dimanche 9 octobre 2016

Splendeurs et misères de Paris.

Splendeurs et misères de Paris.


Je t'ai parlé souvent des splendeurs de Paris, jamais de ses misères... c'est qu'elles sont bien tristes! Ah les gens riches ne savent pas, en s'asseyant devant une table somptueusement servie, combien il y a de pauvres gens qui ne peuvent dîner faute d'un morceau de pain; ils ne savent pas quand ils s'étendent dans un bon lit bien chaud, combien il y a de pauvres gens qui ne peuvent dormir parce qu'ils ont froid, assis sur une chaise de paille... 
S'ils le savaient, ils s'empresseraient de donner un plat de leur table, un matelas de leur lit, un peu de leur or, afin d'être plus heureux eux-mêmes en doublant leur bonheur par le bonheur des autres... Souvent c'est le même toit qui couvre l'opulence et le dénuement. Au-dessus des salons dorés se trouvent les mansardes...
A Paris se rencontrent les extrêmes: richesse, pauvreté; l'une vient s'y montrer au soleil, l'autre s'y cacher dans l'ombre... Tu t'étonnes sans doute de ce qu'à mon âge on fasse d'aussi sérieuses réflexions... c'est que, vois-tu, je connais déjà ce remords dont je te parle, et voici comment.
Une vielle demoiselle demeurait rue de la Paix, juste au-dessus de ma petite chambre. Nous avions toutes les deux une caisse au bas de notre fenêtre. Un jour, nous nous rencontrâmes sur l'escalier; je venais d'acheter des pieds de réséda, de pensées, de violettes, pour renouveler les plantes de ma caisse. La vieille demoiselle me fit des excuses de ce qu'en arrosant ses fleurs, l'eau qui retombait entraînait de la terre et venait faner mes fleurs: "Vous pardonnez donc à la petite jardinière?" me dit-elle en branlant la tête.
"Oui, mademoiselle, et pour preuve, je vous pris d'accepter ces belles touffes de pensées."
Plus tard, je la rencontrai encore, elle me pria d'accepter un cornet de fleurs de tilleul.
"Je les ai ramassées pour vous, me dit-elle, en me promenant aux Tuileries."
L'hiver, je la revis plusieurs fois; elle était pâle, m'évitait, me reconnaissait à peine quand je lui disais: "Bonjour, mademoiselle..."
Le 7 janvier au soir, j'avais mal à la tête, je me fis une infusion de ces fleurs de tilleul et je dormis tout d'un somme jusqu'à sept heures du matin, que des pas nombreux se firent entendre au-dessus de ma tête. 
C'est le 8 janvier, me dis-je, la vieille demoiselle déménage... C'étaient les gens de justice qui venaient d'arriver... La pauvre demoiselle était morte!...
Après être restée toute une froide nuit, sans feu, sans se coucher, le matin elle s'était jetée par la fenêtre en passant devant la mienne. Il ne lui restait que deux sols dans sa bourse! Et moi qui avait si bien dormi, grâce à ses fleurs de tilleul, pendant qu'elle souffrait son agonie; et quelle agonie que celle de l'être qui va se donner la mort!...
Mon Dieu si un nouvel Asmodée enlevait les toits de nos maisons, que de contrastes il découvrirait dans cette ville, de splendeurs et de misères!

Journal des demoiselles, janvier 1843.

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