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mardi 3 septembre 2019

La gifle.

La gifle.


L'une des salles de spectacle les plus gaies de Paris est la Chambre des députés, que d'irrévérencieux journalistes ont appelée les Folies-Bourbon. On y parle, on y chante, on y boit et parfois on s'y bat. Nous allons remémorer ici, pour l'édification des générations futures, les gifles les plus sonores, les pugilats les plus ardents, qui ont éveillé l'écho des voûtes parlementaires.


Officiellement, la gifle n'existe pas. Dans aucun des documents authentiques où s'écrit l'histoire des Chambres, il n'en est question.
C'est ainsi que dans le Moniteur de juin 1866, on lit cette phrase:" M. Thiers* prononce, au milieu du bruit, quelques paroles qui n'arrivent pas jusqu'à nous."
Les rares témoins encore vivants de cette séance ont gardé le souvenirs de ces "paroles", bien qu'elles ne fussent point arrivées officiellement à l'oreille des sténographes. Ils vous diront que, mis en fureur par un mot de M. Rouher* le 2 décembre, M. Thiers, debout sur son banc, le poing tendu, la face apoplectique, avait, de sa voix aiguë dominant le tumulte apostrophé M. Rouher de ces simples mots: "Sacré cochon!"
De même, au compte-rendu de la séance du 10 décembre 1868: "Des paroles très vives sont échangées entre M. Ad. Guéroult* et M. de Kerveguen*. Plusieurs membres s'interposent..."
Or, ces paroles, M. de Kerveguen les avaient senties et non point entendues, vu qu'elles lui étaient arrivées en pleine figure sous les espèces d'un formidable soufflet qui le renversa littéralement sur son pupitre. 



A ce geste s'était borné le dialogue. Il y avait eu "donation" et non pas "échange". Quant aux "membres qui s'étaient interposés", il n'y en avait eu qu'un seul: c'était le bras de M. Pagezy*, député de l'Hérault, qui essaya de parer le coup, sans succès, d'ailleurs, mais non sans dommage, car il en reçut un bleu notable.
L'affaire faillit avoir des suites. M. de Kerveguen avait, à la tribune, accusé les journaux d'opposition de l'époque d'être vendus à l'Allemagne. M. Havin*, directeur du Siècle, et M. Guéroult, directeur de l'Opinion nationale, protestèrent, l'un de la voix, l'autre de la voix... et du geste. il y eut demande de poursuites en diffamation, explications, rectifications, regrets, et le temps, qui est galant homme, passa l'éponge sur l'incident.
Le temps... et les autorités. Car, en pareil cas, celles-ci s'emploient de leur mieux à concilier, étouffer, ces sortes d'affaires. Que penserait le monde, s'il voyait les législateurs qui doivent donner l'exemple de la sagesse, échanger des horions comme les écoliers?
C'est pourquoi la gifle n'est pas prévue au règlement.
Ce n'est pas qu'elle ait cessé de retentir, au Parlement! Aux époques de crise, les séances deviennent aisément tumultueuses.
Et si, dans la confusion et le va-et-vient de l'hémicycle, les adversaires se trouvent face à face, la querelle devient dispute, les gros mots éclatent... et v'lan! la giroflée à cinq feuilles.
Le cas s'est produit à toutes les époques. Le 10 août 1849, par exemple, le prince Pierre Bonaparte, en séance, soufflette M. Gastier qui, disait-il, l'avait traité "d'imbécile". M. Gastier nia le mot. Pierre Bonaparte* fut mis aux arrêts, et on lui imposa des excuses. En 1865, Jules Simon*, le doux philosophe, est arrêté dans l'hémicycle par quelques collègues, alors qu'il courait, la main levée sur Granier de Cassagnac*. Eugène Pelletan* disait à ses amis, après une bagarre; "La prochaine fois, vous m'attacherez."




A l'Assemblée de Versailles, en juin 1873, la foudre tomba sur la galerie des tombeaux et frappa la statue du cardinal d'Amboise, à vingt mètres de la salle des séances. On ne l'entendit pas en séance, tant grondait bruyamment l'orage parlementaire.
C'est peut être ce jour-là que le colonel Langlois* eut avec Numa Baragnon*, celui qui fournit à Alphonse Daudet un des prototypes de Numa Roumestan*, une explication des plus animées qui se termina par un geste vigoureux. Ce ne fut pas de la main que frappa le colonel, et le coup ne fut point reçu de face. 


