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dimanche 22 janvier 2017

La vigne en Perse.

La vigne en Perse.


Puisque la Perse est en ce moment à la mode, occupons-nous-en à titre pittoresque. parlons par exemple de ses vignobles.
Les Persans estiment qu'ils ont été les premiers à cultiver la vigne, et que c'est dans l'Erivan, qui alors leur appartenait, que Noé fit la plantation initiale du précieux arbuste. 
Ce qu'on ne saurait contester, c'est que la Perse, en effet, a été de tout temps renommée pour ses vins. On les citait dans l'antiquité comme étant les plus capiteux. On a cité, d'un autre côté, des souverains qui entraient dans des accès terribles de fureur après en avoir bu. Si Alexandre, à peine entré dans la pays de Cyrus, brûla Persépolis, c'est parce qu'il avait bu du vin en perce, et comme il n'en avait pas l'habitude, il s'était abominablement grisé.
Les meilleurs vignobles actuellement sont situés entre le golfe Persique et la mer Caspienne. On compte plusieurs vins fameux, dont les plus célèbres sont ceux de Chiraz et ceux récoltés dans l'Erivan, à l'endroit même où Noé, pour son début, se montra si parfait viticulteur.

Le petit moniteur illustré, 18 août 1889.

dimanche 20 novembre 2016

La Perse.

La Perse.


