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mardi 8 novembre 2016

Les indiscrétions du chapeau.

Les indiscrétions du chapeau.

On cherche maintenant à connaître son prochain plus que soi-même. Ce n'est pas conforme au précepte évangélique, je me hâte de vous le dire, mais du moins peut-on trouver une excuse à ces écart.
Autrefois, au bon vieux temps, comme on le dit avec quelque justice, on vivait surtout avec soi-même, car on ne sortait guère de la famille. Se connaître était donc nécessaire tant pour soi-même que pour les êtres fusionnés par la chaleur du foyer, qui étaient vous comme vous étiez eux.
Aujourd'hui, on vit partout, hormis chez soi; l'étranger est devenu l'élément ordinaire, presque indispensable, de la vie actuelle. On désire être renseigné le plus possible sur son compte, et l'on s'adresse un peu partout.
Et, naturellement, il y a des agences de renseignements assez fantaisistes. En voici une que je cueille dans une revue américaine: la gibusologie, ou art de reconnaître le caractère au gibus.
Ce n'est pas la forme du chapeau qui est ici indicatrice, je n'ai pas besoin de le dire, mais la façon dont on le met.
Ainsi, d'après les "gibusologues", un Monsieur qui met son chapeau très en avant, bien sur le nez, révèle, par ce simple détail, un esprit assez mesquin. Il est arrivé un peu tard à la distribution de l'intelligence. Espérons qu'il se rattrape par d'autres qualités, que l'on trouvera peut-être moyen de connaître plus tard à l'aide de sa redingote ou de son gilet. Il ne faut jamais désespérer du progrès.
Le Monsieur qui, au contraire,  a toujours son chapeau en arrière accuse une grande puissance de conception cérébrale. C'est un organisateur d'idées ou de faits, un penseur spéculatif ou calculateur, mais studieux et réfléchi. Il paraît que c'est l'absence des "bosses animales" qui fait glisser ainsi le chapeau sur la nuque.
Maintenant vous avez encore le chapeau sur l'oreille dit "en casseur d'assiettes". Le Monsieur qui met ainsi son couvre-chef est très-susceptible, dit la "gibusologie".
Ceux qui d'instinct, choisissent toujours un chapeau trop grand, qui tombe sur les oreilles, où se rencontre heureusement un cran d'arrêt, sont des philosophes ou des savants. Les chapeaux trop petits dénonceraient les vaniteux.

                                                                                                                  Michel Saint-Yves.

Les Veillées des Chaumières, 30 novembre 1901.

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