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jeudi 7 septembre 2017

Le bas de laine.

Le bas de laine.


Le symbole de l'économie française nous est présenté par la tradition sous la forme du rude bas de laine tricoté aux champs, aux veillées, par la ménagère. Le ménage y empile peu à peu les pistoles. Ce n'est pas un pur symbole de littérature; c'est vraiment le mode d'épargne le plus commun dans la France rurale. Cacher l'argent, voilà la doctrine du paysan. La cachette seule varie: plaque du foyer, paillasse, cavité dans le mur entre deux moellons. Le paysan le plus avisé, celui qui place à intérêt une partie de son capital, réservera toujours un magot secret, à portée de sa main.




A l'heure même où, couché dans le lit familial, il jette les derniers hoquets de son agonie, sa tête repose sur un traversin truffé d'écus. Aussi, le premier soin des héritiers sera-t-il de fouiller ce traversin sitôt le vieillard passé...
Le paysan qui place son argent, au sens propre du mot, est exceptionnel. Dans notre Sud-Ouest, pourtant intelligent et cultivé, les prêts campagnards se font toujours de voisin à voisin, sur simple lettre constatant la dette et le taux des intérêts. Règle ordinaire, le prêteur obtient ainsi cinq du cent, pendant une année ou deux; la troisième année, il perd intérêt et principal. Le placement hypothécaire est celui du paysan éclairé ou bien conseillé; quant à l'achat de rente française, d'obligations de chemins de fer, il dénote déjà une culture supérieure du sens économique. Seuls s'y adonnent les gros propriétaires, les forts marchands de bétail ou de biens.
En revanche, on peut dire que ces deux mots: rente, chemins de fer, ont une influence magique sur la bourgeoisie de France. La prodigieuse montée de ces fonds, suivant de près la révolution bourgeoise de 1830 en est la cause. Dans les romans de Balzac, toutes les fois que l'écrivain a besoin d'expliquer une fortune rapide, il a recours aux inscriptions sur le Grand-Livre (Voir, entre autres, les Petits Bourgeois).
Bas de laine, lettres de change, obligations hypothécaires ou titres cotés en Bourse, tout cela s'alimente, en France, de la même façon: la rognure quotidienne sur le disponible du ménage. Et voilà ce qui est unique, ce qu'on ne trouve, du moins comme habitude nationale, en aucun autre pays du monde. L'impôt si lourd versé à l'Etat par le contribuable français n'est pas la moitié de la somme dont il s'impose lui-même, par son goût de l'épargne. Et cela s'accumule, s'accumule sans cesse. On a tenté des évaluations de la fortune de la France, des comparaisons avec la fortune des autres pays. Toute évaluation, toute comparaison est ici viciée. La France est le seul pays qui cache son épargne.
Mon opinion (je la donne seulement comme celle d'un passant attentif) est que notre pays est infiniment plus riche qu'on ne le croit et qu'il ne paraît. Preuves: les saignées formidables faites successivement à sa fortune sans appauvrissement apparent. Frais de la guerre de 1870, cinq milliards à l'Allemagne, phylloxéra (plus coûteux que la guerre allemande); krachs successifs, etc. Malgré cela, plus-value du rendement des impôts! C'est à croire que la fortune de la France est l'infini mathématique.
Ainsi l'économie française a valu, pour assurer la vie de ce pays, plus que toute sa gloire militaire. Il faut donc traiter respectueusement cette habitude nationale, même lorsqu'on la critique en quelque point. La critique, chacun la pressent: la façon d'économiser du Français est par trop inerte. C'est la non-dépense, sans plus. Cinq écus reçus; je vis avec deux et j'en épargne trois: voilà la formule. Elle est infaillible. Mais elle est d'une lenteur qui s'accorde de moins en moins avec les nécessités contemporaines. Une force nouvelle est intervenue dans les affaires du monde, et est devenue la plus puissante: l'industrie. Force nouvelle, car il n'y avait pas à proprement parler d'industrie au temps où n'étaient pas usitées les énergies industrielles modernes, vapeur, électricité. Aujourd'hui, l'industrie mène le monde. La politique des peuples, entre eux et chez eux est réglée par les nécessités de l'industrie. Or l'industrie veut des capitaux alertes, promptement mobilisés, promptement aventurés. Elle veut de la dépense productrice...
Le système de l'épargne française est l'ennemi de la dépense productrice. Il épargne pour épargner. C'est chose commune en province que d'avoir 3.000 francs de rente, d'en dépenser 1.500 l'an et d'accumuler le reste, sans objet, la vie durant. Immobilité et sécurité, voilà l'idéal proposé à l'économie française. Résultat: un invraisemblable dégoût de toute entreprise. La France est, je crois, le seul pays où un jeune homme, à dix sept ans, choisit une certaine carrière, parce qu'il a une retraite à soixante... La France est peut être aussi le seul pays où des bourgeois enseignent à leurs enfants l'art de raboter leur petit budget pour "s'acheter des obligations"!...
Quelque utile qu'il puisse être de prendre de bonne heure des habitudes d'ordre, l'enfant économe, acheteur de titres et toucheur de coupons, ne me séduit pas. Excitez chez lui si vous y tenez, le désir de faire fortune: à défaut d'un plus noble idéal, l'enrichissez-vous de Guizot peut suffire comme principe d'action; Que l'enfant dise:
- Je travaillerai et je gagnerai beaucoup d'argent!
Soit! les petits Anglo-Saxons le disent communément. Mais rêver, à douze ans, qu'on sera riche à cinquante par le jeu des intérêts composés, que voulez-vous!, je trouve cela un peu répugnant, outre que c'est la mort de toute activité. Quelle vaillance d'entreprise attendre d'un être qui, dès le collège s'est résolu à vivre chichement et à laisser travailler pour lui les fonds publics?
L'économie stérile et égoïste, il faut la déraciner de notre pays. Il faut apprendre aux petits Français, dès que leur esprit s'ouvre, que l'argent est fait tout au plus (en attendant un plus juste équilibre) pour aider le travail, non pour travailler tout seul. Et, du même coup, il faut diriger l'instinct d'épargne nationale en France sur la seule économie fructueuse et noble: l'économie altruiste, réciproque. Autant est odieux l'enfant thésauriseur qui se prive de chocolat pour conquérir du 3%, autant sont touchants et charmants ces petits ruraux que je vois, à l'école du village gascon que j'habite, apporter au maître le sou hebdomadaire de leur Société de secours mutuels. Il ne s'agit plus d'entraîner des écoliers au métier de capitaliste, il s'agit d'habituer des petits hommes à s'entr'aider. Grâce au sou hebdomadaire, chaque écolier malade recevra gratuitement les soins du médecin, les médicaments; mais l'écolier n'économise plus pour soi, il économise pour le groupe humain dont il fait partie. Le même syndicat d'efforts unis les adultes, jeunes gens et jeunes filles, puis les hommes et leurs ménagères. Pour celles-ci, quelle précieuse garantie de sécurité et de santé, la certitude d'avoir tout le temps nécessaire à leurs couches et à leurs relevailles, grâce à une prime quotidienne payée par l'association!... Vienne l'âge où le labeur devient impossible, une retraite subvient aux besoins du travailleur fatigué. Mais alors même il peut se rendre ce témoignage qu'en épargnant toute sa vie, il n'a jamais su si son épargne profiterait à lui ou aux autres....

