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mardi 3 juillet 2018

Ce que disent les juges.

Ce que disent les juges.


Les cartes d'abonnement.

Certains voyageurs mettent une mauvaise volonté inexplicable lorsqu'il s'agit de remettre au contrôleur leur ticket ou leur carte d'abonnement, et il en résulte des procès assez fréquents.
Un voyageur ayant montré sa carte d'abonnement en refusant de la laisser prendre pour vérification par le contrôleur a été cité devant le tribunal correctionnel de Charleville qui l'a condamné à 25 fr. d'amende et aux frais.
Aussi, pourquoi refuser de remplir une si simple formalité?

Les accidents.

Encore le Métro! On sait combien rapides sont les trains et brefs les arrêts: 7 secondes à chaque station. Deux dames ayant été bousculées et blessées se sont plaintes au tribunal qui a condamné la Cie du Métro à payer à chacune des voyageuses 500 fr. de provision en attendant qu'une expertise médicale fixât définitivement le montant des dégâts.
Tous ceux qui ont usé du Métro savent qu'il faut "se grouiller", soit pour descendre, soit pour monter. Mais ne serait-il pas possible que dans les wagons une des portes soit affectée à l'entrée et l'autre à la sortie?
Les accidents d'automobile deviennent d'une fréquence telle que les tribunaux redoublent de sévérité dans l'application des peines.
Un riche Anglais vient d'être condamné à Londres pour excès de vitesse à 250 fr. d'amende, au retrait de sa licence pour 2 ans et à un mois de hard labour, peine particulièrement rigoureuse, puisque les prisonniers sont obligés d'effilocher du chanvre goudronné qui déchire rapidement les mains.
La peine nous semble grave, puisqu'il n'y a pas eu d'accident et que le condamné s'offrait de prouver que sa machine, en mauvais état ne pouvait pas faire plus que 25 kilomètres à l'heure, et nous suspectons le témoignage d'un simple agent qui évalue au jugé la vitesse d'une voiture lancée.
Un compteur de vitesse pratique est encore à trouver et serait d'une incontestable utilité.

Un âne condamné.

Devant le Tribunal de Londres vient de comparaître un âne aussi petit que méchant; il avait blessé dans la rue plusieurs personnes; Son maître le défendit avec une telle éloquence que le juge, ébranlé, demanda que le "prévenu" fut amené devant le Tribunal. L'animal y vint, mais s'y conduisit fort mal, jouant du gosier, des dents et des pieds.
On le condamna à mort, et la sentence fut impitoyablement exécutée.
On se croirait revenu au bon vieux temps où les animaux coupables de meurtres ou de déprédations passaient en justice et montaient souvent au gibet ou sur l'échafaud.

Question de couleur.

Les Américains ont une telle horreur des nègres, des mulâtres et des Indiens, que ceux-ci doivent monter dans des wagons qui leur sont réservés.
Dernièrement une jeune fille étant montée dans un compartiment à l'usage des blancs en fut brutalement expulsée par le contrôleur.
Mais la voyageuse n'était ni mulâtresse, ni négresse, elle avait la peau sombre de ses sœurs Caucasiennes, et son père, furieux, assigna la Cie. Celle-ci a dû verser 25.000 fr. de dommage-intérêts "pour avoir insulté miss Flowers en la prenant pour une négresse".
Il ne faut pas disputer des couleurs a-t-on dit: et pourtant c'est en disputant que le papa a gagné une petite dot à sa fille qui n'en avait peut être pas besoin.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 20 octobre 1907.

mardi 8 mars 2016

Une méprise, d'après Jean-Jacques Rousseau.

Une méprise, d'après Jean-Jacques Rousseau.

M. le juge-mage Simon n'avait assurément pas deux pieds de haut. Ses jambes, droites, menues et même assez longues, l'aurait agrandi si elles eussent été verticales; mais elles posaient de biais, comme celle d'un compas très-ouvert. Son corps était non-seulement court, mais mince et en tout sens d'une petitesse inconcevable. Il devait paraître une sauterelle quand il était nu.
Sa tête, de grandeur naturelle, avec un visage bien formé, l'air noble, d'assez beaux yeux, semblait une tête postiche qu'on aurait planté sur un moignon. Il eût pu s'exempter de faire de la dépense en parure, car sa grande perruque seule l'habillait parfaitement de pied en cap.
Il avait deux voix toutes différentes qui s'entremêlaient sans cesse dans sa conversation, avec un contraste d'abord très-plaisant, mais bientôt très-désagréable. L'une était grave et sonore; c'était, si j'ose ainsi parler, la voix de sa tête. L'autre, claire, aiguë et perçante, était la voix de son corps. Quand il s'écoutait beaucoup, qu'il parlait très-posément, qu'il ménageait son haleine, il pouvait parler toujours de sa grosse voix; mais pour peu qu'il s'animait et qu'un accent un peu vif vint se présenter, cet accent devenait comme le sifflement d'une clef, et il avait toutes les peines du monde à reprendre sa basse.
Avec la figure que je viens de peindre, et qui n'est point chargée, M. Simon était galant, grand conteur de fleurettes, et poussait jusqu'à la coquetterie le soin de son ajustement. Comme il cherchait à prendre ses avantages, il donnait volontiers ses audiences du matin dans son lit; car quand on voyait sur l'oreiller une belle tête, personne n'allait s'imaginer que c'était là tout. Cela donnait lieu quelquefois à des scènes dont je suis sûr que tout Annecy se souvient encore.
Un matin, qu'il attendait dans ce lit, ou plutôt sur ce lit, les plaideurs, en belle coiffe de nuit bien fine et bien blanche, ornée de deux grosses bouffettes de ruban couleur de rose, un paysan arrive, heurte la porte. La servante étant sortie, M. le juge-mage entendant redoubler, crie: "Entrez!" et cela, comme dit un peu trop fort, partit de sa voix aiguë. L'homme entre; il cherche d'où vient cette voix de femme; et voyant dans ce lit une cornette, une fontange, il veut ressortir en faisant à Madame de grandes excuses. M. Simon se fâche, et n'en crie que plus clair. Le paysan, confirmé dans son idée, et se croyant insulté, lui chante pouille, lui dit qu'apparemment elle n'est qu'une coureuse, et que M. le juge-mage ne donne guère bon exemple chez lui. Le juge-mage furieux, et n'ayant pour tout arme que son pot de chambre, allait le jeter à la tête de ce pauvre homme, quand sa gouvernante arriva.

                                                                                                        Rousseau, Confessions.

Dictionnaire encyclopédique d'anecdotes, Edmond Guérard, librairie Firmin-Didot, 1876.