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mardi 7 octobre 2025

 Piété filiale.



Une Romaine, femme du peuple, dont la condition obscure nous a dérobé le nom, venait d'accoucher, quand sa mère fut mise dans une prison, pour y subir le supplice de la faim: elle obtint d'aller la voir; mais elle était fouillée à chaque fois par le geôlier, de peur qu'elle n'apportât quelque aliment.
On la surprit allaitant sa mère.
Saisis d'admiration, les magistrats accordèrent le salut de la mère à la piété de la fille; ils allouèrent des aliments à l'une et à l'autre leur vie durant; et le lieu où la scène s'était passée fut consacré à la déesse Piété, à laquelle, sous le consulat de C. Quinctus et de Manius Acilius (an de Rome 604) un temple fut érigé sur l'emplacement de la prison.

                                                                        (Pline l'Ancien, Histoires naturelles)


Dictionnaire encyclopédique d'anecdotes, Edmond Guérard, Librairie de Firmin-Didot, Paris 1876.

samedi 15 avril 2017

Amant.

Amant.

Un certain M. la L..., soupirant en vain depuis deux ans, s'introduisit un beau jour dans le cabinet de sa maîtresse, et lui déclara que, puisque rien n'était capable de la toucher, il était résolu à mourir, ce qu'il allait commencer sur le champ; et en effet, le voilà qui s'étend de son long sur le carreau.
La dame en rit, et le laisse là. La nuit vient: on lui demande s'il est fou; point de réponse. La nuit passe. Le lendemain, de grand matin, on retourne l'exhorter à résipiscence: "Madame, je vous ai dit hier mon dernier mot", et le désespéré tourne le dos. Le troisième jour la belle, plus embarrassée que jamais, porte un bouillon au mourant, qui le rejette avec dédain, l'air égaré et les yeux presque éteints. Le quatrième jour, la dame fait des réflexions profondes sur le scandale qui va arriver.
"Un homme mort dans mon cabinet! mort de faim! Je suis perdue! Cela va faire un éclat horrible dans le monde. On ne croira point la vérité. On en fera mille plaisanteries."
Enfin, après une nouvelle exhortation, que l'amant malheureux n'entend plus parce qu'il est déjà mourant, on lui déclare que puisqu'on ne peut le faire sortir de là par de bonnes raisons, il peut en sortir à tel prix qu'il voudra.
"Ciel! ai-je bien entendu!"
On le lui répète. Le mourant semble reprendre à l'instant des forces, qu'à l'aide d'un grand pain et de quelques bouteilles d'un excellent vin, il avait eu soin de ne pas laisser épuiser.
Ce stratagème n'est-il pas le plus joli du monde? Jusque là on avait vu emporter les places en les affamant, M. la L... a emporté celle qu'il voulait prendre en s'affamant lui-même.

                                                                                                         Fontenelle, Lettres galantes.

Dictionnaire encyclopédique d'anecdotes, Edmond Guérard, librairie Firmin-Didot, 1876.

lundi 21 novembre 2016

Étrennes utiles.

Étrennes utiles.


