Un lit conditionné.
Pour une foule de personnes le lit n'est autre chose qu'un moyen de se dorloter, de s'amollir: c'est une grande faute. Jadis des milliers d'hommes couchaient sur la paillasse, parce qu'ils n'avaient pas de quoi s'acheter un lit plus confortable. Dans ma jeunesse, j'entendais souvent parler de cherté, de dettes occasionnées par la guerre, sous lesquelles le pays gémissait; par suite, les ménages étaient montés pauvrement et les habitants menaient une vie misérable. Les indigents dormaient sur une simple paillasse, avaient sous la tête un sac rempli de paille et un seul oreiller, et se couvrait d'un simple lit de dessus. Néanmoins le repos et le sommeil étaient délicieux. Rien n'est plus nuisible que de coucher sur un lit de plumes, parce qu'il produit une chaleur excessive et ramollit le corps.
Les lits de dessus sont ordinairement remplis de duvet, parfois en si grande quantité qu'il en résulte un calorique beaucoup trop intense. Si alors, en sortant de ce milieu surchauffé, on s'expose à l'air froid, un catarrhe devient inévitable. Quelqu'un a-t-il, outre ce lit de dessus tellement épais, un poêle chauffé dans sa chambre à coucher, toutes les mesures sont prises pour porter atteinte à la santé.
De nos jours une nouvelle mode vient de faire son apparition: celle des draps de lits faits avec la laine de mouton. Ce n'est pas assez du lit de plumes ou de duvet, il a fallu encore la couverture de laine, qui à elle seule suffirait pour se garantir du froid, et voici qu'à présent on cherche à augmenter encore le calorique moyennant les draps de lit en laine ! C'est la bonne manière de s'amollir encore davantage, de devenir plus incapable encore de lutter contre les influences pernicieuses. Qui plus est, en voyant sur un lit 2 ou 3 grands oreillers, bourrés de duvet et engendrant un excès de chaleur, il n'y a pas lieu de s'étonner que tant de personnes aient à se plaindre de maux de tête et d'un afflux de sang au cerveau. Quand la tête enfoncée dans de pareils oreillers vient à sortir et à se mettre en contact avec l'air frais, est-il possible d'éviter tous ces frissons et ces refroidissements?
Ami-lecteur, voulez-vous avoir un lit comme il faut? Ecoutez mon conseil. Mettez sur la paillasse un matelas solide, ainsi qu'un bon rouleau avec un seul oreiller de plumes. Si vous désirez vous servir d'une couverture de laine, je n'ai rien à objecter, à condition que vous preniez deux draps de lit; si, au contraire, vous préférez faire usage d'un lit de dessus, n'y mettez que peu de duvet ou de plumes, pour ne pas avoir trop chaud, comme j'ai dit plus haut. L'amollissement qui provient de l'habillement trop chaud conduit certainement à la mauvaise habitude de s'amollir aussi au lit, et réciproquement. Pour quiconque s'est endurci par le moyen du genre de vie et d'habillement, le lit moderne n'a pas d'attrait; et quiconque s'accoutume à dormir dans un lit trop chaud et, par conséquent, amollissant, celui-là arrivera bientôt à ne plus se contenter des vêtements suffisants, il lui en faudra davantage et de plus chauds. Gardez-vous donc de ces deux défauts et endurcissez-vous d'une manière rationnelle; car si l'on s'amollit moyennant le lit et l'habillement et qu'on respire un mauvais air, on se prépare un bien triste sort.
