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jeudi 2 avril 2015

Le verre des huit- prêtres.

Le verre des huit prêtres.


Sur un pied en argent, dont les ornements exécutés au repoussé indiquent comme date le treizième siècle, s'élève un calice en verre, décoré dans sa partie centrale de losanges en bleu d'outre-mer, rattachés les uns aux autres par des losanges de même couleur, et de petites perles d'émail blanc semés en nombre infini. Au milieu de ces losanges, ainsi qu'au tiers supérieur et au tiers inférieur de la coupe, sont dessinés en or des caractères qui affectent une imitation très-marquée de l'arabe, mais ne forment sur aucun point de mots distincts: ce sont des dessins pour lesquels l'artiste n'a obéi qu'à son caprice.



On sait, ainsi que le rappelle M. de Laborde dans son Glossaire faisant suite à sa Notice sur les émaux du Louvre, "que les grecs de Constantinople, ainsi que les Arabes de Bagdad et de Damas, avaient hérité des procédés de l'antiquité dans l'art de la verrerie, à une époque où en Europe on se contentait de souffler de grosses bouteilles, de fabriquer des imitations de pierres fausses, et les feuilles de verre, teintes dans la masse en couleurs éclatantes produisant des effets admirables dans les verrières de nos églises."
On croit voir dans cette coupe, vraiment curieuse, une oeuvre de fabrique orientale, qui pourrait bien avoir été apportée par Guillaume de Dampierre, vingt et unième comte de Flandre, lorsqu'en 1251, il revint d'Egypte, où il avait contribué à la prise de Damiette, et où ensuite il avait été fait prisonnier avec Louis IX à la bataille de Massoure.
Peut-être aussi ce calice est-il venu en Flandre soit quand l'empire des Latins eut pris fin à Constantinople, en 1262, sous Baudoin II, soit encore à la suite de la dernière croisade entreprise par saint Louis (1269-1270).
Ce qui est certain, c'est qu'au commencement du quatorzième siècle, il était en possession d'une demoiselle Marguerite Mullet, dite Baudran, nièce de Gérard Mullet, prévôt de l'église de Saint-Pierre à Douai. Cette demoiselle qui décéda en cette ville le 17 mars 1329, laissa un testament par lequel elle fondait dans sa maison et ses dépendances, "à tousiours et perpétuellement", un asile pour huit prêtres ou chapelains "pouvres et tels qu'ils ne soient ni grossement rentés, lesquels soient de bonne vie et honnête conversation."
Par cette acte de dernière volonté, la testatrice détaille les conditions et assure le service de sa fondation; elle lègue et donne ce qui est nécessaire "pour dire messes", et, entre autres objets, "deux calices". Celui du Musée de Douai est, suivant une tradition religieusement conservée, l'un des deux; mais comme l'usage des calices en verre était venu à être défendu à cause de leur fragilité (1), celui-ci était, suivant cette même tradition, réservé pour fêter, chaque année, le 17 mars, la mémoire de la fondatrice. Chacun des pensionnaires qui lui devait les douceurs de leur retraite buvait l'un après l'autre à sa mémoire dans ce calice, devenu un simple verre, qu'on remettait ensuite précieusement pour un an dans sa custode.


(1) L'Eglise, aux premiers siècles, n'a guère fait usage que de calices de bois, de corne et de verre. Plus tard, elle a défendu l'usage du bois comme trop absorbant; du verre, trop fragile; du cuivre, qui peut provoquer le vomissement; de la corne, qui est impure; enfin, elle a prescrit de préférence l'or et l'argent; (De Laborde, Glossaire, Calice.)

Magasin pittoresque, décembre 1877.

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