A quoi le "gros Numa" comme on l'appelait à Versailles, répondit avec un calme olympien: "C'est une lâcheté d'insulter quelqu'un qui ne se bat pas." Et tout fut dit.
Les temps du boulangisme firent refleurir de plus belle la bousculade, la dispute et le pugilat. Le 30 mars 1887, à la suite d'une discussion sur Panama. M. de Douville-Maillefeu* dans le petit salon qui fut autrefois la "salle du Trône", honora d'une maîtresse gifle la joue de M. Sans-Leroy*. La Chambre, saisie d'une plainte par le giflé, lui refusa l'autorisation de poursuivre.

Pas de gifles au Sénat.

Je passe sous silence quelques menus scandales. au diapason où la Chambre était montée, ces petits "attrapages" passaient inaperçus. Notons seulement, le 19 janvier 1892, l'agression hors de la salle par Francis Laur* sur M. Thomson* qui, doué de muscles supérieurs, rendit à M. Laur, avec usure, la monnaie de sa pièce.
Le point culminant de la "grande boulange" fut marqué, le 19 janvier 1892, par la main de M. Constans* sur la joue de M. Francis Laur, déjà nommé... et giflé. M. Laur, qui avait l'affirmation facile, avait formulé des accusations qu'il ne pouvait prouver. L'affaire fit pas mal de bruit... presque autant que le soufflet*. D'autant que le délit avait été commis en pleine séance, par un ministre qui n'appartenait pas à la chambre, étant sénateur. Cependant, tout s'arrangea: M. Constans fit des excuses... à l'Assemblée, et M. Laur garda ce qu'il avait reçu.
La fin du boulangisme coupa court à la "distribution des pains", comme disait Douville-Maillefeu. Il faut arriver jusqu'à la crise de l'affaire Dreyfus pour rencontrer d'autres incidents de ce genre. Le 23 janvier 1896, dans la salle des Pas-Perdus, un sénateur, M. Garran de Balzan, renouvela, sur M. Papillaud de la Libre parole, le geste du colonel Langlois sur Numa Baragnon. M. Papillaud présenta... non l'autre joue, mais une demande d'autorisation de poursuite qui fut repoussée par le Sénat.
Notons que la gifle, assez commune à la Chambre des députés, est, jusqu'à ce jour, demeurée inconnue au Sénat. Lorsqu'un sénateur s'émancipe, c'est à la Chambre qu'il vient commettre ses frasques. "C'est que nous sommes sages!" disent les Pères conscrits. "Non, c'est que vous êtes vieux!" réplique le Palais-Bourbon.
A la même époque, un autre journaliste, M. Pollonnais, reçu d'un député, M. Tourniol, un nom assez prédestiné!, une "atteinte" du même genre. Il n'en résulta rien... qu'une chanson du Chat noir, réclamant un vestiaire:

Dans la salle des Pas-Perdus,
Pour les coups d'pied non rendus,
Qui pourtant ont été reçus,
Par de très notables c...!

Enfin, très connues et très récentes, les agressions commises par M. de Bernis sur M. Jaurès, pendant que ce dernier était à la tribune*, et par M. Syveton sur le général André, sont encore trop près de nous pour y insister*.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 mars 1906.

* Nota de Célestin Mira:

* Adolphe Thiers:

Adolphe Thiers,
caricature.

* Eugène Rouher:

Eugène Rouher,
caricature.

* Adolphe Guéroult:

Adolphe Guéroult,
caricature.

* Le Kerveguen:


Aimé Lescoat de Kerveguen.

* Pagezy:

Jules Pagezy.


* Havin, directeur du Siècle:

Léonor, Joseph Havin,
caricature.

* Guéroult, directeur de l'Opinionnationale:

Adolphe, Georges Guéroult,
caricature.

* Pierre Bonaparte:

Le prince Pierre Napoléon Bonaparte.

* Jules Simon:

Jules, François, Simon Suisse
dit Jules Simon.
caricature.


* Granier de Cassagnac:

Paul, Adolphe, Marie, Prosper Granier de Cassagnac
caricature.


* Eugène Pelletan:

Pierre, Clément, Eugène Pelletan
caricature.

* Colonel Langlois:

Jean-Charles Langlois, dit le colonel.

* Numa Baragnon:

Louis, Numa Baragon,
caricature.
* de Douville-Maillefeu:

Gaston de Douveille-Maillefeu,
caricature.

* Sans-Leroy:

Charles Sans-Leroy.

* Francis Laur:



* Thomson:

Gaston Thomson
caricature.


*Constans:

Jean Antoine Ernest Constans.

* Incident Constans-Laur:



* de Bernis -Jaurès:

de Bernis frappe Jaurès par derrière à la tribune.

* Affaire Syveton-général André:



M. Syveton fut retrouvé mort, chez lui,
asphyxie au gaz, la veille de son procès.

samedi 11 août 2018

Un député nouveau.

