Translate

Affichage des articles dont le libellé est enseignes. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est enseignes. Afficher tous les articles

lundi 10 juillet 2017

Les vieilles enseignes.

Les vieilles enseignes.

Les fouilles pratiquées à Pompéi et à Herculanum ont permis de se rendre un compte exact de la façon dont les anciens entendaient la réclame. Les boulangers, les bouchers de l'époque ornaient leurs boutiques d'enseignes peintes à la détrempe et parfois même sculptées avec art.
Au moyen âge cette coutume se retrouve en Italie, en France, et pénètre toutes les races latines. A cette époque naïve où l'art n'a pas encore cédé le pas au procédé, ces enseignes sont sculptées avec le plus grand soin, et nous avons conservé quelques spécimens du temps, qui se recommandent à l'attention des antiquaires par leur grâce et leur naïveté.
Les taverniers se distinguaient surtout par la hardiesse et par l'effronterie de leurs conceptions. A Rouen le parlement de Normandie dut intervenir. Charles Nodier, dans un ouvrage curieux sur les vieilles enseignes, fait mention de l'arrêt qu'on rendit à ce sujet.
Le calembour fleurit alors dans toute sa gloire. C'est l'époque des armes parlantes. Sauval, dans son ouvrage intitulé Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, publie une liste d'enseignes qui sont de véritables rébus.
A la Roupie, une roue et une pie; A l'Assurance, un A surmontant une anse; Au puissant vin, un puits sans vin.
Quelques artistes de grand renom, à toutes les époques, ne craignirent pas de peindre des enseignes. On cite, entre autres, Watteau qui composa au dix-huitième siècle pour une marchande de mode du pont Notre-dame un vrai chef-d'oeuvre que la gravure a d'ailleurs reproduit. Il est probable que les vieilles enseignes ont été sculptées aussi par de grands artistes, dont les noms sont restés inconnus.
L'enseigne fut longtemps obligatoire, au moins pour les marchands de vin. Henri III porta en mars 1577 une ordonnance qui les contraignit, sous peine d'amende, à suspendre une enseigne dans l'endroit le plus apparent de leur devanture, "à cette fin que personne n'en prétende cause d'ignorance même les illettrés."
Nous publions deux enseignes célèbres qui ont survécu aux démolitions: La Fortune et la Barge. Elles figurent au musée d'antiquités de Rouen.




La Barge (la barque) navigue sur des flots agités, la voile est enflée par les vents; mais l'embarcation arrivera à bon port. Elle date du quinzième siècle et était montée sur des moulures gothiques qui décèlent l'époque de façon à ne laisser subsister aucun doute.
La plus célèbre enseigne est celle que nous donnons ci-dessous; elle atteste de la part de son auteur une science de l'ornement remarquable. 




C'est la Fortune. Une femme, s'appuyant sur une conque traînée par des chevaux marins, porte une voile enflée dans laquelle elle se drape. Quelques historiens ont cru à tort voir dans cette statue une Amphitrite. L'origine de l'enseigne est aujourd'hui parfaitement connue; c'est bien l'image de la Fortune que l'artiste a voulu représenter. Les Normands prirent longtemps la Normandie pour une île, se fiant à une description portugaise qui représente ce pays comme entouré d'eau de toutes parts. Le commerce étant la source de toute fortune, la déesse qui préside à la destinée de l'île normande doit évidemment traverser les mers. L'artiste qui a sculpté ce bas-relief a évoqué ces souvenirs des premiers temps de l'histoire normande. C'est une réminiscence à la fois humoristique et historique. Elle était appelée à soulever de nombreuses discussions parmi les antiquaires d'accord aujourd'hui sur ce point.

                                                                                                         Guy de Binos.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1875.

samedi 15 novembre 2014

Recherche historique sur les enseignes. 2 ème partie.

Recherche historique sur les enseignes. 2 ème partie.



L'ouvrage intitulé: Histoire et recherches des Antiquités de la ville de Paris (t. III) , par Henri Sauval, donne quelques détails sur les enseignes ridicules:

"A la Roupie", une pie et une roue.
"Tout en est bon", c'est la Femme sans tête.
"A l'Assurance ", un A sur un ance (anse).
"La Vieille science", une vieille qui scie une ance (anse).
"Au Puissant vin", un puits dont on tire de l'eau.
"Les Sonneurs pour les trépassés", des sous neufs et des poulets morts;

Sauvel ajoute: "L'enseigne de la Truie qui file, qu'on voit à une maison du marché aux Poirées, rebâtie depuis peu, est fameuse par les folies que les garçons de boutique des environs y font à la mi-carême, comme étant sans doute un reste de paganisme."




