Translate

jeudi 6 novembre 2025

 Cent ans de modes enfantines.


Comment on a habillé les petites filles depuis un siècle.





Habiller l'enfant de façon qu'il conserve la liberté de ses mouvements, donner à la petite fille une toilette qui, en étant pour elle une parure, ne soit pas une gêne, c'est ce que commandent à la fois les principes de l'hygiène et ceux de l'esthétique. Mais, pour en arriver à comprendre cette vérité qui nous paraît aujourd'hui toute simple, il a fallu de longs tâtonnements; aussi serons-nous souvent étonnés et amusés en voyant quelles modes étranges on a fait porter aux fillettes depuis cent ans et comment on s'est, par toute sorte de créations souvent bizarres ou absurdes, ingénié à les enlaidir ou à les ridiculiser.


Comment habillerons-nous nos filles l'an prochain? se demandent les mères à chaque hiver, quitte à se demander, l'été venu: comment les habillera-ton l'hiver prochain?
Car il y a pour les petites filles une mode, et presque aussi capricieuse, aussi changeante qu'elle l'est pour leur mère.
Jadis il n'y avait pas de mode enfantine, pour cette excellente raison qu'il n'y avait pas d'enfants; du moins, on ne s'apercevez pas qu'il y en eût. Au XVIIIe siècle, où la vie de salon bat son plein, la petite fille est déjà une marquise en miniature, comme son frère est un petit maître en réduction; elle n'a pas six ans et déjà on lui fait porter des paniers*; sur sa tête on échafaude une coiffure de faux cheveux, on lui met de la poudre et du rouge. C'est le règne de l'artificiel. La future Mme de Genlis, alors âgée de cinq ans, ayant paru dans un opéra où elle portait un costume d'Amour couleur de rose, avec de petites bottines paille et argent, et des ailes bleues, on trouva que le costume lui seyait à ravir; aussi continua-t-telle de le porter dans la vie ordinaire.
Sous l'influence de Jean-Jacques Rousseau, on revint au goût de la nature et du naturel, on fait réparation à l'enfance et tout de suite on va à l'extérieur. Durant quelques années, tout fut "à l'enfant", jusqu'au costume des mères.
Désormais la mode enfantine va s'essayer, tâtonner, s'égarer, s'orienter, et son histoire à travers le XIXe siècle n'est que l'histoire du progrès qui l'ont amenée, par une série d'innovations trop souvent biscornues, mais heureuses, par le résultat final, à être ce qu'elle est aujourd'hui.

Jeunes spartiates et romaines de Paris.

Aux premières années du siècle, l'atmosphère est toute saturée d'héroïsme à la grecque et d'emphase à la romaine. Le goût de l'antique a transformé jusqu'aux noms de baptême. Une petite fille qui s'appelle Corinne ou Cornélie doit avoir un costume à l'avenant.



 Comment on habillait les petites filles sous le 1er Empire:
la Reine de Naples; entourée de ses enfants. Tableau de Gérard.

L'une des fillettes, celle de droite, est vêtue d'un fourreau à taille haute; les deux autres ont la manche courte, dite "jockey" que l'on porte encore de nos jours.



On la coiffe "à la Caracalla"*, c'est à dire les cheveux coupés courts et frisés. Elle porte le péplum, fait de mousseline des Indes, de cette mousseline si fine que le péplum de la maman pouvait passer tout entier par le trou d'une bague. Pas d'autre ornement qu'une grecque brodée en rouge. Toilette sommaire qui pour une femme est facilement indécente, qui pour une enfant n'est que gracieuse, laissant émerger le cou rond et les bras potelés.


La mode sous le premier Empire.

Robe traînante à la "Psyché"; "spencer" de velours,
"schall" des Indes, sandales à lanières.



L'Empire a le goût du faste et du luxe. La toilette des petites filles est alors copiée exactement sur celle de leurs mères. Même péplum de toile de Jouy à dessins réguliers, même toque avec plume tombant sur l'œil et sur la tempe, même petit spencer enserrant le buste, quelque chose comme nos très courts boléros d'aujourd'hui, même écharpe ou schall non moins authentique, pour être de petite taille, que les beaux schalls de l'impératrice Joséphine.


Modestie et pantalons. Diverses manières d'enlaidir les enfants.