Deux mots qui font le cauchemar de l'enfance. Oh! les étrennes utiles! Ces bons bas de laine que le petit pauvre trouve dans son soulier de Noël au lieu de la toupie qui, depuis si longtemps, ronfle dans ses rêves! Cache-nez pour l'école, socques pour les pieds nus, tricots pour les petits bustes mal couverts, que de déceptions vous avez causées!
Ah! je ne suis pas parfait; mais, du moins, je n'ai jamais chargé ma conscience de ce crime de lèse-enfance. Les étrennes que j'ai données ont toujours été prodigieusement inutiles, cela, à la barbe des parents qui, vainement, me tendaient les tirelires vides, les livrets de caisse d'épargne maigres comme des rats d'église, et les trousseaux incomplets de leurs poussins
Inutiles, vous dis-je, les plus inutiles possible, et je ne sortais pas de là.
Aussi éprouvai-je, l'autre jour, un élan de tendresse admirable pour notre préfet de police. Il n'en a rien su, heureusement, car il serait mort de joie, je pense, d'avoir conquis un irréconciliable.
Il ne l'a pas su, n'en est pas mort et je continue à l'admirer; voici pourquoi.
Le mois dernier, une grande affiche blanche et bleue fleurissait sur la voie publique et annonçait un concours à la façon de ceux dont nos lecteurs se montrent d'ordinaire si friands.
Il s'agissait de construire, pour les petits, des jouets inédits et amusants, variant de cinq centimes à trois francs pièce.
A quel mobile ce préfet de police, chargé de traquer et d'emprisonner ceux des contribuables ayant quelque droit à ce genre de traitement, à quel mobile dis-je, ce roi des gendarmes a-t-il obéi en s'occupant de récréer nos bambins?
Est-ce réellement pour donner, à bon marché, quelques heures de joie à la petite France? Est-ce bien philosophiquement pour tâter le pouls aux tendances nationales? Car l'étiage moral et intellectuel d'un peuple se mesure, dit-on, aux joujoux de sa fraction enfantine.
- Le petit Allemand, fils de baïonnettes passives, a le tambour et la panoplie; le petit Anglais, fils de colon vorace, a le bateau et la locomotive; le petit Français, fils de spéculatif, a le livre d'image.
- Mon Dieu, non! M. Lépine n'a pas comme son admirateur soussigné et limité, cherché midi à quatorze heures.
Chaque jour, en parcourant ses différents services, il s'entendait poursuivre par des échos de misère venus des lointains faubourgs de son Paris. Les fins d'été, surtout, bourdonnent de plaintes. La morte-saison des villes est précisément celle où la bonne terre donne ses fruits à ceux qui ne l'ont point désertée. Puis les premiers froids viennent augmenter l'angoisse du pauvre logis en y apportant les exigences, si maigrement obéies pourtant, du feu et de la lumière. Mais alors, une petite étoile se lève dans ce ciel froid: la fabrication spontanée et la vente éphémère de ces babioles et jouets qui garnissent les "petites baraques des boulevards".
Dès novembre, tous s'y mettent, dans ces ruches populaires où se trouvent, hélas!, plus d'abeilles que de miel. On a, tant bien que mal, débarrassé un coin de l'étroit logis pour poser les brimborions au fur et à mesure qu'on les façonne. Et pour se reposer, de temps en temps, on suppute le gain. Presque toujours le terme de janvier s'y trouve.
Cependant, il paraît que depuis deux ou trois ans, il s'y trouvait plus difficilement. On n'inventait plus de jouets nouveaux et, l'attention du passant n'était plus arrêtée par l'inconnu original, les recettes se faisaient maigres.
C'est pour renflouer cette pauvre barque populaire que le préfet de police a eu l'excellente idée d'ouvrir un concours entre ces menus et si intéressants travailleurs parisiens. Car, voyez-vous, les bambins savent encore, heureusement, s'amuser avec des joujoux préhistoriques, témoin le sabre de bois et la poupée de Nuremberg.
Mais puisque ce n'est pas à nos enfants que l'affiche blanche a directement songé, je demande humblement au préfet de police la permission de combler cette lacune et de lui indiquer quelle sorte d'étrennes il pourra donner à ses jeunes administrés.
Étrennes utiles, cette fois, contrairement à mon habitude; une fois n'est pas coutume. Mais avant de les lui désigner plus clairement, je m'en vais lui raconter une histoire.
Dans un orphelinat agricole de l'Ain arrivait, l'autre jour, un petit Parisien de cinq à six ans, un Parisien de ces faubourgs perdus et misérables où se fabriquent précisément les ingénieux jouets du jour de l'an.
A peine débarqué, le petit, tout fluet, tout pâlot, se vit convier à aller faire dodo, afin de réparer les fatigues du voyage. Mais, dans le grand jardin, le bambin aperçut de petits garçons comme lui qui arrachaient de l'herbe sous de grands arbres. 
Ce spectacle, inconnu à la rue puante qu'il habitait, l'émerveilla:
- Oh! Madame, dit-il à la religieuse qui le conduisait par la main, laissez-moi arracher de l'herbe!
La bonne religieuse le conduisit aussitôt vers les petits camarades.
- Seulement, dit-elle, ôte ta veste, mon enfant, car, tout à l'heure, tu seras en nage et si tu n'avais rien pour te couvrir au repos, tu prendrais froid.
Vivement, le petit ôte sa veste; mais, en l'y aidant, la religieuse se penche vers lui et s'écrie, surprise:
- Qu'as-tu donc autour de la taille?
- C'est mon corset.
- Un corset à un garçon?
- C'est notre corset pour la nuit, Madame Grand'mère nous serrait bien dedans le soir, avant de nous coucher, pour que nous n'ayons pas faim.
- Ah! mon Dieu! mais c'est affreux...
- Ah! mais non, je vous assure, dit le petit. Dans ma rue, tous les enfants ont des corsets pareils... et ça les empêche de mourir de faim... Oui, Madame, même qu'il y a une petite fille qui n'a pas voulu qu'on lui serre son corset, alors elle est morte...