Ce bas-relief de la Truie qui file existe encore à la maison qui porte le n° 24, au coin de la rue de la Cossonerie.
Cette enseigne a eu la vogue en son temps, car on la voyait à Amiens, à Caen, à Chartres, à Dieppe, au Mans, au Mont saint-Michel; Un relief, représentant ce sujet, existait aussi à l'intérieur de la cathédrale de Chartres, sur une console placée au-dessus de "l’Âne qui vielle."
Le même auteur fait connaître qu'autrefois, à Paris, les marchands de divers métiers avaient la coutume de mettre à leurs fenêtres et sur leurs portes des bannières en forme d'enseignes, où il s'y trouvait figuré le nom et le portrait du saint ou de la sainte qu'ils avaient choisi pour patron. Cependant on rencontrait aussi parfois, au lieu d'une figure de moine ou de vierge martyre, divers emblèmes ou rébus du genre de ceux que nous venons de citer.
On voyait jadis à Troyes une enseigne avec ce titre: "Le Trio de malice"; elle représentait un singe, un chat et une femme.
Souvent on  employait pour emblème un animal ou un objet quelconque, une idée bizarre ou absurde, comme "le Chien qui rit"; ou une épigramme, comme "le Grand passe-partout", représenté par un louis d'or.
Le Signe de la Croix est une enseigne en forme de rébus encore assez commune aujourd'hui: c'est un cygne surmonté d'une croix, ou bien d'une croix seulement.
Quelquefois la marque ou l'insigne de la profession de l'habitant était reproduite en sculpture. Un ou plusieurs barils indiquaient un tonnelier ou un cabaret, etc.
Nous avons vu à Rouen, sur la maison de bois occupée par un taillandier, rue des Bons-Enfants, un bas-relief représentant un sac d'où sortaient des outils de serrurier ou de maréchal.
A Caen, trois fers à cheval sont sculptés sur la clef de l'arche d'une maison, rue de Bayeux. C'est évidemment l'enseigne d'un maréchal ferrant.
A Pont-Audemer (Eure) , une maison bâtie dans le siècle dernier, place Maubert, par un maréchal ferrant, ainsi que le constate une inscription, porte, à sa façade, un bas-relief relatif à la profession du propriétaire, et les outils aux clefs de voûte des fenêtres.
A Strasbourg, dans une petite rue aboutissant à la place Kléber, la maison en pierre d'un boulanger a pour enseigne un écu des derniers temps du moyen âge, chargés de trois brechstel, ou petits pains enlacés, de manière à figurer un trilobe.
A Graçay, à 24 kilomètres de Vierzon, un écusson du dix-septième siècle, avec deux moutons, une tête de bœuf, un soufflet, des couteaux, semble indiquer que la maison qui le porte appartenait à un boucher.
Sur l'une des premières maisons bâties au Havre, on voyait au poteau d'encoignure un bas-relief en forme d'enseigne, représentant une barque à rames avec un batelier et un passager. On croit qu'elle était la demeure du batelier qui passait d'un bout à l'autre de la crique séparant les quartiers Notre-Dame et Saint-François. Ce poteau est déposé dans le Cabinet des modèles relatifs aux travaux du port. On croit que la maison auquel il appartenait, démolie en 1823 pour faciliter l'accès au pont Notre-Dame, a été bâtie en 1523. (Voy. l'Histoire des travaux du port du Havre, par M. Frissard.)
Il existe à Rouen, rue des Hermites, n° 23, une maison portant le millésime de 1607, et décorée de trois bas-reliefs: elle était sans doute occupée, comme elle l'est encore aujourd'hui, par un tanneur. A la gauche du spectateur, on voit sculpté en pierre un saint Jean-Baptiste, patron du propriétaire constructeur; à droite, une sainte Marguerite, patronne de sa femme, et au milieu un arbre, qui est un chêne, dont l'écorce s'emploie dans les tanneries, symbole de la profession du maître de la maison.
Nous trouvons dans la même ville un chiffre curieux, que nous ne pouvons expliquer, sculpté sur la boutique de la maison, rue Écuyère, n° 22, avec la date de 1603. Des chiffres de même genre, où l'on aussi quelquefois un 4, ont été employés par des imprimeurs dans les marques de leurs livres, lesquels, fort souvent aussi, leur servaient d'enseignes, et vice versa. Peut-être la maison dont il s'agit était-elle habitée par un imprimeur.
La marque que l'imprimeur Adam Cavelier avait adoptée pour les livres qu'il éditait, se retrouve, comme enseigne, à la façade de la maison qu'il habitait à Caen, rue des Jésuites, présentement rue de la Préfecture. Cette maison porte le millésime de 1628 et le n° 30. C'est un grand médaillon en bas relief, parfaitement conservé et très-bien exécuté, représentant un cavalier armé de toutes pièces, ayant sur la poitrine le monogramme du nom de Jésus avec la légende: IN NOMINE TVO SPERNEMVS INSVURGETES IN NOBIS. Psa. 43. (Voy. la gravure)