Un député nouveau.


Il n'est pas un député nouveau qui ne fasse ses réserves contre son propre parti. De plus, ministériel ou opposant, il apporte toujours à Paris l'honnête intention de réformer les abus. Le redressement des abus, c'est la fièvre de dentition du député nouvellement élu.
Dans les premiers temps de son séjour à Paris, le député nouveau vit dans une sorte d'isolement. Il promène ses méditations du restaurant au théâtre, en compagnie de ses correspondans. Mais le vote de l'adresse ne tarde pas à mettre son importance en lumière. Une voix! une voix! de qui dépendent souvent l'autorité, le pouvoir, les honneurs, et, ce qui est plus, la défaite des adversaires. Comment se l'attacher?
Un homme très fin et très spirituel, un homme qui a beaucoup vu et beaucoup éprouvé, un homme enfin qui a possédé, perdu et regagné des fortunes, disait en ma présence:
- Certaines gens viennent parfois soumettre à ma vieille expérience des plans de réformes philanthropiques, des projets d'utilité publique, fort beaux en apparence. Pour moi, je ne leur dis qu'une chose: "Quel est votre intérêt dans cette affaire?" Le plus souvent, ils ne répondent que par une nouvelle exposition des mérites de leur entreprise. Mais je ne me paie pas de ces mots, et je reprends invariablement: "Ce ne sont pas vos qualités que je demande, ce sont vos vices. Dites-moi vos vices!" Ils s'expliquent alors sans détours. Le fond perce la forme, et l'affaire, dévoilée, se présente comme un arbre piqué dans sa racine. Le vice qui le ronge ne lui permet jamais de porter ses fruits.
Ainsi font les ministres à l'égard du député nouveau. Celui-ci se plaint des abus. Croyez-vous qu'ils réformeront les abus pour l'apaiser? Non pas. Ils se disent: "Quels sont ses vices?" afin de les satisfaire.
Ou le député nouveau est un homme de mœurs faciles, qui comprend les réalités de la vie et qui sait interpréter la morale; ou c'est un homme d'une probité antique et inexpugnable. Dans le premier cas, il est aisé de réduire une conscience disposée à capituler. On peut se présenter devant la place à découvert et l'attaquer par la brèche de la cupidité. Dans l'autre cas, il faut l'aborder par des chemins couverts, par des mines et avec toutes les ruses employées dans les sièges difficiles.
Offrez au député, qui apporte dans la vie publique la rigide probité de la vie privée, croyant, contre toutes les règles en usage, qu'il n'y a qu'une morale également propre aux affaires générales et aux transactions particulières, offrez-lui, dis-je, une place, une distinction honorifique, ou même un bon sur la caisse des fonds secrets, et vous pouvez être certain que vos propositions seront repoussées avec indignation. Peut-être même vous ferez-vous, par cette maladresse, un ennemi d'un homme qu'il était possible de gagner à votre cause.
Mais attaquez cette fière conscience par la flatterie, les prévenances, les témoignages de considération; émoussez peu à peu la sensibilité de cette vertu en y versant les pavots de la louange; endormez le Cerbère; étudiez les désirs secrets de cette âme timorée. Elle ne découvre pas son vice, sachez le deviner; contentez ce vice avec mystère, avec délicatesse; faites accepter par grâce la chose qu'on souhaite le plus ardemment; couvrez la faveur que vous faites de la justice, et vous avez de grandes chances de succès; vous vous garderez bien surtout de rien stipuler en échange de vos services, de peur d'effaroucher la vertu qui capitule. L'homme dont les sentimens sont honnêtes fait payer même la dette de ses fautes. Il a reçu, donc il faut rendre. Tel est le contrat tacite dont il a accepté les conditions. ce contrat fût-il déshonnête, l'honnêteté du signataire en garantit l'exécution. Ne redoutez donc pas de perdre vos avances: tâchez seulement de les faire agréer.
C'est ainsi que se pratique l'art du gouvernement représentatif. C'est l'art de tisser des filets d'or autour des consciences.
Sitôt que le député nouveau a paru dans la chambre, astre inconnu et signalé à l'horizon politique, il est entouré, caressé, encensé par les amis et candidataires des ministres. Rien n'est épargné pour chatouiller agréablement son amour-propre. Il commence seulement à sentir toute son importance. Cependant de sont les partisans du cabinet qui la lui font apercevoir. Comment se montrer ingrat devant une si flatteuse révélation. Le député nouveau consent à être présenté au ministre. La haute considération que témoigne l'accueil de celui-ci commence à toucher son cœur; mais ce n'est rien encore. Le ministre saura mettre de son parti les plus chères affections de ce cœur déjà fortement ébranlé. Il conduit lui-même le député nouveau à sa femme, et celle-ci n'a pas plutôt reçu les salutations du visiteur, qu'elle lui dit: "Comment se porte votre famille? Madame*** est-elle toujours souffrante? Et votre fille aînée, plus jolie que jamais, n'est-ce pas? On dit que Claire, la cadette, ne le cède en rien à son aînée. Quant au petit Jules, je n'ai pas besoin de vous demander s'il est toujours aussi espiègle?"
Il est inutile de décrire l'émotion d'un honnête père de famille en cette circonstance. Un ministre dont la femme connaît la beauté de Claire et le nom du petit Jules, est un homme évidemment doué des meilleures intentions. Le député nouveau sort du salon officiel à moitié converti. Cette première démarche en entraîne cent autres du même genre. Notre homme est promené d'hôtel en hôtel, de salon en salon. Tous les fonctionnaires veulent le posséder. Il est étourdi, enivré de tant d'hommages, et dans son ravissement, la politique du cabinet lui apparaît sous un aspect tout à fait favorable.
