontiers que, d'une façon générale, on mange trop, deux ou trois fois plus que ne réclame l'organisme, étant donner que nous assimilons mal la plupart des choses que nous mangeons en grande quantité. Et pourtant, nos appétits et nos habitudes culinaires et gastronomiques sont bien modestes à côté de ceux des siècles passés.
Un volume récent intitulé "La longévité à travers les âges", dû au Dr M. A. Legrand, a rassemblé à ce sujet des renseignements très curieux. Notre auteur a commencé par rappeler les quantités formidables de matières alimentaires qu'engloutissait très certainement l'homme préhistorique: si l'on en juge par quelques amas de débris retrouvés dans les gisements des époques géologiques, dans les cavernes habitées jadis par cet homme préhistorique. Il est vrai que les jours de famine venaient trop souvent compenser les jours de bombance. Aussi bien, à l'heure actuelle, les nègres qui réussissent à s'emparer d'un éléphant, les Esquimaux qui parviennent à pêcher quelque proie volumineuse, s'en donnent immédiatement, nous ne dirons pas à cœur joie, mais à plein estomac. Si nous relisions Homère, dans lequel on trouve tant de renseignements sur la vie des anciens temps, on verrait Ulysse reçu par Eumène et convié à un repas, dans lequel on lui sert un porc tout entier comme menu. A cette époque, il n'est pas rare de voir cinq ou six convives se partager un bœuf.
Ce sont des mœurs que nous retrouvons quelque peu chez les chameliers arabes du Désert, qui, en un seul repas et même sans être fort nombreux feront disparaître entièrement les restes d'un chameau mis à mort pour cause de blessures. Le festin de Trimalcion, les fameuses noces de Gamache sont des peintures absolument fidèles de ce que M. Legrand appelle avec raison des abominations gastronomiques.
Dans les banquets des manoirs féodaux, on consommait d'énormes quartiers de bœufs, des sangliers, des chevreuils entiers, de gigantesques poissons entourés de pâtisserie massives. Tout cela se mangeait fort salement: il n'y avait point de nappe, point de fourchettes; on se servait des doigts et on s'empiffrait, si l'on nous passe le mot. Bien entendu, on buvait à proportion, à rendre l'âme, peut-on dire sans exagération; car, à la suite de tel ou tel repas gargantuesque, on voyait assez souvent des gens mourir de congestion. Le célèbre et redoutable Attila mangea tant le jour de ses noces, lorsqu'il se remaria, qu'il mourut de congestion cérébrale dans la nuit. Ce fut le cas également au douzième siècle, quand Henri 1er d'Angleterre mourut aux environ d'Elbeuf pour avoir fait trop honneur à un plat de savoureuses lamproies. Henri VIII, qui passait à table la plus grande partie de son temps, mourut également à la suite d'une dernière orgie. L'appétit de Gargantua, imaginé pas Rabelais, était en réalité pris sur le vif.
Comme curiosité en ces matières, nous pouvons rappeler le menu d'un repas (menu qui a été reconstitué par un historien spécialiste, M. Meillon), ce repas ayant été pris par Jeanne d'Albret, mère d'Henri IV aux Eaux-Chaudes, en compagnie de ses deux enfants et de neuf autres personnes, et en 1571. Que l'on note bien qu'il s'agissait d'un festin sans cérémonie et sans apparat que l'on servit à ces douze convives. Le menu était composé d'un potage à la Vierge, de boudins, de saucisses grillées, de deux sortes de petit pâtés, d'une omelette, d'une pièce de bœuf, de côtelettes de mouton, de riz de veau, d'une compote de pigeons, d'une tourte de lapin, d'une salade, de perdreaux rôtis, de gélinottes rôties, d'un chapon rôti, de choux-fleurs au beurre, d'une crème au café, de fruits, de compote, de noix, etc...
Bien après le Moyen Age, sous Louis XIII et Louis XIV, les goinfreries sont encore à l'ordre du jour quotidien. Les repas comptent normalement de cinq à dix services, parfois plus de cent plats; et le Grand Roi absorbe régulièrement quatre potages, trois ou quatre plats à chaque service, dont un poulet ou un faisan entier. Il goûte tous les entremets; ce qui n'empêche qu'il lui faut, pour la nuit, un en-cas de volaille et de viandes diverses. Bien entendu, dans les grands repas, le nombre de plats est autrement élevé, puisque, lors du mariage de la princesse de Condé, par exemple, on vit défiler trois services de 160 plats chacun. Vers la même époque, M. de La Verpillière reçoit cent invités: il leur fait servir douze moutons, un veau et demi, cent livres de bœuf et cinquante volailles.
On comprend que, dans de pareilles conditions d'alimentation, on eût souvent besoin de ces médecins et de ces médications que Molière a rendu célèbres.
Dans son livre fort intéressant, le Dr. Legrand donne bien d'autres détails sur ce sujet; les quelques indications que nous avons fournies grâce à lui permettent déjà de juger que la sobriété n'était guère pratiquée par nos pères, chaque fois qu'ils avaient de quoi se procurer une chère abondante et savoureuse.

