La concierge du temps jadis.

La concierge du temps jadis.

Elle vit dans la vieille maison comme une araignée dans sa toile, et chaque fois qu'une lézarde fend le plâtre d'un mur, une ride nouvelle se creuse dans le visage de la concierge.

Elle est horrible, elle a trois dents, les autres sont parties avec les locataires, mais comme la ronce croît aux pierres d'une ruine, des poils font leur nid à l'intérieur de ses oreilles.

Tous les matins, suivie d'un chat, elle rôde telle une sorcière par les couloirs de la maison; elle martyrise les sonnettes, se bat contre la poussière, avec les paillassons, cherche querelle au charbonnier, rend les marches glissantes et met son balai dans vos jambes juste au moment où vous passez.

L'après-midi, elle se calfeutre dans sa loge avec des portraits de famille et, au coin de son feu, elle observe les locataires. Immobile dans son fauteuil, les yeux fixés sur sa porte vitrée où défilent des êtres comme des pantins dans un guignol, elle épie longuement, en chouette... Et tandis que son chat ronronne sur ses genoux, que le temps fuit et que son feu meurt, la concierge, impassible et grave, en attendant les étrennes, fabrique des histoires pour les commères du voisinage.

                                                                                                                          Paul Leclercq.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 19 août 1906.

Nota de Célestin Mira:

Le drame de la rue de l'Homme-Armé.

Le drame de la rue de l'homme-armé.

Il y a des gens qui inventent des tours bien méprisables. De ce nombre est le sieur Isidore Grenouillet, lequel demeurait hier encore rue de l'Homme-armé, et est aujourd'hui logé au dépôt de la préfecture de police.

Voici la raison de ce changement de domicile.

On sait combien cette rue est étroite. C'est à peine si elle a quelques mètres de large. Cela ne l'empêchent pas de posséder des concierges comme les rues ordinaires, et ces concierges d'avoir des ennemis.

Grenouillet en voulait mortellement à deux d'entre eux, lesquels demeuraient face à face, et vivaient eux-mêmes en bien mauvaise intelligence.

Tous deux dormaient tranquillement dans leur loge, l'autre nuit, vers 2 heures du matin, lorsque Grenouillet survint. Il était muni d'un projet machiavélique et d'une forte corde.

Avec cette corde, il attacha étroitement l'une à l'autre les deux portes des concierges rivaux. Puis il sonna à ces deux portes et s'éloigna de quelques pas.

Les deux concierges ouvrirent en même temps ou plutôt essayèrent d'ouvrir. Leurs efforts se neutralisaient réciproquement. Pendant cinq à six minutes, ils tirèrent en jurant. L'infâme Grenouillet riait à se tordre.

Comme il n'est rien qui ne finisse par céder dans ce bas-monde, la corde finit par s'allonger un peu, et les portiers réussirent à passer leurs têtes par l'entre-bâillement de leurs portes.

Ils poussèrent le même cri d'horreur enroué, et avec la même fureur, eurent la même idée: celle de couper la corde.

Trente secondes plus tard, ils se ruaient l'un sur l'autre au milieu de la rue, Isidore était malade à force de rire.

Il devint moins jovial lorsque les agents, attirés par le bruit, devinèrent en lui l'auteur de cette fumisterie et l'emmenèrent au poste. 

Les deux concierges, qui se sont mis réciproquement dans le plus déplorable état, ne le ménageront pas lors du procès qui va avoir lieu.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 17 mai 1903.

Les devoirs du concierge.

Les devoirs du concierge.

Les concierges peuvent se diviser en 3 classes: les bons, les médiocres et les mauvais. Ceux de la première catégorie sont assurément les plus nombreux; les autres ont souvent besoin d'être rappelés à l'ordre.

L'emploi de concierge.

Assimilé aux domestiques, et, comme tel, congédiable dans les 8 jours, le concierge est préposé à la garde de la maison.

Il doit s'absenter le moins possible de sa loge, et se faire remplacer lorsqu'il est forcé de sortir. Il est, dans une certaine mesure, le serviteur du locataire, mais seulement en ce qui concerne son emploi, et peut refuser de faire des commissions hors de la maison.

Les obligations du concierge.

Les lettres, journaux et paquets doivent être montés au moins 3 fois par jour, aux locataires comme aux personnes séjournant momentanément chez ceux-ci. Le juge de paix du IXe arrondissement a même jugé que cette obligation s'applique aussi aux prospectus, catalogues et imprimés divers, portant l'adresse du locataire, "attendu que le concierge n'est pas autorisé à apprécier, de son chef, le plus ou moins d'importance que peuvent présenter ces papiers expédiés aux locataires"...

Le concierge doit ouvrir la porte d'entrée à tout heure du jour ou de la nuit, même aux domestiques des locataires; il doit informer le locataire si des personnes sont venues en son absence pour le voir; indiquer exactement aux visiteurs l'étage et l'appartement de la personne qu'ils demandent; réexpédier, lorsqu'il en a reçu l'avis, les lettres destinées à un locataire actuellement en voyage ou en villégiature.

