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mercredi 2 octobre 2019

La bande des fausses bonnes.

La bande des fausses bonnes.


J'avais dîné, voici quelques années, avec un ancien juge d'instruction. C'était aux environs de Paris. Longtemps nous avions savouré la fraîcheur du soir. Les ombres étaient venues, profondes, et les arbres qu'un faible vent berçait, avaient cette inquiétante et grave poésie du mystère qui rend ces heures nocturnes si impressionnantes. Et comme, en prenant congé de notre hôtesse, nous la félicitions du calme et de la solitude parfaite de sa résidence:
- Bast! dit-elle en frissonnant, je suis trop isolée, ici... vous verrez qu'on me trouvera un jour assassinée.
- Les craintes de Mme D... H... ne sont que trop fondées, me dit notre ami en me prenant par le bras: n'avez-vous pas été frappé par la recrudescence des crimes en banlieue? Les agressions, les cambriolages de villas se multiplient dans une effrayante proportion. Je sais de vieilles rentières, des vieillards terrorisés et qui préfèrent, dans l'insécurité où ils se trouvent, quitter leur intérieur pour finir leurs jours dans des maisons de retraite. Bien leur en prend. Isolés, ils sont fatalement exposés au crime: leurs noms à tous, leurs habitudes, leur situation de fortune sont soigneusement notés, il semblerait qu'une police occulte et abominable ait marqué leur porte d'une croix de sang. Magistrat, j'ai souvent été amené à cette extraordinaire constatation.
- Hélas! que de fois, il ne suffirait, pour les sauver, que de les mettre en garde contre leur propre imprudence lorsqu'ils admettent chez eux des étrangers, car neuf fois sur dix, ces renseignements ne proviennent que de prétendues domestiques...
- Les domestiques???
- Entendons-nous bien: il y a en France, d'après les derniers recensements, un million et demi de femmes en service et, pour Paris, la moyenne annuelle des vols domestiques ne dépasse pas mille. C'est vous dire qu'il ne faut pas se hâter de généraliser et que le métier comprend, pour la plus grande majorité, de très honnêtes personnes. Le cas n'est pas rare des plus grandes marques de dévouement données à leurs maîtres par d'humbles servantes, comme cette Marguerite Roux qui nourrit de son travail sa patronne ruinée, comme cette fidèle Françoise Abbé qui sauva la vie de son maître Grotins, enfermé dans une caisse.
Les femmes auxquelles je fais allusion ne sauraient être confondues avec les véritables servantes: elles en ont pris le masque seulement. Chez elle le tablier n'est qu'un prétexte, elles sont du type de cette Rose Allacade, une détenue que je visitais naguère à la maison centrale de Clermont, et qui se flattait d'avoir appartenu à la fameuse bande des fausses-bonnes



Ces filles ne font jamais de longs séjours en place: un jour, elles disparaissent subitement. La plupart du temps, on les a prises les yeux fermées, "parce qu'elles n'étaient pas pour rester". - Domestiques de passage!- C'est cette demoiselle élégante "qui ne plaisait pas à Madame"; c'est cette petite personne sèche, aux allures de détraquée, dont on disait que "c'était un type"; c'est cette figure inquiétante "dont les yeux effrayaient sa vieille patronne..."
- Alors, elles reviennent plus tard faire leur coup?
- Non, cette femme est trop lâche. Elles agissent seulement dans les affaires de tout repos qui nécessite plus de doigté que d'énergie; par exemple, lorsqu'il s'agit de découvrir la cachette d'un bas de laine qu'on enlèvera pendant la sortie des maîtres. Camélia Blondeau, arrêtée l'an dernier, appartenait à cette catégorie. Munie de faux certificats, elles entraient dans les meilleures maisons et n'en disparaissait qu'après avoir dévalisé ses maîtres. Mais c'est là l'exception.

La Fausse-Bonne opère rarement.

