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mercredi 20 septembre 2023

 Notes d'un voleur.


C'est une vérité universellement reconnue aujourd'hui que par le vol, bien mieux que pas d'honnêtes procédés, on arrive à la fortune.. Un brave homme d'ex-voleur, au déclin d'une vie passée tout entière à dépouiller autrui par des moyens divers et toujours ingénieux, a pu se retirer dans une élégante villa de la banlieue de Paris où il jouit en paix de son... labeur spécial. Qui sait si une vieillesse pareillement heureuse lui eût été réservée après une vie consacrée au travail honnête et à la vertu? Quoi qu'il en soit, ce "retraité" a bien voulu se rappeler pour les lecteurs de Mon dimanche quelques-uns des plus curieux secrets de son ancienne profession.


Je reçois fréquemment, en ma retraite de Seine-et-Oise, la visite de mes anciens fournisseurs. Ces braves gens ne veulent pas croire que je puisse renoncer au plaisir de dépouiller mon prochain, afin de ne goûter que les joies "popotes" du rentier. Et ils me montrent leurs dernières créations pour pickpockets, dans l'espoir de me faire reprendre du service. Mais c'est fini! La manille, le billard m'ont alourdi la main. Et un artiste tel que je le fus jadis ne saurait se montrer en déchéance.
Curieux commerçants, ces fournisseurs de pickpockets! Comme ils ne possèdent pas boutique sur rue, il leur faut toujours aller en quête  de la clientèle. Ce sont d'anciennes victimes du travail, manchots, béquillards, qui, ne pouvant plus opérer eux-mêmes, préparent pour leurs frères tous les instruments propres à favoriser le vol. Quand il leur arrive d'inventer un engin pratique et surtout inédit, les commandes affluent dans leur mansarde. Mais s'ils ne confectionnent que l'article communément employé, la vente de leurs produits est bien difficile. Pourtant, à l'encontre des autres petits industriels, ils ne se plaignent jamais aux pouvoirs publics.

La poche à Azor.

Il y a peu, ma bonne introduisait dans mon cabinet sir Mackson, qui eut l'intelligence, il y a vingt ans, de servir d'intermédiaire entre les grands pickpockets et les petits fabricants d'outils ingénieux. Je connaissais depuis longtemps ce courtier anglais, probe commerçant, père de famille accompli, qui ne livra jamais un des nôtres aux polices continentales.
En entrant dans la pièce, M. Mackson avait déposé sur une chaise une valise, sa canne et son parapluie.
Après les compliments d'usage et l'obligatoire couplet sur les tristes affaires du temps présent, M. Mackson me dit avec une gravité toute commerciale:
- Je viens vous soumettre, cher monsieur, nos "nouveautés". Je sais que vous n'achèterez pas, mais je serais heureux d'avoir sur la marchandise l'opinion d'un homme tel que vous!
Je m'incline, heureux du compliment, car Mackson se connait en filou de mérite.
- Voici, dit l'Anglais, après avoir débouclé les courroies de sa valise, ce que nos tailleurs ont crée de mieux pour la saison. Vous savez que ces messieurs ne firent jamais de trouvailles bien remarquables. Exception faite pour leur "complet de cambrioleur" muni de petites poches doublées de cuir juste assez amples pour servir d'étui à chacun des outils de la profession, ils ne nous avaient rien donné donné de pratique. Pour une fois, ils ont inventé une merveille! Voici, dis-je, la blouse du voleur de chien!
Et il jeta sur la table un vêtement grossier, en toile grise. 
La blouse ressemblait à toutes les blouses, une sorte de housse tout unie, munie de deux fentes sur les côtés.
Mackson la retourna de façon à me montrer l'envers. Sur le devant du vêtement était aménagé une sorte de manchon en maroquin, flanqué à droite et à gauche de deux poches profondes, étroites.
Le voleur de chien, voulut bien m'expliquer le courtier, flâne dans un quartier élégant à la recherche de petites bêtes qui valent d'autant plus cher qu'elles sont de dimensions plus minuscules. Il s'empare adroitement d'un terrier et le cache sous sa blouse de la manière suivante: il passe le corps du chien à travers le manchon, glisse les pattes de devant dans la poche gauche, introduit les pattes de derrière dans la poche droite.