Cependant le petit jules est au moment d'entrer au collège, et l'ambition de son père serait d'avoir pour lui une bourse; mais il y renoncerait plutôt que la demander, car ce serait compromettre l'indépendance de son mandat. En conséquence, il ne demande pas cette bourse désirée, mais il en reçoit le brevet à la veille d'un vote important. Il y a plusieurs manières d'offrir cet encouragement: tantôt le préfet du département a sollicité la bourse qu'on donne au petit Jules en récompense des services rendus à ce même département par l'industrie paternelle; tantôt, prenant un tour ingénieux, le ministre écrit au député: "La bourse que vous avez demandée, etc." Quelquefois, le ministre prend une initiative plus directe encore, ce sont des menaces qu'il faut savoir observer selon le caractère des gens, et c'est en cela que consiste aujourd'hui l'habileté gouvernementale. Les ministres ordinaires se contentent de donner; les gens d'un esprit supérieur donnent à propos; mais quoi qu'il arrive, donner est tout le secret de la politique.
Si le député nouveau accepte, il est acquis et on passe à un autre. S'il refuse, on essaie des moyens plus puissans. Après quelques épreuves successives de ce genre, le député nouveau est classé dans la catégorie des anciens députés. Il est considéré comme ayant désormais l'expérience des ressorts gouvernements: s'il en use, il est ministériel; s'il n'en use pas, il est de l'opposition. Dans cette dernière circonstance, les homme d'Etat disent qu'il est trop cher.
Il y a des partisans des divers ministères qui n'ont jamais rien reçu. Il y a des membres de l'opposition qui ne recevront jamais rien. Cela n'est pas douteux, assurément. Mais ce qui est au moins aussi certain, c'est que tous les députés nouveaux ont été exposés à des offres directes ou indirectes. C'est le signe distinctif du nouveau député que sa voix soit mise aux enchères et débattue jusqu'à ce qu'il intervienne lui-même dans la vente, soit pour la ratifier, soit pour chasser les marchands du temple.
L'aventure suivante n'est qu'un trait particulier dans la vie d'un député nouveau.
Trait plaisant, quiproquo bizarre! il n'a rien de commun avec les réflexions précédentes, si ce n'est la nouvelle nomination du député qui en est le héros.
C'était à la cour d'un souverain constitutionnel. Que cette cour fut celle de Suède, de Bavière, de Hollande, de Belgique, d'Espagne, d'Angleterre ou du duché de Bade, il n'importe. L'élection des députés venait d'avoir lieu, et le prince recevait la chambre nouvelle. Au nombre des députés élus pour la première fois, se trouvait un écrivain mis en lumière par quelques travaux déposés principalement dans les recueils périodiques. Il se flattait que son nom et ses écrits avaient eu accès jusque dans le cabinet du prince. Saturés des complimens intéressés de ses subordonnés, car il était l'un des chefs d'une administration publique, il brûlait d'expérimenter la puissance inconnue émané de la bouche royale. Dans son ardeur, il ne put se défendre de dire à l'un de ses collègues admis depuis long-temps dans l'intimité du palais: "Je serais bien heureux si le prince m'adressait la parole. - Rien de plus simple, je vais vous présenter."
Cependant, le prince, par un usage qui n'est pas nouveau, mais qui produit toujours son effet, avait l'habitude de se faire instruire à l'avance des particularités concernant les députés et fonctionnaires de promotion récente. Napoléon ne savait-il pas toujours le nom du grenadier qui lui adressait la parole?
Parvenu devant le trône, l'officieux député qui s'était chargé de présenter son collègue s'avance gracieusement, et dit avec un profond salut: "Sire, voici M***, député de tel endroit". Le prince n'avait pas prévu cet incident. Pourtant le nom qu'il a entendu répond à certains renseignemens pris la veille. En conséquence, il dit avec affabilité; "Ah! M***, j'ai grand plaisir à vous voir. Vous êtes maître de forges!"
S'entendre appeler maître de forges quand on est homme de lettres et qu'on a la prétention d'avoir rendu son nom populaire, quel coup! Notre député se remet pourtant de son premier trouble et répond:
- Votre majesté est dans l'erreur! Je suis chef de tel service de telle administration.
Il n'osa pas ajouter: "Et l'auteur d'écrits que votre majesté devrai avoir lus."
Cependant le prince, contrarié de sa méprise, garde le silence; de son côté, l'interlocuteur désappointé, perd contenance, et l'auteur méconnu jette du côté de la porte un regard de convoitise.
Témoin de cet embarras, l'épouse du souverain, princesse dont la vertu ne peut être surpassée que par l'admirable bonté, s'empresse d'intervenir.
- N'avez-vous pas un frère employé au château, dit-elle?
- En effet, mon frère a cet honneur, répond le député.
- C'est un employé très exact, ajoute la princesse, ignorant que le fonctionnaire auquel elle s'adresse se signale par sa grande inexactitude. 
Ainsi l'éloge de l'un était la critique de l'autre, et la princesse, trompée par sa bienveillance même, semblait vouloir donner une leçon à celui qui l'écoutait.
Il n'en demanda pas davantage et se hâta de se retirer. Si tous les députés nouveaux étaient reçus de cette manière, on aurait tort de les accuser d'être séduits. On dit que le héros de cette aventure est ministériel. Il faudrait être bien hardi pour ajouter qu'il s'est laissé tenter par les faveurs de la cour.