Des plages basses, exposées à toute l'ardeur du soleil, envahies par des sables brûlants: des rangées successives de montagnes, tantôt couvertes d'arbres et de neiges, tantôt masse aride de rocs, et dont les espaces sont remplis par des vallons spacieux; de vastes plaines sans eau, sans culture; des déserts plus vastes encore, imprégnés de sel marin; partout la marque funèbre des révolutions; des villes en ruines, des villages inhabités; quelquefois des vallées délicieuses, de gras pâturages, des jardins produisant en abondance des fruits de toute espèce, tel est l'aspect général de la Perse, appelée à si juste titre pays de montagnes.
De quelque côté que le voyageur arrive, soit qu'il touche le rivage aride du golfe Persique, soit qu'il s'engage sous le soleil brûlant des plaines de la Babylonie, soit enfin qu'il vienne des bords humides et tempérés de la mer Caspienne, il lui faut, avant de parvenir au centre, au plateau de ce royaume, gravir par des chemins étroits et bordés de précipices, les rocs les plus élevés, lutter contre les excès du chaud et du froid, braver les hordes de brigands qui infestent le pays, supporter la disette d'eau, de vivres, s'exposer la nuit aux injures de l'air, ayant pour tout abri quelquefois un caravensérail ruiné, ouvert de tous côtés, le plus souvent ses seuls vêtements et son manteau.
Arrivés à cette région moyenne, sa vue s'égare sur des pays cultivés, des villes populeuses, des villages nombreux, perdus sous des forêts de palmiers, défendus par des fossés, des murs de terre et quelques tours en brique. Nous ne parlons ici que des contrées les plus habitées, des environs des grandes villes, de Téhéran, Ispahan et quelques autres.
Par la disposition du sol en Perse résulte une grande variété de température. Les bords du golfe Persique, le Kermesir, par exemple, sont inhabitables l'été. Du 15 juin au 15 août, s'élève ce vent pestiféré, le sam-yel, dont l'atteinte, aussi rapide, aussi funeste que celle de la foudre, est toujours mortelle. Alors les habitants abandonnent les villages et s'enfoncent dans les montagnes, jusqu'au retour d'une température supportable. Les provinces septentrionales, rafraîchies par les vents qui soufflent régulièrement de la mer Caspienne, et s'arrêtent aux montagnes, jouissent d'un climat tempéré, hiver comme été. Ici l'air qu'on respire est plus frais, des montagnes couvertes de bois rappellent le bas des Alpes et des Pyrénées; mais lorsqu'on s'éloigne de ces terres basses pour arriver au plateau de la Perse, le vent devient plus froid, les productions changent, et l'on se croirait transporté sous un autre ciel.
La ville d'Astrabad est situé dans le Mazendéran, sur les côtes méridionales de la mer Caspienne; elle doit, dit-on, son origine à Zézid-eb-Makled, chef arabe d'une grande célébrité. Ce prince ayant fait halte à un village nommé Aterik qui occupait une partie du site actuel qui couvre la ville d'Astrabad, on tira de la terre un trésor composé de quarante vases remplis d'or et d'argent, et liés ensemble par une chaîne. Zézid ordonna de construire une ville avec ces richesses. Astrabad a une lieue environ de circuit, et est fortifiée, mais d'une si pauvre manière que ses remparts ne résisteraient pas à des troupes quelque peu résolues. Comme toutes les villes de Perse, elle est en grande partie ruinée, et ses murs ne renferment pas plus que deux mille maisons. L'aspect d'Astrabad diffère de celui des autres villes méridionales de la Perse; non-seulement les bois s'étendent sur tous les points jusqu'au bord du fossé de la ville, mais les nombreux jardins et les arbres qui se mêlent dans tous les quartiers aux édifices, produisent un effet agréable, quand on le compare à l'aspect stérile et monotone des murs et des toits de terre grise des villes des autres provinces. Les maisons aussi sont pittoresques et riantes pour la forme et pour la couleur; le style de leur architecture est léger, plus dans le goût indien que dans le goût persan; les toits élevés