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samedi 7 septembre 2013

Les secrets de Paris.

L'hôtel de Jenny l'ouvrière.

On ne saurait trop s'intéresser aux petites ouvrières. C'est la gracieuse et pittoresque animation de nos grandes villes. Elles sont jolies, pour la plupart, et savent d'un rien, d'un bout de ruban coquettement posé sur leurs cheveux, comme d'un simple bouquet de violettes à leur corsage, se rendre plus jolies encore. Elles sont gaies et bonnes, ayant toujours la chanson aux lèvres et s'attendrissent volontiers.
Elles sont courageuses. Leur tâche est souvent ingrate, fatiguante et mal payée.
Leur sort est particulièrement digne d'intérêt, surtout quand elles vivent seules, et c'est le plus grand nombre.
Chaque jour, on en voit arriver de leur province, pour chercher du travail dans la capitale.
D'autres qui y habitaient déjà, en famille, se trouvent tout à coup, à la suite de quelque deuil, dans le plus complet isolement.
Des dangers nombreux les guettent. Partout la curiosité, l'oisiveté, l'hypocrisie et le vice tendent des pièges à leur naïveté.

Un bon conseil qu'il faut suivre.

Longtemps l'insalubre et triste mansarde trop coûteuse pour leur bourse, où elles se réfugiaient une fois leur besogne accomplie, contribua à les dégoûter vite de la vie monotone qu'elles menaient.
Il n'en est plus de même aujourd'hui, à Paris tout au moins, et l'exemple sera suivi dans les autres villes.
Si elles savent s'y prendre et écouter de sages conseils, elles pourront se faire, à très bon marché, une existence confortable en un milieu honnête et gai, où elles ne se trouvent plus isolées.
Ce n'était pas tout, en effet, de mettre en romance Jenny et Mimi Pinson. Mieux valait encore s'occuper d'elles pratiquement et chercher à leur rendre la vie plus douce.
C'est dans ce but qu'a été crée tout récemment, à Paris, un hôtel meublé des mieux compris, où les ouvrières vivant seules, jeunes filles ou veuves, peuvent habiter dans des conditions satisfaisantes d'hygiène, de protection et aussi de bon marché.




Plusieurs legs charitables ont permis cette oeuvre utile. La France n'a fait là, d'ailleurs, que suivre l'exemple de l'Allemagne et de l'Angleterre.

La revanche de Montmartre.

Ne médisons pas de Montmartre. Si sa butte légendaire est devenue synonyme de bohème et de tapageuse gaîté, c'est elle aussi qui aujourd'hui donne asile, sérieux et calme, à Melles les ouvrières.
A la rencontre des rues Carpeaux et des Grandes Carrières, voici, sur un vaste emplacement de plus de 500 mètres, une magnifique maison des cinq étages.
Une plaque de marbre porte ces mots, en lettres étincellantes:
                  Hôtel pour jeunes filles et dames seules.
Cet hôtel est spacieux et gai. Le soleil y entre à pleines fenêtres de tous côtés.
De grandes baies cintrées donnent aux façades l'apparence d'un édifice réservé à quelque grosse industrie. La porte en effet reste toujours fermée, mais un sonnerie la rend hospitalière.
C'est la maison du Bon accueil. Montons vite faire un tour de cette maison;

La chambrette de Mimi Pinson.

Au premier et au deuxième, dix jolies chambres, les plus spacieuses. Elles ont chacune une fenêtre et une cheminée. Comme meubles, un lit, une armoire et une toilette.
Une douce chaleur règne dans l'escalier et les couloirs chauffés de calorifères.



Aux autres étages, cinquante chambres un peu plus petites, mais pareillement disposées et toutes situées de façon à avoir un rayon de soleil.
Elles font envies, vraiment, ces jolies pièces claires et proprettes. Rien n'y traine. Tout y est rangé avec ordre. Sur la cheminée, quelques bibelots charmants comme savent en confectionner les jeunes femmes. Sur la table, un livre. Près de la toilette, une rose épanouie dans un verre. Sous les rideaux blancs du petit lit, il doit faire bon y réver !

Le comble du bon marché.

Combien ces chambres ?
Soixante centimes par jour seulement !
A la bonne heure, voilà un prix raisonnable.
Mais ce n'est pas tout. Il y a au rez de chaussée une salle de réunion et de lecture avec une bibliothèque de volumes très bien choisis. C'est là que les jeunes filles peuvent recevoir leurs visites, absolument interdites ailleurs.



A côté, une jolie salle à manger attenante à un fourneau restaurant qui délivre à prix modiques des plats simples, mais copieux et bien faits. Une portion de viande vaut 20 centimes, un légume, un potage ou un dessert, 10 centimes.
Pour 60 à 70 centimes, on déjeune excellement. Ce n'est pas cher.



Descendons encore: dans le sous-sol, il y a une salle de bains et de douches au prix de 20 et de 30 centimes. Décidemment, rien ne manque dans cette heureuse maison.

Une famille pour les isolés.

Tout un gentil petit monde se retrouve le soir et le dimanche, une fois la besogne terminée.
Mme la Directrice se fait un peu la maman de ces jeunes femmes et, si elle veille à ce qu'elles aient tout ce qu'il leur faut, elle tient aussi à ce qu'on vive comme dans une grande famille, et une famille s'entendant bien.
Chez la plupart des jeunes filles et des femmes ainsi réunies, l'état d'âme est généralement le même, en arrivant: rêves tristes, déconvenues, dures épreuves d'un trop long chomage.
Mais au contact de compagnes vite devenues amies, à cette vie simple mais saine et confortable, l'isolement ne se fait plus sentir et l'espoir ranime les défaillantes.
Le problème si troublant du budget de l'ouvrière, toujours en déficit quand elle est seule dans le grand Paris, se trouve résolu. Avec 2 francs par jour, elle a ainsi largement ce qu'il lui faut.
Une fois le souci matériel chassé de son esprit, sentant autour d'elle un peu d'affection, elle prend courage, reste honnête, et la vie coule meilleure pour elle.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 février 1903.

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