vendredi 28 juillet 2017

Antiquité du cure-dents.

Antiquité du cure-dents.

Il est curieux de retrouver chez les anciens l'usage des moindres ustensiles dont nous nous servons chaque jour et qui nous paraissent souvent comme des raffinements de notre civilisation. Ainsi le cure-dents, pour prendre un des exemples les plus infimes, était parfaitement en usage parmi les Romains. Les beautés du siècle d'Auguste avaient, dans leur coffre de toilette, un cure-dents de porc-épic qu'elles se passaient entre les dents, après se les être nettoyées avec du marbre en poudre.
A table également on se précautionnait de ce petit ustensile, mais il était de bon goût de le dissimuler. D'après Martial, ceux qu'on faisait avec du bois de lentisque étaient les meilleurs; mais, à défaut de ces cure-dents de choix, on pouvait user d'autres en tuyaux de plume. Le poëte remarque avec méchanceté que les femmes qui affectent le plus de se creuser les gencives avec le bois de lentisque sont justement celles qui n'ont plus de dents.
On attribue, à tort, au ministre espagnol, Antonio Perez, accueilli par Henri IV après son bannissement, vers 1591, l'introduction du cure-dents en France. Si le ministre espagnol donna à ce petit ustensile un moment de vogue; si le ton voulut que, pendant quelque temps, à son exemple, on ne se montrât plus dans la bonne compagnie sans un cure-dents, il est certain qu'avant lui le cure-dents était déjà familier chez nous.
Les comptes de l'argenterie du roi François II font déjà mention, à la date de 1560, de deux cure-dents d'argent dans un étui pareil, de style mauresque, orné d'FF couronnés; ainsi que d'un autre cure-dents et cure-oreille dans un étui d'or enrichi de couronnes émaillées de rouge et de blanc.
Quant au cure-dents de l'amiral de Coligny, mort vingt ans avant l'arrivée d'Antonio Perez, il fut célèbre au point de donner naissance à un dicton: "Dieu me garde du cure-dents de l'amiral", pour "Dieu me garde d'avoir affaire à l'amiral". Et le fait est, qu'au dire de Brantôme, le fameux Coligny en portait toujours un, "fust en la bouche, ou sur l'oreille, ou en la barbe."

                                                                                                                                P.
Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

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