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jeudi 26 octobre 2017

Celles de qui on parle.

Mme la comtesse Mathieu de Noailles.

Il y a des gens qui disent que la comtesse Mathieu de Noailles est le plus grand poète des temps modernes. Cela est un peu exagéré.
La comtesse est d'origine grecque par sa mère, roumaine par son père, le prince Bassaraba de Brancovan, qui compte parmi ses ancêtres plus de quinze souverains. C'est un Bassaraba qui, en 1290, a fondé la principauté de Valachie.
Il faut avouer qu'une dame d'une telle naissance a fait un grand honneur au comte de Noailles en l'acceptant pour époux. L'honneur n'est pas moindre pour la France, où la comtesse a eu de tous temps son domicile, où elle a choisi son mari et la langue de ses poèmes. Je sais très bien que ce deuxième point est contesté, que d'aucuns critiquent la façon et le style de la comtesse, mais il n'est pas douteux qu'elle a entendu écrire en français.
Et c'est déjà quelque chose de la part d'une Bassaraba de Brancovan.
Mme Mathieu de Noailles fut prise très jeune du désir d'écrire.
Dès l'âge de seize ans, douze ans même, dit-on, elle composait des vers mélancoliques et des idylles inspirées de Théocrite.
Théocrite n'est évidemment pas un auteur pour jeunes filles, mais quand une jeune fille est auteur et poète, n'est-elle pas un peu moins jeune fille?
Au bout de quelque temps, Madame de Noailles n'eut plus de la vie, comme l'on dit spirituellement, qu'une idée végétale. Lasse d'exprimer des sentiments dans lesquels sa jeune imagination croyait n'avoir plus foi, elle a accordé sa lyre pour célébrer les mérites des carottes et des poireaux. Tous les légumes furent passés en revue, avec une exactitude scrupuleuse.
Jamais ménagère faisant son marché ou maraîcher évaluant ses récoltes ne témoignèrent plus d'attention aux rondeurs d'une pomme de choux ou à la cambrure d'une cosse de pois verts.
A ceux qui s'étonnaient de l'humble condition dans laquelle Madame de Noailles, une Brancovan, choisissait ses sujets, elle répondait avec condescendance:
- Il y a une infinie poésie dans le radis.
Mon Dieu, je le veux bien, surtout lorsqu'on le mange avec du beurre fin, sous un toit de verdure, au milieu d'une aimable compagnie.
Mais si Madame de Noailles a préféré la poésie du radis à celle de l'églantine ou de l'anémone, c'est qu'elle a le coeur très sensible, qu'elle se pique d'humanitarisme et qu'elle a cru très sincèrement faire du socialisme en consacrant ses vers à ces prolétaires de la nature: les légumes.
Cela est fort louable, et pour la pureté de l'intention, on peut lui pardonner  d'avoir parlé des airs effarés des esprits d'autrefois, d'avoir écrit "des yeux sifflants" et ce vers atroce:
Que nous y resterons les étés et l'hiver!
Je ne souhaite pas à Madame de Noailles d'avoir jamais affaire à l'impitoyable Courrier littéraire de "Mon Dimanche".
Au demeurant, cette dame est aimable et jolie. 



M. Barrès, qui lui a dédié un de ses livres, lui trouve au front "les grâces flexibles et l'étincelle de l'ironie".
Elle a un salon des mieux fréquentés.
Elle est très répandue, ce qui ne l'empêche point d'adorer son mari. 
Leur union est si parfaite qu'ils ont voulu n'avoir qu'un seul nom pour deux.
La comtesse, qui s'appelle Anna, signe Mathieu de Noailles, du nom de son mari, et celui-ci, dans l'intimité, ne l'appelle pas autrement que Mathieu.
Ce nom n'invoque guère la femme mignonne qui le porte, mais en ces matières, les intéressés sont seuls juges et le poète des jardins potagers sera pour la postérité, Mathieu.

                                                                                                             Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 6 septembre 1908.

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