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mardi 7 juillet 2015

Les lunettes de ma grand'mère.

Les lunettes de ma grand'mère.


Pourquoi salue-t-on les personnes qui éternuent?
Aristote prétend que c'est pour honorer le cerveau, qui est le siège de l'intelligence.
Cette raison me paraît si bonne en soi, que je la regarderais comme excellente si je n'en connaissais pas une meilleure. On salue les personnes qui éternuent parce que...
Ecoutez d'abord l'histoire des lunettes de ma grand'mère:
Un jour ma grand'mère perdit la vue. Un soir, elle ne s'en souvint plus.
J'étais tout petit, mais curieux comme les enfants de mon âge et plus encore, s'il est possible. Donc ma grand'mère, qui était aveugle, me demanda tout à coup ses lunettes.
- Pourquoi faire, bonne-maman, vos lunettes?
- Pour lire, mon enfant, je m'ennuie.
- Grand'maman, lui dis-je, pourquoi donc qu'on s'ennuie quand on n'y voit pas?
Ma grand'mère se disposait à me répondre, lorsqu'elle éternua.
- Dieu vous bénisse! grand'maman, lui dis-je.
Elle étendit ses vieilles et bonnes mains pour me chercher, là où j'étais devant elle, et m'attirant vers son visage, penchant sa tête sur mon front, elle me baisa, puis me dit:
- Dieu te rende la bénédiction que tu me souhaites, mon fils! Sois toujours sage, aime toujours bien ta grand'mère, et le bon Dieu aura pitié de toi.
Ma grand'mère éternua pour la seconde fois. je dis encore: "Dieu vous bénisse!" et, cela dit, je demandai à ma grand'mère:
- Pourquoi donc, grand'mère, qu'on dit Dieu vous bénisse! aux grand'mères qui éternuent?
- On le dit à tout le monde, mon fils; mais le mieux c'est de saluer quoique cela passe de mode.
- Ah! il faut saluer?
- Oui, mon fils.
- Et quand on n'a pas de chapeau, grand'mère?
- On fait un léger mouvement de tête.
- C'est drôle qu'on salue les gens qui éternuent quand ce ne sont pas vos grand'mères! D'où vient donc cela ?
- Je vais te l'apprendre. Va chercher mes lunettes. Je vais te lire un vieux livre où la chose est expliquée;
- Grand'mère, je ne trouve pas vos lunettes!
Je n'osais lui rappeler qu'elle était aveugle. Je savais que cela lui faisait de la peine.
- Cherche dans le tiroir de la chiffonnière... le premier, à gauche... trouves-tu?
- Je ne vois rien, grand'mère.
- C'est étonnant, dit-elle, que l'on ait égaré mes lunettes.
- Si vous voulez me conter l'histoire sans lunettes, grand'mère, ça m'amuserait tout autant. est-ce que vous ne vous en souvenez plus?
- Si fait, mon enfant. Mais il m'est impossible de rien conter sans lunettes. Cherche-les donc bien.
Je cherchai dans tous les tiroirs, je bouleversai toutes les commodes, je culbutai toutes les armoires, pas plus de lunettes que sur mon nez! Elles étaient sous ma main.
- Grand'mère, grand'mère, je les tiens! les voici vos lunettes... à présent vous allez me conter pourquoi il faut saluer les personnes qui éternuent.
- Je vais te conter cela, reprit ma grand'mère. Apporte-moi le gros livre relié qui doit être sue la commode.
J'en avais ma charge. Ma grand'mère le mit sur ses genoux, l'ouvrit de tout son long, plaça ses lunettes sur son nez comme pour lire...
- C'est ici que commence l'histoire, me dit-elle.



La vieille femme, de Jordaens (musée du Louvre).



Je regardai le livre où je ne savais pas lire encore, je regardai les lunettes de ma grand'mère, je regardai les yeux fermés de ma grand'mère, je regardai toute ma grand'mère.
Elle sourit, m'embrassa et me dit:
- Je suis aveugle... apprends à lire.
Bonne et pauvre aveugle!
Cinq ou six mois plus tard, lorsque je sus lire, ma grand'mère étant morte, un monsieur éternua, je le saluai poliment, et cela me remit en mémoire mes questions à ma grand'mère, ses lunettes et son gros livre. Le gros livre était encore à la même place; je l'ouvris et cherchai bien vite la place que la pauvre femme avait marquée de l'ongle, en me disant: "C'est ici que commence l'histoire." Je reconnus la page et la trace de l'ongle; mon cœur battait de reconnaissance pour ma grand'mère, et aussi de joie en me voyant près de savoir enfin d'où vient qu'il faut saluer les personnes qui éternuent. Mais jugez de ma surprise; ce gros livre n'était autre chose qu'un vieux dictionnaire de l'Académie française! D'où il arriva que je n'ai jamais su pourquoi il faut saluer les personnes qui éternuent, mais je sais lire: Merci, grand'mère!

La mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.

vendredi 7 février 2014

Chronique du journal du Dimanche.

Chronique.


