mercredi 31 janvier 2018

Chablis.

Chablis.

Chablis, dont les vins blancs ont acquis une renommée universelle, est située sur la rive gauche du Serain, au milieu des vignobles qui ont fait sa prospérité, à 19 kilomètres à l'est d'Auxerre. C'est une petite ville de 2.300 habitants. On n'y fait pas seulement du vin, mais aussi des biscuits, pour prendre avec.
La fondation de Chablis paraît remonter antérieurement au IXe siècle. 
"Les moines de Saint-Martin de Tours fuyant, en 854, dit Ad. Joanne, les ravages des Normands, se réfugièrent à Chablis, apportant avec eux le corps de leur patron, saint Martin, le grand apôtre des Gaules. Ils y fondèrent un monastère qui fut rebâti à la fin du XIIe siècle, et, dès cette époque, les bois qui couvraient la contrée furent défrichés et les terres plantées de vignes."
En 1478, Chablis possédait déjà une imprimerie. Elle joua un rôle considérable dans la guerre des Bourguignons et des Armagnacs, étant prise et reprise tour à tour par chacun des deux partis. Elle fut ravagée par les huguenots en 1568.



Une vieille maison de Chablis.

Il n'y a guère à citer de Chablis, en fait de monuments, qu'une jolie église gothique, des restes d'anciennes fortifications et quelques vieilles maisons.

                                                                                                                          O. R.

Journal des Voyages, dimanche 13 février 1887.

Vaucluse et sa fontaine.

Vaucluse et sa fontaine.

Vaucluse est un fort modeste village du département auquel il donne son nom, situé à 20 kilomètres d'Avignon, sur la rive droite de la Sorgues, au fond d'une vallée dominée de toutes parts par des rochers abrupts. Il compte environ 850 habitants.
Mais le souvenir de Pétrarque fait du village de Vaucluse, et particulièrement de sa fontaine, qui est la source de la Sorgues, un lieu plus fréquenté, et surtout par des visiteurs mieux choisis, que la cité la plus glorieuse et la plus bruyante.
C'est en 1313 que Pétrarque, encore enfant, vint à Avignon, avec son père exilé. Le hasard le conduisit à Vaucluse, et par suite à la fontaine désormais fameuse, située à moins de 2 kilomètres plus loin. A la vue de ce site un peu sauvage mais pittoresque, et surtout des cascades d'eaux cristallines qui se précipitent dans un véritable gouffre où la Sorgue prend naissance, il ne put retenir un cri d'admiration et se promit de revenir en ce lieu et de s'y fixer si jamais il était libre de le faire.
Quinze années plus tard, il faisait, dans l'église Sainte-Claire d'Avignon, la rencontre de Laure, dont il était aussitôt amoureux. C'était un amour sans espoir, comme il en faut aux poètes. Pétrarque se rappela alors la fontaine de Vaucluse et son site sauvage, si bien d'accord avec ses pensées. Il y revint, acquit une maisonnette avec jardin dans une petite presqu'île voisine, et s'y installa. C'est là qu'il écrivit ses sonnets et ses canzoni, et il commença son poème de Scipion l'Africain, en latin; puis il alla voir d'autres cieux.
Laure mourut. Alors Pétrarque vint de nouveau enfermer dans sa maisonnette de Vaucluse sa douleur mortelle. Mais après l'avoir exhalée dans l’Épître à la postérité en 1352, il la quitta pour ne plus y revenir, quoiqu'il dût vivre encore vingt ans.
Je doute que la maison du poète ait survécu de longues années à l'abandon de son inconstant propriétaire, aussi a-t-on décoré du titre de "château" de Pétrarque, des ruines gothiques qui s'élèvent sur le sommet d'un rocher, au coude du défilé. Ce sont en réalité les ruines du château de l'évêque de Cavaillon, Philippe de Cabassoles, ami de Pétrarque d'ailleurs.
Une modeste colonne, érigée en 1809 sur un bloc de rochers, au bord du même gouffre, rappelle seule le souvenir du poète.

                                                                                                                              O. R.

Journal des Voyages, dimanche 16 janvier 1887.

mardi 30 janvier 2018

Les ruines de l'abbaye de Jumièges.

Les ruines de l'abbaye de Jumièges.