Je viens de dire comment, en général, on peut faire erreur par rapport au lit; voyons maintenant quelle est la bonne manière de dresser la couche. Si vous alliez dans 15 ou 20 maisons différentes pour comparer les lits, vous trouveriez presque partout autre chose. Que de lits ne rencontreriez-vous pas dans lesquels il y a moyen de devenir difforme et bossu! Il y a des gens qui, en place de la paillasse ou du matelas ordinaire, s'avisent de mettre un grand coussin ou matelas de plumes; quand on se couche, il se creuse un profond enfoncement là ou repose le poids principal du corps, tandis que les pieds reposent à un niveau plus élevé et que le haut du corps s'appuie contre une montagne de 3 ou 4 oreillers et traversins: position excessivement malsaine pendant le repos de la nuit. Si vous voulez bien dormir et vous procurer un sommeil réparateur, rendez votre couche horizontale jusqu'à l'élévation sur laquelle repose la tête et qui ne doit pas être plus grande que la largeur de l'épaule (espace compris entre le cou et l'extrémité supérieure du bras). Il ne faut, en dormant, ni retirer les pieds, ni plier les genoux; autrement la circulation du sang serait gênée et des congestions pourraient se produire. La position la plus avantageuse pour le corps et surtout pour la circulation du sang, c'est d'allonger les jambes. Les mains non plus ne doivent pas être fermées, afin de ne point déranger le cours du sang, ni de favoriser les engorgements. Se coucher sur le côté gauche n'est utile à personne, impossible à beaucoup de monde, parce que le cœur a, dans cette situation, une charge trop lourde à porter. Le mieux c'est de se coucher moitié sur le côté droit, moitié sur le dos, et d'étendre les bras et les jambes, de manière à éviter le plus possible les courbures du corps et des membres.
Le lit doit avoir des dimensions suffisantes, pour qu'on puisse s'y reposer commodément: il ne faut donc pas qu'il soit trop étroit, ni trop court. La couverture également doit être longue et large, afin que, par suite d'un mouvement quelconque pendant le sommeil, l'air frais ne pénètre pas; autrement vous auriez facilement un rhumatisme en peu de minutes. Il y a beaucoup de personnes qui portent au lit des caleçons assez serrés: c'est ce qu'il faut éviter, parce que cela gène la circulation du sang. Le bord des manches de la chemise doit avoir suffisamment d'ampleur, pour ne rien comprimer. Le col restera ouvert; car, s'il était fermé, il pourrait survenir pendant le sommeil un serrement quelconque qui, de son côté, entraînerait une obstruction du sang et partant une augmentation de calorique. Si, dans un pareil état, la personne dormante aspirait un air froid, un catarrhe plus ou moins considérable en serait la suite.
Il y a des gens qui, pour avoir les pieds chauds, gardent les bas et les jarretières pendant la nuit; or, les jarretières déterminent sans peine des engorgements et des varices aux jambes, accidents que bon nombre de personnes se sont attirés par leur propre faute. Les diverses pièces d'habillement, comme bas, caleçons, etc..., qu'on porte au lit, ne dérangent pas seulement le cours du sang; elles occasionnent aussi une distribution inégale du calorique, ce qui fait tort également à la circulation régulière. Le bonnet de nuit est à rejeter aussi, parce qu'il fait obstacle à l'endurcissement convenable et qu'il attire passablement le sang à la tête, double influence dont peut résulter aisément un catarrhe.
Voilà des règles de conduite pour lesquelles plus d'un se moquera peut être de moi. J'entends d'ici comme on se récrie: "Je me trouve très bien de mon bonnet de nuit, je ne m'en dessaisirai pas." D'autres, qui ont l'habitude de garder au lit les bas, les caleçons ou des effets quelconques, parleront d'une manière analogue. Je leur répondrai à tous: Faites ce que vous voulez, que chacun fasse à sa tête! Si vous vous portez bien pour le moment, ce n'est pas à dire que cela continue ainsi, et il est fort probable que, dans un avenir plus ou moins rapproché, vous ayez lieu de vous plaindre de l'une ou de l'autre infirmité. Bien souvent, j'ai constaté qu'une foule d'accidents et de maladies ont leur source dans les habitudes dont je viens de parler.
Maintes fois on m'a demandé si, à cause de la transpiration, il faut changer de chemise en se couchant ou si l'on peut garder celle qu'on a portée pendant la journée. A mon avis, cette question n'est pas importante au point de vue de la santé. L'une ou l'autre manière de faire sont bonnes: car, en général, on ne doit pas transpirer pendant la nuit; si cela arrive quand même, c'est un signe que le lit n'est pas en règle. Lorsque vous êtes assis quelque part, vous ne commencez pas à transpirer; la même chose doit avoir lieu pendant le repos de la nuit. Si, en vous réveillant, vous êtes couvert de sueur, c'est votre propre faute, à moins que vous ne soyez malade.
Vivez Ainsi, Sébastien Kneipp, 1892.