lundi 10 octobre 2016

Le Japonais à Paris.

Le Japonais à Paris.


Le Japonais qui vient à Paris n'y est pas, comme les autres étrangers pour s'amuser, fréquenter le monde, les cercles et les coulisses, dépenser de l'argent et vivre enfin de la vie parisienne. Le Japonais reste Japonais. Il considère Paris comme une succursale de Londres ou de Vienne ou de New-York et il en étudie les mœurs, l'industrie, le travail et le rouage, pour s'en servir plus tard dans son pays.
Tandis que l'Européen se parisianise et finit par faire du boulevard sa vraie patrie, le Japonais va, vient, court, bûche et ne prend de Paris que ce qu'il en pourra emporter dans son vieux Japon chéri. Vous ne le rencontrerez pas au Bois ou à l'Opéra, en frac, avec le soulier pointu et le gardénia à la boutonnière. C'est lui qui vous heurtera dans la rue, courant, affairé, pressé, le regard éclairé, le front intelligent, la parole brève et positive. 




N'était son nez asiatique, ses cheveux noirs et aplatis, son teint jaune, son œil à l'encre de Chine, vous le prendriez pour un bon parisien de la rue des Lombards, habile à brasser les affaires. Il nous a pris nos vêtements commodes, la jaquette, la cravate longue, le pantalon et la bottine. Il s'y est trouvé tout de suite plus à son aise que dans sa robe de soie et ses belles écharpes brodées. C'est un révolutionnaire qui s'instruit.
Avant de mettre son pays tout sens dessus dessous, il vient étudier la civilisation de l'Occident et quand il l'aura comprise, digérée et absorbée, il l'emportera à Yeddo pour améliorer et renouveler la vieille routine de l'extrême Orient.




C'est l'étranger devenu bourgeois de Paris pour y connaître l'éducation, les manières, la famille, les usages; pour y faire des relations et se créer des correspondants; mais au contraire de nos visiteurs exotiques, le Japonais reste fidèle à sa patrie et tend à y revenir, quand, comme l'abeille, il aura sucé tout le suc de notre civilisation. Il ressemble à nos Auvergnats, qui font leur fortune à Paris et retournent chez eux pour en jouir. Le Japonais est, en quelque sorte, l'Auvergnat à l'étranger.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick.

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