vendredi 2 septembre 2016

Les voyageurs pour rire.

Les voyageurs pour rire ou les voyageurs peints par un autre.


Avis aux voyageurs qui font leurs malles et qui désirent se classer.

Dessins de Stop.


Voici d'abord les voyageurs oisifs, deux jeunes touristes, étendus sur l'herbe fine des montagnes, comme des lézards au soleil:




Ils suivent d'un œil paresseux les spirales de la fumée bleuâtre, et savourent mollement les souvenirs d'hier, le bien-être d'aujourd'hui, les espérances de demain.
De l'autre côté, le voyageur curieux, penché sur un précipice, a confié à son guide robuste sa vie...




et les basques de son paletot. Il veut tout voir, là même où il n'y a rien à voir; tout découvrir, là où tout est découvert; il lui suffit pour son bonheur de pouvoir se dire:
- Voici une chose que je n'avais pas encore contemplée!





Vous reconnaîtrez sans peine le voyageur sans pareil, le voyageur qui a tout vu, tout exploré, tout sondé, le voyageur... blagueur enfin, dans sa berline de voyage.





Le voyageur spleennique traîne par les chemins le poids de son ennui, tandis que sa mélancolique compagne, avec sa plume humide encore des brouillards de la Tamise,

Semble se conformer à sa triste pensée,

et s'associe de son mieux à sa pantomime décourageante.





Le voyageur vain, suivi de son groom, s’attelle au char de la fashion, se montre aux eaux, aux bains de mer en vogue, et étale dans ces lieux où tout Paris, disent les feuilletons, s'est donné rendez-vous, ses toilettes à la mode de l'année prochaine et ses gants d'une fraîcheur immaculée.
L'orgueil est un degré au-dessus de la vanité.





Le voyageur orgueilleux, que son blason date d'hier ou des croisades, que ses revenus soient éclos à l'abri des tours féodales ou sous les roues d'une machine à vapeur, n'en écrase pas moins le passant de tout son poids de son cocher poudré et galonné, oubliant la grande parole: "Celui qui s'abaisse sera élevé..."





Voici maintenant les voyageurs par nécessité, Arabes de la civilisation, trois générations au complet, sans feu ni lieu, peu désireux d'en avoir, et portant avec eux, comme César, leur fortune... et leur marmite...
Et puis d'autres bohèmes, les voyageurs criminels et félons, l'immortel Macaire et l'impérissable Bertrand.





Ils filent, non point les mains vides, mais emportant un souvenir de leurs actionnaires; leur voyage touche à son terme, car ils viennent de mettre entre eux et la gendarmerie cette barrière étrange qu'on appelle une frontière, ligne invisible tracée par la pensée en travers d'un chemin, rien du tout.



Tout en bas, le voyageur innocent et infortuné conte ses douleurs aux échos d'un wagon de troisième classe; et peut-être ses voisins exposés à toutes les conséquences d'une pareille compagnie, pourraient-ils être, aussi bien que lui, pris pour type.
Ici, un jeune Allemand, aux cheveux blonds, au teint rose, rêve, avec sa blanche fiancée, au bord d'un lac bleu où se mirent de verts ombrages:





C'est le voyageur sentimental, sentimental, disons-le, d'une autre façon peut être que Sterne ne l'entendait pour lui-même: mais ce qu'on appelait sentiment alors serait plutôt ce qu'on nomme maintenant, en bonne part, galanterie.




Là, enfin est le voyageur simple, celui qu'on voit partout, vous et moi, Pierre ou Paul, qui part et arrive, va et vient au gré de ses affaires ou de son caprice, et parfois, dans les loisirs de l'attente, cherche sur le visage de ses compagnons de route les types si spirituellement esquissés dans le Voyage sentimental.

                                                                                                                         STOP.

Musée des familles, lectures du soir, mai 1857.

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