Une enseigne-rébus, "le Petit cornet d'or", existait encore, il y a moins de trois ans, à Rouen, rue Saint-Nicolas, sur la maison qui fait aujourd'hui l'encoignure de la rue de la République. On lisait ces mots: AV PETIT, gravés sur la pierre, et au-dessous se trouvait un cornet sculpté.
On disait autrefois d'un méchant portrait, qu'il était bon à faire une enseigne. Les choses ont bien changées depuis un siècle. Watteau fit pour une marchande de modes du pont Notre-Dame, à Paris, une enseigne qui obtint les honneurs de la gravure. A peu près dans le même temps, on admirait, à la descente du Pont-Neuf, l'enseigne du "Petit-Dunkerque". Sous Louis XIV, celle d'un armurier du pont Saint-Michel fut achetée, comme tableau, par un riche financier.
Au commencement du dix-neuvième siècle, on citait parmi les enseignes remarquables celle d'un marchand de cristaux dans la rue qui a repris le nom de rue Royale, près de la porte Saint-Honoré. Malheureusement, cette enseigne était peinte sur des volets, et le marchand ayant changé de domicile, elle fut effacée.
En 1804, "la Fille mal gardée", enseigne d'un marchand de cotonnades, attira la foule rue de la Monnaie. En 1808, "la Toison de cachemire", rue Vivienne, obtint les suffrages de tous les connaisseurs. Bientôt après parurent dans la même rue "les Trois sultanes"; puis "le Couronnement de la Rosière", encore dans la même rue; "le Comte Ory", sur les boulevards. Communément ce sont ainsi des pièces de théâtre qui fournissent aux marchands les sujets de leurs enseignes. Dès qu'une pièce a la vogue, c'est à qui, le premier en fera peindre une scène; quelquefois l'enseigne est un contre-sens. Comment ne pas sourire quand on voit comme enseigne, au magasin de deux associés, "les Deux Gaspard", qui se filoutent à qui mieux mieux? Quel fonds devrait-on faire, si l'on prenait au sérieux les enseignes, sur un établissement de commerce qui s'annoncent sous les auspices des Danaïdes, ces stériles travailleuses qui s'épuisent à remplir un tonneau toujours vide? Est-ce enfin pour encourager les gens qui achètent, que cet autre marchand a fait peindre M. Guillaume laissant emporter ses dix aunes de drap marron par "l'Avocat Patelin"?
Des enseignes parfaitement analogues à leur objet, sont: "les Architectes canadiens", au-dessus de la boutique d'un marchand de chapeau, et "le Débarquement des chèvres du Thibet", au-dessus d'un magasin de châles.
Outre les tableaux, il y a les enseignes parlantes; et comme chacun veut enchérir sur son voisin, vous voyez des gants dont chaque doigt est de la grosseur du bras, et des bottes qui contiendraient autant de liquide qu'un muid. Quand tous veulent se distinguer, personne ne se distingue.
Il y a soixante-dix ans, c'était encore pis. Un moraliste, qui écrivait au milieu du dix-huitième siècle, dit: " j'ai vu suspendre aux boutiques des Volants de six pieds de hauteur, des Perles grosses comme des tonneaux; des Plumes qui allaient au troisième étage". La police fit réduire ces enseignes à une grandeur raisonnable; (Dictionnaire des proverbes français, 2e édition, Paris 1821, p. 167 à 169).
En 1826 parut un livre de 160 pages, intitulé: Petit dictionnaire critique et anecdotique des enseignes de Paris, ou un batteur de pavé; in-32, deux feuilles et demie; imprimerie de H. Balzac (le fameux romancier) , rue des Marais-Saint-Germain, n° 17, avec cette épigraphe: "A bon vin, point d'enseigne".
L'auteur de cet ouvrage ne s'est occupé que des enseignes modernes peintes, qu'il a rangé par ordre alphabétique, et qu'il critique ou loue plus ou moins. Il cite l'enseigne: "A l’Épi scié", boulevard du temple, n° 4, débit d'eau de vie, etc. (un moissonneur, une faucille à la main, vient de couper un épi que l'on voit sur le sol) ; et une "Fontaine de jouvence", magasin de nouveautés , rue des Moineaux, n° 3.
Une ordonnance de Moulins de 1567 prescrit à ceux qui veulent obtenir la permission de tenir auberge, de faire connaître au greffe de la justice des lieux leurs noms, prénoms, demeurances, affectes et enseignes.
Plus tard l'enseigne fut exigée par l'article 6 de l'édit de Henri III, de mars 1577, qui ordonne aux aubergistes d'en placer une aux lieux les plus apparents de leurs maisons, "à cette fin que personne n'en prétende cause d'ignorance, même les illettrés".
Sous Louis XIV l'enseigne devint purement facultative, et l'ordonnance de 1693 permet aux hôteliers de mettre, pour la commodité publique, telles enseignes que bon leur semblera, avec une inscription contenant les qualités portées par leurs lettres de permission (1).
Nous avons vu des modèles d'armatures, potences et cadres d'enseigne du seizième siècle, composés par Jacques Androuet du Cerceau, et gravés, en 1570, dans ses Détails de serrurerie.
Les enseignes des boutiques des marchands de Paris et autres lieux étaient jadis suspendues à de longue potence en fer ou en bois au-dessus de la rue, au grand péril des passants. Pour remédier à cet inconvénient, le lieutenant de police de Sartines publia en 1761, le 17 septembre, une ordonnance qui enjoignait à toutes personnes se servant d'enseignes de les faire appliquer sous forme de tableaux contre le mur des boutiques ou maisons, et de telle sorte qu'elles n'eussent pas plus de quatre pouces de saillie (2)
Cette mesure de police fut successivement adoptée par les autres grandes villes du royaume, et, depuis bien longtemps, il n'y a guère que les petites villes et les bourgs qui aient conservé l'ancien usage des enseignes pendantes.
Antérieurement à l'année 1728, les noms des rues de Paris n'existaient que dans la mémoire des habitants. On prescrivit par une ordonnance de cette année que les noms des rues seraient inscrits sur des feuilles de tôle à toutes les encoignures des rues. On voit encore de ces plaques où le millésime de 1728 est ajouté au nom de la rue.
Les autres grandes villes de France durent imiter ce qui venait de se pratiquer à Paris.
Il existe aussi à Rouen quelques unes de ces premières inscriptions sur plaque de tôle ou de fer blanc, repoussées en bosse, et dont l'ancienneté se marque par l'emploi de V au lieu de U, et vice versa.
Après l'usage de la tôle vint la gravure en creux sur la pierre même des maisons ou des murs peinte en noir; puis l'écriture sur la pierre, en lettre de couleur sur un fond d'une autre couleur; et en dernier lieu l'emploi de plaques de porcelaine, dans quelques villes où des fabriques de ce genre d'industrie sont établies ou près desquelles il s'en trouve comme à Bayeux et Caen.
L'usage de numéroter les maisons est tout à fait moderne. Ce n'est qu'en 1788 qu'eut lieu pour la première fois, à Rouen, le numérotage qui avait été ordonné à Paris vingt ans auparavant, dit-on, mais qui ne fut mis à exécution que beaucoup plus tard, puisque, même en 1788, on ne voit encore que des exemples partiels de numérotage sur des maisons de libraire.
Pour aider à trouver la demeure des habitants, souvent on divisait une rue en plusieurs parties auxquelles on donnait un nom différent. Mais le moyen qui facilitait le plus la reconnaissance des maisons était l'emploi d'enseignes appartenant en propre à un grand nombre d'entre elles, comme on en voit encore de nos jours aux hôtelleries. Ces signes ou enseignes étaient sculptés sur la pierre ou le bois, ou bien étaient figurés sur une feuille de tôle peinte, pendant à une potence mobile fixée à la façade, comme cela se pratique encore de nos jours aux auberges qui sont hors des grandes villes.
Richard Goupil, célèbre imprimeur du commencement du seizième siècle (1510), habita la maison de la "Tuile d'or" que nous avons vu rue Malpalu, n°24, à Rouen. Ce bout de la rue Malpalu s'appelait alors, "rue de la Tuile d'or". Il est aujourd'hui compris dans la rue de la République. l'enseigne consistait en une tuile d'or figurée sur une feuille de tôle, non plus libre à sa potence, mais clouée à la muraille, comme toutes les autres.
Une des plus vieilles enseignes peintes sur panneau de bois (elle doit avoir quelque cent vingt ans) , existe à Rouen, à la maison n° 26, rue des Bons-Enfants. C'est celle d'un fabricant de pompes à incendie avec cette inscription: "A la Pompe royale"; et autour: "Ns Thillaye, fabricevr de pompes par priuilége du roy".
On voit dans la même ville plusieurs curieuses enseignes exécutées en bas-relief.
Nous citerons d'abord celle de la rue Etoupie, indicative d'une maison qui n'était pas habitée par un commerçant, et qui est gravée dans la Description historique des maisons de Rouen. Cette enseigne représente une ville en perspective cavalière ou à vol d'oiseau entourée de son fossé plein d'eau, de ses murailles garnies de tours, et dans le sein de laquelle on voit deux églises avec leurs clochers, des rues et des portes fortifiées. Deux voyageurs ou pèlerins de très-grande taille, relativement,se dirigent vers la ville. Cette maison a conservé le nom de la cité de Jérusalem, de son bas-relief qui est daté de 1580.
Les autres enseignes sont les suivantes:
"La Samaritaine", rue Caquerel, n°13 (date de 1580) ; "Le Havre de Grâce", rue Ecuyère, n° 20, représentant un port de mer, exécuté à la fin su seizième siècle;  
Une figure de l'Espérance, avec cette suscription gravée: "Bon espoir", et le millésime de 1622, a donné le nom de Bon-Espoir à la rue où on la voit servant de  décoration à la maison n° 11.
Le Musée d'antiquités du département de la Seine-Inférieure a recueilli trois bas-reliefs qui étaient des enseignes de maisons.
Le premier provient d'une maison en bois rue Grand-Pont, n° 36, appelée la Barge (barque) , d'après un titre qui remontait à l'année 1458.
Le deuxième a été retiré d'une maison faisant face à la place Saint-Ouen, et dont l'entrée est rue de l'Hôpital, n° 2. Une femme a les pieds appuyés sur une conque traînée par deux chevaux marins et pourtant une voile enflée. 




