mercredi 21 février 2018

Chronique du 9 mai 1858.

Chronique du 9 mai 1858.


Le secret des lettres est chose sacrée et inviolable; on doit en être bien persuadé par le trait suivant:
Dans la ville d'Unne, en Allemagne, où le divorce est en vigueur, un mari plaidait pour être séparé de sa femme. Il produisit une lettre de madame adressée au complice de son infidélité.
La lettre fut reconnue authentique; la preuve qu'elle contenait était suffisante; le mari gagna son procès, le divorce fut prononcé.
Mais aussitôt après, la dame fit un procès au mari pour avoir ouvert une lettre qui ne lui était point adressée, et s'être rendu coupable d'un délit.
L'accusé se défendit avec véhémence, au nom de toute l'autorité que s'arroge la barbe en ménage; mais ce fut en vain.
Attendu le délit constaté, il a été condamné à une amende de trente-sept mille francs cinquante centimes envers la dame.
Voilà au moins un tribunal équitable.

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Madame Catherine Levasseur, demeurant dans la commune de Bazancourt, a des accès de gaieté folle. L'autre jour, vers trois heures de l'après-midi, elle s'amusait après avoir pris le fusil de son mari, à en faire partir les capsules. Un voisin accourut, la supplia de laisser ce divertissement dangereux et voulut lui ôter l'arme à feu. Mais le jeu la réjouissait beaucoup; elle continua à remplir la maison des éclats de sa brillante fusillade. Malheureusement, ayant fait un pas au dehors, elle étendit sans vie la jeune Françoise Béranger, sa domestique.
Cette dame, arrêtée, aura à rendre compte à la justice des éclats de sa turbulente gaieté.

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Un sinistre arrivé dans le département de l'Eure a eu des effets bien surprenants:
Dans l'après-midi un coup de foudre a renversé un bâtiment vaste, neuf et bien construit; la toiture a été emporté à une grande distance, et les murs se sont complètement écroulés.
Deux personnes, un homme et une femme, étaient dans l'intérieur au moment de la catastrophe. Par un bonheur bien étonnant, le vent abattit une porte devant les pas de l'homme qui voulait s'élancer au dehors, et qui n'aurait pas eu le temps d'ouvrir cette porte avant la chute des murailles; il se sauva par cette issue.
Pour la femme, elle fut ensevelie sous les décombres. On attendait que le monceau de ruines fût un peu déblayé pour chercher son corps, lorsqu'on la vit sortir saine et sauve de dessous cette montagne.
Dans la chute des murs, il s'était formé une voûte, qui, abritant de charpentes entrelacées l'endroit où elle se trouvait, lui avait laissé un passage dans les ruines.

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Une autre pauvre vieille femme vient d'être conservée d'une manière encore plus singulière, non pendant sa vie, mais après sa mort.
La femme Maria B..., ancienne actrice du boulevard, habitait seule dans un étroit réduit situé sous les toits et où on pouvait à peine se tenir debout. Elle avait subi trois mois de prison, et depuis ce temps s'était retirée dans le plus complet isolement.
Pendant plusieurs jours on ne la vit point descendre.
Le propriétaire, qui ne tenait pas à une semblable locataire, et la croyait furtivement partie, fit seulement placer un cadenas à la porte, afin qu'elle ne pût revenir chez lui à son insu.
Cinq jours s'écoulèrent sans qu'on revît la femme Maria. L'autorité fut alors prévenue; le commissaire de police entra chez elle, assisté d'un médecin et des gens de la maison.
Tout le monde fut alors témoin d'un spectacle singulier. La femme B..., morte depuis cinq jours, était assise et se tenait droite sur sa chaise, dans toute la roideur cadavérique.
Près d'elle étaient des fourneaux éteints, mais qui, entourés d'ustensiles de ménage, faisaient présumer que c'était dans la pensée de préparer son repas et non de se suicider qu'elle avait allumé ces fourneaux, dont l'étroitesse extrême de son domicile avait fait des instruments de mort.
Les vapeurs concentrées, par une particularité étrange, s'étaient opposées à la décomposition du corps et l'avaient entièrement réduite à l'état de momie. La peau sèche et dure résonnait sous les doigts comme un tambour; elle était d'un bronze foncé; les articulations criaient sous les doigts quand on les faisait mouvoir, comme celles des mannequins des peintres; enfin ce corps ne répandait aucune odeur mortuaire.

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Nulle terreur au monde ne peut être comparable à celle éprouvée par le malheureux Pierre Dumont.
Pierre est un honnête ouvrier tourneur qui habite un rez-de-chaussée au faubourg Saint-Antoine. Une de ces nuits dernières, sa porte est enfoncée avec un fracas épouvantable, ses meubles sont renversés. Se dressant sur son lit, Pierre regarde et écoute. Il voit s'approcher de lui un fantôme, dont la taille dépasse de beaucoup celle de l'espèce humaine, dont la bouche jette un souffle enflammé.
Demi-mort de peur, Pierre a pourtant encore la force de crier au secours.
On accourt avec de la lumière, et on voit... un cheval devant le lit.
C'était en effet un impétueux coursier d'une écurie voisine, qui, sortant de son domicile, était venu faire irruption dans celui de Pierre.
Il n'y a eu besoin, contre cette apparition, ni d'eau bénite, ni de gendarmes et tout se termina à l'amiable.

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Dernièrement, dans un moulin des environs de Chauny, une femme se présente pour acheter de la farine. Au moment de son arrivée, des garçons enlevaient des sacs au rez-de-chaussée à un premier étage assez élevé. L'un d'eux, mû par une pensées diabolique, passa la corde au cou de cette femme, qui se trouve ainsi enlevée comme un sac de grain. Tout naturellement, au terme de son ascension, cette malheureuse se trouve asphyxiée, et on n'a eut que le temps de la débarrasser bien vite de la corde pour la rendre à la vie. Depuis, cette pauvre femme est toujours souffrante; et le mari, ces jours derniers, déposait plainte entre les mains de l'autorité.

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Un certain samedi soir, une mère passait par une rue où se tient d'ordinaire l'assemblée d'actionnaires d'une compagnie véreuse.
On était en séance.
Le bruit du dedans arrivait jusqu'au dehors.
- Mais, maman, dit l'enfant, qu'est-ce que cette cloche qui fait sans cesse: Gredin!, gredin! gredin!
- Ma fille, c'est l'appel nominal.

                                                                                                                 Paul de Couder.

Journal du Dimanche, dimanche 9 mai 1858.

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