vendredi 28 juillet 2017

L'origine des contes de fées. part I

L'origine des contes de fées. 
               Premier article.




Vous connaissez toutes, mesdemoiselles, le charmant recueil des Contes de fée de Charles Perrault; votre enfance s'en est amusée; vous avez frémi à l'idée d'avoir quelque Barbe-Bleue pour époux; vous avez plaint le sort de Peau-d’Âne fugitive, loué l'humanité de la jeune fille qu'une fée éprouve sous le costume d'une mendiante, et admiré les ruses du miraculeux Chat-Botté. Dans un âge plus avancé, vous relirez encore avec plaisir ces narrations qui ont charmé vos premiers ans, et en vous inclinons sur cette demeure où nous allons tous, hélas! vous reverrez encore ces images gracieuses ou terribles, qui, évoquées par vos nourrices, dansaient autour de vos berceaux.
Ce que vous ignorez peut-être, c'est que les contes de Charles Perrault ne sont pas de lui; son seul mérite est de les avoir arrangés à la moderne, et revêtus d'un style élégant et naïf. Son ouvrage, qui parut en 1697 sous le titre d'Histoires ou Contes du temps passé, avait pour bases de vieilles traditions, connues sous le nom de Contes de ma Mère l'Oie.
Charles Perrault a placé en tête de son volume une vignette représentant une vieille femme qui débite des histoires à trois enfants, et on lit au-dessous cette légende: Contes de ma Mère l'Oie, légende empruntée, suivant la Bibliothèque des Romans, à un ancien fabliau, dont le principal personnage est une vieille oie, ou mère oie, qui édifie des petits oisons par des narrations morales;
Or, ces contes étaient populaires longtemps avant l'apparition du recueil de Perrault, qui date, comme nous l'avons dit, de 1697. Boileau disait, dans une dissertation imprimée en 1669: "Qu'aurait-on dit de Virgile, si à la descente d’Énée en Italie, il lui avait fait conter par un hôtelier les Contes de ma Mère l'Oie?". Charles Perrault lui-même, dans un livre publié en 1692, le Parallèle des Anciens et des Modernes, disait: "Les fables antiques sont si puériles que c'est leur faire assez d'honneur que de leur opposer les Contes de Peau-d’Âne et de ma Mère l'Oie."
L'ancienneté de ces traditions est suffisamment constatée; mais d'où viennent-elles? Qui en indiquera la source? Un savant écrivain, le baron de Walkenaër, avance qu'elles pourraient faire partie d'un recueil en dialecte gallois, conservé au monastère de Saint-Aaron en Bretagne; mais les titres qu'il cite n'ont pas le moindre rapport avec ceux de Charles Perrault. Pwyll, prince de Dymed; Bran-le-Bénit, Math, fils de Matonwy, n'ont rien de commun avec Cendrillon et le Marquis de Carabas. Nous avons patiemment recherché, mesdemoiselles, l'origine des Contes de fées, et nous somme parvenus à éclaircir quelques points de cette question, jusqu'à présent insoluble; trop heureux si le résultat de nos longs travaux peut captiver un instant votre attention.

Barbe-Bleue.

Commençons par le sinistre Barbe-Bleue, ce mari exterminateur. M. Abel Hugo rapporte qu'une tradition désigne le château de Verrières comme une des demeures du redoutable Barbe-Bleue, Gilles de Retz, condamné à mort pour ses crimes, et brûlé à Nantes en 1440. On voit encore dans les ruines une petite salle tapissée de lierre, autour de laquelle on a planté sept arbres funéraires, monument expiatoire élevé aux sept épouses du cruel maréchal de France.
Cette tradition prétendue est complètement fausse. Gilles de Retz n'eut qu'une seule femme, Catherine de Thouars, qu'il traita toujours avec les plus grands égards. Il est vrai que le maréchal de Retz a laissé de tristes souvenirs. A en croire l'ingénieur Ogée, auteur d'un Dictionnaire historique de Bretagne, on voit encore dans le château de Machecoul le sabre de Gilles de Retz, qui est d'une longueur et d'une largeur extraordinaires. Son nom prononcé devant les paysans leur inspire encore de l'indignation et de l'effroi, tant ce scélérat était redouté de ses malheureux vassaux.
Ces sentiments sont la source de ce qui passe aujourd'hui pour une tradition. Connaissez un très-méchant homme, et entendez parler de quelque crime effroyable, vous le lui attribuerez infailliblement. Ainsi, les paysans, instruits des aventures de Barbe-Bleue, se sont dit: "Il n'y a que Gilles de Retz au monde qui ait été capable de tuer sept femmes l'une après l'autre." Et de là, une opinion sans fondement, réfutée par ce seul fait: Gilles de Retz n'eut qu'une femme, et, tout scélérat qu'il était, il la rendit parfaitement heureuse.
Nous pensons que le type de Barbe-Bleue est un certain Comorre, comte de Léon, qui vivait à la fin du sixième siècle. En effet, dans sa légende, conservée dans les Vies des Savants de Bretagne (Rennes, 1680), par frère Albert le Grand, nous retrouvons le meurtre successif des femmes, et même les principaux traits de la dernière scène de Barbe-Bleue. Le dénouement diffère; mais après avoir lu le récit d'Albert le Grand, on ne peut douter que ce ne soit le fond sur lequel ont brodé les trouvères du moyen âge, et Charles Perrault après eux.

Légende de Comorre, comte de Léon.

"Comorre, comte de Léon, usait d'une extrême cruauté et barbarie envers les femmes, lesquelles il faisait inhumainement massacrer. Cependant, après de longs refus, il obtint en mariage Triphine, fille aînée de Geroh, comte de Vannes. Comorre épousa sa dame dans le château de Vannes, et l'emmena avec lui en ses terres, la traitant assez respectueusement; mais bientôt il commença à la regarder de travers;
"Ce qu'apercevant la pauvre dame, et craignant la fureur de ce cruel meurtrier, résolut de se retirer à Vannes vers son père. Cette résolution prise, elle fit d'un bon matin équiper sa haquenée, et avec peu de train sortit avant jour du château, et tira le grand galop vers Vannes.
"Le comte, à son réveil, ne la voyant pas près de lui, l'appelle, et la fait chercher partout; mais ne pouvant la trouver, il se doute de l'affaire, se lève et s'accoutre promptement, prend la botte, monte à cheval, suit la dame à la pointe de l'éperon, et enfin l'attrape à l'entrée des fossés d'un manoir, hors des faubourgs de Vannes. Elle se voyant découverte, descend de sa haquenée, et, toute éperdue de crainte, se va cacher parmi des halliers, en un petit bocage là auprès; mais son mari la cherche si bien qu'il la trouve.
"Lors la pauvre dame se jette à genoux devant lui, les mains levées au ciel et les yeux baignés de larmes, lui crie: Mercy!. Mais le cruel bourreau ne tient compte de ses pleurs, l'empoigne par les cheveux, lui desserre un grand coup d'épée sur le cou, lui avale la tête de dessus les épaules; et laissant le corps sur la place, s'en retourna chez soi."

                                                                                         Emile de la Rédollière.

Journal des Demoiselles, juin 1844.

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