samedi 24 février 2018

Mesdames, défendez-vous contre les pickpockets.

Mesdames, défendez-vous contre les pickpockets.


Une haute personnalité féminine de Paris, que sa modestie nous interdit de nommer, revient de Londres où, dans un but de relèvement social, elle a exploré les bas-fonds de la cité britannique. Ayant sollicité d'elle une interview, nous allons, pour les lectrices de Mon Dimanche, condenser ici quelques-uns des points de notre conversation les plus susceptibles d'avoir une portée pratique: la défense contre les cambrioleurs de nos poches. -Laissons-lui la parole:
- A Londres, comme à Paris, c'est surtout dans les grands magasins, dans les agglomérations élégantes, dans les rassemblements, que les professionnels du vol à la tire opèrent.
Comme on ne peut tout de même pas s'abstenir de faire des achats ou de traverser la rue, force nous est donc de composer avec le mal. Le mieux est de se tenir constamment sur ses gardes, lorsqu'on est pris dans la foule, de se défier surtout des femmes. Retenez bien ceci, deux axiomes vont résumer ce qui fait l'objet de notre conversation.



Les femmes savent adroitement
endormir l'attention des policemen
.

Le premier est un dicton familier sur les lèvres des policiers londoniens, le voici: Une habile femme pickpocket ne peut pas être prise. Le second est la sentence favorite de tous les pickpockets de l'univers: Rien n'est plus facile à détrousser qu'une femme.
Mes promenades à travers les prisons des femmes de la capitale britannique m'ont été surtout profitables.
La plus troublante des "pensionnaires" de la justice qu'il m'ait été donné d'approcher, Edith W..., ravissante jeune fille de vingt ans, m'a dénoncé quelques-unes des règles de son art.
Rien n'est plus facile, me dit-elle, que de glisser la main dans la poche d'une jupe pour retirer subrepticement le contenu. Les hommes qui se spécialisent dans cette délicate opération ont été nommés "plongeurs" dans leur argot. Il en est de fort adroits. Jamais, pourtant, ils n'atteindront à la dextérité de la femme pickpocket. Leurs doigts s'embarrassent souvent dans les taffetas d'un jupon; ils n'ont pas le flair; ils hésitent et sont obligés de tâtonner. la femme a l'instinct de la robe, elle devine tout de suite l'emplacement de la poche; physionomiste elle saura d'instinct que son élégante et éphémère "cliente" a adopté tel système de préférence à tel autre, et elle en profite instantanément.
C'est à la chute du jour, le ciel s'assombrit et nous sommes menacés d'une averse imminente. La foule qui, tout à l'heure circulait paisiblement se réfugie sous un lieu couvert comme les colonnades de la rue de Rivoli. 



Les jours de pluie sont les plus favorables aux pickpockets.

Sous l'affolement général, une dame élégante va de droite à gauche, s'efforçant de guetter le passage d'un fiacre qui la ramènera chez elle. Elle a relevé ses jupes pour éviter la boue; on voit bailler la fente de sa poche. Instantanément, une femme qu'elle frôle sur son passage glisse la main dans la fente, saisit le porte-monnaie et en passe le contenu à un paisible gentleman qui se tient à sa droite. le tour est joué! Enfin la dame aperçoit une voiture, hèle le cocher et disparaît sans se douter qu'on vient de la dévaliser.
On opère avec autant de facilité dans les marchés, dans les magasins ou dans les kermesses. Par une délicieuse ironie, les ventes de charité où se presse une aimable cohue de désœuvrés, sont surtout "charitables" aux "plongeurs". Edith W... m'avouait n'en être jamais revenue bredouille. Souvent, il lui arriva de rencontrer une dame aux abois qui annonçait avoir perdu sa bourse. Si d'aventure cette dame paraissait peu fortunée, Edith apitoyait aussitôt l'entourage et faisait discrètement une quête. les sous et les pièces d'argent affluaient en peu d'instants dans sa main diligente. 




Attention, mesdames, aux fausses quêteuses. 

Inutile de dire qu'Edith s'empressait de détaler avec toute cette monnaie dès qu'elle en trouvait l'occasion.

L'ABC du métier.

Les bourses et sacs à main sont une proie désignée à tout adroit opérateur. La croyance généralement répandue que l'argent est plus en sûreté dans ces récipients que dans les poches est des plus erronées. Les "vols à l'esbrouffe" consistant à bousculer la personne à dépouiller ont vite raison de la faible résistance de la main qui tient l'objet. Souvent il suffit d'une tape légère, l'élégant maroquin glisse des doigts et on le récupère.
Ne vous fiez pas aux fermetures de sacs. Aucun système ne saurait résister à l'action d'un pickpocket habile. Une serrure solide tient seule en échec le plus malin des malfaiteurs. Si donc, une femme veut être à l'abri de leurs tentatives, qu'elle porte son argent dans un sac à main fermé d'une petite serrure et qu'une courroie de cuir fixe ce sac à son poignet. Qu'elle se promène avec cet appareil à travers la foule, les pickpockets invisibles qui ne manqueront pas de s'agiter mystérieusement autour d'elle se dirigeront bientôt vers des parages moins cléments: ils ont expérimenté trop souvent qu'il n'y avait là rien à faire pour eux.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 14 juillet 1907.

Nota de Célestin Mira:


Arrest of a pickpocket. 1900.




Bertha Liebbeke, pickpocket, 1903.

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