                                                                                                             (La Législature.)

Le salon littéraire, jeudi 27 avril 1843.

jeudi 5 octobre 2017

Députés.

Députés.

Un député déclare spirituellement qu'il n'y a pas d'éducation de la femme en France par la raison qu'il n'y a pas de lycées de filles et que les couvents ne comptent pas. Il propose donc d'interner de force des jeunes filles dans le bercail du Dieu-Etat. La seule raison est qu'il faut que l'Université recueille l'héritage de l'art. 7. La Chambre accorde l'externat et refuse l'internat.
M. Cazot dépose le projet de désorganisation de la magistrature, et M. Ferry le projet de l'enseignement primaire gratuit et obligatoire.
M. Lepère ayant insulté à la Chambre les maires vendéens qu'il a révoqué, M. de Baudry d'Asson demande la parole pour un fait personnel et dit: Je n'abuserai pas de vos instants; après la réponse de M. le ministre, je n'ai qu'un mot à lui dire. En présence de la banqueroute que vous avez faite à toutes vos croyances politiques, en présence de l'enfouissement de vos programmes, vous devez effacer ces mots de liberté, égalité, fraternité que vous inscrivez sur tous nos monuments, et les remplacer par ceux-ci: servilité, rapacité, iniquité. (Exclamations à gauche. Bruit.)
La Chambre vote la censure simple, c'est çà dire un honneur qui coûte à l'orateur 500 fr.

Le Pèlerin illustré, 24 janvier 1880.

lundi 3 octobre 2016

Membre de la Commission.

Membre de la Commission.


Hier, il n'était rien ou pas grand'chose, un pauvre petit député de province, inconnu à Paris, timide, hésitant, arrivant tout juste à deux heures pour se faufiler à sa place et y rester coi et immobile. Soudain, un beau jour, dans son bureau réuni pour examiner une question importante, il a demandé la parole et prononcé quelques phrases plus ou moins baroques. Du coup, il a été élu membre de la Commission. Son nom a été publié dans les journaux, son opinion imprimée à cent mille exemplaires. Un reporter l'a attendu le soir, à la sortie, pour l'interroger et faire connaître ses réponses à l'univers attentif.
Le député obscur est devenu un autre homme. Aujourd'hui, il a une redingote fermée, une haute cravate noire, et il porte sous son bras gauche une serviette bourrée de papiers et de journaux.




Il arrive à midi au Palais-Bourbon, l'air gourmé, important, et traverse d'un pas rapide, quoique mesuré, la salle des Pas-Perdus et la grande galerie de la Paix. Il serre, en passant, la main à quelques journalistes et à quelques collègues et s'excuse: "Il est pressé, il va à la Commission." il est chargé d'une enquête.