                                                                                                      Marcel Prévost.
                                                                                                      de l'Académie française.

Les Annales politiques et littéraires, 30 novembre 1913.

mercredi 13 juillet 2016

Economies budgétaires.

Economies budgétaires.

Il est rare, au moment où les députés sont appelés à comparoir devant l'électeur, leur souverain maître, de ne pas voir se produire quelque beau projet d'allégeance des charges publiques.
En cette fin de session où le budget se présente en déficit, après les funérailles décentes faites au projet d'impôt sur le revenu et le vote d'une loi sur les associations qui ne fait pas rentrer dans les caisses de l'Etat le "milliard" attendu des congrégations, les député de la majorité se trouvaient en mauvaise posture devant leurs juges.
Que dire, que faire pour apaiser la mauvaise humeur de gens à qui on avait promis de franches lippées au compte du bourgeois et qui, au contraire, sentent qu'il va falloir payer son écot comme tout le monde, et un peu plus cher que l'an dernier? Mais nos hommes politiques ne sont jamais à court de bonnes paroles:
"Vous nous blâmez d'avoir trompé vos espérances, a dit l'un d'eux, attendez, ce n'est pas fini; je vous apporte un moyen sûr de réduire les dépenses, ce sera comme pour vos bourses éprouvées."
Et, pour la centième fois peut-être, nous avons vu reparaître le fameux projet de remaniements administratifs d'où résulteraient une fructueuse hécatombe de fonctionnaires. Il est avéré que l'Administration des affaires publiques nous coûte ridiculement cher et qu'il serait facile de remplacer ses vieux rouages par une mécanique moderne, plus simple, plus rapide et moins coûteuse. Chacun sait ça, mais voilà! L'Administration tient à ces vieux rouages; toutes les fois qu'on fait mine de vouloir y changer quelque chose, elle pousse les hauts cris.
Comment déterminer les fonctionnaires à dévoiler eux-mêmes les faiblesses de leur machine, faiblesses qu'ils connaissent mieux que personne, et à enseigner le remède? Mon Dieu! c'est bien simple, a dit notre député, faites ce qu'on fait dans les chemins de fer, donnez une prime aux chauffeurs sur le charbon qu'ils ne brûleront pas. Tout fonctionnaire qui, par son initiative, aura fait réaliser à l'Etat une économie, recevra pendant dix ans une prime de tant pour cent sur l'économie réalisée.
Voilà l'idée de M. Antide Boyer; certes, elle est ingénieuse dans sa franchise un peu brutale, américaine si l'on préfère. Sérieusement appliquée, elle pourrait donner les résultats attendus. En tous cas, si la Chambre adopte ce projet, la "Commission des Economies" trouvera à qui parler. Il n'y a pas un employé de l'Etat, chez nous, qui ne se fasse fort de remplacer à lui seul le personnel du bureau qui l'emploie, son chef compris, bien entendu.

