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vendredi 20 février 2015

La porte de Saint-Jean à Provins.

La porte de Saint-Jean à Provins.


Les monumens de l'art s'effacent chaque jour du sol de la France, ceux surtout qui datent de l'ère romaine et des commencemens du moyen âge. La France est riche en beaux monumens du style gothique; nous en avons comme joyaux, ces belles cathédrales qui toutes néanmoins ne remontent pas au-delà et 12e et 13e siècles. Les monumens les plus rares sont ceux qui datent de l'époque romaine ou des 8e et 9e siècles, époque carlovingienne. 
Dans cette catégorie, il faut placer la porte de Saint-Jean, à Provins; évidemment, les tours n'appartiennent pas au même style que la porte, et la porte elle-même est de plusieurs âges: les piliers du bas, gros et massifs se rattachent à l'époque romaine, tandis que le sommet est d'un temps relativement moderne. Les tours sont de la mauvaise époque du moyen-âge, quand il ne s'était pas encore détaché des lourdes formes gauloises, c'est à dire des 10e et 11e siècles, dont on peut trouver un modèle dans la tour carrée de l'abbaye de Saint-Germain-des-Près, et dans les tours crénelées de l'abbaye de Saint-Victor, à Marseille.


Provins est une des vieilles villes de France, de fondation romaine; elle ne devint importante que sous la seconde race; un capitulaire de Charlemagne en parle. Provins est la capitale de la Brie; elle fut réunie au comté de Champagne, et devint la résidence de ces nobles comtes qui, sous le nom héréditaire de Thibaut, furent tour à tour braves chevaliers, poètes spirituels, fondateurs de villes, de foires et de monastères. Qui ne connaissait au moyen-âge les foires de Provins en Champagne, où se rendaient, de toutes les parties de la France, les juifs, les commerçans qui venaient vendre ou échanger les produits du sol ou de la grossière industrie? Plus d'une chanson des comtes Thibaut parle des foires de Provins; elles se tenaient dans la basse ville, en un lieu tout entouré de murailles; car il fallait défendre les marchands contre les pilleries et les brigandages des seigneurs féodaux.
C'est à Provins que les comtes de Champagne avaient fixé leur résidence; c'est là que naquit et vécut ce Thibaut, amoureux de la reine blanche, et qui fut accusé d'avoir fait empoisonner le roi Louis VIII, son suzerain, à la suite d'une violente discussion. Aussi, lors du sacre du jeune Louis IX, Thibaut ne parut point à l'église; car il aurait eu à combattre en champ clos tous les sires bavards et indiscrets. Dans la ligue des grands vassaux, contre la régence de la reine blanche, les barons firent tout leur possible pour attirer à eux Thibaut, car c'était un fier homme d'armes; ils seraient même parvenus à l'entraîner, lorsque la reine, qui connaissait tout son ascendant d'amour sur le cœur de Thibaut, alla le trouver: "A la nuit venue dans un petit castel où il gisait toujours épris." Elle le regarda si tendrement que le comte s'écria: "Par ma foi, Madame, mon cœur et ma terre sont à votre commandement; il n'est rien qui vous pût plaire que en fisse volontiers; et jamais, s'il plait à Dieu, m'unirai contre vous et les vôtres. De là, le pauvre comte repartit tout pensif, et lui venait souvent à sa remembrance, le doux regard de la reine et de sa belle contenance: lors entrait dans son cœur la douceur amoureuse."
Ainsi Thibaut se sépara de ses nobles compagnons. Ceux-ci voulurent s'en venger; ils disaient: "Ce traître de comte nous délaisse et nous abandonne déloyalement; or, envahissons ses terres."
Le roi s'y opposa: "Si vous ne cessez de troubler Thibaut, écrivit-il, nous mènerons nos batailles pour le défendre."
"Sire roi, répondaient les barons, laissez-nous aller contre le champenois. Nous marcherons avec trois cents chevaux moins que lui en aura. Jamais, répliqua le jeune Louis inspiré par sa mère; jamais n'entendrai ni ne souffrirai qu'on dépouille Thibaut."
Cette grande amitié dura peu. Deux années plus tard, le sire Thibaut avait vu s'accroître ses domaines; il venait d'hériter par son oncle, du royaume de Navarre et de 400 mille livres d'argent. Ainsi parvenu à la royauté et au plus haut degré de richesses, il conçut de nouveau la pensée d'une alliance féodale contre les droits importans de la suzeraineté. Le roi en fut informé, et son armée était prête à envahir la Champagne, lorsque le roi de Navarre fit toutes soumissions et renouvela ses hommages. Le pape l'avait pris sous sa protection; car, noble pèlerin, il s'était revêtu de la croix pour combattre les infidèles, et dans une pieuse chanson, il avait prêché la croisade.
Thibaut vint donc à la cour de Louis pour revoir sa dame; mais d'anciennes haines s'étaient accrues contre lui; les frères du roi ne l'aimaient pas, ils soupçonnaient l'adultère de leur mère, si bien qu'un jour, le comte Robert fit saisir Thibaut par des goujats et varlets qui l'attachèrent sur un mauvais roussin, à la queue coupée, signe de vilenie; puis le couvrirent de haillons, et lui appliquèrent un masque de fromage mou à la figure. Thibaut ressentit profondément cette offense, il demandait champ clos et combat à outrance, mais la reine Blanche lui ordonna de quitter Vincennes, et le roi de Navarre obéit aux ordres de sa dame en psalmodiant ce couplet de sa façon:

Amour le veut, et ma dame m'en prie,
Que je m'en pars, et beaucoup la mercie,
Quand par le gré, ma dame m'en châtie,
Meilleure raison n'y voie en ma partie.

On montrait encore à Provins, il y a quelques années, des vers qu'on attribuait au comte Thibaut, peints sur les vitraux d'une église; à cette époque, plusieurs de ces vitraux servait de calepin pour déposer les douces pensées d'amour.
Quand le comté de Champagne fut réuni à la couronne, Provins devint une ville du domaine royal. Depuis, elle n'en a jamais été séparée; néanmoins, sous les Guise, la ville se montra fortement ligueuse, elle embrassa l'opinion catholique, et fut assiégée par Henri IV, en 1592; elle fit une opiniâtre résistance pendant trois jours. 
Les antiquités de Provins ont subi les ravages du temps et de la guerre; quelques-unes néanmoins se sont parfaitement conservées: tel est l'édifice vulgairement nommé la Tour de César, qui ne nous paraît pas à nous de construction romaine. Plusieurs des monumens du moyen-âge portent ainsi des noms pseudonymes, et en France il y a plus de vingt tours appelées de Charlemagne, et qui appartiennent à l'architecture des 13e et 14e siècles. Quand un nom est grand en l'histoire, on en baptise toute construction qui doit braver les âges.

                                                                                                                        C...

Magasin universel, octobre 1836.

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