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samedi 11 janvier 2014

Les voleurs sont gens d'esprit.

Les voleurs sont gens d'esprit.

Les voleurs sont gens d'esprit. Et pourquoi pas?
Un voleur, en somme, c'est le monsieur qui pense avoir trouvé un moyen commode et lucratif de gagner sa vie sans s'astreindre à un travail forcé.
Affaire de conscience direz-vous, et quand on n'en a pas beaucoup, qu'est-ce qui peut vous empêcher d'aller fouiller dans la poche du voisin ou de dévaliser vos semblables sans désinvolture et... avec esprit, car les voleurs en ont à revendre!
Un bon médecin de campagne, monté sur sa mule, regagnait tranquillement son logis. C'était par une de ces journées qui comptent dans la vie d'un médecin; il avait touché l'argent de ses visites! On a beau être médecin, c'est à dire un grave personnage, on peut être joyeux à certains jours, et M. le docteur, tout en soupesant de temps à autre sa sacoche rebondie, chantonnait gaiement.
Tout à coup, au bord du chemin, se présente un pauvre diable, dépenaillé, piteux.
- Monsieur le docteur! Ah, monsieur le docteur! Ma pauvre femme... ayez pitié de moi, elle se meurt... elle s'en va d'un cours de ventre.
- J'y vais, mon pauvre ami.
Et le docteur pense:
- Une malheureuse mère de famille! diantre, soyons charitable.
L'idée de sa sacoche bien garnie rend sensible le cœur du brave médecin.
Les voilà partis, la mule trottinant et l'homme à la femme malade courant derrière, lorsque, en passant devant un petit bois, notre homme saute sur le docteur, le renverse à terre et le dévalise pendant que la mule s'enfuit à touts jambes... les mules n'étant point braves de nature.
- Cher docteur, dit le voleur en retirant poliment son chapeau, la pauvre femme malade, c'était ma bourse... et vous porter de quoi la guérir... ajouta notre homme en prenant la sacoche. 
Et comme M. le docteur restait tout accablé au milieu du chemin, le voleur lui fit un beau sermon:
- Vous êtes un homme de science connu à dix lieues à la ronde, consolez-vous et soyez charitable; l'argent que vous me laissez aujourd'hui, Dieu et votre science vous le rendront au centuple. Je peux d'ailleurs vous rendre le bien que vous m'avez fait; les chemins sont peu sûrs, n'est-il pas vrai?... Je vais vous accompagner jusqu'à votre porte.
En chemin, le voleur traita notre docteur avec les plus grands égards et ce dernier croyait ses maux terminés, mais voilà que subitement l'orage survient.
- Monsieur le docteur, dit l'autre, vous voilà chez vous, mais moi j'ai encore un long chemin à faire, permettez-moi de vous emprunter votre manteau pour regagner mes pénates!
Plus de sacoche, plus de manteau, plus de mule! Notre docteur en fit une maladie... et pourtant un médecin volé c'est chose possible; mais ce qui paraît invraisemblable c'est un voleur volé.
Dans un carrefour de Paris, jadis, un chenapan en quête d'un mauvais coup avisa un citoyen d'assez passable tournure.
Il l'attaqua et le dévalisa.
- Eh quoi! s'écrie l'autre, une bourse que je venais de prendre!
- De prendre? elle ne vous appartient donc pas? Alors, vous êtes un confrère? mille excuses de m'être trompé, mais j'ai un absolu besoin de cette bourse.
- Soit, repart le volé, mais comme j'appartiens à une bande qui pourrait m'avoir vu, déchargez votre pistolet dans mon chapeau, afin que notre chef croit que j'ai fait bonne résistance.
- Ah! entre confrères, on peut se rendre service, répond le premier voleur; voilà...
Il décharge son arme dans le chapeau de l'autre.
- Triple sot, dit le premier, nous voici maintenant à armes égales.
Il l'empoigne à la gorge, reprend sa bourse et s'en va, laissant notre homme tout penaud.
Qu'on aille dire que les bandits n'ont pas d'esprit.

Mon Dimanche, 5 avril 1903.

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