                                                                                                       Pierre de Mériel.

Le Journal de la Jeunesse, premier semestre 1913.

Les chiens de trait.


Les chiens de trait.

(Suite à la chronique du lundi 28 octobre 2013, quelques témoignages)


1- Il n'y a pas qu'en Belgique et dans le nord de la France qu'on attelle les chiens à des petites voitures. J'en ai vu en Poitou et en Gâtine, où je vais depuis cinq ans, des chiens tirant des petites voiturettes de lait, de fromages, et même de ces sortes de petits bazars ambulants qui vont à travers les campagnes. La dernière rencontre de ce genre, je l'ai faite en juin dernier, près de Parthenay.

                                                                                                               Mac'Ramey.


2- Je me rappelle avoir vu à Châtellerault, en 1889 et 1890, un assez grand nombre de ces étranges attelages, remorquant comme en Belgique et dans le nord de la France, les laitières et leurs marchandises; d'autres même amenant à la manufacture d'armes des ouvriers demeurant aux environs de la ville.
Ce mode de traction pourrait avoir été apporté dans la région par des habitants du Nord qui, à cette époque, étaient assez nombreux à la manufacture d'armes.
Il n'y a du reste qu'aux environs de cette ville qu'il m'a été donné de voir des chiens de trait, ne les ayant rencontrés ni en Touraine, ni en Poitou.

                                                                                                                  de Moira.


3- On voyait, en effet, il y a 50 ans, dans la plupart des villes de province, de gros chiens attelés à de petites voiture de bouchers, pour aider les apprentis rapportant des viandes des abattoirs. Mais, vers cette époque, la société protectrice des animaux intervint, et je me souviens d'avoir vu placardé sur les murs de la ville que j'habitais, en Seine-et-Marne, un arrêté du préfet interdisant l'attelage des chiens. La coutume fut abandonnée, du moins dans cette contrée.

                                                                                                                      X.


L'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 10 août 1903.

Rivalités séculaires.

Rivalités séculaires.

Il existait des rivalités séculaires entre les villages.
Il y a quelques années, une véritable bataille eut lieu entre gens de deux communes limitrophes; s'il n'y eut pas de morts, il y eut de nombreux blessés; le sujet du combat avait-il été bien grave? Qu'on en juge: les uns avaient dit aux autres:
- Eh! votre église est-elle toujours à la même place?
Or, il existe des églises qui, par suite de la dépopulation des campagnes et de la ruine des maisons abandonnées, se trouvent isolées à l'extrémité d'une commune, alors que la partie opposée  de cette commune se trouve habitée. Quelques églises sont ainsi à plus d'un kilomètre des habitations.
Les habitants de la commune, où l'église était isolée avaient eu, dit-on, l'intention de traîner leur église près des habitations, des cordages avaient été, dit-on, tressés à cet effet, et bénits; les hommes et les femmes se seraient attelés à ces cordages qui avaient été amarrés à un anneau scellé à la muraille de l'édifice sacré. L'enthousiasme avait duré longtemps et n'avait pas produit le résultat cherché. L'affaire avait eu un résultat opposé; il avait attiré la moquerie des voisins qui en avaient parlé plus que de raison. 
Et on s'explique que le combat, en échange de la question en moquerie, ait produit un résultat semblable.

L'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 10 août 1903.

lundi 28 octobre 2013

Signification de l'éternuement dans l'Antiquité.

Signification de l'éternuement dans l'Antiquité.

