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mercredi 8 avril 2015

Cadeaux baroques.

Cadeaux baroques.


La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne,
Tel donne à pleines mains qui n'oblige personne.

a dit Corneille. Rien n'est plus vrai. Ce que nous apprécions bien souvent dans un cadeau, c'est le goût avec lequel on l'a choisi pour qu'il répondit à notre désir. Aussi ne conseillerais-je pas à mes lecteurs d'imiter ce neveu cynique, qui, le jours où son oncle et sa tante célébraient leurs noces d'or, leur offrit une superbe pierre tombale. Il paraît cependant que son cadeau fut bien accueilli et que les bons vieux firent mettre la pierre en place.



Non moins bizarre fut l'idée de cette femme qui... Mais mieux vaut vous raconter les faits tels qu'ils se sont passés sous mes yeux.
Un jour de la semaine dernière, je vis défiler un superbe cortège d'enterrement de première classe: chevaux brillamment caparaçonnés et panachés d'argent. Quelques hommes magnifiquement vêtus conduisaient le deuil, puis venaient la voiture, des prêtres et vingt voitures luxueuses et vides. Enfin, tout à la queue, un petit groupe de commères. Je m'approchai de celles-ci, qui me contèrent l'histoire naïve et touchante, après tout, de ce pompeux cortège: l'homme qu'on allait inhumer était veuf depuis quelques mois; absorbé dans sa douleur, il avait négligé les parents et les amis qu'il pouvait avoir, et avait légué toute sa fortune à sa bonne. On juge de la surprise de la pauvre fille; sa première pensée fut de témoigner toute sa reconnaissance à son bienfaiteur. Mais comment? Les entrepreneurs de pompes funèbres n'eurent pas de peine à lui persuader qu'elle ne pouvait faire mieux que lui donner des funérailles splendides, et voilà pourquoi ce mort était escorté de vingt carrosses, où les commères qui formaient seules le cortège n'avaient pas osé monter.


Une chemise de 85.000 francs.

Laissons ces imaginations macabres et passons en revue les cadeaux princiers dont la chronique contemporaine nous a gardé le souvenir. La ville de Paris donna, il y a quelques années, à la comtesse Ratazzi, à l'occasion de son mariage, devinez-quoi? Une chemise. Mais il faut dire que cette chemise, ornée de dentelles précieuses, n'avait pas coûté moins de 85.000 francs. Calculez, d'après cela, le prix du trousseau.
Tout dernièrement, le président Roosevelt à reçu un piano à queue, couvert d'une feuille d'or, et d'une valeur de 75.000 francs. Les côtés portent, peints à l'huile, les écussons des treize Etats primitifs de l'Union. Les pieds sculptés représentent des aigles.
Je doute que les président des Etats-Unis ait le temps de tapoter le clavier de ce coûteux instrument. Bien plus pratique me semble avoir été cette dame qui, au cours du dernier voyage que fit Coquelin en Amérique, lui offrit une police d'assurance contre les accidents d'une valeur de 3.000 dollars (15.000 francs).

Pour dégeler M. Deschanel.

Un autre cadeau pratique fut fait à M. Paul Deschanel le jour de son mariage. Un de ses collègues à la Chambre lui envoya une tonne de charbon, avec, sur sa carte, ces simples mots: "Pour vous dégeler un peu!" L'épigramme était vive.



Les musées reçoivent quelquefois des dons bizarres de généreux maniaques. Il a été offert dernièrement au Musée de l'Armée une collection, très rare, dit-on, et je le crois sans peine, d'environ 800 boutons d'uniformes militaires depuis la première république jusqu'à nos jours. Le Musée de l'Armée de Vienne a hérité d'un colonel autrichien une collection de 5.000 petits soldats en papier mâché, représentant les divers régiments du monde, d'autrefois et d'aujourd'hui.

Le présent d'un cambrioleur.

Je crois que les lecteurs de Mon Dimanche seraient bien embarrassés pour la loger s'ils recevaient une collection de ce genre. M. Magnaud, le bon juge de Château-Thierry, ne le fut pas moins lorsqu'on lui apporta une caisse contenant une trousse complète d'outils de cambrioleurs, qui lui était adressé par un "travailleur" retiré des affaires après fortune faite. Pris de scrupules tardifs, il ne voulait pas que ses outils pussent passer en de mauvaises mains. De pareils cadeaux sont très compromettants: imaginez que vous soyez victime d'une erreur judiciaire et qu'au cours d'une perquisition on trouve ces pièces à conviction chez vous.
Votre compte est bon.
Certains personnages en vue reçoivent parfois ainsi des présents fort encombrants. De temps en temps, on peut lire dans son journal que le roi d'Angleterre vient d'envoyer à M. Loubet, trois magnifiques pur-sang; ou bien c'est le vice-roi d'Annam qui lui envoie une paire d'éléphants. Le pauvre Président se débarrasse comme il peut, au profit des haras et des établissements zoologiques, de ces malencontreux quadrupèdes.



Mme Sarah Bernhardt se trouvant un jour à Langtry, ville du Texas (Etats-Unis) reçut une délégation des habitants qui lui offrit: une tarentule vivante emprisonnée dans une cage d'argent, un ours apprivoisé, une paire de mulets et un fusil à six coups. Ces gens-là n'ont évidemment aucune idée de la manière de vivre des Parisiennes.
Car enfin, je vous le demande, à quoi diable peut servir une tarentule emprisonnée!

Une négresse à la sauce.

Mais la palme, dans cet ordre d'idée, revient assurément au chef d'une tribu d'anthropophages africains, qui, voulant se concilier la bienveillance de l'explorateur Stanley, lui adressa, sous bonne escorte, une superbe négresse, en lui faisant savoir que, depuis trois semaines, on l'engraissait avec soin et qu'elle serait succulente.
Stanley dut remercier chaleureusement l'expéditeur de sa délicate attention et manœuvrer fort habilement pour lui laisser ignorer que la pauvre femme n'avait pas été mise en ragoût ni cuite à la broche, ce dont la victime proposée se montra fort étonnée, et, il faut bien le dire, un peu vexée. Les femmes sont si susceptibles!

                                                                                                               J. L. Fouché.

Mon dimanche, revue populaire illustrée, 1er janvier 1905.

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