Un pauvre toutou dans le manchon spécial
cousu sous la blouse des voleurs de chiens.

Tout le poids du toutou est supporté par les membres captifs des gaines étroites. Le manchon ne sert qu'à éviter la chute d'Azor. Pour obtenir le silence de la bête, le voleur glisse sa main dans la fente de la blouse et serre le museau de son prisonnier. Et il peut continuer sa promenade, fumer sa pipe, sa cigarette. Son bras droit demeure inactif. Comment le soupçonner du vol?
- Très ingénieux, Mackson, très ingénieux.
- Très productif aussi! Et la blouse ne coûte que quarante francs.

Un coffre fort de comédie.

- Je vais vous montrer maintenant, continua le courtier, la reproduction d'un nouvel instrument fort à la mode chez les cambrioleurs londoniens.
Et il me tendit une photographie. Je fus étonné.
- Mais c'est un coffre fort!
- Oui! un coffre fort ou plutôt une apparence de coffre fort! Vous savez que les exploits des nôtres ont mis en garde tous les banquiers du continent. Ils déposent leurs valeurs dans une armoire d'acier et confient la surveillance du meuble à des veilleurs qui font leur ronde toutes les deux heures. Comment s'introduire dans une maison, crocheter cinq ou six portes et forcer une forteresse métallique en cent vingt minutes. Le problème devenait difficile à résoudre. Mais nos ingénieurs sont venus à l'aide des pickpockets. Ce que vous voyez est un coffre fort en feuille de zinc peintes et bronzées comme il convient. Quand nos gens pénètrent dans le sanctuaire d'une banque, ils déménagent le bon meuble et le remplacent par une reproduction. A chaque visite, le veilleur trouve le coffre fort en place, ne s'inquiète pas. Pendant ce temps les chevaliers de la nuit travaillent à loisir dans quelque pièce écartée.
- J'aime moins cela, Mackson. C'est un outil dangereux, difficile à placer.
- Sans doute, mais on ne l'emploie que dans les grandes occasions... Passons à autre chose... Que dites-vous de ma canne?
Et il me tendit un bâton en épine d'apparence tout à fait honnête.
- Un peu lourde! Elle est truquée n'est-ce pas?
- Sans doute!
Puis, pressant un ressort, il fit jaillir de son bâton un mince télescope métallique long de six à sept pieds.
- C'est pour "lorgner", me dit-il, les pièces de monnaie que les petits boutiquiers abandonnent un instant sur le comptoir. Un peu de glu au bout de l'instrument. Et le tour est joué.


La canne à ressort qui permet de voler
la monnaie sur le comptoir des commerçants.



Sac de voyage à ventouse.

- Je ne vous ferai pas l'éloge de mon parapluie, vous le connaissez déjà. C'est un parapluie griffe fort employé dans les grands magasins pour enlever les menus objets. Un ressort caché dans la poignée permet d'ouvrir et de fermer un petit crochet fixé à la pointe de ce débonnaire article de promenade. Mais voici le triomphe de cette fabrication anglaise.
Mackson me tendit sa valise.
- ça!
- Oui, ça, comme vous dites, un peu dédaigneusement... Un sac de voyage creux dont le fond est supporté par tout un système de ressorts ingénieux. Je le pose, en wagon, dans une salle d'attente, à l'hôtel, sur tout objet qui tente ma convoitise. Aussitôt, le fond se déplace, s'élève et des griffes saisissent le bien d'autrui pour le confier au ventre de l'appareil. Les pickpockets prisent beaucoup cet instrument qui leur permet de cheminer impunément aux côtés de leur victime.
- Mon cher Mackson, je ne disposais pas d'outils si perfectionnés, autrefois. Je le regrette. On peut faire de grandes choses aujourd'hui... Mais je ne veux plus travailler! Pourtant, je vous achèterai l'un de vos bibelots.
- Ah! ah! fit l'Anglais joyeusement, je vais retrouver l'un de mes bons clients!
- Détrompez-vous!... Je désire posséder une canne pour... chiper des morceaux de sucre sous le nez de la dame du comptoir qui gouverne mon café de petits rentiers.
- On commence de la sorte! sourit Mackson.

                                                                                                 Le Grinche.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 2 juillet 1905.

vendredi 1 mai 2015

Ce que gagnent les pick-pockets.