Jumièges est un bourg du canton de Duclair, situé à 20 kilomètres environ de Rouen, que les ruines de son antique abbaye suffisent amplement à rendre célèbre, toutes ruines qu'elles sont.
L'abbaye de Jumièges a été fondée par saint Philibert au VIIe siècle. Il en fut naturellement le premier abbé; et sous le second, l'abbaye comptait déjà huit cents moines, et était propriétaire de biens immenses: les villes de Duclair et de Quilleboeuf, notamment lui appartenaient.
C'est dans l'abbaye de Jumièges que furent enfermés les énervés, fils de Clovis II, après que ce père ingénieux, pour les punir de leur rébellion, leur eut fait subir l'opération que ce surnom rappelle. L'histoire de cette abbaye est formée de la combinaison de plusieurs légendes, encore la combinaison n'est-elle pas parfaite, et isolément; de sorte qu'on peut très bien faire un choix. Nous nous déciderons donc pour la légende de sainte Austreberthe.
Sainte Austreberthe n'occupait pas dans l'abbaye une position bien relevée: elle y blanchissait le linge à un étang assez éloigné, de sorte qu'elle avait un âne pour le porter ensuite à l'abbaye. Nous sommes obligés d'entrer dans ces détails, parce que, si nous négligions l'âne, comme on va le voir à l'instant, nous serions tout bonnement forcé de nous arrêter ici.
Un jour, au moment du départ, un loup sort de la forêt, s'élance au collet du malheureux grison et l'étrangle net. Mais sainte Austreberthe n'est pas embarrassée pour si peu: elle empoigne messire le loup, lui met sur le dos la charge de sa victime, et le fait filer devant elle jusqu'à l'abbaye plus vite que ça. Ce n'est déjà pas mal: mais la légende ajoute que, depuis lors, le loup n'a pas cessé de remplir la mission de l'âne qu'il a occis dans un moment de vivacité.
Le souvenir de ce miracle a été conservé dans les sculptures de l'église. On y voit la sainte caressant le loup pour l'encourager à la besogne qu'elle lui impose. Dans la forêt voisine, le "chêne à l'âne" existe encore, sur le lieu même ou l'âne d'Austreberthe fut méchamment mis à mort par le loup. Par conséquent, il n'y a pas moyen de nier le fait.
Quant aux ruines de l'abbaye, elles sont singulièrement pittoresques et imposantes. De vastes souterrains, qui s'étendent bien au delà des constructions, ont été déblayés et sont fréquemment explorés par les touristes.





D'autres souvenirs historiques se rattachent encore au pays: on voit, par exemple, au Mesnil-sous-Jumièges, le manoir habité jadis par Agnès Sorel, la maîtresse de Charles VII. C'est là qu'elle trépassa, la "Dame de beauté", et son coeur a longtemps reposé sous les voûtes du monastère. Il y a une inscription qui rappelle au visiteur insouciant, que "piteuse entre toutes gens, largement elle donnoit aux églises et aux pauvres". Malgré cela, il paraît qu'elle se promenait trop souvent, en l'absence du roi, avec Dom Bernard, moine de l'abbaye.

Dans les prés fleuris
Qu'arrose la Seine....

et que les gens du voisinage, si "piteuse" qu'elle fût, ne laissaient pas alors de la huer d'une rive du fleuve à l'autre, les ingrats!
Fiez-vous donc aux épitaphes, ou à la reconnaissance des paysans normands!

                                                                                                                             O. R.

Journal des Voyages, dimanche 5 décembre 1886.

Histoires du vieux Paris: le Pavillon de la Liberté.

Histoires du vieux Paris: le Pavillon de la Liberté.


C'est chose bien décidée, cette fois: le ministère des colonies abandonne au Musée du Louvre, qui pourra s'y développer à l'aise, le Pavillon de Flore.
Ah! ce pavillon! Les plus grands événements qui touchent à l'histoire contemporaine s'y sont accomplis. Que de drames s'y sont succédés depuis le jour où Louis XVI, amené de Versailles à Paris par le peuple, vint s'y installer avec sa famille. S'il y eut jamais un palais qui réserva à ses hôtes le pire destin, c'est bien celui-là. Des six souverains qui l'ont occupé, un seul put mourir paisiblement dans son lit. Encore eut-il à subir, lui aussi, l'épreuve d'une fuite précipitée.
C'est dans cette aile méridionale des Tuileries qu'après l'emprisonnement de Louis XVI au Temple, siégèrent le Comité de salut public, le Comité des finances et de la marine, etc...

Le cerveau de la Révolution.

De ce Pavillon de Flore sortirent toutes les grandes mesures, tous les grands coups de foudre qui devaient arrêter les armées étrangères et détruire les insurrections. Les hommes qui se rencontraient là étaient Carnot, Robespierre, Jean-Bon-Saint-André, Prieur, Barrère, Couthon, Saint-Just, Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois. Le travail était permanent dans ce Comité, dont les membres se faisaient apporter leurs repas frugal (on était en pleine famine) pour ne pas interrompre leur effrayant labeur.
Sur la table au tapis vert (conservée aux Archives) où écrivaient les représentants du Peuple, s'entassaient les ordres et les missives. "Souvent, je n'entendais rien, disait Carnot; pas un mot, par un souffle, rien que le bruit des plumes qui couraient sur le papier." Ce petit bruit des plumes remuait toute la France.

De Brumaire à Waterloo.

