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mardi 24 janvier 2017

Dans le Soudan.

Dans le Soudan.

Les merveilles de la cour de Samory, les grandes réceptions de l'almany n'ont pas ébloui le capitaine Péroz, l'explorateur du Soudan, au centre de l'Afrique, au point de lui cacher sur quelles bases d'argile celui que l'on appelle quelquefois le faux prophète a bâti son édifice. C'est par la terreur que règne ce conquérant, c'est par la guerre qu'il a fondé et qu'il soutient son empire, et aujourd'hui le sort des armes lui est contraire.
Samory est un terrible justicier; chaque nuit, les abords de son palais retentissent des gémissements de ses victimes, et, pour donner une idée de sa cruauté, il faut reprendre une page des souvenirs du capitaine Péroz:
"Sur ces vingt femmes, trois des épouses de l'almany ont su captiver sa faveur au point d'habiter le palais même. Une d'elles, Mori-Niama, avait eu de l'émir deux mignonnes fillettes, l'une de treize ans, l'autre de quatorze, rouges de peau, de formes sculpturales, aux grands yeux voilés et au sourire un peu triste et résigné qu'ont dans ce pays toutes les femmes.
Ces deux charmantes créatures coquetaient ingénument avec deux pages de leur père; quelques paroles tendres, quelques serrements de mains furtifs, tel était leur crime. mais les pages n'étaient pas de la race des hommes libres.
On fait comparaître les quatre enfants devant l'almany:
La faute fut vite avouée, et, séance tenante, sur un geste de Samory, on apporte un billot. Devant les pauvres mignonnes, se tordant de frayeur, le bourreau désarticula les mains des pages qui avaient pressé celles des filles du souverain et les suspendit toutes sanglantes à la porte du palais. Puis Fatima et Aïssa, c'étaient les noms des pauvrettes, mises absolument nues, les mains attachées derrière le dos, furent exposées au pilori du marché.
Le lendemain matin, le sabre avait fait expier à jamais aux deux pages leur bien légère faute; leurs têtes étaient jetées devant le pilori où les deux filles de l'émir haletaient de honte et de soif.
Le soir à cinq heures, les brutes fanatiques qui gardaient Samory détachaient les deux malheureuses enfants et les jetaient encore vivantes dans un cloaque, puis ils les ensevelissaient sous un amoncellement de cailloux ferrugineux couleur de sang recueillis dans le terrain voisin.
Toute la nuit on entendit les plaintes étouffées des petites martyres.
Le lendemain, tout s'était su; ignorant ce drame horrible et passant auprès de cette ignoble sépulture, nous vîmes, pris entre deux pierres énormes, un petit poing crispé et sanglant cerclé d'un bracelet d'or."
Pauvres petites Fatima et Aïssa! votre terrible destinée fera couler bien des larmes. Le capitaine Péroz a bien fait de nous raconter cet horrible drame. Nous savons ce que vaut ce grand conquérant, votre père et votre bourreau, qui a nom Samory.

Le petit Moniteur illustré, 1er septembre 1889.

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