en pointe sont couverts de tuiles ou en chaume et dépassent les murs. Beaucoup ont de hauts badghirs (littéralement, preneur de vents); ce sont des tours carrées ayant de chaque côté des ouvertures par où le vent arrive dans les chambres d'une maison; ces tours couvertes en tuiles font, dans le paysage, l'effet que produisent les clochers: ils l'animent. Les bazars sont assez étendus, mais peu garnis, car bien qu'Astrabad soit un port de mer, il s'y fait peu de commerce. Ce qu'il y a de plus remarquable dans cette ville singulière, c'est la fraîcheur et la beauté de la verdure qui se mêle de toutes parts aux maisons; ici de vieux et beaux sycomores, là de hauts cyprès qui s'élèvent au dessus des murs de jardins chargés de lis et de giroflées.
On évalue la population totale du Mazendéran à cent cinquante mille familles. Le territoire d'Astrabad, entre autres, est le berceau de la tribu des Cadjars, toute guerrière et constamment armée pour se défendre des Turcs; cette tribu est fort attachée à son pays, et se répand si peu à l'intérieur de la Perse, qu'on ne trouve guère des Cadjars qu'à la cour. Depuis plus d'un siècle, c'est la tribu royale; elle est, dit-on, dépositaire d'une grande partie des trésors du dernier roi de Perse. Tous les ans, les habitants qui veulent faire le pèlerinage de Mechehed, se réunissent à Astrabad, au nombre de sept à huit cents personnes; la caravane est alors en état de résister aux bandes de pillards, et part ordinairement dans le mois d'octobre; le voyage n'est guère que d'une quinzaine de jours, mais dans un pays ras et presque désert.
S'il fallait en croire certains voyageurs, la bassesse et la fausseté seraient les traits caractéristiques des femmes orientales. Cela n'est pas exact. Soit qu'elles ne désirent pas une liberté qui ne présente à leur imagination aucun charme, soit qu'elles aient appris de bonne heure à se soumettre à l'empire de la nécessité, ces femmes ne se considèrent point comme opprimées. On peut leur reprocher de la nonchalance, un goût effréné pour la parure, les bijoux et les choses futiles; mais en général, elles sont aimables, douces et modestes. L'appartement qu'elles habitent est ordinairement la partie supérieure de la maison. On le nomme harem, c'est à dire lieu sacré. Les femmes sont tellement exclues de la société des hommes, qu'il n'est ni permis, ni décent à ceux-ci d'en prononcer le nom; il faut, quand on parle d'elles, se servir d'une circonlocution ou du mot famille. Dans les villes, elles se visitent réciproquement, et alors la porte de l'appartement est interdite à l'époux. Lorsqu'une dame arrive chez son amie, celle-ci va au devant d'elle, la dépouille de son voile et d'une partie de ses vêtements; toutefois cet usage n'a lieu qu'entre des personnes d'un rang égal. Lorsqu'il y a de la supériorité dans celle qui reçoit la visite, elle se fait suppléer par son intendante. Des sourcils noirs, bien arqués, et se joignant l'un l'autre, étant considérés comme une très-grande beauté, les Persanes ont recours à l'art pour les faire paraître tels; après le bain, elles peignent leurs ongles avec une couleur jaune ou rouge, préparation cosmétique dont tout le monde fait usage, et sans laquelle il serait peu convenable de se présenter.
Le costume des femmes d'Astrabad diffère peu de celui qu'elles portent dans les autres provinces; il se compose d'une chemise très-courte et d'un pantalon; un mouchoir de soie noire entortillé autour de leur tête sert de turban, avec un morceau de coton blanc que l'on jette au besoin sur la tête ou sur les épaules. Mais quand elles sortent à quelque distance de la maison, elles se servent du tchedder, ou voile qui enveloppe tout le corps; ces voiles sont de soie ou de coton rayé, quelquefois en grands carrés bleus, quelquefois en rouge et en vert. Elles portent aux jambes une espèce de bas nommée tchak-tchor, qui reçoit comme des bottes le bas du pantalon, et elles mettent par-dessus la pantoufle ordinaire verte et à talons hauts.




