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vendredi 6 décembre 2013

Ingénieux projet de modification dans le prix des "aller et retour".

Ingénieux projet de modification dans le prix des aller et retours".

Voici une lettre que le facteur vient de me remettre (il n'y a pas cinq minutes), et dont je recommande la lecture à tous les amateurs de saine logique:

                         "Monsieur le rédacteur,

"C'est avec une vive satisfaction que je constate l'intérêt que vous portez, entre les mille problèmes qui bouillonnent en votre cerveau, aux questions de chemins de fer.
"Actionnaire de diverses compagnies, je crois être l'interprète de tous mes congénères en vous félicitant publiquement, monsieur, de la bienveillance que vous nous avez témoigné à différentes reprises.
"Oui, vous avez raison, les compagnies se montrent beaucoup trop faibles devant les exigences sans cesse croissantes de ces sybarites ambulants qu'on appelle des voyageurs.
"Où ce système nous mènera-t-il, pâles actionnaires? Dieu seul pourrait le dire, et peut être même l'appréciation du créateur serait-elle au dessous de la vérité!
"Quand je pense à certains abus, monsieur, à certaines monstruosités commises par les administrations au détriment de leurs pauvres actionnaires, mon sang bout; oui, monsieur, mon sang bout.
"Connaissez-vous, pour ne citer qu'un exemple, absurdité plus formidable que celle-ci, qui n'a certainement pas été sans vous frapper, homme de bon sens que vous êtes avant tout?
" A chaque individu qui prend un billet d'aller et retour, la Compagnie fait une remise considérable ( cinquante pour cent sur le retour), comme si cet individu pesait moins lourd et tenait moins de place en revenant qu'en allant.
" Un monsieur vient de Brest à Paris et s'en revient de Paris à Brest en première, moyennant une somme de 100,30 francs, alors que deux types différents, effectuant ces mêmes trajets, auraient à verser la somme de 133,50 francs.
"Pourquoi ce cadeau de 33,20 francs à des gens qu'on ne connaît même pas et, je ne saurais trop le répéter, au détriment de qui? au sempiternel détriment de l'actionnaire.
" Ne jugez pas cela idiot, cher monsieur, et dites-moi si ce n'est pas exactement le contraire qui devrait arriver.
Une administration intelligente et vraiment soucieuse de ses commettants, voici ce qu'elle ferait:
" Elle profiterait de ce que les gens sont bien forcés, à la fin, de revenir chez eux, pour leur faire payer plus cher leur billet de retour.
"Au parisien, elle dirait:
"- Ah! tu es venu passer quarante-huit heures à Trouville et tu veux rentrer chez toi. Eh bien! mon garçon, tu vas nous payer deux louis pour te ramener. Tu refuses? Eh bien, rentres à patte, si le cœur t'en dis, ou à dos de chameau, si tu trouves un dos de chameau disponible.
"Au grand négociant de Roubaix, qui est venu faire la noce à Paris, on tiendrai un langage analogue.
"Ce serait à prendre ou à laisser.
"Avec de tels procédés, monsieur, les Compagnies pourraient alors nous offrir des dividendes véritablement dignes de ce nom, tandis qu'aujourd'hui...Ah! tenez, n'insistons pas!
"Recevez, monsieur, etc...
                               
                                                                                   Un porteur de onze cent et quelques actions,
                                                                                   la plupart, hélas! de chemins de fer."

Reste à savoir comment le public prendrait ladite modification si conforme, pourtant, aux règles du simple bon sens.

                                                                                                   Alphonse Allais.

Mon Dimanche, 15 mars 1903.

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