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mercredi 20 septembre 2023

Les femmes médecins.


Doctoresse! Voilà une carrière nouvelle qui excite beaucoup l'intérêt et la curiosité. Comment devient-on doctoresse? Quel avenir réserve aux femmes qui s'y consacrent ce métier de labeur et de dévouement? Il est bon de le faire savoir à nos lectrices.




Il y a à peine quarante ans, on proclamait comme une vérité absolue,  que la femme n'était faite que pour le mariage, que sa tâche exclusive c'est d'être la gardienne du foyer, la ménagère économe et prudente, la mère soucieuse et avisée. Tout autre aspiration était considérée comme quelque chose d'étrange, de presque immoral. Depuis, on en est revenu et maintenant on trouve tout naturel que la femme, tout en conservant son noble et grand rôle d'éducatrice et de mère, aspire toutefois à remplir sa vie par une occupation autre que celle du pot-au-feu. Parmi les professions libérales que la femme d'aujourd'hui embrasse le plus souvent, il faut citer l'exercice de la médecine. Le nombre de femmes médecins augmente tous les jours, la Faculté de Médecine de Paris, pour ne parler que de celle-là, compte une bonne centaine d'étudiantes suivant régulièrement les cours et les hôpitaux; et, il faut le déclarer bien haut, dussent les hommes en rougir de honte, ce sont généralement les femmes qui sont considérées à très juste titre comme les élèves les plus studieuses.

Une célèbre doctoresse.

Déjà, nous possédons une femme-médecin qui a publié des travaux scientifiques de tout premier ordre. C'est Mme Déjerine*, femme de l'éminent professeur de la Faculté de médecine de Paris.
Mme Déjerine est Américaine d'origine: elle appartient à la famille Klumpke, famille tout à fait remarquable par son intelligence et ses capacités scientifiques; une sœur de Mme Déjerine, Mlle Klumpke, docteur es sciences, astronome de grand mérite, était attachée, avant son mariage à l'Observatoire de Paris. Venue de bonne heure à Paris et admise à la Faculté, Mme Déjerine fut la première femme reçue interne des hôpitaux. Elle s'adonna principalement particulièrement à l'étude des maladies nerveuses et c'est au cours de ces études qu'elle fit connaissance du professeur Déjerine. Le maître épousa son élève; et, mariée, Mme Déjerine n'abandonna pas la science: elle continua à collaborer avec son mari et de mauvaises langues prétendent que c'est à elle que revient la meilleur part des travaux de l'éminent professeur.
Nous avons dit que les étudiantes en médecine sont fort nombreuses; pour en donner une idée, disons que, rien que dans le courant d'une seule année (1900), la Faculté de Paris a décerné le grade de docteur en médecine à douze femmes.
En ce qui concerne cette Faculté et celle de la France, en général, les étudiantes sont pour la plupart étrangères: Russes, Roumaines, Allemandes, Américaines. Les Russes détiennent le record. Cela s'explique facilement par ce fait qu'en Russie l'étude de la médecine n'est permise à la femme que depuis quelques années seulement!
Pourtant, la première femme qui obtint le grade de docteur en médecine à la Faculté de Paris fut une française, Mme Madeleine Brès, reçue docteur en 1875, qui a acquis depuis une haute situation.


Mme Madeleine Brès;
La première française qui fut reçue docteur en médecine.

Les femmes ne se contentent pas toujours du grade de docteur: elles cherchent plus et mieux. Il y a deux ans environ, une femme obtint le titre de prosecteur (Le prosecteur est chargé de conduire les travaux de dissection; on n'obtient ce titre très envié que par un difficile concours.)
Jusqu'à ce jour, c'est l'Amérique qui détient le record des doctoresses praticiennes. d'après la dernière statistique, datant de 1893, le nombres de femmes-médecins était alors de deux mille, chiffre certainement augmenté de beaucoup depuis.


Une doctoresse faisant aux infirmières des hôpitaux un cours d'anatomie.



Les femmes-médecins d'autrefois.

Il ne faudrait cependant pas croire que la femme-médecin appartint exclusivement à notre époque. M. Emile Michelet, cite un travail très documenté d'une doctoresse de Paris, Mlle Lipinska, qui prouve que les femmes ont exercé la médecine dans tous les temps et dans tous les pays. Mais comme les conditions sont différentes! Tandis qu'aujourd'hui la femme, pourvu qu'elle possède le diplôme exigé, ce diplôme est délivré aux bacheliers ayant suivi les cours d'une Faculté pendant six années consécutives, trouve les portes des facultés largement ouvertes et peut exercer librement sa profession, les choses se passaient bien autrement dans l'antiquité.


L'étudiante va soutenir,
en costume officiel,
sa thèse de doctorat.