Ce que gagnent les pick-pockets.


Je reçus dernièrement la visite d'un jeune confrère anglais, pickpocket par goût, qui continue les glorieuses traditions d'une famille où l'on arrive presque toujours à être pendu.
- Certes, me disait mon gentleman, le métier d'escamoteur de bourses n'est pas sans périls, mais, à l'encontre de l'opinion communément admise, il nourrit encore fort bien son homme. Ainsi en me rendant à votre villa, ce matin, du Louvre à Versailles, j'ai rencontré douze porte-monnaie, maigre récolte, il est vrai! A peine cinquante francs.
"J'ose affirmer, qu'en Angleterre, les goussets sont mieux garnis. Il m'arrive là-bas de récolter de 1.250 à 1.500 francs en une semaine.
- Vous vous moquez d'un "ancien"?
- Non pas, cher monsieur! Ainsi, lors des obsèques de la reine Victoria, j'ai "fait" davantage encore. Un enterrement national, quelle aubaine!
"D'excellents citoyens pleurent de vrais larmes! On abuse de leur sensibilité! D'autres élèvent leurs enfants sur leurs bras tendus pour permettre aux bébés d'admirer le cortège, et ils nous livrent des poches sans défense.
- Le couronnement du roi Edouard vous a valu de belles recettes, n'est-ce pas?
- Non, non! ça ne vaut rien, les sacres de roi ou d'empereur! Les badauds sont venus de loin. Et ils vident leurs poches entre les mains des taverniers, des logeurs, des marchands de bonnes places, ne laissant que maigres espèces aux nôtres.
- Quelles sont, à part les cérémonies officielles, vos meilleures journées de gain?
- Les élections, les meetings corporatifs, les incendies! Ah! les incendies, quelles fêtes pour les voleurs! Il m'est arrivé, il y a peu, en compagnie de deux confrères, de sonner les cloches la nuit dans une petite ville d'Ecosse.
"Les gens se ruaient hors de leurs maisons en une panique vraiment pittoresque, emportant leurs valeurs et leur numéraire. Avec de grands cris et des gestes de fous, ils erraient dans les rues: "C'est le feu!- Non! les grévistes vont piller la ville!". Nous étions partout; des policiers eux-mêmes, nous livraient leur maigre bourse avec une docilité touchante. 




Bref, le coup rapporta à la bande cinq mille francs! Et nous opérions à l'aveuglette, ne connaissant pas les notables... je veux dire les moutons les plus gras. Le lendemain, on trouvait force billon dans les rues de X... Nous avions jeté les sous.
- Et que deviennent les détectives.
- Oh! Nous sommes surveillés de près, de trop près... N'empêche que ces messieurs n'ont pas toujours le beau rôle dans nos rencontres.
"Avant-hier je revenais d'Oxford, où l'on avait joué une partie de foot-ball qui attire, tous les ans, deux ou trois cent mille spectateurs. Sur le terrain, j'avais cueilli environ trois cents francs. Et dans le tramway qui me ramenait au logis, je songeais à me délester au plus vite des porte- monnaie qui gonflaient les poches de mon pardessus. Les paysans ont la manie d'enfermer leur argent dans des récipients en cuir larges et profonds comme des outres. Ce ne sont pas des bourses, mais des sacoches.
"Soudain, j'aperçus dans la voiture, assis en face de moi, un campagnard rougeaud qui observait tantôt mes mains, tantôt un panier à double couvercle déposé à ses pieds. Le manège du bonhomme m'intrigua, puis... me rendit inquiet. Cet homme m'invitait par trop évidemment à explorer sa machine en osier. Je pensai: "C'est un détective qui exagère ses naïvetés de faux villageois!"




" Je profite du passage d'un voyageur pour glisser dans le colis de mon adversaire une poignée de porte-monnaie encore lourds de leurs gros sous."
" Aussitôt l'homme se lève, me saisit au collet:
"- Vous êtes un voleur! je vous arrête!
"- Voleur vous-même!"
" Je lui fais hommage de mon meilleur coup de boxeur et d'un coup de pied renverse son panier.
" Les porte-monnaie et le billon roulent dans la voiture. Tous les voyageurs se précipitent sur le détective maladroit. Je pris le large. j'étais sauvé.