"La fausse-bonne se contente la plupart du temps de son rôle d'informatrice, signalant au groupement dont elle est l'affiliée "la façon dont il faudra travailler". L'invention de ce procédé revient aux hommes. L'affaire de la rue de Séze et l'affaire Marchandon, l'assassin de Mme Cornet, en sont des exemples retentissants. Marchandon faisait partie d'une bande opérant en condition, c'est à dire sous le couvert de la domesticité. Mais chez lui, elle n'était évidemment qu'un moyen et non un but; puisque loin d'exercer la profession d'un valet de chambre, cet homme menait à Compiègne, où il avait les plus belles relations, une vie fastueuse.
Aujourd'hui, ce rôle d'indicatrices semble presque uniquement réservé aux femmes. Je vous cite, parmi les plus tristement célèbres, Marthe Ellanie qui purge sa peine à la Nouvelle; la femme Trube qui se suicida en se perçant le cœur avec une aiguille; et cette extraordinaire Georgette Goha, arrêtée peu après la mort du général Chabisseau.
Georgette avait su capter la confiance de son maître retiré seul sur ses terres de Bourgogne. Un jour que le général, vieux et impotent s'était assis devant sa maison, un inconnu l'aborde et le somme de lui livrer les clefs de son coffre-fort. Le général appelle au secours, il est frappé d'un coup de couteau. On accourt mais ses domestiques n'interviennent pas pour le défendre. Chabisseau avait, sur les conseils de Georgette, renouvelé tout son personnel, et pendant que le maître agonise, les pseudo-valets mettent l'habitation au pillage. Le général mourut deux heures après. On connut tous ces détails par un pauvre idiot qui avait assisté en pleurant à cette scène atroce. La fille Goha, tombée entre les mains de la police, n'a jamais vendu ses complices!"
L'ancien juge et moi avions longtemps marché sous bois lorsqu'en approchant de Ville-d'Avray, nous aperçûmes, malgré l'heure tardive, de la lumière dans la maison d'un ami commun.
- Entrons chez Caux, me dit mon compagnon. La proposition m'agréa. Je connaissais de longue date le célèbre policier, mort aujourd'hui dans des circonstances qu'on n'a jamais pu éclaircir. Deux individus fumaient silencieusement avec lui quand nous nous présentâmes.


L'arsenal du crime.

- Croyez-vous, demandai-je inopinément à Caux, à l'existence d'associations criminelles entre faux domestiques?
- J'ai consacré à ce problème plusieurs années d'une étude passionnée pour arriver à la conviction la plus absolue: j'en connais une. Occulte, toute puissante, insaisissable, souvent, on a annoncé sa disparition parce qu'on avait perdu ses traces. On a même été jusqu'à nier qu'elle ait jamais existé: je n'ai jamais ajouté foi aux dénégations intéressées de la justice, trop portée à cacher ce qu'elle savait pour ne pas alarmer l'opinion.
Je me suis moi-même, durant plusieurs mois, attaché à l'identification d'une mystérieuse personne d'une remarquable beauté dont on signala régulièrement le séjour dans différentes maisons qui furent cambriolées. Une perquisition repérée dans un hôtel particulier de l'avenue d'Eylau avait fait découvrir le plus étrange capharnaüm qu'eut pu imaginer un feuilletoniste: toute la friperie d'un costumier de théâtre, robes de soie et de travail, luxueuses fourrures, etc.. C'étaient là que se maquillaient les fausses bonnes Une photographie ramassée à terre d'une théâtreuse fort répandue dans les music-hall de Londres, sous le nom de Lily Johnson, arrêta mon attention. Une intuition m'avait averti que Lily et l'insaisissable soubrette ne devaient faire qu'une. Son emploi d'indicatrice créait de fructueuses diversions à ses apparitions sur les planches. Pour la trouver, j'opérai une filature jusqu'à Nice. Deux jours, je pus épier ses allées et venues. Enfin, j'allais tenir la clef du mystère quand on découvrit un matin sur la route de Cimiez le cadavre d'une élégante jeune femme. Le sein transpercé d'un poignard, Lily Johnson m'échappait, emportant son secret dans la tombe.

Au secours.

