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dimanche 12 novembre 2017

Boutiques et tavernes à Pompéi.

Boutiques et tavernes à Pompéi.


Les Romains, comme on sait, ont brillé surtout dans l'architecture, mais ce ne fut qu'assez tard. Au début le type de l'habitation romaine était tout simplement la baraque en planches, ou taberna.
Lorsque, plus tard, Rome posséda de véritables édifices, le nom n'en demeura pas moins en usage; seulement il désignait les boutiques, en général une simple échoppe en saillie sur la sur la façade d'une maison, à laquelle elle était appuyée, ou installée sous les colonnades des marchés.
Longtemps, les Romains professèrent pour le commerce et pour ceux qui s'y livraient le mépris le plus entier: ce n'était pas étonnant, ils n'avaient pas de besoins, mais à mesure qu'ils étendirent leurs conquêtes, s'assimilant principalement les vices des peuples conquis, comme c'est l'usage des conquérants, leurs besoins se multiplièrent, et pour les satisfaire, ils comprirent que la conquête ne suffisait pas, parce qu'elle a des limites; tandis que le commerce se renouvelle sans cesse et sans fin. Ils devinrent alors commerçants jusqu'au fanatisme, si je puis dire, tirant profit de tout, affrontant les plus grands périls dans un but commercial comme de simples modernes; et à l'intérieur, encourageant le commerce de détail, auxiliaire indispensable du commerce extérieur.
C'est alors que l'on vit s'élever de vrais palais dont le rez-de-chaussée était pris tout entier par des rangées de boutiques (tabernæ, toujours) louées séparément à des débitants de toute sorte de marchandises, et pas toujours des plus propres: on professait à Rome, bien avant Vespasien, que l'argent ne sentait pas mauvais.
Souvent, au commencement surtout, le marchand habitait ailleurs et n'occupait sa boutique que dans la journée, aux heures de la vente; il n'y avait, par conséquent, aucune communication entre celle-ci et le reste de la maison; mais on en a découvert, à Pompéi, qui présentent des dispositions toutes différentes. Comme ces boutiques sont à peu près toutes établies sur le même modèle, fort élémentaire, la description en sera bientôt faite.
Entre les deux murs de séparation, une baie plus ou moins large, fermée, la nuit, par d'épais et solide volets de bois glissant dans une rainure creusée dans le sol, et fixés au moyen d'une serrure ou d'une chaîne. La boutique, ouverte, présente sur sa devanture un mur à une hauteur d'appui, en occupant environ les deux tiers, le reste étant réservé pour le passage; ce mur, diversement orné et couvert, c'est l'étal ou le comptoir. Souvent, c'est là tout; mais comme nous l'avons dit, il n'est pas rare de rencontrer de ces boutiques, à Pompéi, auxquelles sont annexées des arrière-boutiques; de l'arrière boutique part généralement un escalier conduisant à une espèce d'entresol qui, sans doute, servait de logement au marchand.
Devant la boutique règne un étroit trottoir, dont la bordure de lave est percée d'un trou oblique, dans lequel le client passait, à l'occasion, la bride de son cheval ou le licol de son mulet ou de son âne. Enfin, sur les piliers qui séparent les boutiques sont peints ou gravés les attributs du commerce qui s'y faisait, outre des inscriptions variées, annonces, maximes, plaisanteries, caricatures, etc.
Mais les boutiquiers de Pompéi, surpris par une catastrophe épouvantable, ont laissé, pour notre instruction, des documents autrement éloquents, soit les ustensiles en usage dans leur commerce, les instruments de leur profession; de sorte qu'il est facile de reconstituer non seulement la boutique, maintenant abandonnée, mais encore les scènes caractéristiques qui s'y déroulaient habituellement.
C'est aux outils qu'on y a retrouvés qu'on a reconnu, et très aisément, les boutiques du cordonnier, du corroyeur, du foulon, du forgeron. Comment ne pas deviner la boutique du barbier quand, parmi d'autres indices, à la rigueur contestables, on y rencontre un rasoir, des ciseaux, et jusqu'à une pince à épiler? La boutique du marchand de couleurs n'est pas moins facile à reconnaître, car, comme dans celle du teinturier, de l'apothicaire, du parfumeur, il y est resté des substances sur la nature desquelles on ne peut se tromper. Voici des planches mobiles et des crochets de fer qui ont évidemment servi à l'étalage d'un marchand de comestibles. Voilà, à n'en pas douter, la boutique d'un boucher. Remarquez que, d'ailleurs, nous avons pour nous guider, en cas de doutes, les enseignes, réduites souvent à un simple signe, mais dont la signification est claire.
On a découvert dans la ville ensevelie un assez grand nombre de boulangeries, avec leurs moulins, leurs pétrins, divers ustensiles et surtout leurs fours. Dans une de ces boulangeries, la plus importante de toutes, on a trouvé même quatre-vingt pains dans le four: ils étaient carbonisés, le boulanger n'ayant pas eu le temps de défourner, mais c'étaient bien de beaux et bons pains, après tout.
Les auberges non plus ne manquaient pas à Pompéi. Il y en avait de toutes les catégories, mais le plus grand nombre étaient évidemment destinées à servir de halte aux gens de la campagne qui apportaient leurs denrées au forum ou au macellum. Elles avaient quelque chose, quant à la devanture au moins, de la boutique du marchand de comestibles (macellarius), l'arrière-boutique servait de salle pour les clients, et on buvait sur le comptoir comme aujourd'hui chez le troquet du coin et comme alors à l'œnopoles ou taberna vinaria proprement dite; sur le trottoir, appuyée au pilier, il y avait aussi une grande auge de pierre pleine d'eau, afin que les bêtes pussent s'abreuver comme les gens; et à côté, pour quelques unes  au moins, une pierre pour permettre aux cavaliers d'enfourcher leur monture, car il n'y avait pas d'étriers dans ce temps-là, et tous n'étaient pas équipés pour monter à cheval à la voltige. 