C'est lui qui interrogera certains personnages appelés dans le sein de la Commission. Il a grandi de six coudées, il sent que le monde a l’œil sur lui et qu'il a une mission à remplir. Qui sait? Il trouvera peut-être une question à adresser à l'un des témoins, et cette question peut soulever des polémiques sans fin. C'est peut-être lui qui sera nommé rapporteur. Il se distinguera dans la rédaction de ce document parlementaire. On en parlera avant, pendant et après. On l'attendra à la tribune et, quand il y montera, on lui criera: "Lisez! lisez!" et il lira.
Sa lecture sera vivement applaudie et le voilà désigné pour un prochain sous-secrétariat dans un ministère important. Un an plus tard, il sera ministre lui même. Ministre! c'est ça qui fera du bruit dans le département de Loire-et-Sarthe. Et jusque là, comme il est mystérieux, réservé, souriant et taciturne! Les jeunes journalistes, avides de nouvelles, le prennent par tous les bouts. Il daigne se promener avec eux, les mains dans les poches de sa redingote, la tête penchée, l’œil à demi fermé et la bouche fermée tout à fait. Il écoute et ne répond pas.




S'il parle, s'il révèle les secrets de la Commission, c'est pour se mettre tout le temps en scène: "J'ai dit au Président... j'ai posé telle question... j'ai embarrassé le ministre... il a fallu compter avec moi... je suis sûr d'emporter la majorité... je n'ai rien dit dans le sein de la Commission mais je parlerai à la tribune."
Le membre d'une Commission n'abdique pas, même en famille. Partout où il va, chez sa femme, au théâtre, chez un ami, il apporte avec lui sa loi, son rapport, ses préoccupations parlementaires. Il se croît  quelqu'un, parce qu'il se trouve mêlé à quelque chose. 
Au fond ce n'est qu'une vanité doublée d'une nullité; mais dans les Parlementaires issus du suffrage universel, cela suffit souvent pour réussir. Il le sait et il y compte.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick.

dimanche 14 février 2016

Les élections: le candidat de liste.

Les élections: le candidat de liste.

Le candidat de liste, quelle que soit sa politique, est toujours bâti sur le même modèle. Multiple dans la forme, il est unique et uniforme quant au fond.
Avant la candidature, c'est un individu comme un autre, bourgeois, négociant, père de famille, propriétaire ou locataire, aimable, travailleur, mangeur, buveur, galant... un homme enfin.
Pendant sa candidature, c'est une espèce de braque possédé d'une idée fixe, l’œil perdu, la lèvre crispée, le dos aplati, l'échine courbée, la main tendue, la bouche en cœur. Il n'a plus ni femme, ni enfant, ni famille, ni foyer, ni chien, ni chat. Il n'a plus ni commerce, ni maison, ni champs, ni bétail. Il n'a plus faim, ni soif, ni sommeil, ni sens, ni amour, ni désir. Il vit dans, avec, sur, sous et pour une Urne.




Il est complaisant, prêt à tout faire et à tout accepter. Il n'y a pas de domestique plus servile que lui, de courtisan plus incliné, de mendiant plus humble. Il n'existe pas d'oreille plus docile et de derrière plus tendu. Pendant les deux mois de la période électorale, il vit dans l'angoisse et l'espérance, entre la joie et la douleur, entre l'injure et le dithyrambe. Sans cesse ballotté entre les mains des journalistes et des clubistes, il est tour à tour le dernier des gredins ou le premier des gentlemen, patriote et traître, lâche et vaillant, désintéressé et vénal, probe et fripouille, dupe et roublard, incapable et intelligent, vil et fier.





Sa vie se passe dans la rue, devant les affiches où son nom est placardé. Il guette le passant arrêté, le suit de l’œil, essaie de deviner sa pensée, scrute la satisfaction ou le mépris que l'électeur traduit par un œil sympathique ou une moue dégoûtée. Et si l'électeur est avec un ami, il les écoute, et, selon leur opinion, il pâlit de joie ou d'ennui, se contracte ou se dilate, se redresse ou s'affaisse.




Après sa candidature, si elle a réussi, le candidat devient un autre homme. Il est aussi orgueilleux qu'il était plat, aussi bouffi qu'il était écrasé, aussi insolent qu'il était modeste. Ambitieux à la Chambre, vaniteux dans le monde, despote en famille, bavard dans les salons, prétentieux dans son cabinet, arrogant dans la rue, impudent dans les couloirs, menteur avec ses commettants, satisfait dans la majorité, grincheux dans l'opposition, nul partout.
Le candidat de liste est sans conviction. Pour être nommé, il n'hésite pas à se faire ou à se laisser porter sur plusieurs listes et dans plusieurs départements. C'est en définitive un mauvais plat qui sort d'une méchante cuisine.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick, à la librairie Illustrée, 1887.

mercredi 20 novembre 2013

La parole est à...

