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jeudi 1 février 2018

Les maîtres-voleurs de Paris.

Les maîtres-voleurs de Paris.


L'expulsion récente des étrangers qui avaient trusté le baccara dans les cercles de Paris a donné l'occasion aux journaux quotidiens de rééditer toutes les vieilles chroniques jadis composées sur le jeu. Franchement, c'est à donner la nausée: le monde change, les procédés de gain illicite et de pillage se transforment. Il n'y a qu'une chose qui reste immuable, c'est la chronique des journaux. Ces écrivains trop pressés, d'une incompétence universelle, coupent d'un ciseau infatigable les articles de leurs  confrères, ils en composent des dossiers qu'un beau jour ils vident sur la tête de leurs lecteurs, sans s'apercevoir que le tout est rance, jauni, poussiéreux. A propos du jeu dans les cercles, on a parlé, ces temps derniers, de séquence, de poussette, de retirette. Or, tout cela est démodé, et remonte à l'époque héroïque des massacres de Smyrne. Les Grecs ont renouvelé leur arsenal.
Laissons donc de côté ces antiquailles, et passons en revue les jeux actuels de Paris.

L'Art de plumer le badaud.

D'abord, le jeu sur la voie publique: le bonneteau. Si vous allez aux courses, vous le rencontrerez infailliblement. Voyez-vous ces messieurs en veston, ces camelots endimanchés? 


Approchez, messieurs dames, voilà le petit jeu franc et honnête,
v'là le bonneteau.