Le sycomore croît abondamment dans les forêts qui couvrent ce pays; les habitants pensent que dès que cet arbre atteint l'âge de mille ans, il prend feu et brûle de lui-même. Parmi les nombreuses traditions de la contrée, il en est une qui se rattache à une tour que l'on dit être le tombeau d'un souverain. Cette tradition suppose que là est un puissant trésor qu'un talisman protège, et dont un magicien indien de très-grande habileté avait découvert le secret; mais les conditions de ce talisman ne lui permettait pas d'agir en personne, il employa un agent qui ignorait ce qu'il allait faire. Le magicien confia à cette personne le talisman qu'il avait préparé et qu'elle devait attentivement comparer avec celui qu'elle verrait dans la tour; l'émissaire avait par dessus toute chose été prévenu de ne point lever la tête, quoi qu'il pût entendre. Le messager agit conformément aux instructions qu'il avait reçues, et au moment où il venait de rapprocher les deux talismans, le charme s'opéra. Un bruit formidable se fit entendre, et un nombre prodigieux de pigeons s'envolèrent par la grande porte qui s'ouvrit subitement; cette volée était si considérable, et le bruit des ailes durait tant, que l'envoyé, las de s'en tenir aux conjectures, oublia l'avis et regarda en l'air. Tout à coup les pigeons cessèrent de voler, et une grande quantité d'or monnayé tomba autour de lui. Le charme avait changé l'or en pigeons, qui dirigeaient leur vol vers les coffres du magicien, mais la curiosité de son agent le rompit, et l'or reprit si promptement sa forme primitive, que la portion même qui traversait l'air tomba à terre, et personne, depuis ce moment, n'a été capable de trouver le reste du trésor.
A Bagdad, ville qui doit un grand renom historique au règne des califes, surtout à celui d'Haroun-al-Raschid, les femmes des premières classes sont ordinairement choisies parmi les plus belles esclaves qu'on puisse s'y procurer de Circasie et de Georgie; des chaînes d'or, des colliers de perles et divers ornements en pierres précieuses brillent sur la partie supérieure de leurs personnes, tandis qu'elles ont les poignets et les chevilles des pieds entourés de bracelets en or massif, ayant la forme de serpents. Des mousselines brochées d'or et d'argent composent non-seulement leurs turbans, mais souvent leurs vêtements de dessous. En été, le châle plus coûteux remplace sur elles la pelisse, qui, dans la saison rigoureuse, est garnie des plus riches fourrures. Les cercles qui ont lieu à Bagdad chez les dames du plus haut rang peuvent exciter encore une fois la curiosité. Toutes les personnes invitées étant réunies, le repas du soir ou dîner est bientôt servi. Ensuite la société, assise sur plusieurs rangs, s'apprête à jouir du spectacle, qui consiste en musique et en danses; l'une et l'autre, très-bruyantes, durent toute la nuit. A minuit, on sert le souper. Entre ce second banquet et le premier, le narguily au suave parfum ne quitte point les lèvres des dames, excepté quand elles prennent le café, ou témoignent, soit par des acclamations, soit par de longs éclats de rire, l'effet que certaines danses, certains morceaux de chant, ont produit sur elles. Tandis qu'elles donnent ainsi carrière à leur joyeuse humeur, telle d'entre elles, qui ressent un besoin subit de repos, s'étend sans excuse préalable, et dort sur le riche tapis qui lui a servi de siège. D'autres suivent bientôt son exemple, sans que cessent ni les chants qui seuls éveilleraient un mort, ni le fracas des instruments, ni les causeries sur tous les tons. Toutefois le tumulte de cette scène s'affaiblit par degrés; visiteuses, chanteuses et danseuses cèdent également au sommeil, et l'on finit par voir tous les tapis couverts de femmes endormies, les maîtresses du logis pèle-mêle avec leurs esclaves, les personnes de leur société, et celles qui sont venues en faire l'amusement.
La Perse n'a point, à proprement parler, de ville capitale; le siège du gouvernement a changé selon le caprice ou la commodité des princes régnants. Rey, Ispahan, Casbin, Tauris, ont été à différentes époques les lieux de leur résidence. Aujourd'hui le roi de Perse habite Téhéran; ainsi cette ville est de nos jours la capitale du royaume. Téhéran peut avoir une lieue et demie de circonférence; elle est entourée d'un mur épais en briques, flanqué d'innombrables tours, et ceinte d'un large fossé. Il règne un glacis entre le fossé et le mur qui a six portes; ces portes sont marquetées en brique de couleur, et offrent des figures de tigres et autres animaux, en grossière mosaïque. L'intérieur de la ville présente un triste aspect à un Européen; il ne voit que des maisons construites en briques cuites au soleil, qu'on prendrait à leur couleur pâle pour de la boue; il marche dans des rues étroites et non pavées, que l'amas des boues rend impraticables dans les mauvais temps et son attention doit se borner à se garantir des nombreux chameaux qui y circulent.
Lorsque les femmes du roi sortent pour aller à la campagne, on indique cinq ou six heures d'avance la route qu'elles doivent suivre. Alors, malheur à quiconque resterait sur cette route, ou dans un endroit d'où il pourrait apercevoir les chameaux et les chevaux qui portent les femmes. Les chemins, les approches des chemins même, doivent être déserts. Lorsque l'heure du départ est arrivé, des troupes de cavaliers courent très-loin devant le cortège, criant: corouc, corouc, défense, défense; c'est à dire, que chacun se retire. Des eunuques, aussi à cheval, marchent entre ces cavaliers et les femmes; il frappent rudement d'un gros bâton qu'ils portent à la main, ceux qui ne se retirent pas assez promptement. Les femmes sont ordinairement à cheval; quelques-unes, la favorite par exemple, voyagent sans une espèce de litière, que les Persans nomment tatki-révan, trône ambulant et qui est porté par deux chameaux, un devant, l'autre derrière. Le corouc serait un genre d'incommodité très-pénible pour les sujets, s'il prenait souvent au roi la fantaisie de se faire accompagner de ses femmes; tout homme doit fuir dès qu'il atteint l'âge de sept ans.