La parole est à...
par Franc-Nohain
Illustrations d'André Hellé.


Un projet de loi est déposé tendant à limiter la durée des discours à la Chambre des députés et au Sénat. L'éloquence et la prolixité se trouvent sérieusement menacés par cette motion.



Encore que, dans bien des circonstances, et, plus particulièrement lorsqu'il s'est agi de fixer leurs indemnités, les parlementaires ont témoigné qu'ils n'étaient pas gens à ne se payer que de mots, il est notoire que la parole, et l'usage qu'on peut en faire, tient, au sein de nos assemblées politiques, une place prépondérante: et d'ailleurs, si l'on y parlait pas, les nommerait-on un parlement?
On peut poser en principe que tous les parlementaires parlent, et ceci contrairement aux apparences qui ne nous permettent d'entendre à la tribune qu'un nombre de parlementaire relativement limité.





Mais un député, qui est arrivé à l'expiration de son mandat, et même de plusieurs mandats, sans avoir jamais affronté la tribune, n'est pas celui de qui la parole sera la moins abondante, ni l'éloquence la moins redoutable.
Neuf fois sur dix, le parlementaire qui ne parle pas au parlement se rattrape dans le privé, et l'on a remarqué que les maîtresses de maison bien avisées et vraiment soucieuses de donner de l'animation à leurs dîners, avaient plus d'avantages à convier des députés dont l'Officiel se borne à enregistrer les votes, et qui déclarent volontiers se consacrer uniquement au"travail
des commissions", plutôt que des orateurs éclatants, et connus pour tels...



C'est que, tandis que ceux-ci auront tendance à se refermer dans un mutisme gros de promesses et de menaces, et qui prépare l'improvisation de demain, les premiers, ceux qui ne prononcent jamais de discours, vous régalerons, sans se faire prier, à la fois du discours qu'ils auront entendu, et de celui qu'ils n'auraient point manqué de faire si le "travail des commissions" ne les en avait empêchés...
Et c'est ainsi que les parlementaires qui ne parlent pas sont peut être les plus prolixes, soit dit, cependant, sans vouloir décourager les autres. Ce n'est pas ici le lieu d'instituer une querelle d'école, ni de disserter sur les mérites respectifs des différents genres d'éloquence.
Mais il est bien certain que lorsqu'on traite de l'éloquence parlementaire, signaler sa prolixité, c'est presque faire un pléonasme...





Le parlementaire, aussi bien celui qui parle que celui qui ne parle pas, doit avant tout, s'il veut réussir, être prolixe: s'il ne l'était pas, s'il disait simplement les choses comme elles sont, on s'apercevrait trop facilement qu'il n'a rien à dire. 
Or il faut qu'il dise quelque chose, n'importe quoi mais quelque chose.
Et comme la fonction crée l'organe, c'est ce qui explique ce mécanisme intellectuel qui est proprement celui du parlementaire, et qui, chez tout autre, pourrait paraître anormale: chez la plupart des parlementaires, l'élocution précédera toujours la pensée, et, ainsi que me le déclara l'un d'eux avec simplicité:
- Moi, quand je ne parle pas, je ne pense à rien; pour penser, il faut que je parle...






Et c'est ce qui explique, du même coup, que, moins un parlementaire aura à exprimer, plus il parlera longtemps, car plus sa pensée sera confuse et rétive, plus il lui aura fallu prononcer de mots au hasard pour la décider à se laisser entrevoir...
Le langage parlementaire met d'ailleurs à la disposition de ceux qui en usent une quantité précieuse d'expressions vagues et abondantes qui permettront d'allonger, de gagner du temps, si la "pensée" persiste à ne point vouloir venir.






On s'est demandé, par exemple, pourquoi un contradicteur était toujours l'honorable contradicteur, pourquoi le précédent orateur était toujours l'honorable pré-opinant: pourquoi cette épithète d' "honorable" si parfaitement vide de sens dans la plupart des cas où l'orateurs l'emploie?
Est-ce vraiment qu'il "honore" ce pré-opinant, ce contradicteur, alors que précisément, tout à l'heure, quand la "pensée" lui est venue, il s'appliquera peut être à nous le dépeindre comme la dernière des fripouilles et des concussionnaires?
Mais "honorable" arrondit la phrase, "honorables" est là, je le répète, pour gagner du temps.







