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jeudi 14 juillet 2016

L'empereur des camelots.

L'empereur des camelots.

Tout événement considérable est marqué chez nous par l'éclosion subite d'images, chansons, et bibelots de circonstance, destinés à faire vibrer la fibre patriotique ou sentimentale, et, sous leur forme naïvement symbolique, innocemment satirique ou sommairement documentaire, à caractériser ledit événement aux yeux du peuple, à en fixer pour lui le souvenir.
Quelles nouveautés, quelles "créations" en ce genre populaire la prochaine visite du tsar va-t-elle inspirer? L'imagination, l'ingéniosité nationale auraient-elles faibli. L'industrie spéciale, prise au dépourvu, serait-elle réduite à écouler les stocks, les "rossignols" de 1896?
Questions graves, questions troublantes. Mais rassurons-nous. Tandis que, en leurs conseils, sous l’œil vigilant et sévère du Protocole, avec la collaboration de M. Loubet lui-même, nos ministres élaborent le programme officiel de la réception, un homme sagace, actif et prévoyant prépare  "l'actualité" de la rue.
Cet homme, dont on chercherait vainement le nom dans l'almanach de Gotha*, porte pourtant des titres superbes. Lisez plutôt sa carte de visite:

NAPOLÉON HAYARD

Empereur des camelots

Inventeur de : " En voulez-vous des Z'homards?"
Le grand lanceur de toutes les nouveautés parisiennes.
Chansons populaires. - Journaux. - Brochures. - Cinématographes de poche.
Article d'actualité. - Jouets nouveaux etc., etc.
Dépositaires d'objets français et étrangers pour colporteur.

Napoléon Hayard**, génie universel, est tout ensemble éditeur, créateur, poète, chansonnier, compositeur de musique, diseur de boniments: non content de lancer ses productions personnelles, il centralise celles des autres pour les répandre sur la place; il donne des leçons d'intonation aux débutants qui n'ont pas encore le coup de ... clairon; il serine aux virtuoses du pavé improvisés les airs des chansons nouvelles. Ce potentat jovial et malin, sans morgue, quoique très autoritaire, opère au cœur du quartier du Croissant***, dans une petite boutique sombre de l'étroite rue Saint-Joseph, dont la devanture tricolore exhibe déjà, derrière sa vitrine, des placards franco-russes.




Sorti du rang, Napoléon Hayard s'est proclamé empereur lui-même, et, bien qu'il se soit dispensé des formalités d'un plébiscite, nul de ses sujets ne conteste sa souveraineté. En apprenant la venue de l'empereur de toutes les Russies, il a dit simplement: "C'est bien; à nous deux!".
Et les journées historiques le trouveront prêt.

L'Illustration, 7 septembre 1901.

* Nota de Célestin Mira: L'almanach de Gotha est un almanach, publié chaque année depuis le XVIIIe siècle, comportant tous les noms des familles princières, royales, impériales. Il tient son nom de la ville de Gotha en Allemagne, où il était autrefois imprimé.




** Napoléon Hayard est né en 1850. Il "concentre sur lui les dérapages d'une époque: populisme, démagogie, manipulation de l'opinion publique, antisémitisme" (cf! C4infinity.worldpress.com). Il est, en outre, l'auteur d'un dictionnaire Argot-Français. Il meurt le 15 août 1903, percuté par une des toutes premières voitures automobiles. 

*** Le quartier du Croissant, dit aussi "République du Croissant" désigne, au XIXe siècle, le quartier où se concentre la presse à Paris, situé entre la rue Réaumur et l'avenue de l''Opéra.

mercredi 1 juin 2016

Les petits camelots.

Les petits camelots.

Ce sont des individus étranges qui sortent on ne sait d'où, les jours de l'an et de fêtes, et qui vendent au public des marchandises plus étranges encore. Vêtus de costumes pittoresques, coiffés de chapeaux sans forme, chaussés de souliers larmoyants, déguenillés, gelé, transis; mais toujours soutenus par l'audace faubourienne, aidés par l'accent ultra-parisien, ils arpentent les boulevards en récitant des boniments pleins d'humour et en louant le bibelot qu'ils vendent dans des termes éminemment attractifs et spirituels.




Ce sont eux qui colportent en ce moment un horrible jouet, terminé par une corde à boyau dont le grincement fait se dresser les oreilles, vibrer les nerfs et aboyer les chiens.
"La tranquillité des familles!" dit l'un.
"Le soupir de Sarah Bernhardt! " articule un deuxième plus artistique.
"Le cri du ventre de Merlatti!" hasarde un troisième de l'école réaliste.
Ils traînent ainsi, pendant les quinze jours où végètent les baraques, leur pâle existence, gagnant quelques centimes sur un jouet qu'ils vendent deux sous. C'est de cela qu'ils se nourrissent, se chauffent et se couchent. D'où sortent-ils? D'où viennent-ils? Où vont-ils? Qu'ont-ils fait hier? Que feront-ils demain? Regardez-les. Ils sourient au passant, ils chantent, ils ont l'air heureux. C'est bien là l'enfant de Paris, prêt à tout, industrieux jusqu'au bout des ongles, mettant à profit les moindres circonstances, utilisant toutes les idées pour gagner quelques sous, à la fois actif et paresseux, gouapeur, blagueur et railleur à ses propres dépens




Ils sont camelots aujourd'hui, et tout à tour vous les retrouverez ouvreurs de portières à la sortie des théâtres, colporteur de canards infâmes
, marchands d'allumettes Nilsson, exploitant tous les objets susceptibles de se vendre, capables surtout de crier, de hurler, de vociférer sur la voie publique et aussi heureux d'exaspérer par leurs cris l'inoffensif passant que de lui colloquer un petit joujou à dix centimes.
L'ouvrier qui travaille de ses mains vient de province, la domestique sort de son village, toute créature qui fait une besogne servile, fatigante, est certainement née dans un département. Le camelot seul est parisien: il veut parler, ce qui est la grande marotte du Parisien, et si le camelotage lui plait, c'est que le métier exige une certaine science de la parole, un débit facile et des inventions cocasses.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la Librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.

jeudi 7 avril 2016