Gloire, fêtes, plaisirs, la vie française avait été, quinze années durant une brillante fantasmagorie. Le décor change, les fanfares se taisent, les couleurs s'éteignent, la fièvre se calme, l'époque s'assagit. Ce n'est pas l'ancienne société qui renait, c'en est une autre qui entre en scène. Une bourgeoisie économe donne le ton.
Les saints ont repris possession du calendrier: on s'appelle Marie, à moins que ce ne soit Adèle ou Julie. Et l'on est une petite fille bien sage, on n'apprend pas beaucoup de choses, parce que ce n'en est pas la mode. Les devoirs finis, on s'installe sur sa chaise basse près de la fenêtre, on feuillette un album, on tire l'aiguille. Avant tout, une petite fille doit être réservée, modeste et songer à ce qui est convenable.


Costume de bébé sous la Restauration.

Ce béguin de velours est bien laid et bien malsain, conservant trop
de chaleur sur la tête. Nous élevons maintenant nos bébés nu-tête,
 à l'anglaise. L'hygiène et la grâce y trouvent leur avantage.



Il n'est convenable de montrer ni ses épaules, ni même son cou; c'est pourquoi ce cou disparaît dans une guimpe d'épais nansouk. Il n'est pas convenable surtout de montrer ses jambes; c'est pourquoi les jambes s'enferment dans un long pantalon qui dépasse la jupe, longe le mollet, descend jusqu'à la bottine. Disgracieux, encombrant et tirant l'œil, cet accessoire va désormais, pendant plus de quarante années, gâter la toilette des petites filles*.
Ce pantalon est un symbole! Une période commence où la toilette des petites filles aura été la plus mal comprise, aussi peu conforme à l'hygiène qu'à l'art,  mettant en déroute l'esthétique comme la pédagogie. 



Un divertissement sous la Restauration: la danse du schall.

Très à la mode sous le premier Empire, le schall, sorte de longue
écharpe, devint l'attribut d'une danse qui resta en vogue
sous la Restauration? Vêtues d'une robe de percale, ornée de petits plis,
les fillettes que représente cette gravure se livrent à une parodie
espiègle de cette danse mouvementée.




Et d'abord aux coiffures à l'antique, frisées ou bouclées, ont succédé les cheveux tirés et plats; la coiffure à la chinoise est le plus affreux spécimen de ce genre de mode. C'était pour une petite fille un vrai supplice, Georges Sand, enfant, en souffrit cruellement.
"On vous rebroussait les cheveux, dit-elle, en les peignant à contre-poil, jusqu'à ce qu'ils eussent pris une direction perpendiculaire, et alors on en tortillait le fouet juste au sommet du crâne, de manière à faire de la tête une boule allongée, surmontée d'une petite boule de cheveux. On ressemblait ainsi à une brioche ou à une gourde de pèlerin. Il fallait huit jours d'atroces douleurs et d'insomnies avant que les cheveux eussent pris le pli forcé, et on les serrait si bien avec un cordon pour les y contraindre qu'on avait le peau du front tirée et le coin des yeux relevé comme les figures d'éventails chinois."
Aussi déplorable est le goût qui préside au choix des étoffes. Les fines mousselines des Indes, les artistiques linons de Jouy sont abandonnés; les étoffes sont lourdes et raides; les robes d'été sont de percale, ornées de petits plis qui prennent l'empois et en font quelque chose de raide et de très disgracieux.
Qui ne se souvient d'avoir ri et de ces réflexions imprévu que Gavarni prêtes aux "enfants terribles" dont il a immortalisé la silhouette et les mots drôles*?
"Ma tante Amélie dit que t'es bien gentil mais que c'est dommage que tu es trop bête."
Et tant d'autres traits du même genre!


Les modes enfantines en 1830.
D'après une lithographie de Gavarni.

Une robe courte, un pantalon trop long, un bonnet noir.
Qu'il fallait être jolie pour l'être encore sous un tel accoutrement!



La petite fille de Gavarni est, comme ses contemporains de 1830, vêtue d'une robe de mérinos au corsage plat, au manches à gigot disgracieuses et engonçantes; son minois malicieux émerge d'une ruche de tulle noir qui borde un bonnet de taffetas.
Peu à peu, on se relâche d'une parcimonie excessive; comme leurs mamans, les jeunes filles doivent avoir l'aspect cossu; Elles ont des jupes d'ampleur modérée faites d'une étoffe bouffante, orléans* ou popeline, taffetas ou satin à la reine. Le pantalon, un peu moins long que sous la Restauration, est en fine broderie anglaise, et des broderies d'une merveilleuse finesse ornent la guimpe suisse mise en dedans du corsage à berthe*, ou le canezou* qui couvre le corsage plat. Un scrupule de pudeur, que nous pouvons bien traiter d'exagéré, porte les femmes à cacher leur oreille sous les cheveux, et dès l'enfance la fillette porte des boucles courtes ramenées sur les tempes, en attendant que, jeune fille, et dès l'âge de quinze ans, elle lisse ses cheveux en bandeaux plats, harmonieux complément du corsage à la vierge.