C'est une auberge de ce genre que représente notre gravure, une auberge où l'on sert l'hydromel et le vin sur le comptoir, et l'eau dans l'abreuvoir à maître Aliboron, mais où l'on fait aussi, à ce qui semble, le commerce des comestibles non préparés. Il y en avait d'autres, beaucoup plus importantes, occupant plusieurs boutiques; il y en avait de construites exprès et ayant des boutiques au rez-de-chaussée que le propriétaire louait à de petits commerçants, tandis qu'il jouissait quant à lui, de vastes logements divisés en chambre pour les voyageurs, avec cour intérieur, grandes salles de réfection, salles à boire, cuisines, caves immenses, écuries et remises: une grande hôtellerie de province au bon temps des diligences et des routiers n'est pas disposée d'une manière essentiellement différente.
Il y avait enfin de véritables cabarets ou tavernes, différant encore moins des nôtres, si ce n'est par les boissons offertes aux clients. On a trouvé dans un de ces cabarets jusqu'à une tirelire! Je gagerais que le pourboire est antérieur à l'ère chrétienne!...
A propos de cabarets ou de tabernæ, Rich nous rapporte une coutume des Romains qui est assez curieuse. Il paraît que les propriétaires dont les vignobles s'étendaient jusqu'au bord de la route avaient l'habitude d'y élever des bâtiments de ce genre, où ils faisaient débiter aux passants les produits de leur domaine. Et il ajoute: "On voit à Florence, à côté de la principale entrée de plusieurs des grands palais, une petite fenêtre par laquelle l'intendant vend au détail le produit des vignobles de son maître."
Voilà des gens bien arriérés. A Paris, on s'occupe bien des vignobles, vraiment! Et si vous croyez que cela empêche de boire du vin...

                                                                                                                          A. B.

Journal des Voyages, dimanche 30 janvier 1887.


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