vendredi 23 février 2018

Les aristocrates sur les planches.

Les aristocrates sur les planches.


"Noblesse oblige", dit le proverbe. Oblige-t-elle à mourir de faim quand, par manque de sollicitude de ses aïeux, brouille de famille, revers financiers, l'héritier d'un nom illustre doit songer sérieusement à redorer, moins son blason, que l'intérieur de son porte-monnaie.
Autrefois, tout fils de noble avait strictement le choix entre deux carrières: celle d'officier ou celle d'ecclésiastique; toute fille, entre le couvent ou un mariage de convenance. Mais, de nos jours, les goûts, les aptitudes, les hasards de la vie ne s'accommodent pas tous de ces obligations, force est aux aristocratiques prolétaires de chercher dans des occupations quelque peu décriées jadis le gain du pain quotidien. Nous avons donc vu un authentique prince de Broglie mésallié, renié par les siens et devenir successivement terrassier, maçon, ouvrier dans une fabrique d'automobiles, serrurier, peintre en bâtiments, garçon de café, pour diriger finalement l'orchestre dans un music-hall londonien, tandis que, sur la scène, la princesse de fraîche date, roucoulait les récentes productions des chansonniers.


Cochère et femme de lettres.

L'une de nos plus fringantes et plus littéraires "cochères" est actuellement Mme Lutgen, ex-comtesse du Pin de la Guérinière*, qui, ne pouvant plus se pelotonner dans le capitonnage d'un coupé de maître, se dédommage en trônant sur le coussin moins rembourré du siège d'une voiture de place. Elle écrivit ses mémoires avec une assurance qui fit dire à l'un de nos confrères: "Il n'y a que le "fouet" qui sauve!"
Un mari tout trouvé pour la distinguée "collignonne" aurait été ce conducteur de "sapin"* viennois, qui cachait, sous le pseudonyme quelque peu connu de Martin, la descendance d'une des plus grandes maisons figurant à l'armorial de France, réduite à la misère par la Révolution. Plus modeste, plus "chevaleresque" que sa très parisienne camarade, il enfouissait son altière naissance, représentée par un vieux parchemin, dans la paillasse de son lit d'infortune: "On ne pourra pas dire, soupira son testament, que je n'ai pas mené la vie à grandes guides."
A Odessa, la police enquêtant sur un vol de quelques roubles, dont a été victime une malheureuse gagnant hebdomadairement 3 fr. 75 à servir les maçons, découvre le véritable état civil de la plaignante. Ce n'est ni plus ni moins qu'une princesse russe, adulée, en son temps, à la Cour impériale pour sa beauté, l'éclat de ses toilettes, et qui gâche du plâtre, ayant gâché sa vie. Son frère, "dans la limonade", vend du coco, les soirs de représentation, devant le théâtre de Saint-Louis aux Etats-Unis.
La noblesse autrichienne abonde en déclassés de cette nature, auteurs ou non de leur décadence. L'un, descendant par sa mère d'une famille princière, s'est fait renvoyer pour inconduite, du régiment dont il était le plus brillant officier. Il part en Amérique chercher fortune comme tant d'autres, et nous le retrouvons au service d'un fermier, poussant la charrue dans les plaines infinies de l'Etat de New-Jersey. Sa paye reçut, il la boit jusqu'au dernier "cent" dans les cabarets de bas étages, puis la bourse et l'estomac vide, il se remet au travail.
Que ne suit-il l'exemple de cet habile raccommodeur de montres qui, né dans un château de Thuringe, possesseur de vastes domaines et de riches mines de cuivre, s'exila, spéculateur malheureux, jusqu'à la Nouvelle-Orléans. L'odeur des plats l'attire, faute des plats eux-mêmes; et il entre comme "plongeur", pour les profanes comme "laveur de vaisselle", dans un "bouillon"* tenu par un Français. Sa conduite exemplaire lui vaut de chaleureuses recommandations; un bijoutier en fait son commis, l'initie aux réparations d'horlogerie, facilite son établissement à New-York. A présent, ouvrier expert, peinant dix heures par jour, il ne désespère pas de reprendre, dans son pays natal, son rang et sa dignité. Voilà ce qui s'appelle ne pas "manquer de ressort"
Son compatriote, le marquis de Urcheo, débuta comme apprenti plombier à raison de douze sous par jour. Pendant ses soirées, il suivait assidûment les cours de physique. Bientôt, il devint une adresse telle dans la fabrication des verres pour instruments scientifiques qu'il y amassa une petite fortune d'abord, puis la possibilité de redevenir M. le Marquis, comme devant, marquis très libéral, du reste, n'oubliant jamais, en face d'un ouvrier, que le travail fut sa première noblesse.