La question de l'éternuement et des souhaits qui l'accompagnent a été évoquée par de nombreux auteurs, depuis Homère et Aristote jusqu'à Montaigne, en passant par les auteurs latins, y compris Saint Augustin.
Je lis dans les Curiosities of literature de Disraeli un chapitre humoristique sur cette coutume universelle, où il explique, d'après Aristote, que si le bruit sternutatoire a toujours été en grand honneur, c'est parce qu'il vient du cerveau, siège de la pensée, et qu'il n'est aucunement gênant pour les personnes présentes; les autres bruits naturels émis par le corps humain ne pouvant prétendre ni à une aussi noble origine, ni à l'indifférence des voisins.

                                                                                                                       Pietro.

L'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 10 août 1903.

Inadvertances de certains auteurs.

Inadvertance de certains auteurs.

D'une publication périodique et sous la plume d'un écrivain, d'ordinaire moins distrait:

"Marat a été imbu des idées anglaises: Avant de monter sur l'échafaud, il a eu recours aux Nuits d'Young afin de mourir honorablement."

Songeons à nos propres lapsus et soyons à autrui charitable. Toutefois, redoutons, que de distraction en distraction, après avoir fait mourir Marat sur l'échafaud, on ne lui fasse assassiner Charlotte Corday.

                                                                                                                        A.

L'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 10 août 1903.

Quel est le premier homme qui mit de l'eau dans son vin?

Quel est le premier homme qui mit de l'eau dans son vin?

Le Dictionnaire de Grandjean dit, d'après Pythagore, qu' "Achéloüs, magistrat d'Eolie, apprit aux hommes à mettre de l'eau dans le vin"

                                                                                                                    A. S. E.

L'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 30 juillet 1903.

La pêche du corail.

La pêche du corail sur les côtes de la Tunisie et de l'Algérie.