Mais il était écrit que les hôtes des Tuileries ne devaient être que des hôtes éphémères. A la convention succède le Conseil des Anciens, puis le silence se fait: c'est Brumaire. Fermé pendant quelques mois, le Palais fut de nouveau habité en 1800. Le 19 février, Bonaparte, premier consul entrait au Pavillon de Flore avec Joséphine.
Ce fut au Pavillon de Flore que fut logé le pape Pie VII lorsqu'il vint à Paris sacrer l'Empereur; il y habita le petit appartement que la reine Marie-Antoinette avait fait aménager pour lui servir de pied à terre lorsqu'elle venait sans suite à Paris.
Voici 1814. Un nouveau va-et-vient de royautés triomphantes ou déchues va s'effectuer dans cette grande hôtellerie des Tuileries. En janvier, Napoléon avec Marie-Louise et le roi de Rome quitte le vieux palais. En 1815, dans la nuit du 19 au 20 mars, Louis XVIII, à peine rentré depuis une année à Paris, franchissait à minuit le vestibule du Pavillon de Flore, péniblement appuyé sur le duc de Daras et le comte de Blacas; il montait en voiture pour reprendre le chemin de l'exil.
Le lendemain, Napoléon venait reprendre dans son ancien logis, le sceptre et le manteau impérial. Le 12 juin, il allait se mettre à la tête de l'armée de Waterloo. Le 23 du même mois, le gouvernement provisoire s'établissait au Pavillon de Flore sous la présidence de Fouché. Enfin, le 8 juillet, Louis XVIII, le roi de Gand, se réinstallait au palais pour y régner neuf ans.
Charles X dans les appartements du Pavillon de Flore, tint, le 25 juillet 1830, le Conseil décisif dans lequel furent signées les Ordonnances. Quatre jours plus tard, le peuple provoqué entrait en vainqueur dans le château.
Le 27 février 1848, c'est dans une pièce voisine où avaient été signées les Ordonnances, que Louis-Philippe signait son abdication. Quatre ans plus tard, Napoléon III faisait de ce salon son cabinet particulier.
L'architecte Leprel achevait à peine de rebâtir le Pavillon de Flore, lorsque survinrent les événements de 1870. Le 4 septembre, c'est par ce pavillon que l'impératrice put s'échapper des Tuileries. C'était la fin de l'Empire.

                                                                                                                      Nicolas Flamel.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 7 juillet 1907.

lundi 29 janvier 2018

Ceux de qui on parle.

Le peintre Roybet.

M. Roybet fit ses études artistiques à l'école de gravure de Lyon et vint à Paris en 1864: il avait vingt-quatre ans. C'est au Louvre qu'il compléta son instruction: il ne passait pas une journée sans s'y rendre. Il fit recevoir au Salon de 1865, pour ses débuts, deux toiles et deux eaux-fortes. Les deux peintures: Musiciennes et Intérieur de cuisine témoignaient d'une vigueur de dessin qui fit sensation, encore qu'elles fussent à demi noyées dans une pâte trop noire.
De l'année suivante, M. Roybet, obtenait, avec Un fou sous Henri III * un succès éclatant. La troisième médaille lui était décernée, et, récompense beaucoup plus profitable, la princesse Mathilde lui achetait son tableau.
Célèbre à vingt-six ans, M. Roybet n'a pas démenti les promesses qu'il donnait alors: il a continué à mettre en scène des mousquetaires rubiconds occupés à boire ou à manger, et des types pris dans la bourgeoisie des siècles passés. 



Il trouvait dans ce procédé de grandes facilités d'exécution: les trois ou quatre costumes dont il avait fait l'emplette pouvaient indéfiniment servir et quant au modèle, il arriva assez vite à s'en passer à l'aide de ses précédents ouvrages. Enfin le public avait goûté ses premières toiles: à quoi bon s'exposer à une nouvelle expérience qui n'aurait peut être pas eu le même succès?
Après l'exemple donné par la princesse Mathilde, il était devenu de bon ton d'acheter du Roybet. Vanderbilt acheta Le Concert, le grand duc Alexis acheta La femme au perroquet*, M. Hériot, le riche propriétaire des magasins du Louvre, lui commanda La chanson à boire* et Le jour des rois (1870).
M. Roybet resta alors plus de vingt ans sans se faire représenter aux salons annuels. Peut-être craignait-il la malignité de certains critiques qui n'auraient pas manqué de lui demander quand il cesserait de faire des Téniers, tandis qu'il pouvait en débiter aux particuliers tout à son aise.
Il recommença à exposer au Salon de 1892, où il envoya deux portraits modernes, puis, repris par sa passion du vieux temps, il exposa Propos galants* et Charles le Téméraire entrant à cheval dans l'église de Nesles. Ces deux toiles lui firent décerner par ses confrères la médaille d'honneur et révélèrent Roybet à beaucoup de gens qui le prirent pour un débutant.
M. Roybet s'adonna alors plus particulièrement qu'il ne l'avait encore fait au portrait. Ce genre devait être moins productif que l'autre, car il ne l'a pas supplanté et M. Roybet continua à brosser des toiles anecdotiques comme La main chaude*, Les savants, etc. Pour aimer son art, cet artiste, n'en perd pas la raison et de deux tableaux celui qu'il préfère est toujours celui qu'il a vendu le plus cher. Propos galants lui a rapporté cent mille francs. Il le considère comme l'un de ses meilleurs.
C'est parce qu'il le savait d'un commerce  facile que le trop fameux Frédéric Humbert songea à l'auteur de La Main chaude lorsqu'il voulut se donner un professeur de peinture. Nous ne connaissons pas le prix du cachet, mais nous savons par M. Roybet lui-même que la leçon consistait, pour lui, à peindre, pour Frédéric Humbert, à signer, et que son élève n'avait aucun sens artistique: une vision très nette en affaires, mais déplorable en peinture, disait M. Roybet, et il ajoutait finement, ce n'est pas tout à fait la même chose.
Ce n'est pas la même chose, mais ne croyait-vous pas, cher Maître, qu'on peut faire à la fois ses affaires et sa peinture?

                                                                                                                           Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 30 juin 1907.

* Nota de Célestin:

Un fou sous Henri III.







La femme au perroquet.






Chanson à boire.





Propos galants.





La main chaude.


Le truc du bon bourgmestre.

Le truc du bon bourgmestre.

On lit dans le Lorrain, quelques anecdotes qui montrent que les mœurs électorales sont singulières en tous pays. 
Dans un petit district de la Prusse orientale, le bourgmestre réunit ses électeurs, peu nombreux, et qui sont presque tous ses fermiers, car il est grand propriétaire de terrains. Pour stimuler leur zèle pour la bonne cause, il s'engage à les réunir en un banquet de Gamache* s'ils votent pour le candidat gouvernemental. "Mais à la condition, a-t-il soin d'ajouter, qu'il n'y ait pas une défaillance. Je ne veux pas une seule voix pour le candidat socialiste."
Comment refuser une si bonne aubaine? Les braves électeurs se sentent tout à coup un amour insoupçonné pour les pouvoirs établis; le meilleur des gouvernements n'est-il pas celui où l'on dîne?
Ils votent comme un seul homme pour le candidat du bourgmestre. Mais, qui l'eût cru? on trouve dans l'urne un bulletin au nom du candidat socialiste. C'est le bourgmestre qui l'y a mis et le bourgmestre malin ne paye pas son dîner...
Dans une circonscription de la Saxe, un candidat avise un électeur: 
"- Combien t'a donné mon concurrent, afin que tu votes pour lui?
- Quatre marks que voilà...
- Ce n'est pas assez. Tu voteras pour moi, voici cinq marks..."
Et dans la main de l'électeur, le candidat dépose cinq marks, mais reprend les quatre marks de son concurrent... C'est économique, et après tout, c'est juste! Qu'en pensez-vous?

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 7 juillet 1907.


*Nota de Célestin Mira: Allusion au banquet que donna le comte Guillaume de Gamaches afin de réunir ses troupes en Picardie dans le but d'arrêter les conquêtes du duc de Warvick. Voir "Vie de Guillaume de Gamaches, second du nom, comte de Gamaches, premier grand veneur de France, gouverneur de Compiègne. Chez Prault, imprimeur du Roi, 1786."

L'origine des boulangers.

L'origine des boulangers.

Il n'y avait point de boulangers dans l'antiquité. On mangeait le blé sans préparation, comme les autres productions de la nature; lorsqu'on eu trouvé le moyen de le moudre, on fit de la bouillie, et il se passa beaucoup de temps avant qu'on employât la farine à un autre usage.
Quand on lui eut reconnu la plus essentielle de ses propriétés, les mères de famille, une heure avant le repas, faisaient le pain; les dames romaines, que cette occupation regardait aussi, ne s'en croyaient point dégradées.
Ce fut en Orient qu'on commença à cuire le pain dans des fours. Cet usage ne passa en Europe que l'an 583 de la fondation de Rome. C'étaient les esclaves qui étaient chargés de faire le pain. Plus tard, les boulangers s'organisèrent en corporation. Ils ne pouvaient se marier qu'entre familles de boulangers.
Les usages romains des boulangers (pistrina) furent introduits dans les Gaules en l'an 1, mais disparurent à la suite de l'invasion des barbares. Pendant tout le moyen âge, les seigneurs faisaient faire leur pain par leurs serviteurs. Dans les familles roturières, le pain confectionné par les femmes se cuisait au four banal.
La corporation des boulangers fut très puissante au XIIIe siècle. Elle ne fabriquait que du pain de luxe et monopolisa l'exploitation de cette industrie qui ne fut rendue libre en France, que par la loi du 17 mars 1791. Le 11 octobre 1801, le monopole fut rétabli et le nombre de boulangers limité à Paris au chiffre de 600.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 30 juin 1907.

dimanche 28 janvier 2018

Les grands hommes sont-ils fous?

Les grands hommes sont-ils fous?


On raconte une plaisante anecdote sur madame Schneider dont on vient de célébrer le quatre-vingt-huitième anniversaire à Heiligenstadt. Elle avait dans son enfance connu Beethoven. Le magistral auteur de la Symphonie Pastorale était, dans sa ville, un objet de curiosité. On le rencontrait errant par les rues, tête nue, le costume en désordre. Sa figure était toujours sombre, son regard tragique et il parlait tout seul. Aussi était-il un véritable épouvantail pour les enfants qui se sauvaient, dès qu'il apparaissait.
Un jour que Mme Schneider aperçut de loin Beethoven, elle se réfugia, apeurée, derrière les jupons de sa tante qui lui dit:
- N'aie pas peur; ce vieux monsieur ne te fera rien... il est simplement un peu fou.
Ces paroles de la bonne dame, pour comiques qu'elles nous apparaissent, aujourd'hui que Beethoven est entré dans l'immortalité, représentent assez l'opinion qu'on se fait des hommes qui, par quelque point, se distinguent du commun. Elle est très excusable. Une vie tout entière adonnée à l'art ou à la science, une surexcitation constante des facultés créatrices, ne vont point sans se trahir par quelques signes extérieurs. Le public y voit de l''"originalité", des spécialistes ont voulu y reconnaître la marque d'une certaine folie.
Donc on a prétendu que les grands hommes étaient des manières de fous. Les phrénologistes ont pesé leurs cerveaux, ils ont palpé les bosses de leurs crânes et ont assuré y avoir découvert les stigmates indubitables de la dégénérescence. A l'appui de ces dires, ils ont cité des exemples.
Pour eux, Napoléon, l'homme le plus discuté du siècle dernier, était épileptique. D'autres s'accordent à reconnaître qu'il était névropathe. On a consulté les mémoires, livres de souvenirs, correspondances nous initiant à sa vie intime. Et comme il se rencontre toujours dans la carrière d'un homme quelques actes irraisonnés, quelques "gaffes", quelques folies, on arrive en les mettant en valeur à donner un air de vérité aux thèses les plus paradoxales.
La question paraît donc insoluble. Et pourtant les biographies d'hommes célèbres, nous citant quelques-unes de leurs étrangetés, sont bien faites pour nous plonger dans un abîme de perplexité.
Nous voyons, par exemple, dans l'histoire de Guillaume Budé, fondateur du Collège de France que le domestique du vieil érudit entra un jour dans son cabinet de travail en criant: "Au feu, la maison flambe." Déjà une partie de l'escalier était devenue impraticable.
- "Avertissez ma femme, répondit Budé; vous savez bien que je ne me mêle pas des affaires de ménage." Il fallut l'emporter de vive force et le passer par la fenêtre pour lui sauver la vie.
Aristote, quand il se livrait à sa méditation, portait toujours sur lui une bourse pleine d'huile chaude; Kate ne commençait un poème qu'après avoir avalé des rôties frottées de poivre de Cayenne; Crébillon travaillait dans l'ombre, des têtes de mort jonchaient le parquet de sa chambre, de noirs corbeaux qu'il avait apprivoisés voletaient à ses côtés. Il affirmait trouver dans ce lugubre décor ses meilleurs inspirations.



Crébillon travaillait dans une pièce sombre,
entouré de têtes de mort et de corbeaux.



Une "distraction" d'Alfred de Musset.

Le poète de Rolla avait la réputation d'un dandy. Homme à la mode, causeur charmant et spirituel, sa grâce et la beauté de ses traits lui avaient assuré les plus brillants succès féminins. Il allait dans le monde et il s'y plaisait. Mais parfois, dans ces riants décors, sa figure devenait grave et réfléchie: le poète se ressaisissait. Un soir, une jeune fille s'approcha de lui et tendit au "lion" une tasse de thé. Musset, qui était à cent lieues de la fête, la prit pour une quêteuse et, gravement, déposa une pièce de deux sous dans la tasse de thé.



Alfred de Musset, distrait, met deux sous
dans la tasse de thé qu'une jeune fille lui présente.

D'autres distractions de grands hommes sont célèbres. Ampère, toujours préoccupé par ses recherches mathématiques, même dans la rue, prit un jour pour un tableau le panneau luisant d'un fiacre.
A son cours de l'Ecole Polytechnique, il ne manquait jamais de mettre dans sa poche le chiffon qui avait servi a essuyer le tableau. Une autre fois, trop absorbé pour descendre dîner, il avait accepté de tremper un biscuit dans du vin. Quand la domestique remonta pour enlever le plateau, elle vit son maître qui trempait le biscuit dans son encrier. Il avait seulement trouvé in peu amer le goût du vin...




Ampère déjeune avec un biscuit et un verre de vin.
Il trempe son biscuit dans l'encrier. 

De pareilles exceptions ne sont pas suffisantes pour excuser les excentricités voulues de certains "bluffeurs". On aura beau jeu de leur rappeler l'amusante répartie d'une femme d'esprit à son mari. Celui-ci prétendait excuser la coupe de ses pantalons et ses cravates tapageuses, du fait que certains grands artistes s'habillaient volontiers ainsi:
-Eh bien, riposta son épouse, commence donc par être "prix du salon" et tu t'habilleras comme tu voudras!...

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 30 juin 1907.

vendredi 26 janvier 2018

Allez donc vous asseoir.

Allez donc vous asseoir.

Dernièrement à Z..., une pauvre femme qui était battue tous les jours par son mari plaidait pour obtenir le divorce.
Après avoir entendu les deux époux, le président fait appeler les témoins de la plaignante.
Le premier appelé dit au président que tous les jours il entendait François battre sa femme.
- Mais, dit le président, vous ne l'avez pas vu?
- Non, m'sieur, j'lons intendu.
- Si vous ne l'avez pas vu, vous ne pouvez répondre de rien. Allez vous asseoir!
Arrive le tour d'une bonne vieille qui dépose ainsi:
-J'demeurons à côté d'Franchois n'y a qu'une banque qui nous sépare, j'entendions tout ce qui disait. Eh bi! je pouvons vous assurer qu'la p'ove femme a l'était souvent battue.
- Mais l'avez-vous vu? dit le président en s'impatientant.
- J'n'lons point vu, mais j'sieus ben sûre qu'Franchois y battait sa créature et fortaco!
- Si vous ne l'avez pas vu, allez vous asseoir.
La bonne vieille se retourne pour s'en aller mais non sans laisser entendre un certain bruit qui fait rire aux éclats tout l'auditoire.
Le président la rappelant et indigné:
- Madame, vous venez de manquer de respect à la Cour.
- J'n'ons point compris, monsieur.
- Vous vous êtes oubliée et...
- L'avons-vous vu?
- Non, mais je l'ai entendu.
- Eh bé! reprit la bonne femme, si vous n'l'ons point vu, allez vous assière!

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 30 juin, 1907.

Voulez-vous perdre l'habitude de fumer?

Voulez-vous perdre l'habitude de fumer?

On sait que pour un fumeur invétéré, se déshabituer du tabac est chose aussi difficile que de renoncer à la morphine pour un morphinomane. Or, d'après M. Kolomeitzev, médecin auxiliaire de l'hôpital militaire de Kazan (Russie), pareille désaccoutumance pourrait être réalisée, sinon très agréablement, du moins de la façon la plus aisée, par un moyen fort simple, qui consiste à se rincer la bouche avec une solution de nitrate d'argent à 0,25 %. Après ce lavage buccal, la fumée de tabac détermine une sensation gustative des plus répugnantes, qui enlève pour longtemps, toute envie de fumer.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 30 juin 1907.

lundi 22 janvier 2018

Le pêcheur est sans pitié.

Le pêcheur est sans pitié.


Le pêcheur, à sa femme qui vient de tomber à l'eau:
Pendant que tu étais au fond, tu aurais bien pu me décrocher ma ligne.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 23 juin 1907.

Ceux de qui on parle.

M. Charles Lecocq.


M. Charles Lecocq est né en 1833. C'est dire qu'il n'est plus de première jeunesse. Il a travaillé cependant jusqu'en ces dernières années: la Belle au bois dormant ne date que de 1900; c'est à ma connaissance, son plus récent ouvrage.
Le compositeur n'a pas seul vieilli. Sa création le plus célèbre: La Fille de Madame Angot*, est aujourd'hui une vieille fille et toutes les ruses de la coquetterie ne parviendraient pas à enlever les rides que trente cinq ans de planches ont accumulées sur son front.
Fils d'un modeste employé du Tribunal de commerce, M. Charles Lecocq, par une de ses irrésistibles dispositions naturelles dont aucune explication n'a encore été donnée, montra un goût très vif pour la musique. Il retenait avec une grande facilité tous les airs qu'il entendait et les jouait sur le flageolet. Il commença de bonne heure à travailler l'harmonie et entra au Conservatoire à dix-huit ans.
Dès la première année, il remporta un prix d'harmonie et d'accompagnement, et au bout de deux ans d'études avec le compositeur Halévy, l'auteur de La Juive, il obtint un second prix de fugue et de contrepoint. (Ne me demandez pas ce que c'est, je serais incapable de vous le dire.)
Charles Lecocq sortit du Conservatoire en 1855, pourvu de science, de talent et d'ardeur, mais sans ressources. Il donna pour vivre des leçons de musique, sans cesser de travailler lui-même.




Une occasion se présenta bientôt pour lui de faire ses preuves: Offenbach, alors directeur des Bouffes-Parisiens, eut l'idée originale de mettre au concours en 1857 la partition d'une opérette: Le docteur Miracle. Deux manuscrits furent primés pour leur verve: l'un était de Bizet*, l'autre de Charles Lecocq. Les deux partitions furent jouées alternativement et le public, paraît-il, goûta davantage la seconde. Elle eut pourtant des détracteurs: les coupeurs de fil en quatre lui reprochèrent ce qui en faisait précisément son charme: sa simplicité de bon goût, sa clarté sans fadeur. On accusa Charles Lecocq d'être ignorant, de ne pas posséder la science harmonique, lui, qui avait eu un prix de fugue et de contrepoint! La vérité était qu'après avoir tiré de sa science très profonde un excellent parti, Charles Lecocq avait encore le talent de la dissimuler complètement.
Le naturel obtenu sans effort apparent est une caractéristique de l'art français: sous ce rapport, mais sous ce rapport seulement, M. Charles Lecocq fut un excellent Français.
Le docteur Miracle ne lui ayant pas encore procuré la célébrité, il donna quelques opérettes sur de petites scènes: Les Ondines, Le Cabaret de Ramponneau, etc. Nommé accompagnateur à l'Athénée, il composa en ce théâtre l'Amour et son carquois, qui fut applaudi. Mais son premier grand succès lui vint de ce même théâtre, de Fleur de thé*, qui eut plus de cent représentations (1868). Dès lors Charles Lecocq était célèbre.
Survint la guerre de 1870. Il est dur, quand on commence a se faire un nom comme compositeur, de s'exposer à mourir obscurément sur un champ de bataille.
M. Charles Lecocq, convaincu qu'il appartenait à l'humanité autant qu'à la France, se rendit à Bruxelles afin d'y enrichir l'art musical. C'est là qu'il fit représenter Les Cents Vierges* et La Fille de Madame Angot. Ce dernier ouvrage fut donné plus tard à Paris, quand Charles Lecocq crut pouvoir y entrer en toute sécurité: la pièce eut plus de quatre cents représentations sans quitter l'affiche des Folies Dramatiques.
Charles Lecrocq a donné d'assez nombreux ouvrages depuis lors : Giroflé-Girofla*, Le Petit Duc*, Ali Baba*, Ninette, mais aucun n'a eu la vogue de la Fille de Madame Angot. Les fameux couplets de cet opéra-comique, M. Lecrocq n'aime pas que l'on dise opérette, ont diverti tant et tant de nos compatriotes que l'on excuse l'auteur d'avoir montré une excessive prudence en 1870, et l'on est bien obligé de convenir qu'il est permis de préférer le talent à l'héroïsme, quand on ne peut réunir l'un et l'autre.

                                                                                                                            Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 23 juin 1907.

* Nota de célestin Mira:





Le Docteur miracle de George Bizet.


Le Docteur miracle de Charles Lecocq.


















dimanche 21 janvier 2018

Comment on était riche autrefois.

Comment on était riche autrefois.

Avec 15.000 frs de rente, madame de Maintenon voulait que sa belle-sœur pourvût à toutes ses dépenses:

- "La viande, disait-elle coûte cinq sous la livre, le sucre onze sous. Vous avez dans la maison, Monsieur, Madame, 3 femmes, 4 laquais, 2 cochers, 1 valet de pied, en tout 12 personnes.

Par jour

Pain... 1 livre... 0 fr. 50
Vin... 1 litre... 0 fr. 50
Beurre... 2 livres 0 fr. 50
Fruits... 1 livre... 0 fr. 50
Bougie... 0 fr. 50
Chandelle... 0 fr. 40

Vous ne devez compter que 0 fr. 20 de vin pour les 4 laquais et les 2 cochers, et vous n'avez besoin, dans la maison, que de deux feux pendant quatre mois, outre le feu de la cuisine.

Par an, dépense pour la nourriture de tous, le bois, le vin, etc., ... 6.000 frs.
Habits, carrosses, nourriture des chevaux.... 4.000 frs.
Loyer... 3.000 frs.
Habits, Opéra, magnificence de Monsieur... 3.600 frs.
Gages et habits des gens... 1.000 frs.

Total: 15.000 frs.

Vous voyez ma chère sœur que vous être très riche avec cette somme et que vous pouvez vivre comme une princesse."

Il faut convenir qu'en 1679, époque à laquelle Madame de Maintenon écrivait ce qu'on vient de lire, les dépenses de ménage à Paris étaient quatre fois moins considérables qu'elles ne le sont aujourd'hui, aussi n'est-ce pas comme exemple de budget que nous citons les paroles de Madame de Maintenon, mais seulement comme preuve que compter avec soi-même peut s'allier avec l'esprit, la grâce et la haute position sociale.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 23 juin 1907.

Ceux de qui on parle.

Le roi de Grèce Georges 1er.


Le roi Georges 1er occupe avec modestie le poste de Solon et de Péricles. Il ne cherche pas à briller, sachant que dans le concert des puissances le rôle de la Grèce doit être un rôle muet. Ah! les puissances européennes, comme il les déteste, le pauvre roi! A toutes les époques difficiles de sa carrière, il les a vu intervenir dans ses affaires et lui imposer leur volonté. Toutes ses velléités de manier à sa façon le sceptre hellénique ont dû se briser devant leur geste menaçant et leurs yeux sévères.




Il s'est résigné, assez penaud, à n'être guère que l'intendant de son royaume. De temps en temps il vient faire aux nations voisines une timide visite. La ville d'Aix-les-Bains est un de ses lieux de villégiature préférés. Paris l'a reçu il y a deux ans. Sa visite eut lieu en même temps que celle du roi de Portugal Don Carlos l'Obèse*. Les deux souverains descendirent au même hôtel, mais là s'arrête l'analogie. Les autorités supérieures, plus flattées sans doute de se frotter à la maison de Bragance qu'à celle de Slesvig-Holstein, traitèrent Geoerges 1er comme un parent pauvre, et le roi des Hellenes fut éclipsé par le roi de graisse
Jusqu'à ces dernières années, il était cependant resté au roi Georges un protecteur influent: si les puissances le traitaient d'une manière un peu trop cavalière à son gré, il pouvait aller se plaindre à son papa, le roi de Danemark, Christian IX en qui presque toutes les familles royales d'Europe vénéraient un aïeul. Le roi Christian est mort et Georges 1er, sans appui, va voir, s'il se peut, décroître son prestige.
Ce n'est pas seulement la déchéance politique de la Grèce qui cause l'effacement de son monarque: Georges 1er est pauvre. Il réussit à grand peine à mettre de côté les quelques centaines de louis dont il a besoin pour faire ses excursions en Europe; mais il aurait encore plus de mal à héberger dignement ses collègues. Sa liste civile ne s'élève qu'à un million deux cent cinquante mille francs: ce serait un revenu passable pour vous ou moi; nous connaissons mêmes quelques gentilshommes déplumés qui s'en contenteraient, mais lorsque de ce chiffre on a déduit les frais d'entretien de la cour, il ne reste qu'une maigre somme pour équiper, nourrir et divertir un roi. Ajoutez que ce prince est marié et qu'il a six enfants. Bien qu'ils ne soient pas tous à sa charge, il faut reconnaître que la reine, à qui la gestion des fonds est confiée, n'a pas une tâche facile. Il paraît du reste que c'est une ménagère des plus avisées.

                                                                                                                  Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 16 juin 1907.

* Nota de célestin Mira:



samedi 20 janvier 2018

Le pays où l'on châtie les veuves.

Le pays où l'on châtie les veuves.

Devenir veuve est une chose plutôt triste dans n'importe quelle partie du monde, mais cela doit l'être beaucoup plus dans certaines tribus de Madagascar, où existe la détestable coutume de maltraiter celles qui ont eu le malheur de perdre leur mari.
Parmi les Sijinaques, peuplade qui vit dans la partie orientale de l'île, la femme qui devient veuve se vêt de ses plus beaux atours et attend, dans la maison mortuaire, que reviennent les parents et les amis qui sont aller procéder à l'enterrement du défunt.
Dès que ceux-ci sont de retour, ils se jettent sur la malheureuse, lui arrachent ses bijoux, lacèrent ses vêtements, lui crachent sur le visage, la soufflètent, lui lancent à la tête les tessons d'un vase qu'on a brisé en signe de deuil, sans compter toutes les insultes dont cette scène de sauvagerie est accompagnée.
Cette extraordinaire manière de s'associer à la douleur de quelqu'un peut durer des mois entiers. Ensuite, on procède à un divorce en règle, au moyen duquel la veuve est séparée des restes de son mari.
On suppose que cette coutume, aussi barbare que singulière, est due à ceci que, existe la croyance que la mort d'un homme est toujours causée par le mauvais caractère de sa femme.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 9 juin 1907.

Joyeuses aventures du pendu.

Joyeuses aventures du pendu.


Il y a quelques dix ans, il était de bon goût de choquer son verre avec des camarades sur un cercueil truqué*. Diverses facéties de ce genre prêtèrent à Montmartre cette réputation d'esprit sur laquelle une douzaine de débits de boissons ont vécu. On faisait queue aux portes des caveaux, on se pressait dans un café-concert où l'amusante Marguerite Ducler, étoile vieillie, exhibait un pendu.- Un pendu, vous m'entendez bien.
Des milliers de potaches, des militaires et des bourgeois, des provinciaux venus des quatre coins de la France, de Confolens en Charente ou de Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-du-Nord), des calicots, des viveurs et des huissiers, sans compter l'obligatoire tournée des "Agences Cook", applaudirent à ce spectacle peu banal: un homme se balançait au plafond de la salle étranglé par la gorge au nœud coulant d'une corde. C'était le pendu. Et je vous assure qu'elle était affolante cette vision de supplicié volontaire à la face convulsée, aux membres raidis, à la bouche baveuse...
On applaudissait, fumant sa pipe ou son cigare; des spectateurs, pris de nausées sortaient; des femmes impressionnées se trouvaient mal. Et le fantastique numéro, bien digne d'un Edgar Poë, poursuivait pendant des heures sa douloureuses expérience.
Si elle avait été truquée, c'eût été déjà bien joué. Mais il n'y avait là nulle sophistication et des experts-jurés et des membres de la Faculté de Médecine qui étudièrent le phénomène, ne purent que reconnaître sa bonne foi, sans expliquer l'inexplicable. On voyait, on ne comprenait pas; on ne comprendra jamais: le Pendu vient de mourir oublié en emportant son secret dans la tombe.
Il s'appelait Siméon Aiguier. Natif du Var, il avait exercé tour à tour les professions de jeûneur, d'homme obèse, d'homme statue, de mort et de pendu**. Aux environs de Toulon, où il s'était retiré après fortune faite, il vivait au milieu de la sympathie de ses concitoyens. Il leur racontait volontiers les aventures de sa vie. Elles étaient nombreuses.
Le Petit Marseillais a rapporté qu'une fois, au cours se ses tournées d'exhibition, il se pendit au plafond de sa chambre, dans l'hôtel où il était descendu. Puis il sonna le garçon et attendit. Comme il ne donnait pas de représentation dans cette ville, c'était à Brême, on ignorait son étrange pouvoir. Lorsque le garçon accourut à l'appel de la sonnerie, il trouva le singulier voyageur qui se balançait au bout d'une corde. Terrifié, il redescendit quatre à quatre et courut chercher la police. Quand le commissaire arriva, le pendu avait disparu.
- Des amis ont dû emporter le cadavre, soupçonna le magistrat défiant.
- Si seulement ils avaient laissé la corde... dit avec regret la superstitieuse hôtelière.
Mais comme l'enquête ordonnée n'aboutit point, longtemps on soupçonna le garçon d'avoir été victime d'une hallucination.
Siméon Aiguier racontait encore une anecdote, aussi amusante. C'était à Spa, aux beaux jours de la roulette et du trente et quarante.
Un matin, il alla trouver le directeur du casino et lui dit:
- Je suis un Italien de distinction. J'ai perdu à vos tables de jeu tout l'argent que j'avais; donnez-moi mon "viatique", deux cents louis, pour regagner Rome. Si vous me refusez cette bagatelle, je serai obligé de me pendre.
Le directeur haussa les épaules.
- Vous me trouverez donc, Monsieur, mort dans un des bosquets du parc.
Deux heures après, l'imprésario, inquiet tout de même,  remis quelques billets bleus à l'un de ses employés, avec l'ordre de les déposer dans les poches du pendu, afin qu'on ne pût croire qu'il s'était tué à la suite de grosses pertes. Et l'agent ponctuel accompli à sa tâche.
Le soir même, Siméon Aiguier, qui avait quitté aussitôt après sa position de pendu se présenta dans le cabinet du directeur. Effrayé, le malheureux crut un instant avoir affaire à un fantôme, sa victime. Mais Aiguier, bon garçon, le rassura de suite et, parce qu'il était honnête homme, lui rendit en souriant les deux cents louis. Et c'est ce qui étonna le plus le directeur!

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 19 mai 1907.

*Nota de célestin Mira:



Des cercueils en guise de table!




Quelques caveaux:














** Siméon Aiguier: l'homme protée