C'est la Fortune, et non une Vénus marine, ainsi qu'on l'a dit par erreur (Description historique des maisons de Rouen, t. 1er, p. 145).
Le troisième bas-relief est la belle enseigne de l’Île du Brésil (3) que l'on voyait rue Malpalu avant le percement de la rue de la République; enseigne dont la sculpture sur bois était dépassée par les charmantes figurines, presque de ronde bosse, qui ornaient les montants ouvragés d'une très-remarquable façade perdue à jamais par l'incurie d'un charpentier.




Ce bas-relief se compose de deux parties, et représente l'exploitation et l'embarquement du bois du Brésil (4) , bois qui est employé dans la teinture, et probablement à la destination de Rouen, dont les négociants entretenaient des relations avec le Nouveau-Monde.




Il est très-vraisemblable que ce bas-relief fut exécuté vers l'année 1550, c'est à dire à l'époque où Henri II, roi de France, et Catherine de Médicis, sa femme, firent leur entrée à Rouen. Une relation du temps, extrêmement rare et curieuse, rapporte que, entre autres divertissements, le corps municipal les régala du singulier spectacle de la représentation du pays et des naturels du Brésil, dans lequel figurèrent plusieurs espèces de singes et grand nombre de perroquets et autres oiseaux, que les navires des bourgeois de Rouen avaient apportés du pays pour la circonstance, ainsi que trois cents hommes façonnés et équipés à la mode des sauvages parmi lesquels il y avait bien, dit la relation, cinquante naturels sauvages.
Le style des figures de cette enseigne est imité de Michel-Ange, mais il est un peu outré.
Il y a soixante ans, la ville de Paris possédait une quantité d'enseignes dont beaucoup devaient être très-curieuses; depuis ce temps, il s'est opéré tant de changements, tant de maisons ont disparu et avec elles leurs enseignes, que de celles-ci il ne reste qu'en très-petit nombre. Avec l'aide de nos amis, nous en avons retrouvé quelques-unes, entre autres:
"La Gerbe d'or", sculptée en pierre, à la maison n° 2, rue aux Fèves, dans la Cité (seizième siècle).




"Le Fort Samson", rue du Dragon, n° 24, en face de la rue Taranne. (c'est un fort remarquable médaillon en faïence émaillée du seizième siècle, représentant Milon de Crotone).




"La Fontaine de Jouvence", rue du Four-saint-Germain, n° 67, jolie sculpture du seizième siècle. (On se rappelle que Jouvence était une nymphe que Jupiter métamorphosa en une fontaine aux eaux de laquelle il donna la vertu de rajeunir ceux et celles qui iraient s'y baigner, ou qui en boiraient).