Maintenant que le beylicat de Tunis est venu se souder à notre belle colonie algérienne on peut dire que, les côtes françaises d'Afrique sont les plus riches en dépôts corallifères. Malheureusement pour nous, les pêcheurs italiens en ont à peu près monopolisé la récolte. Mais que les corailleurs soient nos compatriotes ou ceux de M. Crispi, la façon dont se pêche le corail n'en est pas moins originale; et elle est, croyons-nous, assez peu connue pour que les lignes qui vont suivre intéressent nos lecteurs.
Voyez cette longue barque, élégante et rapide qui, sous sa grande voile latine et son foc, sort de la baie de Naples, et met le cap sur La Calle ou sur Bizerte. Elle jauge quinze tonneaux et porte, outre son patron, dix hommes d'équipage, dix gaillards maigres, hâves, mais nerveux et durs, il le faut, à la besogne.
On sait que dans tout navire, petit comme grand, la coutume maritime réserve au commandement le gaillard d'arrière, comme on disait dans la vieille marine, tandis que l'avant demeure le logis de l'équipage. Sur cette barque pontée, en route pour la dure cueillette du polype cher aux bijoutiers...orientaux, rien de pareil; les principes logiques y semblent renversés; c'est l'arrière qui est réservé à l'équipage et aux engins de pêche, et le maître à bord, le patron corailleur, établit ses pénates dans la partie de l'embarcation attenant à la proue (toujours vieux style).  Au-dessus de ladite proue, le religieux Italien, à l'exemple de ses antiques ancêtres les fils de Romulus, a placé l'emblème mystique destiné à appeler la protection divine sur le léger petit bâtiment et à inciter le ciel à bénir les travaux des pêcheurs. Cet emblème, dont sourit notre scepticisme et dont peut à bon droit s'indigner la délicatesse de notre sentiment artistique, consiste en un court espar fixé à l'étrave et surmonté d'une lourde boule de bois sur laquelle est grossièrement peinte, l'image du Christ, et, sur la face opposée, celle de la Vierge ou de quelque saint.
Dans la main de son adroit patron, et généralement propriétaire, la tartane, fine marcheuse, ne tarde pas à fendre les flots africains. C'est ici que l’œil du vrai corailleur et sa longue et savante pratique, à laquelle il doit une sorte de don d'intuition merveilleuse, entrent en compte comme facteur du succès de la campagne. Il s'agit, en effet, de deviner sous le houleux miroir des eaux bleues, le banc mystérieux et profond de 80 à 150 mètres où le corail vit son étrange existence; ou bien il faut reconnaître le point déjà trouvé de l'uniforme plaine liquide sous lequel s'épanouit la riche végétation animale du pierreux polypier.
L'adresse de ces hommes à cet égard est telle que, sans hésiter, comme si leur regard pénétrait les retraites sous-marines, ils sentent les places des meilleurs gisements, et même font repêcher par leurs matelots des engins immergés depuis l'année précédente. Au plus habile en ces sortes de relèvements, la plus belle part du butin. Aussi le corailleur, par crainte de laisser surprendre le secret de ses découvertes, n'admet-il que rarement, et à bon escient des étrangers à son bord.
Avant  que nos Napolitains aient jeté à la mer leur filet, disons de celui-ci un mot rapide: 
A chaque extrémité de deux espars ou perches solides, longs de 4 mètres, disposés en croix et lestés, en leur point de rencontre, d'un lourd cube de plomb, pend une corde longue de 8 mètres, et, à chaque corde sont régulièrement fixés six filets; ces filets à très large mailles tressées lâche avec de la cordelette, à peine tordue, grosse comme le petit doigt, sont fermés à l'aide d'un bout de forte ligne dont le nœud curieux, appelé faubert, est garni de nombreuses boucles qui, au moment de leur immersion, rayonnent autour de leur centre commun comme les pétales d'une champêtre pâquerette. Une cinquième corde, fixée au croisement des espars, supporte six autres fauberts et prend le nom original de queue de purgatoire. Tout l'ensemble, appelé engin, est retenu à bord par un câble enroulé autour d'un énorme cabestan.
Le patron a reconnu l'endroit propice. Sur son ordre l'engin est mis à la mer: mais on ne lui permet pas encore de plonger profondément vers les profonds palais de Neptune. Le maître du petit navire, à cheval sur le plat bord sur lequel glisse le câble, sent contre sa cuisse protégée d'un épais tablier de cuir, les oscillations que l'engin communique à sa forte drisse; la nature de celles-ci lui font augurer de celles du fond, et, bientôt, il commande de filer en grand le câble. Alors on est sur le banc du corail.
Pendant que le patron reprend son poste à la barre, l'engin s'accroche de quelques-uns de ses trente fauberts aux aspérités des corailliaires et les hommes font la calle.
La calle est la manœuvre par laquelle le câble de l'engin est vingt fois raidi et molli dans tous les sens afin d'imprimer à celui-ci des mouvements nombreux, dont l'effet est d'enchevêtrer solidement les fauberts au milieu des coraux. Enfin, l'appareil résiste à tous les efforts de traction: la calle est terminée.
C'est le moment de l'effort suprême. Sous le torrent des injures, et souvent la pluie des coups du maître corailleur (car le cabestan est placé dans ce but exactement devant la barre que le patron ne peut quitter), les matelots raidissent leurs muscles à les rompre, s'arc-boutent, haletants, baignés de sueur contre les barres courbées du cabestan...
Tout à coup une violente secousse, bientôt suivie de vingt autres, se produit... Le cabestan, jusqu'alors immobile en dépit des efforts furieux des dix êtres qui tordent ses rudes bras de bois, se met brusquement à tourner, par à-coups pénibles d'abord, puis avec une soudaine liberté qui meurtrit plus d'un travailleur; la force humaine a vaincu la résistance du corail, dont les débris arrachés au massif, paraissent bientôt à la surface des flots, emprisonnés dans les mille étreintes du chanvre.
C'est le premier coup de filet: Corail blanc (rara avis), corail en caisse (écume de sang, fleur de sang, premier, deuxième, troisième sang, suivant la teinte.), corail noir et corail mort, sont jetés pèle-mêle sur le pont avant d'être triés pour disparaître dans les soutes... sous l’œil vigilant du maître terrible.
Si cette première tentative a été fructueuse, la plus belle branche de corail est offerte en sacrifice, et recommandée à la Bonne Mère, dont l'image enluminée brille là-bas, vers l'avant. Dans le cas contraire, la reine des anges voit ces mécontents dévots la priver de la riche offrande. Dame! donnant, donnant, n'est-ce pas?
Le proverbe italien dit: " qu'il faut avoir tué et volé pour être corailleur!"
On sera de son avis lorsqu'on saura que les corailleurs travaillent dix-huit heures par jour, la peau brûlée par les rayons d'un soleil de feu et trop souvent tannée par les encouragements brutaux d'un patron avide et cruel, gagnant en moyenne trois cent cinquante francs dans une épuisante campagne de six mois; que, s'ils trouvent à portée de leur main du biscuit et de la galette dont ils grignotent à discrétion les miettes tout en virant leur infernal cabestan, ils n'ont droit à un quart de vin et quelques bouchées de viande qu'aux seuls grands jours du 15 août et de la Fête-Dieu; qu'en un mot, enfin, ils font un métier que se refuse à exercer, même pour un salaire double, les plus robustes de nos matelots de France qui, pourtant n'ont pas coutume de ménager leurs peines.
Qu'on s'étonne après cela que les corailleurs italiens fassent seuls de fructueuses affaires!