Il y a quelques jours, une baronne allemande aux allures princières, Madame X... , descendit à l'hôtel de Londres.
Comme tout le monde à Paris, s'empresse de se mettre à genoux devant la fortune, mille soins obséquieux entourèrent la baronne.
On lui donna un appartement somptueux; on servit abondamment sa table. Étrangère à Paris, elle demandait naïvement si avec son modeste revenu de dix mille francs par mois elle pouvait bien payer tout cela, et on lui répondit par des sourires.
Elle se fit conduire dans les principaux magasins de Paris, s'y présenta avec un air de reine, et, grâce à ses grandes manières se fit livrer, chez Delisle, de magnifiques soieries; chez plusieurs lingères, des broderies et des dentelles de haut prix. Peu satisfaite encore de ce qu'elle trouvait, elle choisit de superbes batistes, y fit faire des dessins à son gré, et les dessinateurs se mirent à ces ordres. Les ouvrières furent ravies de broder sa couronne de baronne et ses opulentes armoiries. 
A la fin du mois, elle devait passer chez son banquier Rothschild et payer toutes les notes.
Au jour-dit, les mémoires arrivèrent de tout côtés. Mais la baronne était sortie, si bien sortie qu'elle ne rentra plus; et, dans son appartement, il ne restait plus le moindre petit objet de ce qui avait été livré.
Peu de jours après, le hasard fit découvrir le commerce que faisait la noble dame.
Elle portait tout ce qu'elle obtenait à crédit dans les mont-de piété, empochait l'argent donné sur ces gages et s'en allait avec.
Tout ce qu'elle avait volé était ainsi déposé rue de Paradis, 7.
On dit qu'après cette leçon les marchands ne vont pas moins accabler de révérences les femmes qui descendent de voiture, qu'elle aient de l'argent dans leur poche ou non, et ne reçoivent pas moins maussadement la mère de famille qui vient, le parapluie à la main, acheter et payer les vêtements de ses enfants.

****


Voici un drame dont le héros appartient tout à fait au caractère du moyen âge.
La scène est au château de Ludon, près Bordeaux. Et ne croyez pas que nous inventions rien dans cette histoire; nous rapportons simplement un crime dont la justice est appelée aujourd'hui à décider.
Parmi les gens attachés au service de ce château de Ludon se trouvaient une femme de charge et un paysan, qui habitaient tous deux un local situé au fond d'une cour, et à une certaine distance des autres corps de logis.
Cette femme hérita d'une somme de huit cent francs, qu'elle garda chez elle en attendant de la placer en rentes.
Un soir, quand tout dormait dans la maison, le paysan entra chez elle, et la menaça de la tuer si elle ne lui livrait pas immédiatement cette somme.
La malheureuse créature, pour sauver sa vie, indiqua du doigt le petit meuble de chêne qui renfermait toute se fortune. Le paysan s'élança sur l'argent et s'en saisit. Jusque-là, rien de plus commun dans les manières d'agir des malfaiteurs.
Mais, en fois en possession de la somme, le misérable dit à sa victime qu'il fallait toujours qu'elle périt, parce que, autrement, il serait dénoncé et perdu par elle. Seulement il lui laissa le choix du genre de mort qu'elle préférerait. Absolument comme les maris jaloux d'autrefois demandaient à leurs femmes s'il leur plaisait mieux de mourir par le fer ou par le poison.
Après bien des prières et des larmes, l'infortunée femme de charge, voyant qu'il fallait absolument se décider, opta pour être pendue.
Le paysan alors la lia au pied de son lit, tandis qu'il ferait les préparatifs nécessaires. Il ajusta une corde, y fit un nœud coulant, et parvint, à l'aide d'une chaise, à l'assujettir à une poutre du plafond.
Pendant cela, la malheureuse femme, dans une situation dont on conçoit toute l'horreur, gisait à terre. Pourtant elle leva machinalement les yeux vers son bourreau, et remarqua que, en achevant ses préparatifs, il tenait le bras passé dans le nœud coulant de la corde.
Prompte comme l'éclair, elle donna un grand coup de pied à la chaise qui était à sa portée, et la renversa. Le paysan resta suspendu par le bras, et flottant dans l'espace.
Tous deux jetèrent des cris épouvantables: lui, dans la douleur que lui causait sa position, elle, pour appeler au secours. Ce fut au matin seulement qu'on entendit ses cris.
On enfonça la porte, qui était fermée en dedans, et on découvrit cet étrange tableau. Après le récit de ce qui s'était passé fait par la femme de charge, on se hâta d'appeler des magistrats, qui trouvèrent le coupable toujours pendu, et le firent transférer à Bordeaux, où on instruit en ce moment son procès.

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Un tel criminel n'est qu'odieux et risible; mais on est saisi de pitié devant ces scènes de désastres que la mer offre trop souvent.
Une barque de pèche du port d'Honfleur, montée par cinq hommes, patron Moquerel, se trouvait vers trois heures du matin, à douze milles du cap. Les hommes étaient occupés à lever le chalot; deux d'entre eux viraient au guindeau; deux autres, le corps penché en dehors de la barque, saisissaient déjà le chalot, arrivé à fleur d'eau, lorsque tout à coup ces deux derniers tombèrent à la mer. Il faisait une nuit noire; la barque, sans voile, flottait au hasard, et il fut impossible de venir au secours des deux naufragés.
Ces deux victimes sont Moquerel, frère du patron de la barque, et Moguot, jeune marin revenu du service depuis un mois, et qui est venu échouer là, après avoir fait la campagne de la mer noire!