"La Petite Hotte", rue des Prêcheurs, n° 30. (Dans une niche en pierre, on voit une petite hotte supportée par un cul-de-lampe orné de feuilles d'eau et surmonté d'un dais également sculpté. La hotte est remplie de fruits à pépins: c'est un travail du commencement du seizième siècle).
"La Chaste Suzanne", rue aux fèves; bas-relief de pierre que le propriétaire a vendu à un amateur; la perfection du style le faisait attribuer à Jean Goujon. c'est un moulage en plâtre de ce bas-relief qui en occupe aujourd'hui la place.
"Le Puits sans vin", près de l'église Saint-Magloire; enseigne d'un marchand de vin.
Rue de l'Arbre-Sec, n° 19, un cheval sculpté en ronde bosse, au-dessous duquel on lit en lettres gravées sur un marbre noir: "Au Cheval blanc", et plus bas la date de 1618. C'est une enseigne rapportée à une maison moderne.
Nous ne ferons qu'indiquer quelques enseignes de la rue Saint-Denis, comme le Chat noir, maison n° 82; le Centaure, maison n° 77; Hercule, au n° 100, lesquelles nous paraissent dater du siècle dernier, de même que le Chien rouge, rue de la Ferronerie; le Gagne-Petit, rue des Moineaux; le Cherche-Midi, rue du Cherche-Midi, n° 19, etc. ; mais nous arrêterons notre attention due le Puits d'amour, ancienne enseigne tirée d'une légende, et qu'on voyait il n'y a pas longues années au n° 15 de la rue de la Grande-truanderie, à l'angle de la Petite-Truanderie . Un boulanger qui n'occupait cette maison ayant transporté son établissement au n° 14, a enlevé l'enseigne et l'a replacée à son nouveau domicile. Cette enseigne du Puits d'amour a une origine toute dramatique, dont les détails sont racontés par Sauval (Antiquités de Paris), et aussi par Sainte-Foix (Essais sur Paris). Une jeune fille, nommée Agnés Hillebik, fille d'un haut personnage de la cour de Philippe-Auguste, ayant été abandonnée par son amant, de désespoir se précipita dans un puits, qui était originairement placé à l'angle des rues de la Grande et de la Petite-truanderie. Trois siècles après cet événement, un jeune homme, désespéré par les dédains d'une jeune fille qu'il désirait épouser, s'y jeta, mais avec une chance plus heureuse; car la rebelle, vivement émue de cet acte de désespoir, eut le temps de lui jeter une corde et de le soustraire au trépas dont il était menacé. Pour consacrer sa reconnaissance par un monument public, ce jeune homme fit refaire le puits à neuf et graver sur la margelle l'inscription suivante:


L'amour m'a refait
En 1523 tout à fait.

"Le Vert soufflet", est une enseigne qui appartient à Abbeville, et que l'on voit dans la rue des Jacobins, au n° 20 (dix-septième siècle). "Le Corbeau" est une autre enseigne de la même ville, rue des Lingers, n° 26: la maison porte la date de 1663. Toutes deux sont en pierre.
Nous avons fait à Amiens une assez ample moisson d'enseignes intéressantes; nous en citerons quelques unes.
"L'Espousée" (seizième siècle) recueillie au Musée d'antiquités de la ville. Cette enseigne appartenait au marché aux herbes.



"Av Noble d'or", rue des Chaudronniers. Le Noble d'or est une allusion à la monnaie de ce nom. 



C'est un personnage à mi-corps portant une couronne et tenant à la main gauche une espèce de sceptre. Deux écus non blasonnés l'accompagnent. Au-dessus de celui qui est à sa gauche se trouvent les lettres A. L.
"Au Sagittaire", rue des Vergeaux. C'est le signe du zodiaque qui existait aussi sur une maison d'Orléans.



"A l'Assurance", petite rue de Beauvais. Un A sur une anse. Sauval (Antiquités de Paris) parle de cette enseigne rébus que l'on voyait aussi à Paris.



Parmi les autres enseignes existant à Amiens, sont:
"Au Dromadaire", rue de la Hautoie. Un dromadaire est porté sur une console.
"Saint Jean-Baptiste", rue de la Hautoie. C'est une tête de saint Jean inscrite dans un cercle.
"Au Somon d'Argent", rue des chaudronniers. Au-dessus du poisson, on lit la date de 1731.
"Les Trois Cornets", rue des Chaudronniers.
"Au Blan bœuf", marché aux herbes, date de 1674.
"A la barbe d'or", marché aux herbes.
"A la Roue d'argent", rue Saint-Leu, date de 1657.
"A l'Anonciation", rue des Orfèvres (1680).
"A l'Agnus Dei", rue Saint-Leu (1716).
Outre ces vieilles enseignes, on en voyait beaucoup d'autres qui ont disparu depuis quinze à vingt ans seulement, appartenant au quinzième et seizième siècles, et dignes d'intéresser les antiquaires et les physiologues; tels étaient le Fourché (fourche) , l'Affligent, le Cappel de violettes, l'Espée Ogier, le Haubregon, le Blan Coulon, l'Estoile poinchineuse, le Heaulme, etc.
Le Blan Coulon ou Blanc Coulon veut dire le blanc pigeon. On se sert encore en Picardie de cemot, si vieux qu'il soit, et qu'il ne faut pas traduire par coulomb ou colombe. On y dit communément dans beaucoup de villages, "de biaux coulons" pour de beaux pigeons.
On voyait aussi, il n'y a pas encore bien longtemps, sur la Grande-Place d'Arras, l'hôtellerie du Heaume, dont la façade était décoré d'un Heaume.


(1) Traité des locations en garni, par M. Masson, Paris, 1846.
(2) Dictionnaire historique de la ville de Paris, par Heurtant et Magny; Paris, 1779, t. II, au mot enseigne.
(3) Dans les premières relations adressés du pays de Santa-Cruz en Portugal, ce vaste pays est désigné sous le nom d'île. Les navigateurs normands partageaient naturellement cette erreur avec les premiers explorateurs du pays. (Bulletin du bibliophile, 1849, p. 353).
(4) Le bois du Brésil fut pendant longtemps le seul objet commercial qui appelât les Rouennais dans l'Amérique du Sud. Moyennant quelques bagatelles, les Indiens allaient débiter ce bois dans les forêts lointaines, et ils le rapportaient toujours à dos d'hommes, malgré d'extrêmes fatigues. De grandes fortunes furent réalisées à Rouen grâce à ce trafic. (Bulletin du bibliophile, 1849, p. 384)

Le magasin pittoresque, mars 1850.