                                                                                                          G. de Wailly.

Journal des Voyages, dimanche 28 avril 1889.

Les chiens de trait.

Les chiens de traits.


Autrefois, on en voyait beaucoup plus qu'aujourd'hui; on pourrait même dire qu'on en voyait partout. Pour notre part, nous en avons vu jusqu'à Paris, un mendiant faisait traîner son orgue de barbarie, dans une petite voiturette à quatre roues, par sa femme et son chien, tirant lamentablement, à qui mieux mieux, le collier de misère, avec une persévérance digne d'un meilleur sort. Le chien surtout jouait son rôle dans la perfection, en tirant de toutes ses forces.
Quelle différence avec la noble contenance des chiens de traîneaux en Laponie, en Sibérie et dans l'Alaska, l'ancienne Amérique russe, aux nouvelles mines d'or qu'on y a découvertes depuis quelques années! Là, les chiens sont propres et fringants comme nos plus beaux chevaux d'attelage. Ils partent en jappant joyeusement, et ne perdent pas un instant pour se reposer au moindre arrêt, en soufflant paisiblement, pour repartir avec un nouvel entrain.
Autrefois, on voyait des laitières apporter leur lait, sur des petites voitures traînées par des chiens, dans les pays voisins de la Belgique, sur notre frontière des Ardennes, dans le Luxembourg, dans la Prusse Rhénane, etc. Mais ce sont là de ces usages qui se modifient progressivement, devant les automobiles perfectionnées de notre époque. Les chiens paraissent fort heureux d'aider leurs maîtres, en tirant de toutes leurs forces. Ils étaient tout honteux, me disait mon père qui était de Charleville-Mézière, quand on ne les attelait pas et qu'on en attelait d'autres à leur place. Ah! les bons chiens!

                                                                                                                  D. Bougon.

L' intermédiaire des Curieux et des Chercheurs, 20 juillet 1903.

dimanche 27 octobre 2013

Jeanne d'Arc savait-elle écrire?

Jeanne d'arc savait-elle écrire et signer?

L'intéressante publication, le Bulletin de la société archéologique et artistique le vieux Papier, dans son numéro de juillet 1903 (fascicule 19), en réponse à notre question, reproduit en fac-simile la lettre de Jeanne d'Arc aux habitants de Riom.
M. l'abbé Crégut, qui fait cette communication, croit pouvoir dire que la signature est de Jeanne d'Arc; elle l'aurait faite d'elle-même et sans le secours d'une main étrangère.

L'intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 20 juillet 1903.

Louis IX traversant Paris.

Louis IX traversant Paris.



Des trois personnages chevauchant que représente notre vignette, l'un, celui du milieu, est un roi, un grand roi. Tous trois, s'en vont, en simple appareil par les rues de Paris. Le petit jour pointe à peine sur les toits, mais déjà les matineux et les besogneux sont sur pied; on le voit bien par les silhouettes qui se détachent sur le pavé de la rue. A la fenêtre d'un maison, tout juste au moment où passe la chevauchée, un homme en bonnet de nuit met le nez à l'air, et ce n'est pas pour humer la fraîcheur du matin; on suppose qu'il fait des actes de malice méchante, avec une pointe de mépris pour les cavaliers sitôt levés et qui semblent marcher à quelque besogne pressée. En réalité, l'anecdote serait mince, s'il ne s'y rattachait un fait particulier conservé par l'histoire.
Disons que notre gravure est la reproduction sur bois d'une miniature tirée de la Bibliothèque Nationale de Bruxelles. Ce manuscrit, un de ces splendides codices que l'art flamand exécutait pour la maison de Bourgogne, est une sorte de résumé de la doctrine et de la morale de l'Eglise, extrait des livres saints, des Pères, des légendes, etc. Il contient de très belles grisailles; le texte en a été "grossé" par David Aubert, "très humble et très indigne escripvain" du duc Philippe le Bon, "en la ville de Brouxelles, l'an mil CCCC et LXII."
Voici le paragraphe relatif à la miniature:
" Example au propos de humilité. Et côment saint Loys roy rendy à ung estudiant de Paris le bien pour le mal sans contrainte.
"Cy nous dist côment le bon roy saint Loys de France aloit une fois de nuit aux matines aux cordelliers de Paris et deux sergans d'armes avecques luy. Et ung estudiant par mesprison luy tomba son orinal sur son chief. Et le lendemain, il manda l'estudiant et luy donna la prebende de Saint Quentin en Vermendois pource qu'il estoit coustumier de soy relever à cette heure pour estudier. Mais il peust sur tel avoir tumber son orinal quy ne l'eust pas si bien payé. Car ja soit ce qu'il ne feist mie à escient ne fait apensé, plusieurs sont quy s'en fussent courouchiés. Mais le très humble roy saint Loys vouloit accomplir les commandemens de nostre Seigneur Dieu qui nous commande que nous rendions bien pour mal. Si sourmonterons toutes autres gens. Mais ceulx ne s'en prendent point garde que ce que l'on leur a meffait ne veulent pardonner nullement pour l'amour de Jhesucrist nostre souverain Seigneur."