Californie, tu n'es pas le Pérou!

San Francisco a beau être la première ville de la Californie, il ne porte pas chance aux souverains nègres qui commettent l'imprudence d'y élire domicile. Celui de Kibanda, chassé par ses sujets révoltés, s'était réfugié à bord d'un navire américain où, de grade en grade, il devint cuisinier, avec une liste civile de 75 francs par mois. Mais de si brillantes situations sont peu durables et rares. Sa Majesté fut trop heureuse de troquer sa couronne contre un chapeau haut-de-forme déplorablement "accordéonesque", son manteau royal contre une loque brodée de trous et constellée de taches, et ses gardes du corps contre un peloton de "lanciers"* chargés du balayage des rues. Sisovath n'est plus le seul souverain exotique a posséder un corps de "balai".
En Amérique, l'aristocratie de l'argent prime, naturellement, celle de la naissance. A ce compte, il mérita, momentanément, la première noblesse transatlantique, ce John Stell, de la ville de Franklin (Pensylvanie), qui mourut en janvier de l'année dernière, simple commis-libraire, après avoir gaspillé un modeste pécule de 15 millions de francs en sept mois. Pendant deux cent dix jours, on l'avait vu parcourant les rues avec des billets de banque cousus à sa jaquette, à son pantalon, doublant la coiffe de son chapeau, s'échappant en paquets de ses chaussures. Il donnait 25 francs pour faire cirer ses bottines, 50 francs pour se faire raser. Ses pourboires variaient entre 25 et 50 francs. Un jour il achète une maison et la rend le lendemain, gracieusement, au vendeur; content d'avoir été conduit à son idée par un cocher de fiacre, il achète cheval et voiture au loueur et en fait cadeau à l'automédon; dans un hôtel il paye tout le champagne disponible et prend un bain dans le mousseux liquide.
Voyait-il passer une jolie fille, il lui offrait, en témoignage de son admiration, un chèque de 500 francs. Rien d'étonnant qu'il se réveilla un beau matin, sans un rouge liard dans son gousset et qu'il fut contraint de tenir les comptes des livres vendus chez un bouquiniste. Juste châtiment de celui qui avait si mal tenu ses livres de comptes.
Un seigneur roumain, le prince Wolzoka, a épousé l'étoile d'un cirque ambulant, et, devenu écuyer à son tour, sollicite les hautes fonctions de directeur.

Noblesse de Rampe.

L'art ennobli ses dignes représentants. Pourtant, il est au moins curieux de rechercher combien, sous le pseudonyme du comédien, de la comédienne, se dissimulent de noms à particules nobiliaires. Feu Lacressonnière*, premier rôle de tant de drames émouvants, se nommait véritablement Lesot de la Penneterie; Derval, longtemps artiste et administrateur du Gymnase, grand-père de Mlle Marie-Louise Derval*, de la Gaîté, et d'un jeune pensionnaire du Vaudeville, naquit Dobigny de Ferrière. Au Théâtre-Français, nous avons Mlle Berthe de Choudens; Mlle Cerny*, Mlle de Larapidie de Lisle; Mme Lara* mariée avec M. Autant l'architecte; Mlle Renée du Minil*, fille du colonel Seveno du Minil, et, enfin, M. de Féraudy*. 
En dehors de l'Opéra-comique, Mlle Emma Calvé* pourrait signer Mme de Roquer; Mlle Charlotte Wyns*, Mme Edmond de Bruyn. Aux Capucines, Mlle Marguerite Deval*, issue d'une famille de magistrats, s'il vous plait, est Mlle Brulfer de Valcourt; au concert, Mlle Paulette Darty* a droit au nom de Mme de Bardy; le prince Satan des Quatre-Cents coups du Diable, au Châtelet, M. Claudius*, signe, sur les registres de l'état civil, Maurice-Georges Jouet de Lancidais, et M. Lassouche*, l'irremplacé "queue rouge" des Variétés, baron Bouquin de Lassouche.
Aux héraldistes le soin d'authentifier le degré de noblesse de Mlles Cléo de Mérode, Emilienne d'Alençon, Liane de Pougy*; mais il est un titre indiscutable auquel a droit tout artiste couronné par le succès: celui de Princesse, de Prince... de la Rampe! Et ce titre là  en vaut bien un autre. Il est d'ailleurs digne de remarque que jamais autant que de nos jours, depuis que "la démocratie coule à pleins bords" on a eu tant de goût en France pour les titres nobiliaires. Reine des blanchisseuses, Reines des Halles Reines des Reines promènent à travers nos rues leur souveraineté bien intentionnée! Les chansonniers ont aussi leur prince. C'est le sympathique Xavier Privas de qui Mon Dimanche a publié le portrait charge.