Vous seriez tenté de les croire tous égaux. Détrompez-vous. Il y en a un qui est le maître: c'est lui le bonneteur. Dans une de ses poches, il possède trois cartes, pas davantage, cela suffit à l'exercice de ses talents; c'est lui l'artiste. Les autres sont ses compères et ses gaffeurs. Chacun d'eux va jouer son rôle, pendant que nous, les poires, nous jouerons notre argent. Les gaffeurs restent à cinq cents mètres environ de l'endroit où se tiendra le jeu: ils sont chargés de surveiller les alentours et d'annoncer l'arrivée de la rousse.
Un parfait gaffeur doit connaître de vue tous les agents de la brigade des jeux. N'est pas gaffeur qui veut, il y faut de l’œil et de l'habitude. Laissons-les à leur poste.
Les autres s'installent. Sur l'herbe, ou sur un journal déplié, ou sur la soie d'un parapluie, le bonneteur jette ses trois cartes: un as de pique et des figures. Le jeu consiste à deviner où est l'as. Un cercle de badauds se forme. Qui va tenter sa chance? On hésite, on soupçonne vaguement quelque tricherie. Les compères interviennent. Ils mettent 10 francs, 20 francs, ou davantage, et à chaque coup ils mettent le doigt sur l'as. Le bonneteur les paie sans sourciller, comme s'il était porteur d'un trésor inépuisable, comme s'il n'avait d'autre but que d'enrichir ses contemporains.
C'est alors que les poires se mettent de la partie. Puisque c'est si facile de trouver l'as de pique, pourquoi ne pas essayer? Mais, malheur aux sots qui s'y frottent! L'as pour eux reste introuvable. Ils ont beau multiplier les expériences, ils ne gagnent jamais, jamais. Cependant, pardon, voici une poire qui a deviné. Un des compères se hâte de prévenir ce malheur: il met le double de ce qu'à mis la poire, et lève la carte. C'est une incorrection qui annule la partie. Le bonneteur fait semblant d'entrer dans une violente colère: "Comment, dit-il, vous levez la carte, et le jeu n'était pas fini!"
Et, en effet, un second compère affirme qu'il avait l'intention de placer quatre louis. On se dispute, on s'injurie, et finalement on convient de recommencer le coup. Cette fois le bonneteur redouble d'habileté dans le lancement des trois cartes, et la poire ne trouve pas l'as.
Lorsque les dupes commencent à comprendre qu'elles sont roulées, bonneteur, compères et gaffeurs disparaissent. Ils reprennent le train. Si votre malchance vous amène dans leur compartiment, n'acceptez jamais leur partie. si vous aviez le malheur de gagner, ils vous dévaliseraient et vous jetteraient par la portière. Le plus grand nombre des crimes commis sur les voies ferrées le sont par eux. La police, qui les connait, ne les aborde que revolver au poing et le cabriolet prêt à être posé.
Voilà ce que nous racontait hier un agent de la brigade des jeux:
"Je m'étais déguisé, nous disait-il, en employé de chemin de fer, et je filais cinq bonneteurs que j'avais vu opérer à Maisons-Laffitte. Je téléphonai, avant de partir, au commissaire de la gare Montparnasse, puis je m'armai de mon revolver d'ordonnance et je montai sur le marche-pied du wagon où mes bonneteurs s'étaient installés. En arrivant en gare, le commissaire et son personnel attendaient sur le quai. Les bonneteurs voulurent descendre à contre-voie. C'était ce cas que j'avais prévu. Je les tint en respect. Ils durent se laisser prendre.
Une autre fois, je m'étais embarqué à la gare du Nord avec une demi-douzaine de ces messieurs. Nous allions à Bruxelles, et je me demandais, non sans anxiété, comment à moi seul, je pouvais capturer toute la bande. En arrivant à Chantilly, j'aperçus quarante gendarmes qui se rendaient à Creil, pour les grèves. Vite, je sautai de mon compartiment, et je requis les gendarmes. Les bonneteurs ne revenaient pas de leur surprise; ils m'avaient regardé comme une poire, ils me menacèrent de me reconnaître et de me "faire mon affaire". Ils sont tous de la graine d'assassin, et, quand une fille ou bien un fêtard sont égorgés, la Sûreté cherche toujours le coupable dans le monde des bonneteurs."
Ainsi me parla l'agent de la brigade des jeux qui voulait bien me renseigner. Il me donna aussi quelques détails sur les jeux dans les carrefours.
"Gardez-vous, me dit-il, de ces loteries dont les lots sont jetés pèle-mêle dans un sac. Là aussi, le teneur du jeu est entouré de compères, et chacun de ces compères a, dans la manche de son veston, plusieurs pièces de 1 franc ou de 2 francs. Ils tirent du sac un petit paquet, le déplient religieusement et y trouvent la pièce blanche qu'ils y laissent tomber. Mais vous, si vous tirez un petit paquet, vous ne trouverez à l'intérieur, que du papier.
Les tournevires sont également truqués. S'ils sont placés verticalement, soyez sûrs que la roue est faussée par un lingot de plomb. Les compères gagnent, les poires perdent toujours. Si le tournevire est placé horizontalement, le tenancier fait osciller légèrement la table qui le supporte, et la plume ne s'arrêtera jamais pour vous sur un numéro gagnant."
Trouvant en mon interlocuteur un homme aussi documenté que bien intentionné pour les lecteurs de Mon Dimanche, je le priai de me parler du jeu dans les cafés.
"Avec plaisir, me répondit-il. Dans les cafés, les rastaquouères recherchent les étrangers et les provinciaux, ils leur offrent de les conduire dans Paris. Le soir, ils leur offrent un bon dîner. Ensuite, on joue, et ce sont toujours les provinciaux qui gagnent. Mais gare à la revanche! Le lendemain, les provinciaux veulent rendre la politesse qui leur a été faite. Ils paient à leur tour le dîner. ensuite, on joue, et les rastaquouères plument leurs dupes. Je me souviens d'un gros propriétaire de la Beauce qui perdit ainsi 75.000 francs.
Les rastas ont d'autres ruses. Lorsqu'ils voient, dans un café, des habitués qui jouent gros jeu, ils délèguent l'un d'entre eux pour surveiller ces innocents pigeons. Le délégué fréquente le café, chaque soir, pendant un mois, et même davantage. Il attend l'occasion. Il cause, donne des conseils, gagne la confiance. un beau soir, un des joueurs est absent. On offre au rasta de tenir sa place. Il accepte, et joue honnêtement. Mais le lendemain, il amène un compère, et cette fois, à eux deux, ils plument les pigeons jusqu'au sang."

Dans les tripots.