M. Emile Michelet rapporte le récit suivant d'Hyginius, contemporain d'Auguste (1er siècle de notre ère). Les Athéniens avaient interdit par une loi l'exercice de la médecine aux femmes et aux esclaves. Les femmes souffraient beaucoup de cette loi, car un grand nombre d'entre elles ne se décidaient pas, par pudeur, à s'adresser à des médecins hommes et préféraient mourir de leur mal.
Une jeune fille du nom d'Agnodice* résolut d'apprendre la médecine. Elle fit couper ses cheveux, s'habilla en homme et suivi les cours d'un médecin. Une fois ses études terminées, elle se mit à exercer. Dès qu'on apprenait qu'une femme était malade, elle accourait auprès d'elle, lui avouait son vrai sexe et la soignait.
Les choses allèrent d'abord fort bien, mais les médecins-hommes, ayant appris on ne sait comment qu'une femme s'était glissée dans leurs rangs, dénoncèrent Agnodice et l'accusèrent devant l'Aéropage de corrompre les Athéniennes.
Appelée devant le tribunal suprême, Agnodice avoua le subterfuge auquel elle avait eu recours pour venir en aide à ses semblables. L'Aéropage voulut la condamner, mais les femmes intervinrent en faveur de celle qui les avait tant de fois soulagées et guéries. Leurs efforts furent couronnés de succès: non seulement Agnodice fut acquittée, mais les Athéniens, se rendant compte combien la loi interdisant l'exercice de la médecine aux femmes était injuste et barbare, l'abrogèrent.
Mais si les femmes-médecins ont existées un peu partout, leur existence ne fut pas toujours exempte de souffrances. Et à ce titre, il faut citer la douloureuse biographie d'Henriette Taber, une Française ayant vécu au commencement du XIe siècle.
Henriette Taber avait épousé un officier qui fut tué à la bataille de Wagram. Henriette Taber voulut se faire chirurgien. Mais comment? La chose était impossible pour une femme. Alors, sans hésiter, elle résolut de s'habiller en homme, et c'est sous le nom de Henry Taber qu'elle passe l'examen de chirurgien militaire.
Une fois en possession d'un grade officiel, elle fut attachée à la Grande Armée et faite prisonnière pendant la guerre d'Espagne. Elle resta dans ce pays quelques années, puis elle partit pour Cuba en qualité de médecin espagnol officiel. Et c'est dans ce pays que lui arriva la tragique histoire que voici:
Un jour quelqu'un dit derrière elle: "Ce doit être une femme." Henriette Taber, craignant, une fois son sexe reconnu, de ne pouvoir plus exercer la médecine, cherche un moyen de détourner les soupçons, et s'arrête sur un plan plutôt bizarre: elle prie sa servante, qui est au courant de ses secrets, de l'épouser. La servante, séduite par la récompense qu'on lui offre, accepte. Mais elle ne tarde pas à bavarder. La vérité est découverte et la malheureuse Henriette est condamnée à dix ans de réclusion pour sacrilège. Elle est plus tard transportée en Floride, où elle reprend son métier; au bout de quelques temps, elle meurt sœur de charité.


La doctoresse, pour les soins aux enfants,
joint à la science d'un médecin l'affectueuse sollicitude d'une mère.



Ce que coûte le diplôme de médecin.

En faisant abstraction des frais de lycée et du baccalauréat, la somme à dépenser pour avoir le droit de mettre une plaque portant les deux mots traditionnels: docteur-médecin, est considérable.
Il faut d'abord payer les droits d'inscriptions qui s'élèvent pour les SIX ANNEES d'étude à mille francs environ. Avec les droits d'examens et de thèse, près de sept cents francs, nous arrivons à deux mille francs en chiffres ronds. Ajoutez-y les frais d'entretien durant six ans, à mille huit cents francs au minimum, ce qui fait treize mille francs.

Les pays où les doctoresses peuvent réussir.

Et songez que tout l'argent et tout le travail dépensés sont loin d'assurer le pain quotidien. Il faut dépenser au minimum trois mille francs pour s'établir et attendre au moins deux ans que la clientèle paye les frais. (Six mille francs par an). Nous arrivons ainsi à un total de trente-cinq mille francs environ.
La lutte pour l'existence devient, tous les jours, plus âpre pour les médecins, surtout pour les femmes. Mais celles-ci ont de grandes chances de réussir aux colonies et particulièrement dans les pays musulmans. On sait qu'il est interdit aux musulmanes de se laisser voir à tout autre qu'à leur mari ou qu'à une femme.

                                                                                                   Bernard Taft.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 9 juillet 1905.

Nota de Célestin Mira:

*Mme Déjerine:


Augusta Déjerine-Klumpke en compagnie de son mari Joseph, Jules Déjerine.

Augusta Déjerine, née à San Francisco en 1859, est une neurologue française mariée à Joseph Déjerine, lui aussi neurologue. Reçue au concours de l'internat des Hôpitaux de Paris, elle travailla bénévolement aux côtés de son mari et, après de nombreuses polémiques, fut enfin nommée chef de clinique en 1915 à l'âge de 56 ans.

* Agnodice:


Agnodice, médecin gynécologue, Grèce antique.


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