Plusieurs fois, pendant qu'il parlait, Caux avait interrogé sa montre. Je pensais qu'il était temps de nous retirer: or il nous retint avec insistance:
- Il faut en convenir, dit-il avec modestie, le hasard est le dieu des policiers. Voici une étrange lettre; elle vous montrera que les maîtres sont souvent récompensés de leurs bontés à l'égard de leurs serviteurs. Elle révèle un angoissant problème domestique, un drame intense. Une malheureuse jeune femme me l'écrit; elle a appartenu à la meilleure société, des fautes l'ont fait tomber très bas. Aujourd'hui elle est la créature d'un misérable qui, pour servir ses mauvais desseins, l'a fait entrer chez une vieille dame du voisinage. Sous l'influence de son conseiller, elle a trahi sa maîtresse que ce soir, dans une heure, on viendra assassiner pour la voler. La reconnaissance a seule empêché la fausse domestique d'aller jusqu'au bout du crime: sa patronne lui avait donné les plus généreuses marques d'affection et, au dernier moment, elle m'a fait parvenir ce billet désespéré pour m'avertir:
- Si quelques coups de revolver ne sont pas pour vous faire peur, suivez-moi. Au reste, des armes ne vous seront pas inutiles. Le temps presse: nous allons à la villa Millers, chez Mme D... H...
L'ancien magistrat et moi échangeâmes un regard: nous avions dîné dans cette villa!
On marcha d'un bon pas. La maison apparut bientôt; nous en franchîmes la clôture. Caux et ses deux acolytes nous postèrent dans un massif près du perron, avec ordre de tirer sur qui tenterait de s'échapper.
Et l'on attendit. Les minutes nous parurent terriblement longues. Et puis soudain, deux coups de feu, quelques cris, un bruit de lutte. Nous nous précipitons. Caux et ses hommes avaient terrassé deux bandits.



Mme D... H... qui s'était réveillé en sursaut descendit, affreusement troublée.
- Je déménagerai dans la semaine, nous dit-elle. Et elle tint parole. Mais elle a conservé sa servante jusqu'à la fin de ses jours!

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 14 octobre 1906.

vendredi 11 mai 2018

Quand on vole dans les grands magasins.

Quand on vole dans les grands magasins.


Avec leurs étalages éblouissants, leur amoncellement de merveilles, leur continuel désir d'éveiller la curiosité et de satisfaire les caprices féminins, les grands magasins ont développé prodigieusement la passion du vol. Ce sont de véritables bandes organisées qui, tous les jours, opèrent dans les importants magasins de nouveautés et, si cette besogne, réservées aux dames, ne demande ni pinces-monseigneurs, ni armes meurtrières, en revanche, elle exige des professionnelles beaucoup d'adresse, un art consommé de la prestidigitation.

Les voleuses opèrent.

Vêtue d'un grand manteau, munies de larges poches, la voleuse pénètre dans le magasin. Très élégante, parlant avec volubilité, elle désire, dit-elle, faire à sa nièce, un joli cadeau et prie la vendeuse de lui soumettre un assortiment de broderies. L'employée s'empresse:
- Broderies à la main, Madame?
- Oui, du Richelieu ou du Colbert, ce que vous avez de plus joli.
Les "broderies à jour" couvrent le comptoir, la belle dame ne peut se décider, et la vendeuse retourne aux casiers. 


-N'avez-vous rien de plus beau, mademoiselle?

Au moment précis où ses regards ont quitté les broderies étalées, une main habile saisit la pièce la plus riche qui disparaît dans une poche du manteau.
C'est là le tour classique! détourner l'attention de la vendeuse et faire main basse sur la marchandise convoitée; mais l'imagination fertile des voleuses agrémente de mille ruses ce simple tour d'adresse.
C'est jour d'exposition, on s'écrase aux étalages sur le trottoir, la circulation est presque impossible. A l'intérieur, les marchandises débordent; c'est un amas de richesses, un fouillis de couleurs indescriptible; une foule se presse à chaque rayon et les commis sont surchargés de besogne. Soudain, dans une allée noire de monde, une visiteuse maladroite, bousculant une employée, renverse un siège que celle-ci portait. Court émoi; cliente en vendeuse se précipitent pour ramasser la chaise; notre voleuse, dans le brouhaha, prestement s'empare d'un objet exposé et le tour est joué!