Magasin pittoresque, 1879.

Ingres.

Ingres.





La lettre de Ingres a été écrite au directeur de l'Autographe, pour qui fut fait ce dessin de la mort d'Hippolyte Flandrin.




Ce dessin a pour légende: "La mort elle-même regrette celui qu'elle vient de frapper"
Ingres est mort peu après le plus illustre de ses élèves.

L'Autographe, samedi 2 mars 1872.

Mariage sous la potence.


Mariage sous la potence.

Non seulement la coutume existait en France au moyen âge, , mais aussi en plein XVIIIe siècle. 
En Provence, les séducteurs étaient condamnés à être pendus, à moins qu'ils n'épousassent la fille séduite. On les livrait au bourreau; nul besoin de dire, qu'au pied de la potence, le patient se déclarait pour le mariage. Un prêtre, revêtu de son étole, attendait et réclamait alors le coupable au bourreau. Il procédait immédiatement à l'union, à la paroisse voisine. 
On rencontre très fréquemment de ces arrêts rendus au XVIIIe siècle, par le Parlement de Provence.
Cette coutume n'est pas isolée; c'est ainsi qu'elle existait dans la grande confédération berbère de l'Extrême Sud Tunisien; ces mêmes Ouerghemma, que Barth qualifiait de "tribu dangereuses de Bédouins sauvages". 
Au printemps de 1889, une patrouille de cavaliers du bureau arabe de Métameur, aujourd'hui cercle militaire de Medenine, tombe dans un douar de dissidents beaucoup plus nombreux qu'eux-mêmes.
Un combat acharné a lieu, au cours duquel un de nos agents tombe frappé d'une balle et abandonné sur le terrain. Il est pris par les dissidents, qui vont l'égorger, quand une jeune fille du douar accourt et le couvre de son voile. Le combat s'arrête, et aussitôt la question se pose de savoir si la grâce demandée sera accordée, ou si les deux fiancés seront mis à mort ensemble; car tel est le droit coutumier de la tribu. 
La question est tranchée dans le sens le plus humain, et les dissidents eux-mêmes apportent aux tentes fidèles le cavalier blessé que suit  sa nouvelle fiancée.

L' Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 10 juillet 1903.

Le sang de bœuf employé dans la construction.

Le sang de bœuf employé dans la construction.

En Bourgogne, et notamment dans l'Auxois, on établit l'aire des granges en faisant un mortier de sable appelé dans le pays: cran ou craon, mélangé de sang de bête pris dans les abattoirs, et le sol doit à ce procédé une telle résistance qu'on peut y battre le blé pendant plusieurs années sans qu'il en soit entamé.

L' Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 10 juillet 1903.

Les glands aux chapeaux des prélats.

Les glands aux chapeaux des prélats.

Les "protonotaires participants" ont seuls droit aux six glands du chapeau, c'est la couleur qui les distingue de ceux des évêques; les glands des "protonotaires participants" doivent être roses, ceux des évêques sont verts. Les autres prélats "di mantelletta" n'y ont aucun droit.
Les prélats qui n'ont pas le caractère épiscopal sont distingués en prélats "di mantelletta" et en prélats "di mantellone" ; ces noms leur viennent de leur costume de chœur.
La "mantelleta" est un manteau sans manches, ayant simplement de chaque côté des ouvertures pour laisser passer les bras; il descend jusqu'aux genoux et se met par dessus le rochet. C'est la mantelletta que portait Mgr. d'Hulst et que porte son successeur M. Peschenard, recteur de l'Institut Catholique.
Le "mantellone" est un manteau à peu près semblable au précédent qui lui descend jusqu'aux talons; il se met également par dessus le rochet. C'est le vêtement propre aux camériers de Sa Sainteté et aux prélats inférieurs.

