Reines de beauté au XIXe siècle.

Reines de beauté au XIXe siècle.

Dans le cadre charmant de Bagatelle, la Société nationale des Beaux-Arts organise, chaque année, une exposition de tableaux choisis parmi les chefs-d'oeuvre de notre art national. Cette année, elle a été particulièrement bien inspirée. Elle a groupé des portraits de femmes ayant vécu sous les trois Républiques, de 1789, de 1848 et de 1870. Devant les images de ces femmes dont beaucoup furent célèbres, le visiteur évoque le temps où elles vivaient et la destinée qui leur fut réservée.

Trois époques dans l'histoire de la femme.

L'histoire de la femme sous la Révolution est, comme l'époque elle-même, singulièrement tourmentée. Nombreuses sont les femmes qui furent amenées à jouer un rôle dans les événements et à paraître sur la scène.

Mme Roland, l’Égérie du parti girondin est l'héroïne de la liberté; la belle Liègeoise Théroigne de Méricourt en est l'amazone. L'horreur provoquée par la folie sanguinaire de Marat arme du couteau Charlotte Corday, celle que Lamartine a appelé "l'ange de l'assassinat". Et combien vont périr, victimes courageuses et déplorables de l'aveugle passion politique!

Lorsque enfin Tallien, à la tribune de la Convention, fit décréter d'accusation Robespierre, il agissait sous l'inspiration de sa femme, celle que l'on a surnommée Notre-Dame de Thermidor. Alors commence une période nouvelle: on se reprend au goût à vivre. La femme règne par son élégance et sa beauté. une entre toutes personnifie cette royauté féminine, Mme Récamier, la "divine Juliette".

En 1848 encore, les femmes prennent part au mouvement révolutionnaire. Elles organisent une légion: les Vésuviennes. Elles ont des clubs, elles pérorent dans les banquets, elles rédigent des journaux, cependant que Rachel, drapée à l'antique, déclame la Marseillaise.

Hâtons-nous de constater que, sous la troisième République, aucune parmi les femmes, mêmes les plus éminentes, n'ambitionna un rôle public. Le temps est fini des inspirées. La femme de nos jours ne demande pas à régenter l'Etat. Elle se borne à réclamer, à tort ou à raison, quelques réformes ayant trait à l'organisation de la famille et aux droits de l'individu.

Trois époques dans l'histoire de l'art.

A voir la manière dans laquelle ces portraits ont été traités, on se rend aussitôt compte de la conception différente que l'artiste se faisait de son art. A l'époque révolutionnaire, l'antiquité, remise à la mode, domine dans le costume, dans le mobilier, dans les pompes officielles. C'est David qui a réglé la fameuse cérémonie de la fête de la Liberté dans laquelle Mme Maillard, de l'Opéra, joua le rôle de déesse de la Liberté. C'est de même qu'il représentera les femmes, dont il sera l'admirable portraitiste, dans un costume et avec un arrangement qui rappellent l'antiquité.
Cette mode ne pouvait durer. Dans les années qui vont suivre la Restauration domine le goût bourgeois: c'est celui qui n'a pas cessé de diriger les artistes de 1848.
Les mélancolies affectées du romantisme, le spleen et les vapeurs avaient amené le retour des couleurs unies, tristes et sombres, le vert russe ou cul-de-bouteille, le noir éthiopien, le gorge-de-pigeon à fond violet; le châle, dont seules s'accommodent les tailles grandes et élancées, faisait fureur, et l'Orient, si en faveur chez les poètes, ne l'était pas moins chez les marchands de tissus. Les cheveux retombent en anglaises sur les joues et l'affreux bavolet, avec sa forme de tuile renversée, passe pendant quinze à vingt ans pour être le seul chapeau "convenable". Quel talent ne faut-il pas à l'artiste pour faire une telle oeuvre avec des modes aussi disgracieuses!

La "Princesse Woronzoff", par Winterhalter: quelle finesse d'expression dans cette ravissante figure! L'artiste qui peignit ce beau portrait fut, sous la seconde République et le second Empire, l'interprète attitré de la grâce féminine et des modes de l'époque.
(Collection de M. le comte de Louis.)

Notez que le peintre officiel de l'époque, Winterhalter, accorde beaucoup d'importance au costume et aux accessoires; d'autres, au contraire, l'esquivaient, en réduisant le portrait à un médaillon ou en se bornant à le crayonner. Ainsi du portrait que Delacroix a exécuté d'après George Sand, ainsi des portraits au crayon que Chassérieu a exécutés d'après Mme Emile de Girardin et Rachel.
Ce n'est ni comme une déesse ni comme une muse romantique que les peintres de la troisième République représentent nos contemporaines. Tout leur effort consiste à les évoquer dans leur cadre accoutumé. Les toiles les plus fameuses de Carolus Duran ou de Cabanel nous montre l'élégante dans sa tenue de soirée, à moins que ce ne soit dans le manteau somptueux ou la riche fourrure dont elle se pare en hiver, à l'heure des visites. 

Portrait de "Mrs S. Noble", par J. E. Blanche.
C'est dans le cadre de la vie quotidienne que les portraitistes de la femme se plaisent aujourd'hui à représenter leurs plus élégantes contemporaines.

D'autres nous montrent la femme d'intérieur dans la simplicité de sa vie quotidienne. 

"Ma femme et mes sœurs", par Caro Delvaille.
Les joies et les menus plaisirs de la vie d'intérieur, voilà ce que l'artiste a su traduire dans ce tableau qui évoque si gracieusement l'un des plus simples aspects de la vie féminine d'aujourd'hui.

D'autres, uniquement soucieux de faire ressortir la beauté de leur modèle, recherchent l'effet de lumière qui lui convient le mieux, qui la poétise davantage.
En sortant de cette captivante exposition, nous en emportons pour longtemps le gracieux souvenir. Celles dont les images ont été réunies là furent nos mères et nos grand'mères. 

Elles nous ont léguées l'héritage de leurs vertus, de leur courage ou de leur esprit. Et, revoyant par la pensée le sourire que le peintre a mis à leurs lèvres, il nous semble que ce sourire s'adresse à nous et nous accompagne dans la vie.

Lectures pour tous, juin 1909.