Je voulais questionner mon cicerone sur le jeu dans les cercles; mais il préféra me donner de l'inédit.
" Depuis la loi de 1901 sur les associations, me dit-il, le jeu n'est plus réglementé. Qu'arrive-t-il? c'est que de vieilles dames, jadis élégantes, tiennent des maisons de jeu clandestines. Leurs amies se chargent de leur amener des jeunes gens riches. Un jour ou l'autre, nous sommes avertis et nous envahissons brusquement la maison. Alors c'est un désordre, un tohu-bohu indescriptible. Les messieurs crient: au voleur! Les dames ont des crises de nerfs, ou bien courent se cacher dans les endroits les plus invraisemblables. Une fois, il m'est arrivé d'en tirer une par les pieds au moment où elle se glissait sous un lit! Elle était furieuse et voulait m'arracher les yeux!
Une autre fois, nous avions appris que l'on jouait dans un établissement de bains. Nous faisons irruption. Scènes de menaces, d'évanouissements et de crises de nerfs. Nous y étions habitués, cela ne nous impressionnait pas. Nous cherchions les deux croupiers. Les deux malins avaient eu l'adresse de nous échapper. Nous les trouvâmes chacun dans une baignoire! Ce fut une risée lorsque nous les contraignîmes à rentrer au salon. Ils n'avaient eu à leur disposition que de l'eau froide; ils étaient mouillés, transis, grelottants, lamentables. Ils durent se rhabiller et venir au poste. Ils étaient punis, mais non corrigés. La passion du jeu ne se corrige pas."
Voici autre chose:
Un train entre en gare. Dans la cohue des voyageurs qui se précipitent à la sortie, s'encombrent de leurs bagages, s'expliquent avec les employés de l'octroi qui parlent d'ouvrir malles et valises, un brave homme "entre deux âges", l'air naïf, vêtu en bon bourgeois cossu, cherche en vain à se frayer un chemin. Soudain, un gentleman habillé avec la correction élégante d'un véritable homme du monde, fend la foule, se jette au cou du badaud en l'appelant: - Mon cousin, mon cher cousin, Jean ou Eugène.
Souvent, une charmante Parisienne, toute froufroutante, accompagne le gentleman et témoigne plus d'enthousiasme encore à la vue du cher cousin. Le voyageur se dégage, à regrets d'ailleurs, il est flatté!  Il n'est pas le cousin attendu. Excuses exagérées du couple: pour prouver qu'il ne leur en veut pas, le bon voyageur prendra la place du cousin et acceptera un rafraîchissement au café voisin. Il est perdu. Le commissaire de police du quartier le verra venir déplorer devant lui, le soir, la perte de son portefeuille.

                                                                                                                     Luce de Vos.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 30 juin 1907.

jeudi 16 février 2017

Les dessous d'un menu.

Les dessous d'un menu.





Rouges écrevisses et vous, blanches barbues et toi, saumon du Rhin qui a oublié d'être rose et toi encore pâté de foie gras de Strasbourg qu'assombrit si heureusement la tache noire de la truffe, si je vous disais ce qu'en d'élégants restaurants, sur des tables fleuries, on sert en empruntant vos noms alléchants, vous ne me croiriez pas.
Et pourtant cela est. Vous êtes les pavillons respectés qui couvrez une marchandise avariée. Vous êtes les complices impuissants du truquage déloyal. Vous êtes... que sais-je encore? J'épuiserais, en vérité, toute la série des métaphores éclatantes pour vous dire ce que vous devenez parfois. Aussi vais-je m'y efforcer plus simplement.





Potages et entrées.

Commençons par le potage. Il n'en est guère de plus recherché que la bisque d'écrevisses.
Vous verrez qu'avec une recette en honneur dans de nombreux restaurants, vous pourrez la fabriquer à peu de frais. Vous prenez de belles écrevisses qui ont déjà été mangées en buisson ou à la bordelaise par un client précédent: vous réservez soigneusement les pinces et les coques que des dents anonymes ont déjà broyées, vous pilez le tout et vous servez en bisque. Si vous êtes un peu à court, comme écrevisses, vous avez la ressource  d'user des pattes ou de la carapace de homard ou de langouste.
Venons au poisson. Qu'est-ce que vous diriez de belles petites escalopes de barbue vénitienne? C'est excellent, paraît-il. malheureusement, la barbue coûte cher, c'est là son moindre défaut. Mais cet honnête cabillaud, morue fraîche, et ce brave colin, poisson démocratique, s'il en fût, ne sont pas faits pour les chiens. On a tôt fait de les transformer en ces délicieuses escalopes qui se prélassent sur le menu. il ne reste plus, pour les rendre vénitienne, qu'à les arroser d'un vert liquide et végétal qui remplace à s'y méprendre le jus d'épinards et de cresson.