mardi 11 novembre 2014

Recherche historique sur les enseignes. 1ère partie

Recherche historique sur les enseignes. 1ère partie


Chez les anciens, chaque marchand, pour attirer les regards sur sa boutique et la faire mieux connaître, plaçait une enseigne composée, pour l'ordinaire, d'un tableau grossièrement peint avec de la cire rouge, et représentant un combat, une figure hideuse, ou les marchandises elles-mêmes. Quelques enseignes étaient sculptées.
Les villes d'Herculanum et de Pompéi, sorties de leur ensevelissement nous ont transmis des types curieux et significatifs.
Les mêmes intérêts ont donné lieu aux mêmes usages dans les temps modernes.
Les archives municipales, et surtout les actes du tabellionage, révéleraient une longue série d'enseignes.
Sous le titre de : Échantillons curieux de statistique, Ch. Nodier, dans une de ses notices publiées en 1835, et réunies en un volume in-8, rappelle un certain nombre d'enseignes des tavernes de la ville de Rouen, dont un édit du parlement de Normandie, de la fin du seizième siècle, avait interdit l'entrée aux habitants de la ville, défendant à ceux qui les tenaient ouvertes d'asseoir désormais aucun homme du lieu.
"Il y avait, dit-il, au bout du pont: le Croissant, la Lune, l'Ange, les Degrés, les Flacons, et l'image de saint François.
"Sur les quais: l’Épée, le Baril d'or, le Trou du Grédil, le Perrenet (ou Pavillon) , l’Éléphant, l'Agnus Dei, le Hable, le Cerf, le gros Denier, le Moustier, l'Esturgeon, le Daulphin, le Chauderon, le Holà du Bœuf, la Chasse-Marée, le Grand Moulin, et la Fontaine Bouillante.
"Au port du salut: le Salut d'or, la Pensée, la Teste sarrazine, la Verte maison et les Pelotes.
"Au pied du mont Sainte-Catherine ou aux environs: l'Image sainte Catherine, le Petit lion, la Salamandre, et le Chaperon.
"Près de la halle: la Teste-Dieu, la Croix verte, les Saulciers, l'Ours, le Coulomb (ou Pigeon) , la Coupe, la Fleur de lys, la Barge (1), l’Écu de France, le grand Grédil, le Loup, la Hache, et la Hure.



"Sur Robec: la Pelle, les Avirons, le Chaperon saint Nicaise, le Coq, les Balances, la Petite taverne, qui était particulièrement fréquentée par des jeunes gens de mauvaise conduite; l'Escu de sable, l'Agnelet, le Pot d'étain; le Rosier, la Rose, le Moulinet, la Chèvre, les Maillots, les Signots, saint-Martin, la Cloche et l'Arbre d'or.
"Au Marché-Neuf: les Coquilles, le Petit pot, le Pèlerin, la Tour pierrée, et la Croix blanche.
"Près de Beauvoisins; le Chapeau rouge, la Bonne foi, les Trois Mores, le Lièvre, l'Estrieu, le Barillet, et la Pierre.
"Il y avait encore la Pomme d'or près de la porte Cauchoise, et on avait laissé ouvertes aux Cauchois les tavernes de saint Gervais
"Quand à l'Image saint Jacques, elle fut privilégiée. Il paraît qu'elle a eu le précieux monopole des Trimballes (2)."
Dans la même notice se trouve mentionnées quelques enseignes de la ville de Paris, dont l'indication trouve naturellement sa place ici:
"La Pomme de pin, le Petit diable, la Grosse tête, les Trois maillots, saint Martin, l'Aigle royal, le Riche laboureur, le Grand cornu, la Table du valeureux Roland, la Galerie, l’Échiquier, les Trois entonnoirs, l'Escu, la Bastille, l'Escharpe, l'Hôtel du Petit saint Antoine, les Torches, les Trois quilliers."
Un fou de cabaretier de la rue Montmartre avait pour enseigne la Tête-Dieu; le curé de Sainte-Eustache eut bien de la peine à la lui faire ôter. Il fallut une condamnation pour cela (Tallement des Reaux.)
Tallement raconte aussi l'histoire d'une enseigne de Notre-Dame, sur le pont Notre-Dame, que le peuple croyait avoir vu pleurer et jeter du sang. L'archevêque la fit ôter.
Le même auteur raconte qu'un commis borgne ayant exigé d'un cabaretier des droits qu'il ne devait pas, le cabaretier, pour s'en venger, fit représenter le portrait du commis à son enseigne, sous la forme d'un voleur, avec cette inscription: "Au Borgne qui prend." Le commis s'en trouvant offensé, vint trouver le cabaretier et lui rendit l'argent des droits en question, à la charge qu'il ferait réformer son enseigne. Le cabaretier, pour satisfaire à cette condition, fit seulement ôter le P; si bien qu'il resta: "Au borgne qui rend", au lieu du "Borgne qui prend".
Il y avait un éveillé de cordonnier de la rue Saint-Antoine, à l'enseigne du Pantalon, qui, quand il voyait passer un arracheur de dents, faisait semblant d'avoir une dent gâtée, puis le mordait bien serré, et criait: Au renard! Un arracheur de dents qui savait cela cacha une petite tenaille dans sa main, et lui arracha la première dent qu'il put attraper; puis il  se mit à crier: Au renard!
Du reste, ce n'étaient pas seulement les marchands seuls qui plaçaient des signes particuliers sur la façade de leurs maisons.
Pierre Costar, historiographe célèbre, né à Paris en 1603, mort le 13 mai 1660, était fils d'un chapelier de Paris, qui demeurait sur le pont Notre-Dame, à l’Âne rayé (zèbre) . Son père le fit étudier; il réussit, et ne manquant pas de vanité, non plus que d'esprit, il se voulut dépayser et demeura presque toujours dans la province; de sorte que la première fois qu'il revint à Paris, il se voulu faire passer pour un provincial; mais quelqu'un lui dit joliment qu'il ferait tort à Paris de lui ôter la gloire d'avoir produit un si honnête homme, et que quand il le nierait, Notre-Dame pourrait fournir de quoi le convaincre. Il faisait allusion à la boutique du père Costar.
Cottier, médecin de Louis XI, que celui-ci voulait faire périr un jour, se bâtit une maison à Paris avec cette enseigne-rébus: "à l'Abri-Cotier".
Jacques Androuet, célèbre architecte, né à Paris, et auteur de l'ouvrage intitulé: Les plus excellents bastiments de France, avait pris pour enseigne de sa maison, qui était située à l'entrée du petit Pré au Clercs, près de la porte de Nesle, un cerceau ou cercle qui était appendu au-devant de son habitation. De ce cerceau, il fit une appellation qu'il ajouta à son nom de famille, comme une espèce de titre seigneurial fort à la mode en ce temps-là, et qui l'est encore de nos jours.
A Paris, l'imprimerie et le commerce de la librairie s'étaient établis dans le quartier latin; toutefois ils étaient descendus jusque dans la Cité, où demeurait Simon Vostre, si connu pour ses livres d'Heures, à l'usage des différents diocèses de France, imprimés à la fin du quinzième siècle et au commencement du seizième. Simon Vostre demeurait rue Neuve-Notre-Dame, et sa boutique portait pour enseigne saint Jean-Baptiste.
Thielmann Kerveo, autre imprimeur libraire en 1525, avait pris pour enseigne la Licorne, il demeurait rue Saint-Jacques.
Nicolas Bonfons, annotateur des Antiquités de Paris, de Gilles Corrozet, dont une nouvelle édition parut en 1536, demeurait rue Neuve-Notre-Dame, et avait adopté comme enseigne saint Jean-Baptiste.
Au coin de la rue Charretière et de la rue Fromontel, il existe une ancienne maison à la façade de laquelle se voyaient plusieurs inscriptions, dont l'une indiquait la date de sa construction, 1606. Le propriétaire avait pris pour enseigne le roi régnant, Henri IV, sous le patronage duquel cette maison a été connue jusqu'à ce jour; et comme il voulait consacrer cette désignation par un signe durable, il fit sculpter la statue en pied du monarque, laquelle est restée sur son support jusqu'à l'année 1792, où elle fut détruite. Ce n'est qu'à la restauration de la maison des Bourbons, que cette enseigne fut rétablie, non en pierre comme l'ancienne, mais en peinture à l'huile, et couronnée d'un auvent avec l'inscription: "Au grand Henri."
Afin de rabattre un peu l'orgueil de ceux qui croient le monde plus spirituel qu'il y a trois siècles, et se figure que le moderne charlatanisme surpasse tout, il convient de faire observer que certaines enseignes burlesques dont l'étymologie semble bizarre à plus d'un négociant parisien, sont les tableaux morts de vivants tableaux, à l'aide desquels nos ancêtres, fins matois, réussissaient à amener les chalands dans leurs maisons. Ainsi la Truie qui file, le Coq-Héron, le Singe vert, etc. , furent des animaux en cage dont l'adresse émerveillait les passants, et dont l'éducation prouvait la patience de l'industriel au quinzième siècle. De semblables curiosités enrichissaient plus vite leurs heureux possesseurs que les enseignes dévotes, telles que la Providence, la grâce de Dieu, la Bonne Foi, la Décollation de saint Jean-Baptiste, le Signe de la Croix, que l'on voit encore rue Saint-Denis et dans d'autres vieux quartiers.


