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dimanche 15 juillet 2018

Ceux dont on parle.

L'homme-sandwich.


Vous le connaissez tous, gens de Paris, le misérable placard ambulant que la blague publique a baptisé de ce surnom. Vous avez tous rencontré, par les voies les plus encombrées, ces habits à basques, de couleur indécise, flanqués d'un panneau où se détache en lettres flamboyantes le titre de la revue de concert: la mode.



La plupart du temps, les habits vont par groupes et les panneaux se déplacent parallèlement, ce qui ne veut pas dire qu'ils se rencontreront qu'à l'infini; vous n'aurez pas besoin de les suivre jusque là pour les voir, arrêtés au seuil d'un débit, composer les figures les plus compliquées de la géométrie dans l'espace et la spirituelle revue Ça boulotte! fraterniser, verre en main, avec la non moins fine revue Au beuglant, Fernand!
Habitué à ce qu'on lui fasse place, car nul ne se soucie d'être giflé par son appendice encombrant, même si les traits de quelque gracieuse ballerine y sont représentés, l'homme-sandwich a de la fierté. Il a raison. Il est payé pour ne vendre aucun service. Il est payé pour marcher. Une réclame a-t-elle besoin de marcher! Non; l'essentiel pour une réclame, c'est de frapper le plus de regards possible. Or, personne ne soutiendra sérieusement qu'Henri IV, par exemple, ait rencontré plus de monde pendant toute sa vie que sa statue n'en voit passer en dix ans sur le Pont-Neuf.
Pourtant, à tout prendre, l'homme-sandwich a peut-être sa raison d'être; il eut sans doute pour inventeur un psychologue averti, qui remarqua qu'on ne prête aucune attention aux objets qu'on a coutume de voir; l'homme-sandwich, en interceptant à l'improviste un coup d’œil que vous destiniez à quelque portail gothique, vous apprend bon gré mal gré que les onze sœurs Kam Isoll débutent le soir même.
Nul ne peut dire où s'arrêtera l'ingéniosité de la réclame pour frapper l'attention des malheureux promeneurs. Tous les moyens sont bons: le soir, d'aveuglantes combinaisons de feux multicolores et intermittents rendent la traversée des boulevards plus dangereuse qu'un débarquement à la pointe du Raz; dans le jour, des miroirs oscillants vous renvoient rythmiquement dans les yeux les rayons du soleil. A quand le pétard avertisseur?
En attendant ce progrès inévitable, je ne puis m'empêcher de signaler aux pouvoirs publics un moyen sûr de remédier, sans bourse délier, à l'insuffisance reconnue de la police. Il n'en coûterait rien d'augmenter le nombre des agents, si l'on pouvait simplement les munir de l'appareil dit sandwich.
Tout en arpentant leur îlot, les braves sergots feraient de la publicité pour la Boîte à Nini et leur équipement justifierait enfin une légendaire impassibilité.

                                                                                                                            Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 3 septembre 1905.

Nota de célestin Mira:








Affichage à Paris.



Fausses publicités vers 1900.

samedi 4 juin 2016

L'homme -sandwich.

L'homme-sandwich.

L'homme-sandwich n'est ni un homme ni un sandwich. Il participe des deux. Condamné par la destinée à prêter sa poitrine et son dos à des exploiteurs de publicité; obligé, par le sort, de se laisser comprimer entre deux prospectus; forcé par la nécessité de véhiculer une carapace surchargée d'annonces bizarres et de réclames insensées, l'homme-sandwich est à la fois le plus malheureux des hommes et le moins succulent des sandwichs.
Tout d'abord, il n'est point un. Il est légion, procession enfilade, il fait partie d'un tout. Il occupe un rang dans une exhibition quelconque. Il est parqué, numéroté, incorporé, discipliné, consigné, emprisonné. Il est un maillon dans une chaîne, un grain dans un chapelet, un dé dans un jeu de dominos. Non seulement il marche entre deux châssis de toile, mais encore il défile entre deux sandwichs. Derrière lui se meut un sandwich, son horizon consiste en sandwich, fabriqués à son image.




Mélancolique et résigné, il arpente les boulevards, suivi par la foule des curieux. On se plante devant lui pour lire ce qui est affiché sur son ventre, on le suit pour épeler ce qu'il porte sur son dos. Sans offrir d'intérêt par lui-même, l'homme-sandwich sait qu'il excite la curiosité universelle, et il méprise les hommes autant à cause de leur badauderie que de sa propre humiliation.
L'homme-sandwich finit même par disparaître tout à fait sous sa carapace. C'est la tortue dont on ne voit plus que la coquille. Le sandwich a dévoré le citoyen. Vous apercevez soudain sur les boulevards une sorte de monument qui se meut. C'est un édifice en toile, tantôt opaque et coloriée, tantôt transparente et illuminée qui se remue monstrueusement. On ne voit ni tête, ni pied, ni main, ni rien d'humain. Là-dessous, il y a peut être un père de famille, un homme aimant ou aimé, un poète, un artiste, un musicien, un soldat, un ancien ministre; mais il s'est laissé absorbé par un affichage extravagant.
Il est hors du monde. Il n'a ni amis, ni ennemis, ni famille, ni désir, ni appétit, ni femme, ni enfant. Juif-errant de la réclame, il se traîne à pas comptés, colportant des images qu'il ne voit pas, annonçant des feuilletons qu'il ne connait pas, trimballant des succès auxquels il ne participe pas.




Tout en s'appelant sandwich, il est au-dessus du sandwich, c'est la tranche de jambon du milieu qui est la principale pièce. Les deux tartines de pain beurré qui pressent ce jambon le font valoir et l'honorent. Chez l'homme-sandwich, c'est le jambon du milieu qui est le serviteur et l'accessoire des deux tartines bruyantes et peinturlurées que le public déguste.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la Librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.