Translate

Affichage des articles dont le libellé est pantalon. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est pantalon. Afficher tous les articles

dimanche 11 avril 2021

La rotule inextinguible.


L'homme à la rotule inextinguible, je l'ai rencontré dans un tranquille petit café de la rive gauche, où je me livrais, l'après-midi, aux sons des dominos, au décourageant travail de la correction d'épreuves.
Ce café s'appelait le café du Tarn-et-Garonne, pour cette raison tout à fait parisienne qu'on n'y entendait jamais l'accent indomptable d'un seul Tarn-et-Garonnais. Les habitués étaient tous de Roubaix. Il n'y a pas de mal à ça.
Ces hommes du Nord, alléchés par l'enseigne, y croyaient sans doute faire un temps de villégiature dans le Midi.
L'homme à la rotule inextinguible, par dérogation à la règle, n'était pas de Roubaix. Il avait été conçu et "exécuté" à Brest.
Ce qui me le fit tout d'abord remarquer, ce fut son chapeau géant, en forme de cloche, dans l'enceinte duquel un maraîcher, même inhabile, eût pu abriter et faire croître au moins six belles laitues.
Jamais ce chapeau n'abandonnait la tête qui était confiée à son feutre.
On aurait questionné ce chapeau sur l'usage d'une patère qu'il aurait évidemment répondu, comme un personnage de drame: Demandez-le aux corbeaux de la Savane!... quant à moi j'ignore à quoi peut servir ce champignon de métal où l'industrie concentre ses banalités.

***

L'homme à la rotule inextinguible (patience!) se fit encore remarquer de celui qui écrit ces lignes par l'air extatique que prenait son visage à la vue de paysages inouïs, nuancés de couleurs aussi vives qu'inattendues, qui décoraient les stores du café; stores toujours abaissés sur les vitres à cause du soleil, et derrière lesquels les rayons de cet astre s'accumulaient avec fureur comme pour les incendier...
Cascades, ponts ruinés, perspectives bleuâtres, croix de pierre à l'angle des chemins, chalets inhabitables, moines à pieds nus, horizons maritimes, tout ce que la fantaisie aventureuse d'un fabricant de stores peut emprunter aux beaux-arts, en les compromettant, se trouvait réuni sur la toile transparente de ces tableaux bizarres.
M. Socral aimait ça.
M. Socral, l'homme à la rotule, aimait à se promener en imagination au milieu des sites anglais, boisés d'arbres des tropiques, émaillés de mouflons de Corse, que représentaient certains stores.
Dans d'autres, ses passions mauvaises trouvaient pâtures. On ne sait pas ce qu'une Suissesse qui traverse un torrent, écumeux comme une meringue, en montrant ses jambes brunes pareilles à des os de jambon, peut mettre de rêveries dans l'âme d'un habitué de café.
Socral (je supprime le monsieur, n'est-ce pas?), entrait en délire à l'aspect des Suissesses à longues nattes qui s'en vont, dans les stores, un disque de gruyère sur la tête, en guise d'ombrelle.
Et cela le consolait.
De quoi?
De sa rotule inextinguible.
- "Nous y voilà!" comme dit Hamlet à la scène du poison versé dans l'oreille, lorsque la jouent, devant son oncle, les acteurs qui sont les bienvenus dans Elseneur.
- Oui, nous y voilà.
Socral était le martyr de ses rotules.

***

Je n'invente rien. Je raconte. Je raconte, muni des renseignements fournis par Socral lui-même.
Car il me raconta sa vie. Comptable chez un marchand de cuirs, et bien que venant, deux fois par jour, s'énivrer du spectacle des stores du café du Tarn-et-Garonne, il était malheureux à cause de ses pantalons.
L'heureuse insouciance du roi Dagobert au sujet de l'interversion de l'envers et de l'endroit dans sa culotte, Socral ne la connaissait pas.
Il ne connaissait que son malheur en drap et il le buvait jusqu'à la corde, qui est la lie des étoffes.
Le crime des pantalons de Socral, disons-le sans ambages, le voici:
Les pantalons de Socral, quel que fût le tissu qui en formât la base et de quelque main qu'ils fussent taillés et cousus, les pantalons de Socral, hélas! aussitôt qu'ils étaient ... enjambés par Socral, formaient instantanément le genou!
Horreur!
Oui, monsieur, ils forment instantanément le genou, et, gémissait Socral, mes jambes ont l'air d'appartenir à un ramoneur en terme de cheminée, ou d'être modelées sur celles d'un chameau!

***

M. Socral (rendons-lui le monsieur, pour l'honorer dans sa douleur), M. Socral avait tout fait, tout inventé, tout osé pour garder à l'arête extérieur de ses pantalons une rectitude avantageuse. Il mettait du plomb de chasse dans l'ourlet du bas; il faisait coudre de fines baleines à la hauteur du mollet. Rien, rien! rien ne pouvait empêcher la formation d'un énorme et grotesque calus de drap en avant des rotules de M. Socral.
Aucun bandage ne pouvait contenir dans des bornes admissibles cette sorte de hernie génuale.
M. Socral ajoutait avec fureur, dévoilant le fond de son âme: "Ma jambe, de sa nature fort élégante, peut à chaque instant être prise, par un botaniste, pour un tronc d'arbre affligé d'un énorme agaric."
La rotule inextinguible de M. Socral avait eu les conséquences les plus graves pour l'infortuné comptable en peaux. Elle lui avait fait manquer trois mariages!