                                                                                                                   A. Mazuy

Le Magasin universel, février 1837.

mercredi 11 février 2015

La crise Persane.

La crise Persane.

La crise qui vient d'éclater en Perse n'a surpris personne. Elle était inévitable et chacun la voyait venir, surtout depuis le départ clandestin de Mohamed-Ali pour sa villa de Baghshah.
L'entourage du jeune souverain donnait, à cet autre voyage à Varennes, différents prétextes: l'état de santé du shah, la proximité des chaleurs, etc., mais qui ne faisaient illusion à personne.
Il y avait du coup d'Etat dans l'air, et c'est à Baghshah qu'il allait se préparer.
Bientôt, en effet, comme on l'expliquait brièvement l'autre jour, le Medjiss (assemblée d'ailleurs stérile, bavarde, incapable de réformes sérieuses, absorbée par d'incessantes intrigues contre le souverain et ses ministres) se voyait sommé de rompre toute relation avec les Andjumans, sortes de cubs révolutionnaires formés un peu sur le modèle des terroristes arméniens ou russes, et violents comme eux, sommé aussi de livrer les chefs compromis dans le complot de Zill-és-Sultan, l'oncle du sultan, et pêcheur de couronne en eau trouble.
Et, comme les Andjumans ripostaient par une même mise en demeure, qu'ils concentraient des bandes armées autour du Baharistan, l'ordre partait presque immédiatement de Baghshah de disperser ces forces émeutières et d'en arrêter les chefs alors réunis dans la grande mosquée voisine. 


C'était la bataille, et une bataille qui se fit, ainsi qu'il arrive toujours dans les convulsions intérieures, dans les luttes civiles, âpres, furieuse, sans merci.
Les troupes cosaques dépêchées par le shah furent tout d'abord repoussées; mais on leur envoya des renforts, de l'artillerie, et bientôt, le Mouzzaffarich et l'Azebaïdjan, les deux principaux boulevards des Andjumans, étaient détruits, et les Andjumans eux-mêmes mis en déroute.
D'autre part, et ce qui donne à ces tristes événements un caractère politique des plus douteux, les députés étaient mis hors du Baharistan et le palais lui-même détruit à coup de canon. Bref, la lutte a tourné à l'avantage du shah, dont les conseillers ont eu la victoire terrible, voire implacable. Non seulement tous les chefs du mouvement, saisis par les troupes, ont été passés par les armes ou pendus, comme Malik-Moulik-Alamin et Manachir-Khan, ou plus horriblement suppliciés encore et soumis à l'affreuse torture du pal, mais la plus épouvantable répression a succédé à la bataille des rues. 


Pendant plusieurs jours Téhéran a été littéralement décimé. Par ordre du shah, les demeures désignées à l'avance furent froidement pillées, puis détruites, soit par l'artillerie, soit par la dynamite. De telles cruautés, de telles atteintes au droit des gens, ont été commises, que les représentants des puissances se virent obligés de rappeler les chefs militaires persans au respect de l'humanité et de la propriété privée. Les consulats ont dû donner asile à une foule de personnes, et, notamment, le consulat français, qui a recueilli le président même du Parlement, Momnaz-el-Dahouleh.
Le shah se défend, d'ailleurs, de vouloir attenter à la Constitution. Celle-ci fut, comme on le sait sans doute, donnée à la Perse par Mouzaffer-ed-Dine peu avant de mourir. Le vieux monarque, celui-là même que Paris se faisait un plaisir d'acclamer chaque fois qu'il lui rendait visite, avait compris, dans les dernières années de son règne, le besoin de liberté qui agitait la Perse, et il l'avait hâtivement dotée d'une Constitution, que son fils avait contresignée sous ses yeux, espérant ainsi voir succéder sans heurt une jeune monarchie constitutionnelle à la vieille monarchie de jadis.
Cette espérance, comme on le voit, ne devait pas se réaliser; toute précaution a été, par là, inutile.
On a fait, un moment, courir le bruit d'une intervention commune de l'Angleterre et de la Russie; mais celles-ci n'interviennent que pour demander à Mohamed-Ali de respecter les droits du peuple persan et lui donner des conseils de mansuétude.

Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 5 juillet 1908.

dimanche 19 octobre 2014

Les châtiments en Perse.