                                                                                                                               V. Revel.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 14 juillet 1907.

* Nota de célestin Mira:






Ces jours-ci je hélai un cocher.
Elle était fort jolie, à ne rien vous cacher.
- Rassurez-vous lecteur, et vous aussi, chère
Lectrice, ce cocher était une cochère.
"Où allons-nous, patron?" demanda-t-elle. Et moi
J'eus envie, un instant, de répondre: "Chez toi"
etc...................
                                      Adolphe Willette.

* Un "sapin" viennois est est fiacre découvert, ainsi désigné parce que le bois de sapin entrait dans sa fabrication (d'après Alain Rey: Dictionnaire historique de la langue française):

Fiacre viennois.
Qui se souvient de ce fiacre monumental, de ce sapin, qui cahotait dans Paris aux jours de notre enfance? 1875. Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie jusqu'en 1870.
* Bouillon: restaurant où les portions semblent taillées par un disciple d'Hahnemann, où l'on paye la serviette, où la nappe brille par son absence, mais où les prix ne sont pas plus élevés qu'ailleurs. www.ruski-mat.net: Argot français de 1827 à 1907.

* Lancier: lancier du préfet: balayeur dans l'argot des faubouriens. Allusion au long manche des balais qui ressemble à celui de la lance des lanciers (Argot du peuple). www.ruski-mat.net: Argot français de 1827 à 1907.



* Lacressonnière:







* Marie-Louise Derval:







* Berthe Cerny de son vrai nom Berthe de Choudens:






* Mme Lara de son vrai nom de Larapidie de Lisle:






*Mlle Renée du Minil :





* Maurice de Féraudy:






* Rosa Noémie Emma Calvet dite Emma Calvé:



   


* Charlotte Wyns en 1906:






* Marguerite Deval est aussi la fondatrice du théâtre des Mathurins:







* Paulette Darty de son vrai nom Paulette Joséphine Combes:






* Claudius de son vrai nom Maurice Jouet de Lamiduet d'après 
http://dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/fiches_bio/claudius/claudius.htm
et non Maurice Jouet de Lancidais ? 


Une lectrice m'écrit pour me faire part de ses recherches


Je lis toujours avec grand intérêt les notes personnelles que vous adossez à vos chroniques. Dans le cas de la présente chronique, vous ne demandez pas d'aide, mais une incertitude plane à la fin de votre texte, et je me propose de mettre un terme à ce questionnement. Il s'agit du patronyme du sieur Maurice Jouet. Maurice est né Jouet ni de Lamiduet, ni de Lancidais mais de Lanciduais, dixit, non son acte de naissance, mais la reconstitution de celui-ci. Parce que, vous n'ignorez sans doute pas, que pendant la commune de Paris, de nombreux édifices furent incendiés et entre autre, en mai 1781, et l'Hôtel de ville, et le Palais de Justice où se trouvaient les actes de l'état civil parisiens et le double de ces actes. Certains de ces actes furent reconstitués par des fiches qui peuvent être consultées, à la demande des personnes ou de leur famille et par chance pour nous, l'acte de notre homme en fait partie. Et c'est un plaisir pour moi, de le porter à votre connaissance.











* Caricature de Louis Lassouche de son vrai nom Louis Bouquin de Lassouche:





* Cléo de Mérode, Emilienne d'Alençon, Liane de Pougy, célèbres courtisanes de l'époque:


Cléo de Mérode.










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