Il ne peut ni empêcher quelqu'un de monter chez un locataire non absent, ni refuser  l'accès des étages aux fournisseurs effectuant des livraisons, aux garçons de recettes, etc. Toutefois, dans certaines maisons, il est stipulé que divers fournisseurs (charbonnier, boulanger, laitier, etc.) doivent livrer avant une heure déterminée (10 heures du matin en général), surtout dans les maisons n'ayant point d'escaliers de service.

Le concierge doit être poli et prévenant, et surtout retenir sa langue: cette dernière lui coûte cher, parfois.

Responsabilité du propriétaire.

Le propriétaire est civilement responsable des actes de son préposé, dans les limites des fonctions de celui-ci. Si par exemple un locataire laisse ses clefs au concierge et qu'un vol soit commis, le propriétaire est déclaré responsable. (Paris, 26 mars 1902.)

Quelques jugements intéressants.

Un concierge de la rue de Maubeuge, sur la plainte d'un commerçant, est condamné à 2.000 francs de dommages-intérêts pour vexations, mauvais renseignements, etc. Le propriétaire est déclaré responsable. (Trib. de la Seine, 1902)

Un franc de dommages-intérêts et tous dépens pour avoir négligé de remettre des prospectus et catalogues adressés à un locataire (Justice de Paix, 9 e arrondissement 1902).

20 francs d'amende à une concierge qui a faussement déclaré ignorer l'adresse d'un locataire ayant déménagé. (Justice de Paix, 6 e arrondissement, avril 1902).- 100 francs d'amende pour le même motif à un autre concierge (Paris, février 1901)

500 francs d'amende et ordre d'expulsion d'un concierge qui a calomnié un locataire. (Paris, février 1901)

Dans tous les cas où le concierge a manqué gravement à son devoir, le locataire peut demander l'expulsion du préposé, et l'obtenir des tribunaux. (Paris, 10 juillet 1856, 25 juin 1859, etc.)

Les petits profits des concierges.

Outre leur logement et leur modique salaire, les concierges jouissent de petits casuels spéciaux: étrennes, denier à Dieu, etc. Les grands magasins leur offrent de menus cadeaux, au nouvel an, pour la distribution périodique de leurs catalogues. Certains commerçants, pharmaciens, etc., préfèrent payer de menues sommes aux concierges, plutôt que de faire passer par la poste les prospectus destinés aux locataires. Les chiffonniers acquittent un droit de fouille pour être les premiers à scruter au matin, les mystères de la "poubelle", et, dans certaines cours productives, les musiciens doivent également verser quelque chose pour obtenir l'autorisation de chanter ou de jouer.

A ces petits profits s'en ajoutent encore d'autres: commissions sur fournisseurs, pourboires d'officine de renseignement plus ou moins louches, rétributions pour avis de décès ou de mariage riche dans la maison, etc.

Tout cela est parfaitement licite tant que le locataire n'est pas lésé dans aucun de ses intérêts; au cas contraire, ils doivent réclamer.

Ajoutons qu'un concierge congédié ou démissionnaire ne peut, sous aucun prétexte, habiter la maison en qualité de locataire.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 29 mars 1903.

Concierge Modern style.

Concierge Modern style.

Plus serré et ficelé qu'une andouille de Vire dans son rigide veston, le beau, l'élégant, le divin concierge, M. Rodolphe Capitain, vautré dans un fauteuil de peluche brodée de fleurs de soie, caresse de ses doigts pâles sa fine barbe blonde et fume un cigare également blond, comme la belle aux cheveux d'or.Tout respire le luxe, la joie et la tranquillité du triomphe, dans la loge tendue d'une rouge étoffe orientale à dessins jaunes, où un jeune marmiton en habits blancs couleur de neige fait cuire le mironton traditionnel dans une casserole d'argent.
Tandis que M. Capitain s'entoure de spirales bleues, sa femme Jane (par un A parce que c'est plus anglais) vient de fermer la Revue des Deux Mondes, travaille à des vêtements pour des petits pauvres, et sur le piano à queue peint de petites roses sur un fond vert clair, sa fille Ada, au col de cygne, joue une rêverie de Chopin en levant ses prunelles d'un bleu désolé. Cependant le fonctionnaire déchire nonchalamment la bande du Journal Officiel, et parcourt la liste des distinctions accordées aux journalistes, aux peintres, aux romanciers, aux professeurs, aux architectes. Puis, jetant son cigare non éteint dans le crachoir de lapis-lazuli:
- Allons! dit-il, cela se passera cette année comme les autres. Je vois qu'ils n'ont pas encore décoré un seul concierge!

                                                                                               Théodore de Banville.

mon Dimanche, 19 avril 1903.