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Voici maintenant, pour arrêter nos regards, un événement moins tragique.
Il y a à Londres un bazar de curiosités parmi lesquelles se trouve la guillotine qui a servi, dit-on, à l'exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793.
Cet instrument est placé dans la salle dite des Horreurs.
Un étudiant en médecine se mit dans l'esprit, en examinant la guillotine, que l'espèce de joug qui retombe sur les épaules du supplicié, pour le maintenir dans la lunette, ne pourrait suffire à le retenir s'il voulait résister.
Sa curiosité sur ce point le fit rester dans la salle jusqu'à ce qu'il n'y eût plus personne.
Alors, il se mit dans la lunette en faisant retomber la planche supérieure. Il vit bientôt qu'il ne pourrait plus se retirer, et tout aussitôt il réfléchit que le couteau, qui était suspendu au-dessus de son cou, pouvait n'être pas fixé très-solidement. Il trembla alors de faire le moindre mouvement, qui pouvait, par la secousse, détacher le couteau, et faire tomber sa tête dans le panier plein de sable qui était tout préparé au-dessous. Cependant, il eut la joie de voir venir un voyageur, qui visitait la chambre des Horreurs, et il le supplia de le délivrer.
- Je pense, dit le monsieur à sa femme, que cet homme-là est engagé pour faire voir comment agit la machine, et que ce qu'il dit est dans son rôle.
Puis il passa tranquillement son chemin, et sortit. Le malheureux étudiant resta donc là jusqu'à l'arrivée de M. Dussaud, le maître de l'établissement. Celui-ci fixa le couteau solidement, puis rendit la liberté au demi-supplicié.
Dans ce bazar se vendent, dit-on, les meilleures lunettes d'Angleterre.
Un paysan, dont la vue faiblissait, à ce qu'il croyait, avait fait le voyage de Londres pour se procurer cette précieuse ressource.
Il s'adresse au commis chargé spécialement de l'article. Celui-ci lui présente des lunettes qu'il porte magistralement sur son nez; mais, en essayant de lire un journal, il ne voit que du brouillard. Nouveaux essais, toujours infructueux. Il lasse tellement la patience du commis, que celui-ci, en lui tendant une nouvelle paire de lunette, s'écrie:
- Tenez!  vous n'étiez qu'un sot et moi aussi; je réponds, cette fois, que voici ce qu'il vous faut.
En effet, maître Jean lit tout couramment, achète assez cher ses bésicles, et s'en va triomphant.
- Tiens, femme, dit-il, j'ai acheté des lunettes qui me vont à ravir, et je pourrais le soir te lire la Bible sans broncher.
- Voyons, dit la femme.
Puis elle part d'un grand éclat de rire.
Les lunettes n'allaient si bien que parce qu'elles n'avaient point de verres.
Pourquoi le paysan, qui pouvait lire avec ses yeux, avait-il voulu des lunettes? Le mieux est l'ennemi du bien.

Journal du Dimanche, 22 février 1857.


mercredi 5 février 2014

Étuis à bésicles.

Étuis à bésicles.

C'est à la fin du treizième siècle, entre les années 1280 et 1290, que l'on fait remonter l'invention des lunettes. il paraît vraisemblable qu'elles furent trouvées ou retrouvées en Italie par un Florentin, Salvino degl' Armati ou un savant dominicain Alessandro Spina.
Ce qui est certain, c'est que dans beaucoup d'écrits italiens de la fin du treizième siècle, il est déjà question de lunettes: "Je suis si vieux, écrit Scandro Dipopozzo en 1298, que je ne puis plus lire ni écrire sans verres qu'on nomme lunettes".
Le mot bésicles ne vient pas, comme on le croit assez communément, du latin bis oculi (deux yeux), mais bien de l'ancien mot français béricle (écrit quelquefois béril et aussi bézicle), qui désignait le cristal dont on faisait les verres de lunettes; plus tard on donna ce nom au verre artificiel qui servait au même usage, et qu'on distinguait du cristal naturel, et enfin, par extension, aux bésicles elles-mêmes.* Le mot béryl est encore employé aujourd'hui pour désigner une sorte d'émeraude.
On portait les bésicles suspendues au cou ou à la ceinture, dans la poche, et quelque fois même dans les livres d'heures, où une place leur était réservée par le relieur. Elles étaient renfermées plus habituellement dans des étuis artistiquement ornés, et dont nous donnons deux intéressants spécimens: 



l'un en fer gravé, travail allemand de la fin du seizième siècle, et l'autre, du dix-huitième, en bois curieusement et élégamment fouillé. 



Le premier devait être suspendu à la ceinture, le second était peut-être enfermé dans une des poches du gilet.

*De Laborde, Notice des émaux du Louvre; glossaire.

Magasin Pittoresque, 1879.