L'élastique et le crochet.

Mais les cambrioleuses anglaises, qui sont femmes pratiques et les plus habiles au monde, ont imaginé pour le pillage des magasins un merveilleux instrument. Simple comme tout ce qui est génial, l'appareil se compose d'un élastique et de deux crochets. L'un des crochets, solidement fixé au coude gauche supporte un petit élastique qui, lorsqu'il est tendu, arrive au poignet, et se maintient dans une position par une pointe métallique, piquée à la manche du corsage, et qu'un simple mouvement de la main suffit à détacher. Tout l'appareil est dissimulé sous l'ample mantille traditionnelle.
Voyons maintenant le jeu de l'appareil. Notre voleuse examine des étoffes, son choix est fait, elle emportera la pièce la mieux ouvragée. Alors tout en causant, elle accroche à sa main droite l'étoffe à l'hameçon mobile de la manche; l'hameçon n'étant plus retenu, immédiatement l'élastique se détend et va porter la proie au crochet du coude. Puis la belle dame toujours souriante, fait un achat insignifiant, et sort tranquillement du magasin.
L'appareil, après avoir accompli des merveilles chez nos voisins, a été récemment importé en France et fait florès dans les magasins de Paris.

Prisonnière.

On ne peut s'imaginer le nombre des vols qui y sont commis: c'est aux inventaires seulement que les patrons désolés se rendent compte du chiffre des pertes. Il y a quelques années, les directeurs d'un grand magasin anglais, rendus furieux par de continuelles rapines enlevant la plus grosse partie des bénéfices, voulurent en un jour et d'un seul coup pincer toutes les voleuses. Par un bel après-midi d'été, alors que les étalages exposaient de fraîches toilettes de campagne et que les galeries regorgeaient de visiteuses, on ordonna soudain la fermeture des portes. Toutes les issues gardées, la fuite était impossible! Des dames s'évanouirent, d'autres eurent des crises de nerf, et du dehors l'on entendait leurs cris perçants...
Mais le tumulte atteignit son paroxysme lorsque les visiteuses apprirent que l'on allait procéder à l'examen complet de leurs poches. Menaces, larmes, hurlements, rien n'y fit... des inspectrices impassibles fouillaient et refouillaient sans se lasser, explorant tous les replis du costume féminin. Mais, ô surprise!... La fatalité avait voulu que ce jour-là, aucune voleuse ne se trouvât dans l'assistance; le hasard offre de ces ironies; un sac de papier découvert dans le réticule d'une enfant fut la seule découverte que l'on fit. On se représente aisément la fureur des dames outrageusement fouillées; seule une pluie de dommages-intérêts pouvait calmer leur indignation, et le tribunal devant lequel comparurent les directeurs du magasin octroya aux victimes de libérales compensations! Jamais mésaventure plus cuisante ne fut infligée à un commerçant.

Les policiers en habit noir.

Mais l'administration des grands magasins a renoncé depuis longtemps à un procédé aussi brutal. Elle s'est adjoint une brigade de fins limiers qui suivent les clientes suspectes et les surprennent "la main dans le sac". Ces messieurs, correctement vêtus de noir, qui flânent devant les étalages, vous surveillent, mesdames, avec un zèle ininterrompu!
Au moment psychologique, lorsque la voleuse enfouira son larcin dans la plus profonde de ses poches, une main se posera doucement sur son épaule et une voix très douce murmurera:
- Veuillez me suivre, Madame.




Alors, dans une pièce voisine, la voleuse devra déposer son butin puis attendre la venue des agents qui procéderont à son arrestation. A moins qu'elle n'obtienne sa grâce, après avoir reconnu le vol en un billet signé qui lui sera rendu contre remise de l'indemnité fixée. Combien de dames et du meilleur monde, fascinées, tentées par la richesse du butin exposé à portée de la main ont dû signer le papier compromettant. Seules les archives des grands magasins pourraient nous l'apprendre. Et malgré la surveillance excessive, le nombre de vols ne paraît pas diminuer sensiblement, et cela n'a rien d'étonnant si l'on songe à la tentation que subit la coquetterie féminine devant ces étalages somptueux où s'exerce tout un art et que nos grands mères ne pouvaient admirer.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 11 octobre 1903.

mardi 26 juillet 2016

Comment on pince les voleurs dans les magasins anglais.