***

La troisième fois, en allant faire sa demande, M. Socral avait eu la prudence d'apporter trois pantalons et d'en changer derrière les haies (c'était à la campagne), mais, ô vanité des rêves humains!, trois fois les pantalons, bien que neufs, formèrent le genou fatal, et quand la jeune fiancée de M. Soral aperçut le dernier de ces genoux qui rappelait les callosités du derrière d'un singe, elle rit cruellement.
- J'ai dû renoncer à prendre femme, monsieur, dit Socral. Nous vieillissons, mes genoux et moi, sans connaître les douceurs du foyer domestique. Maintenant, résigné, je cache mes jambes sous les tables des cafés et je me console en contemplant des paysages! Mon histoire est navrante, n'est-ce pas!
Je n'osai dire le contraire.
- Je ne trouverai même pas le repos dans la tombe, monsieur, poursuivit M. Soral. Dans la bière, j'en ai l'odieuse certitude, mon linceul dessinera une rotule inextinguible, et c'est un long éclat de rire qui saluera mon apparition dans la ville de Josaphat.

                                                                                                                                 E. Georgine.

La vie populaire, dimanche 27 mai 1883.

vendredi 7 mars 2014

Guerre aux pantalons.

Guerre aux pantalons.

Les élégantes New-Yorkaises rêvent de réformer la toilette masculine.
Elles ont déclaré la guerre aux pantalons, aux horribles fourreaux jumeaux sans grâce ne donnant disent-elles "aucune des lignes plaisantes de la nature et cachant toute individualité (sic)".
Elles voudraient habiller les élégants, les beaux, comme on dit aux alentours de la cinquième avenue, de culottes ornées de rubans et de dentelles de prix; les manches de l'habit, galonné d'or se termineraient par des revers de mousseline, et des broderies retombantes cacheraient à demi une fine main blanche soignée à la pâte d'amande.
Les bas de soie du temps de Goethe et de Schiller reviendraient à la mode, et l'on reverrait encore des reproductions du beau Brummel et du beau Nasch, de Washington et de Jefferson.
Les élégantes révolutionnaires réussiront-elles à détrôner le pantalon et le tuyau de poêle?... car elles s'en prennent aussi à nos couvre-chefs!

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 février 1906.

vendredi 1 novembre 2013

Le pantalon.


Le pantalon.

Ce sujet ayant été introduit ici, je m'en autorise pour insérer au passage une question que j'avais préparée depuis quelque temps, mais que j'hésitais à publier. Il s'agit de préciser la date à laquelle le pantalon a été admis pour les visites de politesse.
Il m'est tombé, en effet, entre les mains un Manuel de la bonne compagnie, 3e édition, Paris 1818; et dans le chapitre consacré aux visites, je lis (p. 30) :

" Une mise propre et décente est de rigueur. On doit paraître en habit, jamais en bottes et en pantalon"

Une gravure fait face au titre du volume: on y voit un homme élégant entrer dans un salon, tenant à la main un livre qu'il offre à deux dames, assises sur un sofa; c'est le manuel en question; car au dessous, on lit cette légende: c'est à vous que j'en offre l'hommage. Le personnage est cravaté haut, porte l'habit dit à la française, culotte courte, bas de soie et escarpins: il tient à la main un chapeau de castor anglais.
La gravure est certainement plus ancienne que cette "troisième édition", car les modes qu'elle représente me semble être celles de l'Empire. Mais en tout cas, le texte est net, car il condamne, en 1818, le pantalon pour les visites, en recommandant la tradition.
Le costume en culottes courtes et en bas de soie est sans doute représenté aujourd'hui par le "costume de cour", imposé par l'étiquette des monarchies dans les soirées de cour, imposé aux malheureux civils qui n'ont pas d'uniforme, et tout récemment encore aux suivants de M. Loubet, à Londres, dans sa visite au roi d'Angleterre. Partout ailleurs, le démocratique pantalon a triomphé.
Cette réflexion me ramène à ma question: Quelle est la date de ce triomphe en France?
Je n'en sais rien; mais il semble que l'innovation a du être une imitation de l'Angleterre. On sait comme les modes anglaises ont trouvé faveur en France sous la Restauration. C'est en vain que Béranger chantait: "Redoutons l'anglomanie! ". Le pantalon et la redingote ( dont le nom seul, Riding-coat, indique l'origine) ont du pénétrer ensemble et se faire admettre ensemble en place de l'ancien costume de cérémonie. C'est ainsi que de notre temps, le smoking, création du précédent Prince de Galles (aujourd'hui Edouard VII) a supplanté le frac dans bien des circonstances.

                                                                                                                G. Servandy

Réponse à côté; mais pour laquelle je demande grâce, eu égard à la singularité du renseignement. J'ignore totalement l'inventeur du mot "pantalon"; mais, en revanche, il paraîtrait que le tailleur inventeur du vêtement n'aurait été autre qu'Abraham en personne: "Ibrahim aoual ikhtatan ou adhaf, edhif ou labis esaraouïl", c'est à dire: " Abraham fut l'inventeur de la circoncision, de l'hospitalité et des pantalons", nous déclare gravement le savant Abalféda, dans ses Annales antéislamiques (Rescension de Fleischer, chapitre de la postérité d'Abraham). Avis à ceux qu'intéresserait l'iconographie  du Saint Patriarche, et se refuseraient à admettre les portraits faits de pur "chic"

                                                                                                                El. Kantara.

L'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 20 août 1903.