- Je vois bien que le métier de pickpocket pratiqué par un garçon ingénieux demeure la plus fructueuse des professions libérales. Mais que deviennent vos gains... fabuleux?
- Nous avons nos banques particulières à Londres comme à Paris. Et vous n'ignorez pas, en votre qualité "d'ancien", que, durant le travail même, nous chargeons notre associé (le plus souvent une femme) de mettre en lieu sûr le butin conquis. Certains d'entre nous "placent", économisent, si vous voulez, mille francs par semaine. Nous deviendrions riches au bout de peu de temps sans l'intervention des agents de Scotland-Yard. Mais vous savez que les pickpockets les plus heureux n'arrivent guère qu'à travailler durant cinq à six années. Et nos frais sont considérables. Un grand voleur en tournée sur le continent ne dépense pas moins de cent cinquante francs par jour.
Je connais pourtant un pickpocket possédant à Londres deux ou trois maisons. Et c'est, comme vous dites, un "proprio" détestable. Au moindre retard dans le paiement de leurs loyers, il traîne les honnêtes gens devant la justice.
- Et vous, jeune homme, quel emploi faites-vous des largesses de Mercure, votre patron?
- Je ne sais. L'argent me quitte aussi aisément qu'il m'est venu. Je pourrai pauvre, comme Charles Peace, d'illustre mémoire.
- Charles Peace?
- Notre voleur national... Il ne savait pas conserver le bien périlleusement acquis.
" Charles Peace, quand il parcourait Londres, s'amusait souvent à dépouiller les voyageurs de leurs bourses pour l'unique plaisir de répartir ensuite l'argent selon sa fantaisie. Au pauvre diable, il glissait la pochette du financier et chargeait la riche boutiquière de la Cité d'un morceau de bas de laine bourré de pence, extirpé à quelque pauvresse. Ces opérations ne tardaient pas à mettre en émoi la voiture publique. Et Peace, vêtu en clergyman, riait "en dedans" de la fureur des uns et de l'hébétement des autres.
"D'ailleurs, dans la vie,  le grand artiste jouait volontiers le rôle de la providence aveugle ou... distraite. Il a donné le nécessaire à des nichées de bambins et payé leur loyer à des vieillards qui avaient payé le crime pendant leur jeunesse, de vouloir vivre seulement d'une tâche honnête!
- Vous n'êtes qu'un sceptique!
- Qu'importe! Je dois subir ma vocation et voler pour le plaisir, pour le péril aussi de voler.
Et mon anglais s'en fut à ses affaires, c'est à dire (pour parodier Dumas fils)... aux affaires des autres.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 22 janvier 1905.

dimanche 15 mars 2015

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.


On répète sans cesse que Paris est désert, que tout le monde reste à la campagne jusqu'au milieu de l'hiver; mais il est une classe nombreuse, vivant bien, faisant de fréquentes visites dans les magasins, qui n'abandonne jamais la capitale: c'est celle des voleurs. Les annales de cette semaine sont pleines de leurs hauts faits. Nous parlerons seulement de ceux de ces industriels contre lesquels il est bon de tenir le public en garde.
Ainsi, que les employés des magasins se méfient d'une belle jeune dame de vingt-cinq ans, brune, aux beaux yeux noirs italiens, le voile de dentelle noir à demi-baissé sur les yeux, et tenant un élégant livre d'Heures à la main, comme si elle sortait de l'église. Elle fait de fortes emplettes de dentelle et de broderies; mais cela est si délicat qu'elle veut y mettre elle-même la main lorsqu'on fait un paquet pour les envoyer à son hôtel; après quoi, elle se retire. Il est inutile de dire qu'elle a donné une fausse adresse et qu'on ne trouve personne du nom demandé à l'hôtel qu'elle a indiqué. Le paquet est donc rapporté, et, vérification faite, il y manque divers objets portés sur la facture, dont elle a su adroitement s'emparer.
Comme pendant à cette dame, il existe un chevalier d'industrie qui exploite les artistes dramatiques. Les cheveux mi-longs sur les épaules, la redingote étroitement boutonnée, cet intéressant jeune homme, se disant comédien lui-même, présente une liste de souscription au bénéfice d'un camarade dont il peint la détresse sous les traits les plus attendrissants, et il sort en emportant les offrandes, qui ne vont pas plus loin que son gousset. Cependant ce monsieur ne ment pas tout à fait; car les voleurs, avec leurs fausses apparences et les mille costumes qu'ils savent emprunter, sont les meilleurs comédiens du monde.

