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mardi 11 novembre 2025

 Chronique du 23 juillet 1864.



Il y a longtemps qu'un sinistre aussi déplorable que celui dont la Saône a été le théâtre, le 10 juillet, n'était venu émouvoir la pitié publique. Les premières nouvelles n'avaient pas donné une idée exacte de l'étendue du désastre, et je me souviens, on lisait dans le Pays, journal de l'Empire, cette étrange dépêche publiée sous la rubrique de l'agence Havas: " Trois personnes sont tombées dans la Saône, quatre se sont noyées."
Mais dès le lendemain, les détails les plus circonstanciés et le plus navrants arrivaient à Paris. Il est très-probable que les oscillations du bateau à vapeur la Mouche, déterminées d'abord par le mouvement de rotation qui lui a été imprimé pour lui faire prendre sa direction, et le mouvement irréfléchi des passagers, qui, dans leur terreur, se sont jetés tous à la fois sur le même côté du navire, sont la cause du naufrage. Il y avait quelque chose d'affreux à voir ces personnes précipitées toutes à la fois dans les eaux de la Saône, qui est rapide et dangereuse à cet endroit, se débattre et s'engloutir à quelques mètres du rivage. Des familles entières ont péri*. On cite un père qui venait de conduire sa femme et sa petite fille au bateau, et qui, demeuré sur le rivage, répondait par des signes à son enfant qui lui envoyait des baisers, quand il vit tout à coup le navire osciller, se pencher et verser dans le gouffre ce qu'il avait de plus cher au monde. Une nourrice, qui avait accompagné le jeune père et la jeune mère de son nourrisson jusqu'au bateau, se préparait à monter en omnibus, parce qu'elle craignait les voyages par eau, quand le sinistre arriva; en quelques minutes tout était fini, et elle remporta dans ses bras un orphelin. Sur un point, on a retiré une douzaine de personnes mortes, qui, s'étant cramponnées les unes aux autres dans les suprêmes convulsions de l'agonie, formaient une sorte de grappe humaine. Des pères ont vu périr leurs enfants, des maris leurs femmes, des enfants leurs mères. Quelques-uns, plus heureux, ont retrouvé, sauvés par d'autres mains, ceux qu'ils avaient cru avoir perdus pour jamais. On évalue à près de quarante personnes le nombre de victimes de ce sinistre.
Comme il arrive toujours, ce grand malheur a été l'occasion de grands dévouement. On cite, parmi les sauveteurs, M. Gathoud, marchand de charbons; M. Morel, canotier de la Saône; un jeune commis de fabrique, M. Viard; MM. Faure et Privas fils, bouchers; M. Bergeret fils. Les ecclésiastiques, comme à l'ordinaire, étaient à leur poste. Les chapelains de l'église métropolitaine, accourus sur le rivage, ont donné l'absolution in articulo mortis aux victimes; d'autres ecclésiastiques se sont élancés sur des barques de sauvetage peu nombreuses qui sillonnaient la rivière, et ont commencé à arracher quelques malheureux à la mort. La catastrophe a eu lieu  un dimanche, à trois heures de l'après-midi, par une chaleur tropicale qui avait rendu les quais déserts, et les patrons des barques étaient absents, parce que le dimanche tout le monde prend quelques heures de repos. 
Une autre circonstance peut contribuer à expliquer le nombre de victimes. Suivant l'expression d'un témoin, une masse humaine, qu'on peut évaluer à cinquante personnes, a été "comme versée dans l'eau" au moment où le bateau s'est penché sur un de ses flancs; il en est résulté que les victimes tombées les unes auprès des autres se sont saisies mutuellement et ont été paralysées dans leurs mouvements. C'est ainsi que le capitaine de la Mouche a été trouvé avec deux femmes, dont l'une l'avait saisi par le col et l'autre à bras le corps. Une dizaine de passagers qui savaient nager et qui ont réussi  à échapper à ces étreintes désespérées, se sont sauvés facilement.
On a ouvert une enquête, et vraisemblablement cette terrible expérience fera naître la pensée de prévenir le retour d'un si lamentable accident, en ayant un poste de sauveteurs à demeure sur le pont et à l'heure des embarquements. Le dimanche, cette précaution est plus nécessaire encore que les autres jours.

*****

Nous rions quelquefois de nos pères qui faisaient leur testament avant de s'embarquer sur le coche d'Auxerre ou dans la patache qui les menait de Rouen à Paris. Les accidents fréquents qui arrivent sur les bateaux à vapeur et surtout sur les chemins de fer font voir que, malgré les progrès incontestables des moyens de locomotion, la même précaution ne serait pas superflue de nos jours. Jusques à quand attendront les chemins de fer (cette fois c'est aux chemins de fer anglais que ce discours s'adresse), afin d'organiser une surveillance qui ne permette pas d'assassiner dans les wagons, comme on assassinait autrefois dans la forêt de Bondy de sinistre mémoire? On devine que je veux parler du meurtre de M. Briggs, sur le chemin de fer North-London*. Grâce à la disposition défectueuse qu'on a adoptée pour l'aménagement intérieur des wagons, un voyageur peut se trouver enfermé comme en cellule, avec un scélérat qui a tout le temps qui s'écoule pendant le trajet entre deux stations pour l'assassiner. Tout le monde a présent à l'esprit l'assassinat de M. Poinsot, dont Jud* est l'auteur présumé. Il existe des wagons en Allemagne et en Suisse organisés de manière à rendre de pareils crimes impossibles. Le modèle n'est donc pas à chercher, il est trouvé. La transformation entraînera des frais, il est vrai, mais si l'or a sa valeur, la vie humaine est-elle donc une chose de nul prix?

                                                                                          Nathaniel.

La semaine des Familles, Revue universelle, samedi 23 juillet 1864.



* Nota de Célestin Mira:

*Naufrage du bateau La Mouche:



A Lyon, sur la Saône, le 10 juillet 1864, le bateau-mouche n°4
 de la compagnie La Mouche faisait naufrage lors de son trajet
Perrache-Vaise.
Le nombre des victimes se chiffre en plusieurs dizaines.

* Assassinat de M. Briggs:





*Jud:  




Charles Jud est responsable du premier meurtre
commis dans un train en France