(1) La maison de la Barge (barque) existe encore rue Grand-Pont; elle porte le numéro 36. L'enseigne en relief a été transportée au Musée d'antiquités de département. Elle avait été montée à l'entrée de la maison, sur le pignon de la porte surbaissée en moulures gothiques du quinzième siècle. Elle représente une barque, la voile enflée et voguant sur des flots agités. Voy. la gravure.
(2) Trimballe ou triballe, du vieux verbe trimballer, traîner, rouler, conduire après soi.

Le magasin pittoresque, mars 1851.

mardi 22 avril 2014

Singularité des enseignes.

Singularité des enseignes.


Dans un des bulletins des Concours du Musée des Familles, une figure représente un cuisinier assis devant son fourneau où fume un ragoût quelconque; au dessus on voit un large plat.



Cette figure est la reproduction d'une ancienne enseigne en rébus qui se voyait dans le quartier de la Bastille il y a quelque soixante ans et qui doit se lire: Restaurateur à six sous (assis sous) le plat.
Ce spécimen du plaisant esprit de nos pères a de très nombreux analogues dans l'histoire des rues de Paris. Aussi l'un des plus patients et savants colligeurs de curiosités de notre temps, Edouard Fournier, le célèbre auteur du Vieux neuf, de l'Esprit des autres, de Paris démoli, avait-il fait de longues recherches pour publier, sous le titre d'Histoires des enseignes de Paris, un livre que la mort l'a empêché de mettre au jour, mais que son ami, le bibliophile Jacob a pu revoir et faire paraître avant de s'éteindre à son tour.
Dans ce recueil *, le maître chercheur, a qui les curieux devaient déjà tant de révélations intéressantes, a mis en oeuvre ses innombrables matériaux avec l'esprit de méthode qui lui était coutumier; et rien de plus amusant que le voyage fait avec lui de rue en rue, d'époque en époque, à la recherche des fantaisies et des singularités de l'enseigne.
Citons quelques exemples descriptifs et graphiques, pris çà et là dans cette pittoresque galerie.
Il existe à Paris une rue du Cherche-midi, singulière dénomination que bien des gens répètent chaque jour sans en connaître le sens. Ce nom, paraît-il, serait dû à une ancienne enseigne arborée par un artisan ou un commerçant qui tenait à laisser croire que son intention était de restreindre son gain, car si vous ignorez ce que signifie cherche-midi, lisez ce qu'en a dit Ed. Fournier. "Les chercheurs de midi à quatorze heures (on en fit le titre d'un ballet donné à la cour en 1620) étaient de pauvres hères faméliques, en quête du dîner qu'ils ne trouvaient pas à quatorze heures, puisqu'on dînait partout à midi; un roman picaresque d'Oudin, sieur de Préfontaine, nous apprend le véritable rôle d'un cherche-midi