Eh bien, je propose un troc à M. Lépine. je lui donnerai le corset de ce petit parisien; il le mettra à titre de joujou inédit dans son concours; et, en revanche, il donnera aux petits parisiens qui en portent, un orphelinat avec des religieuses dedans. Lesdites religieuses seront les étrennes, non pas inédites, mais utiles de ces petits déshérités auxquels la scandaleuse majoration de nos contributions ne peut assurer assez de pain. Ce troc fera baisser le commerce des corsets, mais augmentera celui de la farine.

                                                                                                                               Nemo.

Les Veillées des Chaumières, 9 novembre 1901.

mardi 7 octobre 2014

Un docteur qui meurt de faim.

Un docteur qui meurt de faim.

Le tribunal correctionnel de la Seine a eu à juger, il y a quelque temps, un prévenu d'une espèce peu banale. Cet homme avait été arrêté comme il venait de voler dans un grand magasin de nouveautés divers objets représentant une valeur totale de 65 francs. Jusque là, l'affaire n'offre aucune particularité caractéristique. Pour sa défense, l'auteur de ce larcin allégua qu'il était dans une misère noire et qu'il avait été poussé au vol par une faim pressante. L'enquête révéla que ces assertions étaient exactes. Mais ce n'est pas cela non plus qui est exceptionnel dans l'affaire en question. Les pauvres diables réduits à commettre des délits  pour trouver leur subsistance ne sont point rares. Mais ce qui n'est pas commun, c'est que les miséreux de cette sorte soient docteurs en médecine.
Celui dont il s'agit ici avait fait brillamment ses études à la Faculté de Paris, où l'on tenait ses capacités en haute estime, et il avait passé son doctorat avec une thèse fort remarquée. Mais il ne suffit pas d'être docteur, il faut aussi manger tous les jours, ou à peu près. Le héros de cette triste histoire avait conquis sans peine le bonnet carré; il éprouva des difficultés insurmontables à gagner son pain. Il n'avait pas de clients, ou bien c'étaient ces clients qui n'ont pas de maladies. Et l'infortuné médecin, les poches pleines de parchemins, mais vides d'argent, en vint à coucher sous les ponts et à voler pour ne pas périr d'inanition.
Il serait à désirer que cette douloureuse aventure obtint une large publicité et fût surtout connue des innombrables adolescents qui se destinent aux carrières libérales. L'encombrement de ces carrières ne peut être mieux illustré que par un cas comme celui-là. A l'heure qu'il est, le point de saturation est depuis longtemps atteint: la France a trop d'avocats, trop de médecins, trop de professeurs. Elle ne sait plus que faire de ceux que les universités continuent à lui fabriquer en masse chaque année. Elle ne peut plus rien pour eux. Ceux qui n'ont pas de ressources personnelles ou un talent absolument hors-ligne sont destinés, pour la plupart, à l'existence la plus précaire. Ils courront le risque de mourir de faim et, s'ils ont beaucoup de chance, arriveront tout au plus à végéter chichement.
Le grand tort du malheureux tributaire de la correctionnelle dont nous parlons a été de s'obstiner à chercher fortune à Paris. Tandis qu'il y a pléthore de médecins à Paris, les campagnes en manquent dans plusieurs régions de la France. En allant s'installer dans quelques lointains villages, ce garçon aurait certainement réussi à vivre. Mais ce n'était pas cela qu'il avait rêvé! Ce n'était pas la peine d'avoir brillé à la soutenance de thèse et d'avoir reçu les félicitations du jury pour s'enterrer dans quelque trou, chez des paysans ignorants! La fureur de se lancer dans les carrières libérales se double tout naturellement de la rage de vivre à Paris. Ce sont les deux faces de la même ambition. 
Eh bien! aujourd'hui, pour les trois-quarts de ceux qui la conçoivent, cette ambition est folie pure. La France a besoin de commerçants, d'industriels, d'agriculteurs, de colons. Elle n'a plus besoin de licenciés ni de docteurs. Elle en est pourvue abondamment. A vouloir lutter contre les faits, on ne peut que se briser. Puissent les jeunes gens et leurs familles se pénétrer de ces vérités si importantes pour le bonheur des individus et la prospérité du pays.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 12 juillet 1903.