Le règne de la crinoline. Poupée et chiens savants.

Soudain, le goût de la parue fait une nouvelle et soudaine irruption. C'est à l'époque du second Empire que l'enfant prend chez nous dans la vie sociale une importance inouïe et d'ailleurs absurde; la petite fille devient une petite personne qui a ses opinions et se mêle à la conversation; elle sera dans quelques années mademoiselle Benoiton*, toujours hors de chez elle comme sa mère, changeant de toilette plusieurs fois par jour, raffolant de ce qui brille, passionnée pour le clinquant. Les soies qui froufroutent, les glands, les effilés qui remuent, les grelots qui tintent, les talons qui toquent, tous ces accessoires dénotent le même goût de la fanfreluche. Et voici venir le règne de la crinoline. La disgracieuse crinoline fait fureur parmi ces petites folles. Que de supplications, que de larme pour obtenir de la maman cette suprême élégance! Songez que sans cela il n'est espoir de jeux, ni de parties amusantes: les enfants des Tuileries vous montrent au doigt et "ne veulent pas jouer avec vous."


Le règne de la crinoline: costumes de fillettes sous le second Empire.

Rien de plus lourd et de plus gênant que le costume des fillettes
sous le second Empire: les volumineuses crinolines, les longues
pèlerines, leur donnaient l'aspect d'un entonnoir renversé et
formaient un ensemble des plus disgracieux.



Les mamans hésitaient, et cela se comprend; il ne s'agissait de rien moins que d'un système d'éducation: n'admettre que le jupon empesé pour faire bouffer la jupe de sa fille, c'était tenir à l'ancienne éducation modeste, sérieuse. Mettre à sa fille une petite crinoline, c'était approuver les nouveautés; c'était tout un programme: c'était de la politique!
Les années passent, la crinoline diminue de volume; mais la mode du pouf commence*; on va mettre aux petites filles de petites tournures postiches en crin... Horreur!

Education à l'anglaise. Fantaisie amusante. Art et hygiène.

Il était temps qu'il se fit encore une fois un "retour à la nature". Il se produisit sous forme de l'introduction de l'hygiène anglaise, qui date des environs de 1875.
Les sports s'installent dans nos récréations, et le jersey de laine collant et souple facilitera les coups de maillet ou les coups de raquette; la jupe plissée très courte ne couvre même pas le genou, l'enfant n'a pas de taille marquée, car le jersey descend jusqu'au-dessous des hanches, où une grosse ceinture de ruban forme par derrière un nœud monstre.
Un immense chapeau placé très en arrière de la tête, comme une grande auréole, le chapeau Rabagas*, complète cette amusante silhouette, laissant les cheveux frisés "à la chien" cacher presque complètement le front, couvrir le dos, revenir sur les épaules, bouclés, bouffants, fous.
C'est encore d'Angleterre que nous vint, il y a vingt ans, une mode nouvelle, fantaisie amusante créée par une femme qui fut une artiste de grand talent: Kate Greenaway*. Qui de nous n'a dans le souvenir la silhouette cocasse d'une petite bonne femme qui trébuche dans les plis d'une longue blouse tombant toute droite et froncée du cou jusqu'à terre; les formes de la fillette y disparaissent complètement; on voit seulement son bras émerger d'une manche très courte et bouffante. Le petit visage est au fond, tout au fond d'une capuche immense, toute froncée, ruchée, cabossée. Habillée en Greenaway, la petite fille était drôle et amusante, à la façon d'une caricature qui ne serait point laide.
Après tant d'erreurs, de fautes de goût et d'absurdités, il semble que nous ayons trouvé enfin la juste mesure et la méthode rationnelle. On peut dire qu'aujourd'hui nous avons profité de tous les tâtonnements du siècle et repris ce qu'il y avait de meilleur dans les modes qui s'y sont succédé.
L'habitude des sorties quotidiennes pour aller aux cours a introduit dans la toilette le principe du costume tailleur, si en faveur pour les mamans et qu'elles appliquent aussi bien à l'habillement de leurs filles.
Donc, nous la croisons par les rues, notre petite contemporaine, sa serviette sous le bras ou son porte-musique à la main; sa grande toque de genre vaguement écossais est crânement placée en arrière, ou les larges bords d'un feutre sombre auréolent son front; sa robe est plate, ornée de straps piqués ou à large plis aplatis; la nuance est rouge fruit, bleu soldat, brun noisette ou à grands carreaux d'un écossais fondu, bien différent des carreaux de tons criards qui furent à la mode en 1840. Son vêtement est ou la veste courte, inspirée de la "vareuse de sport", ou la longue redingote aux lignes nettes complétée souvent de collet double ou triple à la crispin.
Ainsi vêtue, la petite Parisienne de 1902 va vers l'avenir confortablement équipée, confiante et gaie.