C'est comme cette expression de "contre-vérité" que tout parlementaire qui se respecte doit avoir à cœur d'employer de préférence au mot "mensonge".
Uniquement parce que "mensonge" est plus court que "contre-vérité".
-"vous en avez menti!" n'a que six syllabes, ce n'est rien, un éclair...
Prononcez à la place:
-"Mon honorable contradicteur vient d'énoncer une contre-vérité!" à la bonne heure, vingt-six syllabes, cela dure...






Et ne croyez pas que cette comptabilité des syllabes soit chose insignifiante et dépourvue d'intérêt.
Songez qu'il est arrivé que, dans des débats plus graves, le triomphe a pu dépendre d'une obstruction ingénieuse et savante; il s'agissait avant tout "de tenir la tribune", d'empêcher les autres d'y monter...
Chaque parti, pour ces occasions extrêmes, garde en réserve un certain nombre d'orateurs, véritables spécialistes de la prolixité, et que les sténographes, dont ils sont la terreur, désignent d'une façon inconvenante mais pittoresque, comme atteint de "diarrhée labiale".
Quand la cause est désespérée, quand l'obstruction apparaît aux vieux tacticiens parlementaires comme l'unique et suprême ressource, ceux-là alors, on les lâche, et, ma foi, une fois lâchés, rein ne les arrête: les autres n'ont plus qu'à s'en aller.





N'est-ce pas l'un de ces champions du verbe qui n'a dû sa réélection qu'à cette faculté déconcertante qui lui permettait de parler aussi longtemps qu'il pouvait le jugez personnellement nécessaire, de parler "à volonté" ?
Son concurrent, riche seulement de ses convictions, pour se rendre aux différentes réunions publiques organisées dans les communes, utilisait le chemin de fer.
Notre orateur, lui, faisait sa campagne en automobile, s'arrangeait toujours pour arriver un peu avant l'arrivée du train, et à prendre le premier la parole.
Et quand il l'avait, il ne la rendait plus, c'est à dire que, suivant l'horaire du chemin de fer, suivant qu'il savait son concurrent forcé de repartir par tel ou tel train, il parlait une heure, deux heures, trois heures, cinq heures, lui laissant toujours pour lui répondre, quelques minutes, mais quelques minutes seulement, sous peine de manquer le train et les autres réunions.





En sorte que le malheureux concurrent, énervé, bousculé, faisait, en face de cet orateur triomphant, figure d'un pauvre être incapable de dire plus de quatre paroles...
C'est évidemment pour remédier à des scandales de ce genre, plus que pour la commodité des parlementaires, car la force de résistance exigée par de telles prouesses oratoires l'est uniquement de la part de celui qui parle: les auditeurs ayant toujours la ressource d'aller fumer des cigarettes, pendant ce temps-là, dans les couloirs, de mettre à jour leur correspondance, ou de s'installer pour y parler d'autre chose, à la buvette, donc, je le répète, ce ne peut être qu'avec les meilleures intentions du monde, et dans un but éminemment moralisateur, qu'un député, dernièrement, a proposé de limiter à dix minutes le délai maximum pendant lequel un orateur aurait le droit d'occuper la tribune.




Tant que la motion n'est pas votée, en effet, chaque parlementaire conserve la faculté d'en discuter aussi longtemps qu'il lui plaira; et vous comprenez bien que ceux-là qui avaient l'habitude de rester des quatre heures d'horloge à la tribune, quand on les menacera de ne plus les y laisser que dix minutes, entendront jouir de leur reste.
En sorte que ce ne serait pas trop de toute la fin de la présente législature, en siégeant tous les jours, et la nuit, pour épuiser un débat ouvert sur la question, et que partisans aussi bien qu'adversaires ne manqueraient pas d'échanger des discours de quatorze heures sur la limitation à dix minutes du droit de parole.



J'ajoute que ce délai ainsi fixé une fois pour toute et pour tous ne serait pas absolument juste.
Il a été établi que, tandis qu'un homme du Nord prononce environ 180 mots à la minute, un méridional, tout naturellement abat ses 270 mots de moyenne.
Le règlement proposé laisserait donc à l'homme du Midi la faculté de s'exprimer en 2700 mots, tandis que, durant le même laps, l'homme du Nord n'aurait à sa disposition que 1800 mots à peine...




La première chose, si l'on se proposait de réglementer d'un façon rationnelle et équitable la prolixité parlementaire, et si l'on ne voulait pas entendre répéter une fois de plus que le Nord au Parlement est toujours sacrifié, la première chose serait de tenir compte de ces différences de nature et handicaper en conséquence les orateurs du Midi.

                                                                                                       Franc-Nohain.


Je sais tout, 11 janvier 1911.