Comment on pince les voleurs dans les magasins anglais.


Mon Dimanche a déjà révélé les divers procédés mis en usage par les voleurs de Londres pour dérober des marchandises sous le nez des petites demoiselles qui en ont reçu la garde. Voici maintenant comment les directeurs des grands magasins londoniens défendent leurs coupons et leurs bijoux, des voleurs et des kleptomanes.
Le grand commerçant doit lutter en effet contre deux ennemis: le visiteur qui fait main basse sur toute sorte de butins par profession et le malade qui vole par manie.. En réalité, ces deux catégories se confondent quelque peu. Tout client surpris en flagrant délit pour la première fois plaide les circonstances atténuantes et prétend n'avoir agi que sous l'influence d'un accident psychologique. Il n'a pu résister, dit-il, au désir maladif, anormal, de prendre... pour prendre.
Un négociant anglais confiait ainsi à l'un de nos confrères son opinion sur les kleptomanes:
- Les voleurs arrêtés dans les grands magasins se recommandent trop souvent de la kleptomanie... , de la maladie de voler. C'est une excuse qui finit par devenir insupportable. La kleptomanie a bon dos. Elle permet à des jeunes femmes qui ont envie de dentelles trop chères pour leurs bourses, quantité de larcins. Prises sur le fait, les coquettes remboursent, c'est vrai! Mais quand elles échappent à notre surveillance!... Et il est curieux que leur kleptomanie ne consente à s'exercer que sur des objets de prix. Je n'ai rencontré dans mon existence que deux véritables malades:
une dame fort riche qui me déroba un gril à côtelettes et un vieux savant qui m'emporta un jour deux volumes de Robinson Crusoé
Les voleurs de profession semblent moins redoutables aux directeurs des grands magasins que les chapardeurs... par accident. Et c'est surtout pour prévenir les distractions de leur clientèle qu'ils confient la police de leurs établissements à des employés spéciaux (comme cela se fait au Louvre, au Bon Marché*), à des détectives ou au public lui-même. Comme nos "inspecteurs" parisiens, les surveillants anglais se mêlent à la foule, stationnent longuement près des comptoirs les plus éprouvés (gants, dentelles, rubans, bijoux)., ou se campent au sommet d'un escalier pour mieux surveiller le jeu des mains qui leur paraît suspect. Seulement à Paris, les employés de l'inspection se désignent clairement à l'attention de messieurs les filous par une impeccable redingote noire et une très cérémonieuse cravate blanche. Ils semblent dire aux clients: "Attention, ne volez pas! M. l'inspecteur vous regarde!" Tandis qu'en Angleterre les employés-policiers n'endossent aucun uniforme spécial et parviennent à pincer dans un seul magasin cinq cents "mauvais garçons" par an.

Détectives mâles et femelles.

Aux voleurs professionnels certains palais de la mode préfèrent opposer des policiers de carrière: vingt-cinq détectives et trois ou quatre femmes expertes en l'art de flairer les voleuses. Mais le nombre de policières augmente de beaucoup durant la saison des affaires au printemps, en automne. Alors chaque agent emmène sa femme au magasin et la charge de suivre les dames, dont les allures et surtout les vêtements pourront lui paraître singuliers.
Des détectives mâles se tenant près des portes pour signaler les "têtes qui ne leur reviennent pas" confient tel visiteur ou telle visiteuse aux bons soins de leur moitié. Et il est plaisant de voir comment la détective femelle joue au naturel son rôle de simple cliente. Rouge, chargée de paquets, , tiraillant un marmot accroché à ses jupes, elle fait une trouée dans les groupes de femmes stationnant devant les comptoirs de menus objets. Les employés gourmandent sa manie de tout bousculer. Elle riposte en fourrageant les dentelles, les guipures, les rubans. Elle va, affairée, mais ne surveillant pas autre chose que les mains de ses voisines et sondant discrètement du poignet, du coude, les manteaux, les pèlerines des clientes.
Puis on la voit se diriger, souriante, vers quelque jolie dame qui semble fort dédaigneuse de tous les étalages. Conversation rapide. Dénégations de la visiteuse. Policière et voleuse passent dans une petite pièce réservée aux fouilles. La détective femelle ne commet jamais d'impairs. Elle n'intervient que lorsqu'elle a vu le larcin. Parfois même si la personne qu'elle a surprise dérobant un objet lui semble par sa tenue, sa mise, ses allures, appartenir au meilleur monde, la policière n'agit pas immédiatement, mais suit sa victime avec une discrétion toute diplomatique, attendant une nouvelle faute. Et cela explique pourquoi certaines kleptomanes sont arrêtées par les détectives au moment même, où elles allaient, toutes joyeuses, quitter la maison.