L'Illustration, 27 juillet 1901.

mercredi 19 août 2015

Le carnet de Madame Elise.

A saisir de suite.


Les marchands, les fournisseurs qui sont constamment en rapport avec la clientèle féminine ont sur la valeur relative de leurs multiples clientes des opinions qu'il est intéressant ce connaître.
Un  employé de grand magasin de nouveautés, qui est en même temps un parfait psychologue, règle sa manière de présenter l'article et de faire mousser la marchandise sur l'extérieur de l'acheteuse. Ecoutez-le parler: Voici l'acheteuse sérieuse, affairée, liste en main, idée arrêtée. D'avance, elle a tracé, pour ne point perdre de temps, le plan de ses achats, elle ne s'égare à aucun comptoir et glisse, sans regarder, à droite, à gauche, les séductions les plus tentantes. Avec cette cliente, il n'y a point de bénéfice inespéré à réaliser, toutes les phrases ne pourraient la décider à prendre autre chose que ce pourquoi elle est venue. Elle fait son emplette et elle part, sans hésitation.
La bonne aubaine pour le vendeur est la simple visiteuse, la femme flâneuse qui entre là pour passer le temps, sans besoin précis, pour respirer l'odeur des chiffons, des dentelles, des fleurs, pour manier les rubans, soupeser les jupons de soie, examiner les coupons de dentelle, retourner, dénicher les occasions extraordinaires, les "bons marchés à saisir de suite", sans oublier les "fins de saison exceptionnelles."
Le voila bien, le miroir étincelant que déroule, pour nous attirer, le commis patient. Car ce miroir, c'est pour nous, les satins adroitement froissés, les tulles aux paillettes miroitantes, les écharpes de fourrure qui s'enlacent autour d'un mannequin vêtu de velours, les peignes, les fleurs, les aigrettes qui se piquent dans la chevelure onduleuse d'une tête de cire, les onguents, les eaux merveilleuses qui rendent souples les cheveux les plus rebelles, le corset qui emboîte admirablement un buste aux formes soigneusement modelée, etc. La promeneuse venue là pour s'exposer à la tentation, se laisse tenter, s'arrête et... succombe. Elle fait cependant quelques protestations timides pour se mettre en règle avec sa conscience, alors qu'il lui faudrait, au contraire, couler dans ses oreilles de la cire comme les compagnons d'Ulysse, pour ne point entendre la voix des sirènes représentées aujourd'hui par l'adroit vendeur.
- Oui, certes, ce coupon est très avantageux, mais je crains que le satin ne s'éraille.
- S'érailler! la trame est d'une résistance extraordinaire, madame!
- Cette dentelle me plait, mais je ne sais pas le métrage qu'il me faut.
- Qu'à cela ne tienne, prenez-là toujours, vous me rendrez le surplus.
- Vous pensez que ces plumes ne se défriseront pas à l'humidité, la couleur m'en semble passée?
- Passée, oh! non, madame, elle est toute fraîche, nous ne nous en dessaisissons à la moitié de sa valeur que parce que nous n'avons plus l'assortiment.
Petit à petit, à mesure qu'elle s'avance dans le magasin, l'acheteuse, venue pour voir, est prise dans l'engrenage. Elle achète et revient les mains garnies de paquets. Elle les déroule et, en les dépliant, ne leur trouve plus aucune des qualités qui l'avaient séduite dans le magasin; elle n'en voit même plus l'utilisation qui lui semblait immédiate, il y a une heure environ. Que d'argent gâché par ces dépenses imprévues qui détruisent l'équilibre du budget!
L'exemple, hélas! est fréquent de mères de famille, de maîtresses de maison qui se plaignent de la modicité de leurs ressources et gaspillent leur argent en des dépenses inconsidérées. Une femme vraiment raisonnable ne saurait agir ainsi; il est de toute justice qu'elle soit à l'affût du bon marché, pourvu que ce bon marché ne soit pas une occasion qui ne lui est pas indispensable. A l'avance, elle a étudié ses besoins de façon à ne point s'embarrasser d'objets d'une utilité contestable, et, supprimant ainsi des achats étourdis, elle arrive à réaliser de surprenantes économies.

                                                                                                                        Mme Elise.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 5 février 1905.