Une petite parisienne de 1901.
Portrait de Mlle B., par Aimé Morot.

Conforme aux lois de l'hygiène, la toilette de nos petites
contemporaines est en même temps élégante et simple.
De forme ample et d'étoffe souple, elle laisse à l'enfant la complète
liberté de ses mouvements. Le bras, le cou, la jambe, sont nus,
dans tout leur grâce enfantine.



Nous sommes donc arrivés à comprendre qu'il doit y avoir pour les petites filles une mode qui ne soit pas une réduction de la mode telle qu'elle est pour les femmes, une mode enfantine ayant ses lois propres commandées par l'hygiène de l'enfant et les conditions spéciales de sa vie. C'est ce qu'il ne faudra plus oublier. 


Comment on habille aujourd'hui les petites filles.
Gravures extraites de la Mode pratique (Hachette et Cie, éditeurs.)

 Ces quatre jolies toilettes sont appropriées à des circonstances
 différentes. La première est celle de beaucoup d'enfants habitués
 à garder, même en hiver, les jambes et les bras nus.
Ensuite, deux toilettes d'intérieur: l'une simple, l'autre très élégante,
 en broderie anglaise alternée de plis en nansouk et complétée par
 une ceinture de rubans. Enfin, l'ample redingote de drap que la
fillette revêt pour sortir.



Avant tout, songeons à la santé, au développement naturel et normal de l'enfant. Il sera temps ensuite de parler d'élégance, de grâce et d'agrément dans sa toilette. Car, c'est une remarque curieuse à faire, ce qui est meilleur pour la santé de l'enfant est aussi ce qui l'habille le mieux.

Lectures pour tous, Hachette et Cie, Paris, 1908.



* Nota de Célestin Mira:

*Paniers:


Robe à paniers pour petite fille.

La forme de la robe était donnée par deux paniers
en osiers fixés sur les hanches
.


* Coiffure à la Caracalla:


La mère et la fille sont coiffée "à la Caracalla".
Cette coiffure est inspirée de celle de l'empereur romain Caracalla,
les cheveux sont courts et bouclés. Ils furent à la mode en 1794,
de la chute de Robespierre au début du Directoire en 1810.


* Vêtements pour enfants autour des années 1830:










* Gavarni, les enfants terribles:




* L'orléans est une antonomase, c'est à dire que son nom propre est devenu nom commun dans le cas d'un tissu fait de laine et de coton ou de soie. Il est fait mention du tissu d'orléans dans le livre "Destins d'étoffes" paru aux Presses Universitaires du Midi dans le chapitre consacré aux vêtements liturgiques provenant de la sépulture de Robert de Courtenay, évêque d'Orléans de 1258 à 1279. Ces restes de tissus sont conservés dans le "Trésor de la Cathédrale d'Orléans" avec différents objets retrouvés lors des fouilles des sépultures de la cathédrale.


* Berthe:


Berthes de robe.


* Canezou:


Robe et canezou.


*La famille Benoiton: 



La famille Benoiton est une pièce de théâtre écrite par
Victorien Sardou en 1865 mettant en scène une famille
 de nouveaux riches bourgeois.


* Le pouf:


En vogue dans les années 1870-1880, le pouf, dans la lignée des
vertugadins, des paniers et des crinolines, était essentiellement
destiné à augmenter le volume du postérieur des dames.
On l'appelait robe à tournure dans la bonne société, mais
dans le langage populaire, il était appelé "faux-cul" en France
et "cul de Paris" en dehors. 


* Chapeau rabagas: Il est difficile de trouver une représentation de ce que fut le chapeau rabagas, mais il marqua les esprits, témoin les deux premières strophes du poème "Bas de soie" de Théodore Hannon publié en 1887:

                 Bas de soie


Il est des vitrines joyeuses
Comme les magots de là-bas :
Ce sont celles où les hauts bas
Sonnent leurs fanfares soyeuses.

Voyez-les, aux lueurs du gaz,
Développer leurs enfilades,
Provocants comme des œillades,
Fous comme un chapeau Rabagas.



* Kate Greenaway:


Kate Greenaway est une illustratrice, peintre
et influenceuse de mode.




La cueillette des mûres par Kate Greenaway.





L'Hiver par Kate Greenaway.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire