lundi 22 janvier 2018

Ceux de qui on parle.

M. Charles Lecocq.


M. Charles Lecocq est né en 1833. C'est dire qu'il n'est plus de première jeunesse. Il a travaillé cependant jusqu'en ces dernières années: la Belle au bois dormant ne date que de 1900; c'est à ma connaissance, son plus récent ouvrage.
Le compositeur n'a pas seul vieilli. Sa création le plus célèbre: La Fille de Madame Angot*, est aujourd'hui une vieille fille et toutes les ruses de la coquetterie ne parviendraient pas à enlever les rides que trente cinq ans de planches ont accumulées sur son front.
Fils d'un modeste employé du Tribunal de commerce, M. Charles Lecocq, par une de ses irrésistibles dispositions naturelles dont aucune explication n'a encore été donnée, montra un goût très vif pour la musique. Il retenait avec une grande facilité tous les airs qu'il entendait et les jouait sur le flageolet. Il commença de bonne heure à travailler l'harmonie et entra au Conservatoire à dix-huit ans.
Dès la première année, il remporta un prix d'harmonie et d'accompagnement, et au bout de deux ans d'études avec le compositeur Halévy, l'auteur de La Juive, il obtint un second prix de fugue et de contrepoint. (Ne me demandez pas ce que c'est, je serais incapable de vous le dire.)
Charles Lecocq sortit du Conservatoire en 1855, pourvu de science, de talent et d'ardeur, mais sans ressources. Il donna pour vivre des leçons de musique, sans cesser de travailler lui-même.




Une occasion se présenta bientôt pour lui de faire ses preuves: Offenbach, alors directeur des Bouffes-Parisiens, eut l'idée originale de mettre au concours en 1857 la partition d'une opérette: Le docteur Miracle. Deux manuscrits furent primés pour leur verve: l'un était de Bizet*, l'autre de Charles Lecocq. Les deux partitions furent jouées alternativement et le public, paraît-il, goûta davantage la seconde. Elle eut pourtant des détracteurs: les coupeurs de fil en quatre lui reprochèrent ce qui en faisait précisément son charme: sa simplicité de bon goût, sa clarté sans fadeur. On accusa Charles Lecocq d'être ignorant, de ne pas posséder la science harmonique, lui, qui avait eu un prix de fugue et de contrepoint! La vérité était qu'après avoir tiré de sa science très profonde un excellent parti, Charles Lecocq avait encore le talent de la dissimuler complètement.
Le naturel obtenu sans effort apparent est une caractéristique de l'art français: sous ce rapport, mais sous ce rapport seulement, M. Charles Lecocq fut un excellent Français.
Le docteur Miracle ne lui ayant pas encore procuré la célébrité, il donna quelques opérettes sur de petites scènes: Les Ondines, Le Cabaret de Ramponneau, etc. Nommé accompagnateur à l'Athénée, il composa en ce théâtre l'Amour et son carquois, qui fut applaudi. Mais son premier grand succès lui vint de ce même théâtre, de Fleur de thé*, qui eut plus de cent représentations (1868). Dès lors Charles Lecocq était célèbre.
Survint la guerre de 1870. Il est dur, quand on commence a se faire un nom comme compositeur, de s'exposer à mourir obscurément sur un champ de bataille.
M. Charles Lecocq, convaincu qu'il appartenait à l'humanité autant qu'à la France, se rendit à Bruxelles afin d'y enrichir l'art musical. C'est là qu'il fit représenter Les Cents Vierges* et La Fille de Madame Angot. Ce dernier ouvrage fut donné plus tard à Paris, quand Charles Lecocq crut pouvoir y entrer en toute sécurité: la pièce eut plus de quatre cents représentations sans quitter l'affiche des Folies Dramatiques.
Charles Lecrocq a donné d'assez nombreux ouvrages depuis lors : Giroflé-Girofla*, Le Petit Duc*, Ali Baba*, Ninette, mais aucun n'a eu la vogue de la Fille de Madame Angot. Les fameux couplets de cet opéra-comique, M. Lecrocq n'aime pas que l'on dise opérette, ont diverti tant et tant de nos compatriotes que l'on excuse l'auteur d'avoir montré une excessive prudence en 1870, et l'on est bien obligé de convenir qu'il est permis de préférer le talent à l'héroïsme, quand on ne peut réunir l'un et l'autre.

                                                                                                                            Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 23 juin 1907.

* Nota de célestin Mira:





Le Docteur miracle de George Bizet.


Le Docteur miracle de Charles Lecocq.


















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