                                                                                                             G. La Brèche.

L'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 30 juillet 1903.

samedi 26 octobre 2013

Le carnet de Madame Elise.

L'art de se faire aimer de sa femme.

Le jeune homme qui entre en ménage, rêve avant tout d'inspirer à sa femme un amour profond; et sa tendresse réclame le don d'une égale tendresse.
Mais par quel procédé fera-t-il naître cet amour inébranlable? Il sait bien que le doux émoi de la fiancée est un sentiment artificiel entretenu par ses madrigaux, ses bouquets, ses promesses ardentes. Dans le tête-à-tête domestique, cet attachement romanesque ne subsiste guère,  il s'envole au contact de la réalité, et c'est alors qu'il faut poser les bases profondes d'une solide affection. Comment s'y prendre?
"Il faut aimer vraiment sa femme pour s'en faire aimer" déclarent les moralistes; le conseil est bon, mais concis; il faut savoir aussi de quelle manière il convient de lui manifester sa tendresse pour provoquer la sienne en retour.
Le mari est un peu gauche devant cette jeune femme dont il connait mal les aspirations et les goûts; il veut lui plaire et l'excès même de sa bonne volonté le rend souvent maladroit.
Tout naturellement  le jeune époux, indécis,  se donne une règle de conduite héroïque, celle de satisfaire aveuglément toutes les fantaisies, de prévenir tous les caprices de sa femme; il se constitue son esclave.
Mais sa patience se lasse vite à ce jeu, d'autant plus que la jeune femme, éblouie par cette suprématie, prend peu à peu une âme de despote.
L'époux ombrageux estime bientôt qu'elle abuse de sa tendresse et qu'il est dupé. "Désormais, se dit-il, je saurai lui faire sentir le poids de ma volonté; les femmes ne savent être aimantes que pour ceux qui les brutalisent."
Alors, il devient dur, cassant, injuste même; et la jeune épouse apeurée se fait souple, pour reconquérir une affection qui semble lui échapper; elle plie, mais elle se trouve très malheureuse de cette transformation et, surtout, elle n'aime pas.
Pour qu'un mari réussisse à inspirer un amour solide, il ne doit pas s'attacher à réaliser l'idéal de sentimentalisme un peu mièvre que la jeune fille s'est créé dans ses longues rêveries; mais plutôt à incarner l'idéal de bonté ferme qu'elle souhaitera, dès qu'elle connaîtra la vie et comprendra nettement la noble solidarité de leur union.
Les petits soins doux, les attentions délicates et incessantes plaisent certainement à une femme; mais l'homme qui s'attache uniquement à prévenir ses désirs lui semble vite inférieur.
Il faut que l'admiration et une sorte de respect se mêlent à sa tendresse pour la rendre durable. Celui qui se pose en être pensant et raisonnable, qui envisage l'avenir avec clairvoyance, qui travaille courageusement, qui impose à son ménage des habitudes d'épargne, qui, en un mot, sait prendre sa place dans le mariage, inspire par sa sagesse même une plus profonde affection; il assume un rôle de mentor qui le grandit; sa jeune femme l'aime avec confiance, abandon et respect, il est pour elle un sûr appui, un ami, un guide.
Cet amour un peu grave doit s'égailler de quelques tendresses plus joyeuses et plus câlines; de temps à autre, il faut que le mari sache dire de ces riens délicieux qui réjouissent le cœur  par un mot affectueux, il exprime à sa jeune épouse la joie que lui cause sa présence; il sait lui prouver qu'il tient compte de ses aspirations, de ses goûts. Les gâteries, le badinage gracieux seraient fades par la continuité; mais, espacés, ils viennent égayer d'un plus clair rayon la solide gravité de l'affection.
Un mari ne saurait prendre trop de peine pour inspirer à sa femme un profond amour, car cette vigilante tendresse sera pour lui, durant toute sa vie, une consolation, un refuge et un soutien.

                                                                                                                   Mme Elise.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 18 avril 1903.