"La grande nécessité où j'estois m'ayant pourvu d'un office de cherche-midi, j'allais parfois en des couvents; mais j'y trouvois petite chance, au moins pour moy, car pour les moynes, ils faisaient une telle chère que, si la fumée de leurs bons morceaux, qui me passoient devant le nez, avoit été rassasiante, cela m'auroit bien nourry."
Ainsi par l'enseigne, nous avons l'historique d'une locution populaire.
Voici l'enseigne en rébus: " Dans le quartier des Halles on avait pu croire, un instant, que le fameux délit de consolation de l'illustre Paul Niquet avait perdu son maître; il n'en est rien, lisez plutôt ce que dit l'enseigne.



Que voyez-vous? Un globe terrestre avec le mot pôle à sa partie inférieure, puis un nid d'oiseaux, un groupe de vaisseaux élevant leurs mâts derrière le quai d'un port, la lettre N, avec apostrophe, devant une haie, des empreintes de pas, et enfin un Maure assis la hache à la main, la pipe à la bouche. Traduction littérale: Pôle nid quai n'haie pas Maure, traduction effective: Paul Niquet n'est pas mort."
Puis l'enseigne proverbe arborée par un barbier. "A vouloir débarbouiller un nègre, on perd son savon," dit-on communément. 



Aussi voyons-nous ici une charmante femme qui, tenant une serviette bien blanche, qu'elle enduit fortement de savon, se dispose à faire disparaître la couche d'ébène répandue sue le jeune Africain qui s'effraie de cette singulière intention.
Temps perdu, madame, temps perdu!....
Puis l'enseigne-calembour d'un restaurant resté célèbre: "Un bœuf drapé dans des oripeaux féminins, sur la tête une capote dont les brides pendent dénouées, plusieurs rangs de perles pour collier. Ce ruminant est, ou fut à la mode" Donc lisez: Au Bœuf à la mode.
Une autre nous conserve le titre d'une pièce jadis en vogue, les deux Gaspards


A voir ces compères face à face attablés, les cartes à la main, les yeux sur les yeux, on a une idée du caractère des deux finauds, amis sans doute jusqu'au débours de la chopine qu'ils vident de compagnie, et que chacun voudrait bien, même par tricherie, mettre sur le compte de son partenaire.
Puis l'enseigne du Roi d'Yvetot, perpétuant à bon droit le chef-d'oeuvre de fine satire qui fut le débat du chansonnier par excellence. 



On dit que la chansonnette, devenue soudain populaire, fut un jour montrée à Napoléon, qui sourit doucement aux transparentes allusions de ce "voisin commode" qui n'avait que le plaisir pour code, "qui ne songeait point" à agrandir ses Etats, "qui se levait tard, se couchait tôt; ne levait de ban que pour tirer quatre fois l'an au blanc". L'aigle de Corse ne se doutait guère alors que le malicieux inconnu devait être un jour le plus puissant artisan de la grande légende impériale.
Voyez, le voilà bien ce bon roi:

                                                      Qui faisait ses quatre repas
                                                      Dans son palais de chaume.
                                                      Et, sur un âne, pas à pas,
                                                      Parcourait son royaume,
                                                      Et, couronné par Jeanneton
                                                      S'un simple bonnet de coton,
                                                                     Dit-on
                                                      Oh! Oh! Oh! Ah! Ah! Ah!
                                                      Quel bon petit roi c'était là!
                                                                     Ah! ah!

Puis l'enseigne, que l'on croit pouvoir attribuer à de grands maîtres, qui les peignirent, soit à leurs débuts, dans un jour de détresse, soit en pleine réputation pour rendre service à un ami, comme par exemple celle que Gersaint, le marchand de tableaux, avait obtenue de Watteau, ou celle de Maître Albert, encore existante, mais presque effacée, que l'on attribue à Eugène Delacroix.




Et celles-ci, et celles là. Arrêtons-nous, car nous irions trop loin avec le guide que nous avons pris. Avant de le quitter, toutefois, puisque l'ingratitude est l'indépendance du cœur, adressons-lui le reproche de n'avoir pas ouvert dans son livre la série des enseignes d'erronées, dont l'autre jour nous avons rencontré un assez singulier exemple.
Il y a maintenant à Paris un boulevard de Port-Royal, ainsi nommé en souvenir de la fameuse maison dont chacun sait la très pieuse, mais quelque peu bruyante histoire. Port-Royal de Paris dérivait de Port-Royal des champs, ancienne abbaye de la vallée de Chevreuse, qui devait ce nom à cela que Philippe-Auguste, s'étant arrêté, un jour de chasse, au bord d'un étang, trouva le site charmant et résolut d'y bâtir un monastère qu'il appela Port-Royal. Port devait être entendu en ce cas comme repos, ou lieu de repos.
Or, comme l'idée de port, dans son acceptation positive actuelle, éveille l'idée de mer, et que l'idée de mer éveille l'idée de navires, et que l'idée de navires éveille l'idée de flotte, il s'en est suivi qu'un brave commerçant en liquides n'a rien vu de mieux, pour illustrer les régions où il a planté son comptoir d'étain, que d'arborer une peinture maritime, assez bien réussie d'ailleurs, avec cette inscription: A la flotte du Port-Royal.
Mânes de la mère Angélique, de Pascal et de Sacy, que vous semble de cette idée?...

                                                                                                                        E. M.

Musée des Familles, lectures du soir, 2ème semestre 1885.


*Un vol., librairie Dentu.