*****

Il est une demeure d'humanité que l'auteur des Guêpes a souvent conseillée, et dont chaque jour vient montrer l'utilité. Il s'agirait de pratiquer à la petite prison dite le violon une ouverture par laquelle on pût voir ceux qui y sont enfermés.
Le nommé S... , employé d'un chemin de fer, ne s'étant pas méfié du vin nouveau, qui se présente sur les lèvres avec tant de douceur, en avait absorbé dans un cabaret de la Villette, au point de perdre complètement la tête. En cet état, il fit grand tapage, et fut conduit au poste pour y passer la nuit.
Mais là, il s'est si bien dégrisé et désespéré, que ce matin on l'a trouvé pendu, avec l'aide de sa cravate, à l'un des barreaux du violon.
Ces barreaux sont un véritable lieu d'exécution; le nombre des malheureux qui y périssent est effrayant; et, par le simple moyen d'un ouverture sur laquelle la sentinelle aurait les yeux, on sauverait toutes ces victimes.

*****

François Jestu, ouvrier à Belleville, nourrissait une passion coupable pour la femme de son frère, Joseph Jestu. Sa jalousie était arrivée au dernier degré de la fureur. Dernièrement, François entre chez son frère à neuf heures du soir; une petite lampe éclairait seule l'intérieur de l'ouvrier; Joseph écrivait, penché sur une table; une jeune femme était occupée à tordre du linge dans un baquet, et tournait le dos à la porte d'entrée. François se précipite vers cette femme, la frappe de trois coups de poignard; puis, comme Joseph accourt vers la victime, son frère tourne l'arme contre lui, et le perce de six coups violemment portés.
Le fratricide croit alors avoir accompli son oeuvre. Mais la jeune femme de Joseph s'était enfuie à sa vue, et celle qu'il a frappée est la demoiselle de Marigny, pauvre jeune ouvrière de seize ans, qui travaillait dans la maison.
Les deux victimes ont été transportées à l'hôpital Saint-Louis. Joseph Jestu est mourant; on espère sauver la jeune fille.
Le monstre de cruauté et de jalousie est arrêté.

*****

Parlons d'un criminel plus amusant.
En Hongrie, un chef de brigands, âgé de soixante-dix ans, et célèbre par ses hauts faits, attend en ce moment, en prison, l'heure prochaine qui doit le conduire à la potence. Mais, par un jeu de la nature, l'infernal bandit est pourvu de la barbe blanche la plus vénérable.
Un Anglais entend parler de lui et va lui faire visite
- Goddem! dit le gentleman au brigand, tenait-vous beaucoup à votre barbe?
- C'est ma barbe qui tient beaucoup à moi, répond celui-ci.
- C'est juste; mais il suffirait pour la détacher d'une bonne paire de ciseaux... aiguisée par vingt florins que je vous donne si vous consentez à me la vendre.
- Je ne demande pas mieux, si mon geôlier y consent; car toute ma personne lui appartient.
- Je me charge d'obtenir son consentement
- Alors donnez-moi les vingt florins et prenez ma barbe.
Le marché conclu, l'Anglais s'éloigne comme un nouveau Jason, emportant cette fois une toison d'argent, et il reste possesseur de cette respectable barbe, qui a commis tant de brigandages.

*****

Voulez-vous connaître une autre merveille? C'est un poisson qui a une figure humaine.
Il a été pêché au Havre, dans la barque Saint-Louis, patron Lambert.
Son corps est couvert d'écailles très-luisantes; il se meut au moyen de deux nageoires, dont l'une est sur le dos et l'autre sous le ventre. Sa tête est unie au corps par un cou bien formé; son nez est des mieux dessinés; sa bouche, de grandeur moyenne est très-agréable; son angle facial, un peu aigu, n'est pas moins régulier.
On amène en ce moment ce poisson à Paris, et on dit que beaucoup de Parisiens seraient charmés de ne pas ressembler plus que lui à une bête.

                                                                                                                Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 22 novembre 1857.

vendredi 6 septembre 2013

Chronique du journal du dimanche.

Chronique du Journal du dimanche.