Apportez la suite.

Continuons le menu. Après votre bisque, après votre barbue, vous n'aurez pas le courage de refuser ces petites Bouchées à la Reine que le maître d'hôtel vient de vous recommandez si chaleureusement. Méfiez-vous pourtant. si le maître d'hôtel insiste, c'est qu'il a à écouler un vieux stock de veau froid et défraîchi, qui encombre le garde-manger et qui, haché menu, remplace avantageusement, pour la bourse du patron, les filets de volaille absents de votre bouchée. Ils lui donnent, accompagnés de quelques épluchures de champignons, un air vraiment royal. Il faut dire qu'une sauce épaisse recouvre cet amalgame d'un voile impénétrable.
Bisque, barbue, bouchées, tout cela n'est guère fait que pour ouvrir l'appétit. il faut tâter d'un plat plus solide, et puisque la chasse n'est pas encore fermée, c'est l'occasion d'essayer d'un filet de chevreuil sauce venaison. Auquel cas, une jolie rondelle de bœuf adroitement coupée et piquée de quelques lardons arrive à vous donner la couleur et l'illusion du chevreuil mariné.





Horribles détails.

Si vous avez un appétit de Gargantua, vous pouvez finir par un pâté de foie gras de Strasbourg à la Bellecour. C'est très simple. Le patron qui a prévu votre gourmandise, a fait laver à grandes eaux, deux ou trois jours auparavant, un foie de veau très blanc, c'est à dire malade, et que l'eau a encore blanchi. On vous le présente sur une serviette glacée ou dans une coquette terrine, et quand vous en avez goûté, vous ne tardez pas à en reprendre, gourmand!
Et maintenant, l'addition. Il n'y qu'elle qui ne soit pas "sabotée", tout y est loyalement détaillé. Vous en avez pour quinze francs, vin non compris. C'est pour rien, car vous avez mangé un tas de choses distinguées.
Quand vous reviendrez, demandez donc un moussaka. C'est un plat turc assez compliqué, mélange de bœuf, d'agneau, d'aubergines et de tomates, spécialité d'un grand restaurant de la Madeleine. Je vous accorde les aubergines et les tomates, mais pour le reste, vous absorberez avec appétit du bouilli de deux jours soigneusement rafraîchi. Après tout, ce n'est pas plus mauvais qu'autre chose.
Surtout n'allez pas vous imaginer, quand vous verrez sur le menu "chapon à la brochette", que ce volatile a été transpercé d'une lardoire. Quatre-vingt dix-neuf pour cent des restaurants parisiens se contentent d'un four.
Un bon conseil: évitez les croquettes de toute espèce. C'est, pour le patron, le meilleur moyen d'écouler les bouts de langue écarlate, les restes de jambon et de veau qui, autrement, ne trouveraient une place digne d'eux que dans les cornets d'arlequin.




Soyez simples: ne vous attaquez ni aux filets de barbue, comme je vous l'ai montré, ni même à ceux de sole. La vive les joue admirablement. Laissez les enfants à leur mère et le saumon du Rhin à ceux de nos contemporains qui adorent le colin. Bien entendu, je ne dis pas que le trucage des menus sévisse dans tous les restaurants. Pour mettre ma conscience en règle avec la vérité et pour rassurer vos estomacs, je vous accorderai même que les contrefaçons que je viens de détailler sont loin en cette espèce de constituer la règle. Les restaurateurs malhonnêtes ne sont, fort heureusement pour notre santé, qu'une infime minorité, mais c'est le cas où jamais de répéter le mot fameux "qu'ils sont encore trop."
Des pénalités sévères auraient raison de leur "habileté". N'est-ce pas vraiment à dégoûter d'aller au restaurant? 
            
                                                                                                                      Henri Géroule.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 24 février 1907.