Les châtiments en Perse.

La justice est encore aujourd'hui, en Perse, à peu près ce qu'elle était il y a deux et trois cents ans. Dans les pays où règne l'arbitraire, le principe fondamental est de modifier le moins possible les traditions, de quelque nature qu'elles soient; améliorer y est synonyme de révolutionner.
Comme il n'est guère de progrès qui n'oblige à réfléchir, à travailler, ou même à courir quelque chance et à se dessaisir de quelque partie de la puissance absolue, il est infiniment plus commode au souverain d'en écarter jusqu'à la pensée. Il se trouve bien d'avoir seul en main la toute-puissance, d'être le maître incontesté, de disposer à son gré de toutes choses, de la fortune et de la vie de ceux qui lui sont soumis: la condition est bonne, il s'y tient; quoi de plus simple?
Ce système est surtout de l'application la plus facile du monde dans les pays démoralisés depuis longtemps par le despotisme, et où les citoyens, disons mieux les sujets, façonnés de père en fils à la servitude, non-seulement ne sentent plus le poids du joug, mais encore le trouve naturel et à beaucoup d'égards agréable: car n'ayant aucune liberté, ils n'ont aussi aucune responsabilité.
De même que le souverain n'a qu'à commander, ils n'ont qu'à obéir: voilà encore qui est extrêmement facile. Après tout, étant tous soumis à l'arbitraire, ils peuvent se considérer comme étant tous égaux. N'est-ce pas une satisfaction de se dire: "La colère du maître ou de ses agents peut tomber sur moi, mais sur vous tous aussi"? Ce péril, étant général, devient, comme la mort l'est pour tous les hommes, une nécessité à laquelle on s'accoutume et qu'on éloigne le plus qu'on peut de son esprit.
Donc, on juge vite en Perse: le souverain est le juge suprême; il a droit de vie ou de mort sur tous ses sujets; sauf quelque déférence qu'il doit à l'intervention du clergé, rien ne l'arrête dans l'exercice de cette magistrature vivante et, ainsi que disent certaines personnes, patriarcale.
Comme il ne saurait juger tout lui-même, il délègue en partie son autorité au scheik-oul-islam (l'ancien ou le chef de la foi), aux cazi (cadis), aux mufti, aux mollahs, etc. Ces juges se valent tous; ils interprètent librement la coutume ou le Coran. Les assassins sont quelque fois abandonnés aux parents de la victime, qui les torturent comme il leur plait. Les châtiments que prononce la justice sont très-variés: on torture, on mutile, on arrache les yeux, on décapite, on poignarde, on étrangle, on pend par les talons, on coupe en petits morceaux. Les peines les plus légères sont le fouet, la bastonnade et le careau, qui est de nos jours ce qu'il était au temps de Chardin.



C'est un triangle formés de trois morceaux de bois cloués l'un à l'autre.
"Le cou passe dedans sans pouvoir se tourner, dit Chardin. La pièce de derrière et celle du côté gauche sont de 18 pouces de longueur; celle du côté droit est longue presque du double, et l'on y attache le poignet au bout, dans un morceau de bois demi-rond et où il est pendu au croc, et parce qu'on a bientôt le bras las jusqu'à la douleur, on permet au prisonnier de se soutenir avec un bâton qu'il tient de la main gauche. Cette machine est grossière et sans art."

Le magasin pittoresque, 1865

mercredi 21 mai 2014

La vie mondaine.

La vie mondaine.