Presque tout le monde ignore qu'il est parmi nous des hommes qui sont réellement des tableaux, des paysages vivants. Ce sont les voleurs, qui se tatoue avec un art admirable.
On vient d'arrêter à Tulle un individu surpris dans une foire au moment où, par le vol à la tire, il venait de s'approprier la montre d'une dame. Ce personnage est âgé de trente-six ans, de haute taille, avec des cheveux, des sourcils, des yeux noirs, et l'air le plus formidable du monde. Il a constamment refusé de répondre aux questions qui lui étaient adressées sur son nom, son domicile, sa profession. Son bras, seul, l'a fait reconnaître pour être depuis longtemps attaché à la grinche. Croirait-on que ce bras porte, tatoué : Une branche de laurier, un drapeau, une figure de femme, un coeur, une ancre, un noeud d'amour et deux mains enlacées ?
Et tout cela, ce sont de tendres souvenirs de son existence passée. 

Voici du moins un de ces messieurs qui, l'autre jour, a été fort bien traité.
M. Dupuis, rentier, se rendait l'autre soir à sa maison de campagne de la Chapelle-Saint-Denis, lorsque, dans un endroit assez désert, un individu, dont la demande était accompagnée d'une lame de couteau fort brillante, l'a prié de bien vouloir lui payer une bouteille.
Une bonne canne plombée était aux mains de M. Dupuis. Le premier coup de cette canne a fait voler en l'air le couteau; les autres sont tombés si vivement sur le dos du solliciteur, qu'ils l'ont renversé à terre, d'où M. Dupuis l'a fait rouler dans un fossé, où il barbote encore, et où il peut contenter sa soif tout à son aise.
- On a beaucoup parlé dernièrement d'une jeune et belle veuve, dont le choix s'était arrêté sur un nouvel époux pendant la dernière saison des eaux.
Madame de B. avait été mariée en premières noces avec un homme très riche, mais très âgé, qui la tenait enfermée dans une petite ville de Belgique. Pour se soustraire à l'ennui qui la tuait, elle supplia son mari de la conduire aux eaux de Bade. Il refusa. La jeune femme, révoltée, s'esquiva du domaine conjugal, et arriva bientôt à Bade, où elle se logea chez une amie. A cet acte d'audace incroyable, M. de B. entra dans une telle fureur qu'il fit venir un notaire pour déshériter l'épouse fugitive. Mais la violence de sa colère avait amené une apoplexie foudroyante; lorsque le notaire arriva, il était mort.
Madame de B. était donc aux eaux, jeune, riche, et à même de faire un choix selon son coeur. Elle se jura de prendre un mari autant à son gré que l'autre lui avait été insupportable.
Ainsi, sans songer à la fortune, parmi tous les prétendants elle accorda sa main à un comte italien, qui réunissait tous les agréments de la figure, un esprit charmant, d'élégantes manières, enfin l'extérieur le plus séduisant qu'il fût possible de réver.
Il fut convenu que les fiancès passeraient en Italie le temps indispensable au deuil de la veuve, et ils partirent.
Mais à peine étaient-ils arrivés à Milan, que l'on arrêta ce jeune comte si parfait pour le réintégrer dans une maison d'aliénés, où il avait été précédemment enfermé après un jugement en bonne forme, et d'où il était sorti par évasion.
Il y eu un si étrange rapport entre la faute de madame de B. et sa punition que, selon l'opinion de quelques uns, son mari aurait envoyé contre elle cette bizarre fatalité du sein de l'autre monde.

- Du reste, comme conversation, l'éternelle thèse de la cherté des loyers ne tarit pas.
Cette désolante plaie de nos jours, la difficulté de trouver un toit pour abriter sa tête et un asile assez large pour pouvoir un peu y respirer, a des conséquences étranges, auxquelles on aurait été bien éloigné de s'attendre.
M. et madame G..., tous les deux jeunes et beaux, jouissant d'une parfaite santé, et mariés depuis trois ans, n'ont pas encore de famille.
Un ami de la maison demandait à madame G... comment il pouvait se faire qu'elle n'eût pas encore d'enfants.
- Que voulez-vous ? répondit la jeune femme en étendant la main autour d'elle, nous sommes si petitement logés.

                                                                                                            Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 14 décembre 1856.