La police faite par les clients.

Si les détectives reconnaissent les voleurs, ceux-ci ne sont pas moins habitués à découvrir le policier sous les vêtements du gentleman. C'est pour parer à cet inconvénient que des commerçants de Londres ont eu l'ingénieuse idée de confier la police de leur magasin à tout le monde. et l'armée des clientes et des clients en procédant à ses acquisitions, fait meilleur besogne qu'une compagnie d'agents de la Sûreté.
Tout visiteur faisant pincer un filou reçoit une prime de dix à vingt francs et un pourcentage sur l'objet dérobé.

Mon dimanche, revue populaire illustrée, dimanche 26 février 1905.

* Nota de célestin Mira: Le Bon Marché est le premier grand magasin parisien, fondé en 1838 par les frères Videau. Il s'agissait au début d'une mercerie. C'est en 1852 qu'ils s'associèrent avec Aristide et Marguerite Boucicaut et fondèrent ainsi le véritable grand magasin avec comme concepts novateurs la proximité des produits que les clients peuvent ainsi toucher, le prix indiqué par des étiquettes et la possibilité de se faire rembourser ses achats.



Le Grand Magasin du Louvre, concurrent du Bon Marché, fut fondé en 1855, par Alfred Chauchard et Auguste Hériot.





mardi 20 mai 2014

De la misère en France.

De la misère en France.


Sur une population de trente-deux millions d'hommes en France, il y a cinq millions de pauvres, de pauvres dans toute l'étendue du mot, c'est à dire, mendiants ou prêts à mendier. Cent trente mille individus désolent le royaume par des déprédations de toute espèce; quinze ou vingt mille sont arrêtés et punis. La sûreté des routes, des villes, des bagnes et des prisons, coûte plus de quatre millions à l'Etat par an. La somme volée, ou des dommages occasionnés chaque année, peut être évaluée à deux millions au moins; il existe plus de cent cinquante mille personnes qui gémissent dans les prisons civiles et militaires ou maisons de force, ou qui végètent alternativement dans les hôpitaux, hospices, etc.
Il existe plus de soixante mille journaliers, fils de mendiants, ou bâtards rejetés par des parents pauvres, qui sont sans autre asile que les cabarets, les forêts et les cavernes de contrebandiers. La plupart, manquant de tout, sont obligés d'avoir une marche sourde et des domiciles secrets.
Enfin, il y a en France plus de trois millions d'individus dont la subsistance, n'est pas assurée pour un mois. Il faut encore ajouter à ce tableau effrayant les onze à douze mille forçats libérés des galères et les sept à huit mille prisonniers libérés de la réclusion.
Si l'on considère en masse les dépenses du gouvernement, les revenus des hôpitaux, des hôtels-Dieu, des hospices, les secours à domicile et les actes particuliers de bienfaisance, on peut évaluer à plus de cinquante millions de francs par an, ce qu'il en coûte pour prolonger l'existence de ceux qui survivent à la servitude des arts, à l'incontinence, au régime des hôpitaux et au châtiment de la loi.

                                                                            La Forest, ancien directeur 
                                                                               du Dépot de Mendicité,
                                                                             à Aix, Bouches-du-Rhone.


Journal des Connaissances Utiles, avril 1834.