La première semaine d'août a été toute entière consacrée à des fêtes dont l'éclat passera en souvenir à l'égal de celles de l'année 1867. De l'avis général, les représentants de la nation française ont offert à leurs hôtes étrangers des galas dignes de ceux qu'imaginèrent les maîtres de cérémonie de la Cour des Tuileries et de la Ville de Paris. La fête de nuit à l'Exposition en l'honneur du Schah a été une féerie d'Orient réalisées par toutes les puissances industrielles de l'Occident. La représentation de gala de l'Opéra, offertes aux délégués des Universités des deux mondes, a été digne des plus splendides que Napoléon III fit organiser par le Ministère des Beaux-Arts et de sa maison impériale, lors des visites souveraines de Guillaume Ier, d'Alexandre II et de François-Joseph.
L'élite de la jeune génération venue des quatre coins d'Europe et d'Amérique a été traitée en puissance souveraine, et, rentrés chez eux, ces jeunes gens pourront se dire que, malgré les jalousies et les défiances politiques qui veillent à ses portes, ce pays-ci à une fière vitalité, un printemps de grâce, d'art et de cordialité auquel il fait bon venir se réchauffer entre deux tourmentes.


Avez-vous remarqué, en dehors de la parue habituelle des fêtes, mâts élevés, banderoles aux couleurs joyeuses, guirlandes de lumière et rayons électriques, la plus irrécusable preuve de l'air de fête que Paris arbore? Partout des visages rassérénés, une sincère joie de vivre épandue dans l'air, le pas ralenti et le coup d’œil bienveillant, un merci discret, muet, mais sensible, quand le Parisien croise sur le boulevard ou aux abords de l'Exposition l'étranger qui se promène et regarde. Il y a peu de mois encore, on ne rencontrait qu'yeux distraits, fronts plissés, démarches fébriles, partout et chez tous un air de souci et d'énervement. Un petit arrêt de la roue de fortune a changé à vue le décor et les acteurs, et aussi et surtout, Paris s'est senti touché profondément de voir l'invitation qu'il avait lancée à l'élite du monde, accueillie avec cet empressement chaleureux. Aussi, de haut en bas, du ministre au simple trottin, très parisien sous son modeste plumage de petit oiseau, toute la grande ville sourit à ses hôtes et ne demande qu'à faire encore des merveilles. Jamais peut être on a préparé tant d'avenir en fêtant le passé et fait plus d'art et d'élégance en commémorant les dates d'une histoire si grave.
De ces fêtes, c'est le Schah qui est le lion et le soleil.
La sympathique curiosité qui avait accueilli en 1873 et en 1878 le souverain aux trésors mystérieux, ne s'est pas refroidie à sa troisième visite parmi nous. Bien qu'il ne montre pas à toutes ses promenades la prodigieuse aigrette de diamants qui fut légendaire, Nasser-ed-Din a la foule, des acclamations très suffisamment chaleureuses, et une bonne presse. On ne se lasse pas de lire qu'il couche volontiers par terre sur un simple matelas, et qu'il adore les pêches à la vinaigrette. On se délecte, en pensée, du potage à l'agneau et au poulet dont ce nouveau Roi-Soleil mange quotidiennement un fort récipient. On est attentif à tous ses faits et gestes, et on discute avec application sur les raisons inconnues d'ailleurs, qui ont bien pu l'empêcher de se confier à l'ascenseur de la Tour Eiffel.
Ce qu'il y a de plus amusant, c'est que le Schah est travaillé de la même curiosité quant aux faits et dits des Parisiens, et ne s'endort pas avant de s'être fait lire par son ministre de la presse les comptes rendus que nos journaux font de ses promenades et de ses visites. Entre le puissant autocrate de Perse et cet autre souverain à mille têtes qui est Paris, c'est un touchant échange de curiosités tant soit peu enfantines.
Au reste, le personnage est intéressant et vaut de frapper ce Tout le Monde à l'intérêt vraiment inépuisable. Il est pétri de contrastes. En même temps que le moindre bibelot, la plus simple mécanique l'étonne comme un enfant, il lance comme une flèche, en son français un peu sauvage, telle réflexion ou tel souvenir qui témoigne de lectures, de réflexions qu'on n'attendait guère d'un souverain séparé du monde, pour ainsi dire, par une triple muraille d'or et de diamants. A chaque pas, il rencontre de l'histoire, un nom, un tableau, un monument, et ce n'est pas sans coquetterie qu'il dit son mot sur l'homme, sur la chose, sur l'époque. Sur tout ce qu'il voit, il fait parler, puis il conclut, et il y a parfois bien de l'expérience dans ses naïvetés exotiques. Sa visite au musée de Versailles est pleine de ces mots qui font penser à ceux de Pierre le Grand, cet autre primitif de race.
En face des portraits de Louis XIV, de Louis XV et de Mme de Pompadour, il s'écria:
"Ah! époque du pouvoir absolu et de l'empire des femmes!"
Deux autres tableaux l'ont retenu, celui qui représente Louis XVIII ouvrant le parlement et l'Appel des Condamnés.
Il a dit, à propos de Louis XVIII: "Oh! les Parlements, mauvaise, mauvaise affaire." Et, à propos de l'Appel des condamnés: "Triste époque, où les Sadi (et il montrait André Chénier) ne sont pas épargnés... Allons, partons." Et il sortit, l'air très impressionné. Il y a de quoi faire sourire, il y a de quoi aussi donner à penser dans ces mots tous unis. Le Persan de Montesquieu, qui avait tant d'esprit, et pour cause, n'avait pas plus de bon sens.
Nos ministres, qui ne manquent pas non plus d'esprit, ne tiennent pas rigueur au souverain persan de ne goûter que médiocrement les Parlements. Ils passent sans objection à "l'ombre de Dieu" ses accès de franchise, et le convient à des réceptions où les parlementaires ne font pas, malgré tout, tache sur le grand goût de l'arrangement et du décor. Les banquets chez le Président du Conseil, chez le Président de la République et au Ministère des Affaires Etrangères, étaient des modèles. Le Président de la République et Mme Carnot ont une fois de plus fait les honneurs de l'Elysée avec cette correction dans le luxe, qui est tout à fait digne de la première maison de France. Au quai d'Orsay, on s'est souvenu que Talleyrand n'était pas seulement un diplomate de grande allure, mais un gourmet émérite et un arrangeur de fêtes. M. Spuller, aidé du comte Lefebvre d'Ormesson, a été à la hauteur de toutes les traditions de l'ami de Grimod de la Reynière. Les invités de cette soirée n'oublieront jamais sous quelle jolie lumière rose, au milieu de quel doux éclat tamisé de flammes colorées et de pierreries ils ont vu évoluer les Mauri, les Invernezzi, les Ottolini, et entendu les roulades du Mysoli de Félicien David, accompagnées de la flûte de Taffanel, et applaudi la pantomime éloquente de Colombine-Invernezzi et de Pierrot-Cadet, détachant leurs gracieuses et comiques silhouettes sur l'argent d'une lune électrique.



La représentation de gala donnée par le Président de la République comptent parmi les plus belles fêtes qui aient été offertes à Sa Majesté Nasser-ed-Din. La salle offrait un coup d’œil unique. Les femmes, en toilettes somptueuses, étaient étincelantes de diamants. Mme Carnot, d'une élégance très remarquée, portait une splendide robe de brocart bleu pâle et or; sa coiffure, très artistique, était rehaussée de roses jaunes et de jasmins semés de diamants superbes. Le Schah, dont les merveilleuses pierres et les diamants légendaires excitent si fort la curiosité des Parisiennes, semble renoncer à en faire parade hors de ses Etats. A la soirée de l'Opéra, il portait une tunique bleue avec ceinture d'or agrafée par une énorme émeraude. Au cou, une mince chaîne d'or supportait un gros diamant taillé en cœur; sur son bonnet, où l'on cherchait vainement la fameuse aigrette, était le lion de Perse brodé de soie blanche, de perles et de diamants. Et c'est tout. Le Schah a appris que l'abondance des bijoux est considérée chez nous comme un étalage de mauvais goût, et il se garde bien d'exhiber ici les richesses du trésor  des rois de Perse, qui renferme de splendides pierres, dignes des rêves des Mille et une Nuits.

                                                                                                           Le Masque de Velours.

Revue Illustrée, juin 1889- décembre 1889.